Code électoral
1° de l'article L. 230 ; article L. 236
Lien vers la décision :
https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2025/20251129QPC.htm
1° de l'article L. 230 ; article L. 236
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00:00L'audience est ouverte. Nous examinons la question prioritaire de constitutionnalité n° 2025-1129-QPC portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 1er mandat de l'article L230 du Code électoral et de l'article L236 du même Code.
00:24Madame la Gréfière va d'abord retracer les étapes de la procédure d'instruction pour cette question, instruction qui précède cette audience de plaidoiries.
00:32Merci M. le Président. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 3 janvier 2025 par une décision du Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Rachedi-Saint-Doux portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 1er mandat de l'article L230 du Code électoral
00:52et de l'article L236 du même Code. Cette question relative à la démission d'office d'un conseiller municipal ayant été condamné à une peine complémentaire d'inégibilité assortie de l'exécution provisoire a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le numéro 2025-1129-QPC.
01:12La SCP Guérin-Goujon a produit des observations dans l'intérêt de M. Rachedi-Saint-Doux, partie requérante, le 23 janvier 2025. Le Premier ministre a produit des observations le 24 janvier 2025. M. Jérémy Affan-Jacquard a demandé à intervenir dans l'intérêt de l'association Anticor et a produit à cette fin des observations le 21 janvier 2025.
01:34M. Hélène Farge de la SCP Vaquet-Farge-Hazan-Félière a demandé à intervenir dans l'intérêt de M. Hubert Falco et a produit à cette fin des observations le 24 janvier 2025. M. Élodie Leprado de la SCP Leprado-Gilbert a demandé à intervenir dans l'intérêt de M. Sinclair-Vourillaud et a produit à cette fin des observations le même jour. Seront entendues aujourd'hui les avocats de la partie requérante, les avocats des parties intervenantes et le représentant du Premier ministre.
02:00Merci, Mme Lagréfière, M. Myriam Goujon, vous êtes avocate au Conseil et M. Victor Margerin, vous êtes avocat au Barreau de Saint-Pierre et vous représentez M. Rachedi-Saint-Doux, partie requérante. Maître, vous avez la parole.
02:20M. le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, la question prioritaire de constitutionnalité dont vous avez à connaître aujourd'hui mêle le droit électoral, le droit pénal et naturellement le droit constitutionnel.
02:40Elle porte précisément sur la conformité aux droits et libertés garanties par la Constitution, les articles L230 et L236 du Code électoral, tels qu'interprétés par le Conseil d'État, en tant qu'il prévoit que le préfet est tenu de déclarer des missionnaires d'office, non seulement tout élu privé du droit électoral en vertu d'une condamnation devenue définitive, mais également tout élu privé du droit électoral en vertu d'une condamnation qui n'est pas devenue définitive, mais dont le juge pénal a décidé l'exécution provisoire.
03:06Votre réponse est, vous le savez, très attendue par un certain nombre d'élus. Avant de vous en suggérer une, j'aimerais rappeler brièvement le contexte dans lequel cette question vous est posée, puisqu'il me semble particulièrement révélateur des difficultés posées par le régime actuel.
03:20Depuis 2020, M. Rachadi Sandou était conseiller municipal de la commune de Dambény et président de la communauté d'agglomération de Dambény-Mamoudzou, l'Académa. Par un jugement du 25 juin 2024, le tribunal correctionnel de Mamoudzou a condamné M. Sandou à une peine complémentaire de privation de son droit d'éligibilité pendant 4 ans et a assorti cette peine de l'exécution provisoire.
03:42M. Sandou a fait appel de ce jugement le 26 juin 2024. Néanmoins, dès le lendemain, le préfet de Mayotte l'a déclaré démissionnaire d'office de ses mandats en cours de conseiller municipal et de conseiller communautaire.
03:56Dans la foulée, le 11 juillet 2024, le conseil communautaire de l'Académa a procédé à de nouvelles élections et un nouveau président a été élu en remplacement de M. Sandou. En résumé, M. Sandou a été condamné à une peine d'inéligibilité qui n'est pas encore devenue définitive. Pour autant, il est d'ores et déjà privé de tous ses mandats locaux et il ne les récupèrera probablement jamais.
04:18Pour le déclarer démissionnaire d'office de ses mandats locaux immédiatement après sa condamnation à une peine d'inéligibilité par exécutoire par provision, le préfet de Mayotte a considéré que cela constituait une cause d'inéligibilité survenue postérieurement à son élection pour laquelle il était tenu de le déclarer démissionnaire d'office en application des articles L230 et L236 du Code électoral.
04:40L'article L230 dispose que ne peuvent être conseillers municipaux les individus privés du droit électoral. L'article L236 prévoit que tout conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un des cas d'inéligibilité, est immédiatement déclaré démissionnaire par le préfet.
04:58Ces dispositions ne précisent pas, en tout cas pas clairement, si le préfet est tenu de déclarer démissionnaire d'office uniquement les élus privés du droit électoral en vertu d'une condamnation devenue définitive ou également les élus privés du droit électoral en vertu d'une condamnation qui n'est pas devenue définitive mais dont le juge pénal a décidé l'exécution provisoire.
05:16C'est le Conseil d'État qui, dans une décision Simon-Pierry du 20 juin 2012, a considéré qu'il résulte des articles L230 et L236 du Code électoral que le préfet est tenu de déclarer démissionnaire d'office les élus privés du droit électoral en vertu d'une condamnation devenue définitive ou d'une condamnation dont le juge pénal a décidé l'exécution provisoire.
05:36C'est cette interprétation extensive des articles L230 et L236 du Code électoral que nous vous invitons à juger contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution.
05:46Rappelons-le d'emblée, elle se heurte à votre propre jurisprudence.
05:51En effet, en tant que juge électoral, vous avez jugé à plusieurs reprises qu'une peine d'inéligibilité ne peut justifier que soit constatée la déchéance des mandats en cours de l'intéressé tant qu'elle n'est pas devenue définitive et ce même si elle a été assortie de l'exécution provisoire.
06:06Vous considérez que si par application de l'article 471 du Code de procédure pénale, la peine d'inéligibilité privant l'élu de son droit d'éligibilité est exécutoire par provision, les effets de cette condamnation sur les mandats en cours de l'intéressé, en l'occurrence des mandats nationaux, sont régis par les articles 506 et 569 du Code de procédure pénale en vertu desquels il est sursis à l'exécution de la décision du juge pénal jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Cour d'appel ou le cas échéant de la Cour de cassation.
06:35Vous avez ainsi opté pour une interprétation stricte de l'article LO 136 du Code électoral rédigée dans des termes très proches de ceux de l'article L 236 en cause ici.
06:46Nous pensons que cette interprétation stricte est la seule qui soit compatible avec le respect du droit d'éligibilité dont jouit tout citoyen en vertu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 3 de la Constitution.
07:01Trois raisons à cela.
07:02La première tient à ce que vous jugez que les dispositions fixant une inéligibilité sont d'interprétation stricte.
07:09A fortiori, vous devriez juger de même s'agissant des dispositions fixant les conséquences d'une inéligibilité.
07:15La deuxième raison tient à ce qu'en pratique, la démission d'office aboutit à priver définitivement l'élu de son mandat alors même qu'il n'est pas condamné de manière définitive à une peine d'inéligibilité.
07:27A supposer que l'intéressé obtienne l'annulation de sa condamnation à une peine d'inéligibilité, il aura en effet bien du mal à récupérer son mandat.
07:34L'arrêté prononçant sa démission d'office devra certes être abrogé.
07:38Toutefois, aucun texte actuellement ne prévoit la marche à suivre pour que l'élu relaxé récupère son mandat.
07:45Bien souvent, vu les délais de jugement en matière pénale, il aura entre-temps été remplacé.
07:49C'est le cas de M. Saindoux.
07:51Le remplaçant devra-t-il démissionner ?
07:53Aucun texte ne le précise.
07:55Parfois, le mandat dont l'élu relaxé a été déchu sera même terminé.
07:59Comment pourra-t-il alors récupérer un mandat terminé ?
08:02Et même s'il parvient à récupérer son mandat, sa réputation, son honneur et donc sa carrière sont, on le sait, définitivement altérées.
08:09Imposer au préfet de déclarer démissionnaire d'office un élu condamné à une peine d'inéligibilité qui n'est pas encore devenue définitive
08:16revient donc à priver l'intéressé de son droit à recours effectif contre cette peine et de son droit au respect de la présomption d'innocence.
08:24La troisième raison qui nous convainc de ne pas retenir cette solution
08:28tient à ce que, depuis 2017, la peine complémentaire d'inéligibilité est une peine obligatoire dont le prononcé n'a pas à être motivé.
08:36Le choix de la sortir de l'exécution provisoire n'a pas, lui non plus, à être motivé.
08:41Il s'ensuit qu'aucune garantie n'entoure le prononcé d'une peine d'inéligibilité assortie de l'exécution provisoire.
08:48En faire découler la déchéance immédiate de tous les mandats en cours de l'intéressé
08:52porterait dans ces conditions une atteinte disproportionnée à son droit d'éligibilité.
08:58Pour terminer, je soulignerai que maintenir le statu quo ne me paraît pas envisageable.
09:04En effet, politiquement, il est à tout le moins paradoxal qu'un parlementaire frappé d'une peine d'inéligibilité assortie de l'exécution provisoire
09:11puisse conserver son mandat, mais qu'un élu local frappé de la même peine ne le puisse pas.
09:16Alors même qu'on le sait, certains élus nationaux tiennent leur mandat d'élus locaux.
09:20Et du point de vue du principe d'égalité, cette différence de traitement est sans rapport avec l'objet de la loi qu'il établit.
09:27Il vous faut donc harmoniser la jurisprudence en jugeant, contraire à la Constitution, les articles L230 et L236 du Code électoral,
09:34tels qu'interprétés par le Conseil d'État, en tant qu'il prévoit que le préfet, tenu de déclarer démissionnaire d'office l'élu privé du droit électoral
09:41en vertu d'une condamnation devenue définitive ou d'une condamnation dont le juge pénal a décidé l'exécution provisoire.
09:48Je vous remercie.
09:50Merci, maître. Maître Margerin.
10:01Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
10:06La question qui se pose à vous aujourd'hui peut être résumée de manière très simple.
10:12En jugeant fondée la démission d'office d'un élu non définitivement condamné,
10:16l'interprétation juriscrédentielle constante des articles L230 et L236 du Code électoral par le Conseil d'État
10:24porte-t-elle une atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ?
10:30Nous vous répondrons tout simplement par l'affirmative.
10:33D'emblée, ainsi qu'il l'a été fait, relevons cette dissonance entre votre jurisprudence et la jurisprudence du Conseil d'État.
10:40Cette dissonance amènerait pour une décision du même tribunal, avec la même décision d'exécution provisoire,
10:50à deux conséquences drastiquement opposées selon que le prévenu est un mandat de député ou de sénateur ou soit un élu local.
11:02Vous refusez la déchéance d'un député ou d'un sénateur de son mandat en l'absence d'une condamnation définitive.
11:10Le Conseil d'État, lui, le retient en faisant de l'exécution provisoire un nouveau critère d'inéligibilité,
11:18un nouveau critère strictement prétorien.
11:21En créant ce nouveau critère, cette nouvelle distinction,
11:26l'interprétation du Conseil d'État contribue à une division, à une catégorisation des électeurs ainsi que des éligibles,
11:33ce qui est déjà fermement condamné par votre jurisprudence, notamment en ce qui concerne l'élection des conseillers municipaux.
11:41Cette acception de l'inéligibilité par l'exécution provisoire revient donc à une nouvelle interprétation,
11:48non seulement en marge de la loi, mais également de la Constitution.
11:53Ces obstacles revêtent nécessairement un caractère d'irriment quant à l'interprétation faite par le Conseil d'État.
12:01En premier lieu, vous apprécierez l'absence totale de prévision par l'article L236 du Code électoral de l'exécution provisoire.
12:11Cette interprétation, cette création de ce nouveau critère par l'exécution provisoire ressort de la seule jurisprudence du Conseil d'État.
12:21C'est une création strictement prétorienne qui outrepasse sa compétence.
12:25L'article ne retient effectivement que le cas d'une condamnation pénale définitive.
12:31Pour rappel, ainsi qu'il a été exposé préalablement, les règles et conditions d'inéligibilité sont d'interprétation stricte.
12:39L'acception du Conseil d'État revêt en fait un caractère non plus provisoire mais bien définitif.
12:48Par l'effet de la démission d'office, le remplacement de l'élu n'a rien de provisoire puisqu'il vaut proclamation de l'élection d'une nouvelle élue.
12:57Pourtant, en cas d'infirmation, il n'existe aucun texte, aucune autorité administrative, aucune procédure pouvant permettre à l'élu de procéder à son rétablissement dans son mandat.
13:15Ces éléments sont soulignés de nombreuses reprises par la Doctrine, mais également par le ministre de l'Intérieur dans sa réponse ministérielle au sénateur maçon publiée au JO du Sénat le 30 août 2023.
13:29Ces difficultés pratiques sont d'autant plus soulignées par M. Demare, rapporteur public près du Conseil d'État, dans le cadre de la récit Montpierry précitée.
13:41Vous apprécierez en outre l'absence de garantie procédurale et processuelle quant au caractère effectif du recours de l'élu démissionné d'office contre l'arrêté préfectoral.
13:53En effet, l'article L236 vient exposer que lorsque le conseiller municipal est déclaré démissionnaire d'office à la suite d'une condamnation pénale définitive, le recours contre l'acte du préfet n'est pas suspensif.
14:07Vous apprécierez l'interprétation a contrario, en l'absence de décision définitive, ce recours doit être suspensif.
14:15Là encore, l'interprétation stricte des règles et des conditions d'inéligibilité doivent être rappelées.
14:23En l'espèce, dans le cas de M. Rachadi-Sindhou, vous apprécierez l'absence du moindre caractère suspensif, l'absence totale de garantie procédurale et processuelle que nous considérons être contraires à la Constitution,
14:39puisque vous avez ni plus ni moins, dans ce cas, le préfet de Mayotte qui a incité par écrit la collectivité locale à procéder au remplacement de l'élu en dépit du recours et du caractère suspensif de celui-ci contre l'arrêté portant démission d'office.
14:58En dépit même de ce recours, ainsi que des recours portant sur les conséquences, à savoir le remplacement dans ses mandats, aucun effet suspensif n'a été retenu ni appliqué, alors même que la seule contestation de l'arrêté portant démission d'office le justifiait.
15:17Vous avez une situation totalement déconnectée dans laquelle les contestations de M. Sindhou contre les conséquences de cet arrêté de démission d'office ont été rejetées préalablement par le tribunal administratif de Mayotte avant même que celui-ci ne statue sur le principal, à savoir la légalité de cette déclaration, de cette démission d'office.
15:41En définitive, à l'absence de dispositions expresses en la matière, eu égard au caractère irrémédiable de l'exécution provisoire, revenant en cas d'infirmation ni plus ni moins qu'à priver d'effet la décision du juge d'appel, doit s'ajouter une absence totale de garantie procédurale et processuelle garantie par les droits et libertés fondamentaux protégés par la Constitution.
16:10En cela, effectivement, nous vous invitons à considérer que les dispositions corrélées encourent d'ores et déjà votre censure.
16:17Merci, Maître. Maître Elodie Le Prado, vous êtes avocate au Conseil et vous représentez M. Sinclair-Vourillot, partie intervenante. Maître, nous vous écoutons.
16:32Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, les membres du Conseil constitutionnel, le cadre juridique de la question vous a été exposé au nom de M. Vourillot, maire d'une commune de Seine-et-Marne, intervenant condamné pénalement, mais non définitivement, à l'inéligibilité.
16:51Je voudrais insister maintenant sur deux points. D'une part, le caractère disproportionné et, d'autre part, l'absence de nécessité des articles L. 230 et L. 236 du Code électoral en ce qu'ils imposent au préfet de déclarer immédiatement démissionnaire d'office un conseiller municipal condamné pénalement à une peine d'inéligibilité définitive, mais assortie d'exécution provisoire.
17:19Mais d'abord, je vous propose un petit détour. Un petit détour par Rome, 43 ans avant notre ère. La République romaine est en déclin, la violence politique fait rage. Marc-Antoine vient de prononcer contre son ennemi Cicéron la plus grave des peines, la proscription.
17:43Cicéron, proscrit, doit sans délai être éliminé. Sa fuite vers son domaine du sud de Rome n'y change à rien. Le 7 décembre de cette année, Cicéron est exécuté. Monsieur le président, mesdames, messieurs, en France, en 2025, la justice est indépendante et chacun se réjouira.
18:04On assassine tous ses opposants politiques. Le mot exécution ne signifie d'ailleurs plus aujourd'hui mise à mort, mais le fait d'accomplir, de parachever ce qui a été décidé. Mais en réalité, il apparaît que le juge peut encore et toujours signer l'arrêt de mort d'un élu.
18:26Alors non pas la mort biologique, bien sûr, mais la mort politique. Et ces deux morts sautent autant irréversibles l'une que l'autre. Certains prétendront qu'on n'est jamais vraiment mort en politique, mais les quelques noms qui illustreront leurs propos ne feront en réalité que démontrer qu'en politique, la résurrection demeure l'exception.
18:51Votre décision sera donc lourde de conséquences. Le code électoral tel qu'interprété impose aujourd'hui de déclarer immédiatement des missionnaires d'office un élu condamné à une peine d'inéligibilité, alors même que cette décision de cette sanction n'est pas définitive. Pour quelle raison?
19:09Uniquement parce que le juge qui aura prononcé la décision aura déclaré cette peine exécutoire par provision. Ainsi, à l'opposé des mots du premier président Truch, qui aimait à rappeler que l'on ne saurait condamner que d'une main tremblante.
19:31Le code électoral et les dispositions qui vous sont déférées aujourd'hui de donnerait au juge une main inflexible et résolue, et ce, alors même qu'en matière pénale, on le sait, la main tremblante du juge doit se doubler d'une autre précaution.
19:51Seul le dernier juge signe à l'encre indélébile. Le recours est suspensif. La peine n'est en principe exécutoire qu'une fois la décision juridictionnelle qui la prononce devenue définitive. Alors aujourd'hui, vous devrez déclarer un constitutionnel l'interprétation qui est faite du code électoral.
20:13Elle est contraire aux droits d'éligibilité garantis par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 3 de la Constitution. Ce droit d'éligibilité n'est certes pas absolu, mais l'atteinte qui y est portée ici est, et je vais vous le démontrer, non seulement disproportionnée, mais également non nécessaire.
20:36La disproportion, d'abord, est en cause. Un conseiller municipal, un maire condamné pénalement, mais non définitivement, qui va se voir privé de ses fonctions électives, de son mandat, alors même qu'il pourrait être ultérieurement relaxé.
20:50La disproportion de l'exécution par provision de cette peine est d'autant plus flagrante que le présumé innocent va être empêché d'exercer ses fonctions d'élu pendant tout le temps de son recours pour obtenir le relax.
21:05Et surtout, qu'après la décision de relax, il ne retrouvera pas ses fonctions d'élu, ses mandats. Le Code général des collectivités territoriales prévoit en effet un remplacement de l'élu local provisoirement inéligible, qui a été déclaré démissionnaire d'office, et ce remplacement ne sera pas mis à néant par la relax.
21:27Le conseiller municipal sera ainsi peut-être pénalement blanchi, mais politiquement exécuté. Le maire innocenté en appel ne retrouvera sans doute jamais son siège, car l'exécution provisoire est, en matière électorale, un oxymore, un faux ami. Elle est en pratique définitive.
21:48Et la disproportion est d'autant plus manifeste que ni la peine d'inéligibilité ni l'exécution provisoire ne doivent être motivées, justifiées par le juge. Cela résulte tant de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique que de la jurisprudence de la Cour de cassation.
22:07Si, selon la formule du célèbre Yering, la forme, le formalisme, est l'ennemi juré de l'arbitraire, la sœur jumelle de la liberté, protectrice du justiciable, alors que dire de la motivation ? Elle protège elle aussi, bien sûr, la liberté, les libertés. On pense à la liberté d'association. Toute dissolution doit être justifiée.
22:28On pense encore aux décisions restreignant la liberté d'expression, imposant des obligations spécifiques à la presse. Elles doivent être motivées. En droit pénal, c'est la liberté d'aller et venir. On n'imagine pas que la détention provisoire, la peine d'emprisonnement, ne soit pas motivée.
22:45Et pourtant, devrait demeurer au banc de la protection, de la motivation, celle qui n'est pas une liberté publique comme les autres, mais bien celle qui est à l'origine de toute la démocratie, le droit d'élire et de se faire élire. La disproportion de l'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité est flagrante, manifeste.
23:10Et ce n'est pas tout. Cette exécution provisoire n'est pas non plus nécessaire. Pour justifier cette exécution provisoire de la peine d'inéligibilité non définitive, quête invoquée de l'autre côté de la barre. Cette exécution provisoire viserait d'abord à prévenir le risque de récidive.
23:32Ensuite, à assurer l'effectivité de la peine.
23:37Nos deux points d'objectif sont ici complètement sans emport. Pourquoi ? D'abord parce que l'argument est juridiquement inexact. La récidive en matière pénale suppose une condamnation définitive.
23:51Ensuite, parce que la procédure pénale en toute matière serait s'électorale est gouvernée par le principe de la présomption d'innocence. Et c'est pourquoi le recours est un principe suspensif.
24:06C'est donc avec une prudence de sioux pour préserver l'ordre public ou le risque d'évasion, la fuite qu'on appliquera à des peines d'emprisonnement l'exécution provisoire. Mais ici rien de tel.
24:21La privation d'un mandat aujourd'hui ou demain aura le même effet. La matière électorale, c'est-à-dire la démocratie, doit rester à l'écart de cette prudence qui serait ici excessive.
24:39Le professeur de médecine légale César El Ombroso faisait de certains hommes au XIXe siècle des criminels nés. Gardez-vous, vous, au XXIe siècle, de faire d'hommes politiques d'élus locaux des récidivistes nés alors qu'ils n'ont pas encore été définitivement condamnés.
24:58Une telle sanction est d'autant moins nécessaire qu'en réalité, qui est sanctionné par l'exécution provisoire ? L'élu, bien sûr, mais pas seulement. L'électeur aussi. Il devient victime par ricochet de la décision judiciaire.
25:15Il subit indirectement la peine de confiscation de sa voix du vote qu'il a porté. Et derrière l'électeur, qui est puni encore par l'exécution provisoire ? La justice elle-même.
25:31La justice qui va se retrouver prise en otage, accusée de tous les maux, la juridiction qui aura prononcé la peine, cette juridiction qui se verra prise à partie et victime d'un procès unique, celui d'avoir pris une décision politique.
25:47Ce risque pour l'institution judiciaire est d'autant plus grand que, je vous l'ai dit, cette exécution provisoire n'a pas à être motivée. Or, seule la motivation aurait pu être le moyen pour le juge de se mettre à l'abri du soupçon.
26:04Pour reprendre les mots du professeur Cutty, elle aurait pu constituer un rempart contre l'arbitraire, comme l'énonçait la cour de Strasbourg dans son arrêt axé. À l'ère du soupçon qui est le nôtre, quand vous motivez, quand vous expliquez,
26:17vous justifiez en quoi les circonstances de l'infraction, la personnalité du condamné, sa situation personnelle, justifient une exécution provisoire. Et vous contribuez à écarter toute tentative de reproche de procès politique.
26:31Mais rien de tel ici, pas de motivation. Et d'ailleurs, vous, vous l'avez bien compris, le juge électoral que vous êtes, juge qu'un député ou un sénateur ne doit pas être déchu de sa qualité
26:44lorsqu'il est condamné à une peine d'inéligibilité par une décision non définitive, alors même que la décision pénale est assortie de l'exécution provisoire.
26:53Alors comment comprendre qu'un même élu pourrait continuer à siéger au palais Bourbon, au Luxembourg, mais devrait quitter un conseil municipal ? Comment comprendre que la bouche de la Constitution ne parle pas d'une seule voix ?
27:10Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Marc-Antoine avait été jusqu'à exposer la tête, les mains et la langue transpercées de Cicéron dans le forum romain.
27:20Notre époque se garde bien d'une telle sauvagerie, l'état de droit est passé par là. Réservons la frénésie expéditive aux réseaux sociaux, à une presse non documentée.
27:34Gardons et préservons le temps long de la justice. Nous savons que le brouhaha médiatique rendra inaudible l'innocence reconnue sur le tard.
27:46N'ajoutons pas une exécution provisoire disproportionnée et non nécessaire. Nul n'a plus besoin de transpercer les langues ou de réduire au silence.
27:57Il est du rôle de notre code électoral, gardien de nos règles démocratiques, de ne pas prêter sa voix à une justice de l'émotion, de l'immédiateté,
28:07et de veiller à ce que nos juridictions ne soient pas taxées d'arbitraire ou de partialité politique. La justice provisoire, celle qui ne rend qu'un jugement pouvant être frappé d'appel,
28:19ne doit pas pouvoir prononcer une peine de mort politique irréversible. Vous décarez les dispositions telles qu'interprétées inconstitutionnelles. Merci, M. le Président.
28:29Merci, maître. Maître Hélène Farge, vous êtes avocate au Conseil et vous représentez M. Hubert Falco, partie intervenante. Maître, nous vous écoutons.
28:43M. le Président, Mesdames, Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, j'interviens effectivement à mon tour pour un maire trois fois élu avec une large majorité
28:54et qui, deux jours après la condamnation prononcée par le juge de première instance, le juge correctionnel de première instance, a été chassé de ses fonctions de maire,
29:05de conseiller d'une communauté urbaine sans discussion préalable. Mais je voudrais d'abord revenir et insister devant vous sur l'objet exact de votre saisine d'aujourd'hui.
29:23Vous n'êtes pas saisi de la constitutionnalité de la peine d'inéligibilité, qui est prévue par les articles 131.10 et 136 du Code pénal, ni de l'exécution provisoire de cette peine,
29:40qui est prévue par l'article 471 du Code de procédures pénales. L'applicabilité aux élus de ces dispositions du Code pénal et du Code de procédures pénales n'est pas discutée par les dispositions
29:59qui vous sont déférées, qui sont exclusivement celles des articles 230 et 236 du Code électoral. Nous ne plaidons pas ici devant vous un régime de faveur pénale pour les élus. Ce serait absolument incompatible avec la confiance
30:20qui est recherchée dans la vie politique. Alors, certes, la compatibilité de l'exécution provisoire d'une peine en général, quelle qu'elle soit, avec le principe de la présomption d'innocence,
30:38m'interroge suffisamment pour que, avant d'être devant vous, j'ai demandé à la Chambre criminelle de la Cour de cassation de vous renvoyer la question de la constitutionnalité de l'exécution provisoire de cette peine.
30:56Mais la Chambre criminelle a été suffisamment convaincue par les décisions que vous avez rendues qui expressément ou en creux admettent la compatibilité de cette exécution provisoire d'une peine qui n'est pas définitivement prononcée, avec notamment la présomption d'innocence.
31:14Donc, c'est le Conseil d'État qui vous renvoie uniquement les textes du Code électoral, les dispositions des articles L230 et L236, et il vous les renvoie en temps qu'elles s'appliquent à des élus ayant fait l'objet d'une condamnation pénale déclarée exécutoire par provision, alors que cette sanction n'est pas définitive.
31:41Ce sont les termes de l'arrêt qui vous saisit.
31:43Ces dispositions du Code électoral ne concernent pas la peine d'inéligibilité en elle-même.
31:53La peine d'inéligibilité, c'est l'interdiction qui est faite de se présenter à une élection.
31:58Elle concerne sa conséquence et sa conséquence applicable aux seuls élus, alors que tout citoyen peut être condamné à la peine d'inéligibilité, sa conséquence applicable aux seuls élus, qui est la déchéance du mandat électoral en cours.
32:15Cette démission d'office, elle n'est pas prononcée par le juge, elle est prononcée par le préfet.
32:22Elle doit l'être par le préfet.
32:24Selon la jurisprudence du Conseil, elle doit l'être par le préfet.
32:27Mais ce n'est pas la peine prononcée par le juge et elle n'entre pas dans le champ d'application de l'article 471 du Code de pressure pénale, qui prévoit l'exécution provisoire des seules peines prononcées par le juge.
32:48La démission d'office, ce n'est pas la peine prononcée par le juge, c'est la conséquence de cette peine, éventuellement ce qu'on appelait, puisqu'elle n'existe plus aujourd'hui, une peine accessoire.
33:02Alors, l'interprétation que le Conseil d'État a fait de ces dispositions, en considérant que le préfet était en compétence liée, c'est-à-dire qu'il avait l'obligation de prononcer la démission d'office de l'élu, alors même que la peine n'est pas définitivement prononcée, porte très certainement atteinte à plusieurs droits et libertés garantis par la Constitution.
33:30Mais surtout et notamment aux droits et aux libertés les plus fondamentales, puisqu'elles concernent le fonctionnement de nos décisions.
33:40C'est ce que souligne la décision du Conseil d'État qui vous renvoie les dispositions, qui s'interroge, le Conseil d'État lui-même, s'interroge sur la compatibilité de l'interprétation qu'il a faite de ces dispositions avec les principes d'égalité devant le suffrage et la préservation de la liberté de l'électeur.
34:03Alors c'est ici que me paraissent effectivement se poser les questions les plus sérieuses de constitutionnalité.
34:12La liberté de l'électeur.
34:17La décision du juge pénal non définitive, susceptible d'être réformée en appel sur la culpabilité, le relax, sur le prononcer de la peine.
34:33Le juge d'appel peut considérer qu'il n'y a pas, sauf dans les cas où c'est obligatoire, mais le juge d'appel peut considérer que la peine d'ineligibilité n'est pas applicable.
34:42Donc cette décision du juge pénal non définitive suffit à révoquer le choix des électeurs.
34:50Il sera mis fin au mandat et le choix des électeurs, on vous l'a exposé brillamment précédemment, sera irrémédiablement révoqué parce que le maire démissionné ne retrouvera pas, ou pas nécessairement, ou très difficilement, le mandat dont il a été déchu.
35:12Cette liberté de choix de l'électeur, le suffrage universel, il est donc définitivement bafoué par une décision du juge pénal qui n'est pas définitive.
35:27Il y a ici un affrontement direct entre un droit incertain, une décision non définitive, susceptible d'être réformée, entre un droit incertain et une élection qui a été régulièrement faite, qui est valide.
35:48On donne au juge, puisque le préfet n'intervient que comme exécutant, il est en compétence liée, on donne au juge et au juge de première instance, sur le fondement de ce seul droit incertain et non définitif, le pouvoir de défaire l'élection.
36:10La frontière de la séparation des pouvoirs est peut-être franchie.
36:17Elle aggrave en tout cas le risque de l'instrumentalisation politique du juge ou en aggrave le soupçon, et je ne sais pas entre les deux ce qu'il y a de pire.
36:29Cette atteinte portée à la liberté du suffrage, à l'élection, à ce qui est le fondement de notre démocratie, de notre vie politique, c'est bien ce que le Conseil concessionnel, ce que vous avez voulu éviter lorsque vous avez jugé que, en ce qui concerne les parlementaires, députés ou sénateurs, il n'était pas possible,
36:57de prononcer la déchéance de leur mandat tant que la condamnation pénale n'était pas définitive.
37:05Il n'y a aujourd'hui aucune raison pour que ce qui est applicable constitutionnellement à ces élus nationaux ne soit pas aussi applicable aux élus locaux et aux maires.
37:20Il y aurait une distorsion et une atteinte en plus aux principes d'égalité si cette divergence peut-être entre votre jurisprudence et celle du Conseil d'État n'était pas aujourd'hui réparée.
37:35En conclusion, je crois que ce qu'il faut avoir présent à l'esprit, ou en tout cas ce que je veux redire, c'est qu'appliquer à un élu définitivement condamné pour des malversations, pour des malhonnêtetés, la sanction de l'inégibilité et sa conséquence, la déchéance de son mandat, oui, c'est absolument nécessaire.
38:05Pour la confiance que l'on doit donner à nos concitoyens dans la vie publique. Mais concéder au juge judiciaire, au juge de première instance, le pouvoir sur une décision non définitive susceptible d'être réformée, de destituer un élu, c'est certainement contraire, inconstitutionnel, comme contraire aux articles 6 de la Déclaration des droits de l'homme et à l'article 3 de la Constitution.
38:35Et je le crains, ce n'est pas renforcer la confiance dans le fonctionnement des institutions. Vous prononcerez donc la non-conformité de ces dispositions telles qu'elles ont été interprétées jusqu'à présent par le Conseil d'État et avec un effet immédiat, car aucune raison ne justifierait que votre décision ne soit pas immédiatement applicable à ceux ou quelques élus qui peuvent être concernés.
39:03Merci, Maître. Maître Jérémy Afan-Jacquard, vous êtes avocat au barreau de Paris et vous représentez l'association Anticor, partie intervenante. Maître, nous vous écoutons.
39:17Je vous remercie, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les hauts conseillers. Plus proche de nous que l'Empire romain, l'Empire germain, le peuple allemand n'a pas élu Hitler. Il s'agit d'un mythe qui conduit à faire reposer la responsabilité de la déliquescence d'une démocratie sur les choix erratiques d'un peuple fasciné.
39:43C'est la faiblesse des contre-pouvoirs qui a fait tomber la démocratie. En réalité, l'accession au pouvoir des nazis se caractérise par, d'abord, la conclusion d'accords avec les autres formations politiques et les industriels prévoyant des garanties et des contreparties, ensuite, la violation du droit et des libertés fondamentales dans une extrême rapidité d'action.
40:05La temporalité, le tempo, joue un rôle fondamental dans cette accession au pouvoir. Les nazis sidèrent par leurs décisions incohérentes, mais qui se succèdent sans laisser au pouvoir constituer la possibilité non pas matérielle, mais temporelle de les contrecarrer.
40:21Le plan stratégique d'anesthésie des institutions porte un nom, Gleichschaltung, la mise au pas. En 1932, à la suite de l'incendie du Reichstag, le président du Reich, Hinderburg, suspend les libertés fondamentales. Aucun juge pour annuler la mesure.
40:39Après l'élection de 1933, où les nazis n'ont toujours pas la majorité absolue, les communistes ont pourchassé la SPD isolée et la loi sur les pleins pouvoirs est adoptée au deux tiers du fait de l'approbation du Zentrum. Aucun juge pour annuler la mesure.
40:53Les juges de droit commun se retrouvent derniers bastions à résister à une dictature. Un noyautage méthodique s'ensuit, dernier coup de dynamite du chaos contre l'ordre et la liberté. Et le droit ne s'applique plus, Hitler n'a même pas besoin de modifier la constitution.
41:11La loi fondamentale allemande de 1949 comprend exactement où le risque se loge, en confiant en particulier aux juges la garantie du maintien de l'état de droit. Autre mythe, on affirme souvent que la Ve République aurait été imaginée par opposition à ce contre-modèle que représente la République de Weimar, parlementariste et donc faible.
41:35Et pourtant, subrepticement, loin de bailleux, De Gaulle s'est laissé influencer par René Capitan, lui-même disciple de Raymond Carré de Malbert, contemplateur de la constitution allemande de Weimar. Notre pays s'expose aux mêmes risques que ceux survenus sous Weimar.
41:53D'une part, un président pouvant suspendre les libertés, notre article 16, ou s'affranchissant en toute ou partie du résultat des élections des députés, le fameux parlementarisme rationalisé. D'autre part, l'irresponsabilité juridique et politique.
42:07On loue bien hâtivement la stabilité de la Ve République, comme une forteresse pour ceux qui sont dedans, elle tient bon, tant que le peuple est lié à un personnage mesuré. Mais si les ennemis de la République sont élus, privés de contre-pouvoirs, elle flanchera vite.
42:23Étrangement, la musique ambiante ne correspond pas à la réalité, et continue de se focaliser sur un risque chimérique de gouvernement des juges, dont on se demande bien comment ils pourraient s'exercer.
42:33Le 6 janvier 2025, lors de la conférence des ambassadeurs, le président de la République a critiqué ce qu'il appelle la nouvelle internationale réactionnaire, notamment en lien avec des figures comme Elon Musk.
42:45Il faisait référence aux ingérences états-uniennes fascistes dans les élections allemandes. Juste avant cela, en décembre 2024, la cour constitutionnelle roumaine avait annulé le premier tour de l'élection présidentielle en raison de l'ingérence russe.
42:59Au Parlement européen, après l'ingérence du Qatar, nouveau scandale de corruption pour Huawei, entreprise chinoise qui tente de déverser sur le marché des téléphones pouvant servir de relais d'espionnage.
43:10Ces ingérences transparaissent à tous niveaux, y compris local. On se rappelle celle de l'Azerbaïdjan en Nouvelle-Calédonie, le groupe d'initiatives de Bakou visant à soutenir les mouvements indépendantistes dans les territoires d'outre-mer français.
43:23Peut-être également la Chine, tout cela en y contraignant le gouvernement de bloquer le réseau TikTok en mai 2024.
43:30Qu'adiendra-t-il une fois les maires, les présidents des collectivités achetés par ces puissances ? Car désormais, les masques tombent et l'histoire s'accélère.
43:40Que faire une fois des députés élus à la solde par exemple d'intérêts russes, bloquant les crédits militaires, révélant les secrets des commissions de défense nationale, affaiblissant le contrôle de l'audiovisuel ?
43:54Les temps changent. Le risque dépasse celui par exemple de favoritisme en matière de marché public. Désormais, en réal politique actuelle, chaque élu, quelle que soit sa fonction, peut constituer une menace aux mains des grands groupes, eux-mêmes liés à des états hostiles.
44:08Seule remette pour contrecarrer cette menace, la mise hors d'état de nuire de ces réseaux par les juges. Ils doivent agir pleinement, c'est-à-dire en faveur de la hiérarchie des normes, rapidement.
44:20L'exécution provisoire s'impose comme absolument nécessaire.
44:24Aux droits d'éligibilité, on crée dans l'article 6 de la déclaration de 1789 et l'article 3 de la Constitution, on doit répondre en balance article 16 de la déclaration de 1789, article 3 et 5 de la Constitution.
44:40Surtout l'article 16 de la déclaration de 1789 qui dispose que toute société dans laquelle la séparation des pouvoirs n'est pas déterminée n'a point de constitution.
44:50Monsieur le haut conseiller, dans un article du Monde du 8 mars tombant à point nommé, intitulé « Aujourd'hui, l'enjeu, c'est celui de notre liberté », vous avez exactement établi ce lien que j'expose en citant mon texte que je cite à mon tour.
45:07Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.
45:13Précisément, comment retenir l'abus du pouvoir si le contre-pouvoir n'intervient que dix ans plus tard, si l'on n'admet pas l'exécution immédiate ?
45:22La Constitution de 1958 ensuite.
45:28Son article 3, que l'on doit interpréter en sens inverse de celui qu'en fait les requérants, dispose « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants ».
45:39Mais quand le représentant viole le mandat que le peuple lui confie, la souveraineté ne s'exerce plus et quelqu'un doit mettre fin à ses abus.
45:48L'exécution provisoire sert cet objectif constitutionnel.
45:52L'élu n'est pas propriétaire d'une charge, il ne s'agit que d'un représentant et d'un mandat qui peut prendre fin le cas échéant.
46:01Enfin, l'article 5 de la Constitution garantit « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État ».
46:09Si l'élu phagocyte la main publique, les pouvoirs publics ne fonctionnent plus régulièrement, pas plus que l'État n'assure sa continuité.
46:17L'article 5, qui fonde nombre de décisions cruciales en matière de sauvegarde de la nation, a vocation à justifier la démission d'office par le jeu de l'exécution provisoire.
46:28Réfléchissons aux conséquences d'une éventuelle censure.
46:32L'article 471 du Code des procédures pénales ne fait pas l'objet de la présente QPC.
46:37Les décisions de votre Conseil n'interfèrent ainsi en rien sur la question posée.
46:44Seule la démission d'office relevant du préfet serait affectée.
46:48On se retrouverait donc systématiquement dans la situation où un élu incarcéré conserverait son mandat.
46:54A quel principe cela pourrait-il servir ? Et quelle image pour les élus ?
46:59Est-ce qu'un tribunal correctionnel ou qu'une cour décise ne pourrait pas faire à l'égard d'un élu municipal le ministre,
47:07puis le gouvernement le pourrait par le jeu du CGCT, rôle de conception de la séparation des pouvoirs ?
47:14Votre prédécesseur, M. le Président, est intervenu à la fin de son mandat de manière feutrée mais répétitive.
47:23Pour marteler le rôle central de votre Conseil en matière de garantie de l'état de droit.
47:28Cette analyté traduisait l'inquiétude.
47:32Pour illustrer un motif d'inquiétude, en juin 2024, un candidat du RN déclara
47:39« à condition de mettre au pas le Conseil constitutionnel, nous pourrons tout faire ».
47:45Vous vous rappelez, ce dont je parlais en introduction de mon propos,
47:49le plan stratégique d'anesthésie des institutions, la mise au pas, aucun hasard dans le choix des mots.
47:55L'idée effarante doit vous aherter, elle doit tous nous inquiéter.
48:01Se demander de nos jours si le juge pénal peut suspendre le mandat d'un élu jugé coupable
48:06apparaît complètement à contre-temps du danger de notre époque,
48:10mais aussi de la tendance traduisant la volonté du constituant.
48:131993, ministre jugé par la Cour de justice de la République au lieu de la Haute Cour de justice.
48:191995, réduction du champ d'immunité parlementaire, article 26 de la Constitution.
48:242007, suppression de la Haute Cour de justice et de sa haute trahison au profit de la Haute Cour
48:30et du manquement au devoir manifestement incompatible.
48:33Le constituant se dirige vers une réduction des immunités et la perte des mandats.
48:38Enfin, en 1999, lors de l'adoption de la CPI, votre conseil, décision 98-408 d'essai,
48:46l'annulement dit qu'un juge pénal ne pourrait pas, au provisoire, mettre fin au mandat d'un élu.
48:51A contrario, il le peut donc.
48:55En définitive, la question à se poser devrait être exactement opposée.
49:00Privé d'effet l'inéligibilité au provisoire, serait-il conforme à nos principes constitutionnels ?
49:07Probablement plus guère.
49:09En conclusion, l'élection ne doit pas permettre à des agents déstabilisateurs de saper notre République.
49:15Sans exécution provisoire, combinée à la démission d'office des élus, nos contre-pouvoirs demeurent paralysés.
49:23Et ce n'est pas le moment d'affaiblir les contre-pouvoirs.
49:27L'association Anticor que je représente propose néanmoins deux réserves de nature à concilier mieux les droits.
49:34D'une part, que la déclaration de démission d'office intervienne à la réserve que la mesure a été prononcée à la suite d'un débat contradictoire.
49:43D'autre part, qu'elle intervienne à la réserve que la mesure a été motivée, garantie de proportionnalité.
49:50Sous ces réserves, je vous demande de juger les dispositions soumises conformes à la Constitution.
49:56Je vous remercie, Mesdames et Messieurs les Hauts Conseillers.
49:59Monsieur le Président.
50:01Merci, Maître.
50:03Je donne maintenant la parole à Monsieur Benoît Canguilhem, chargé de Mission au Secrétariat Général du Gouvernement, pour le Premier Ministre.
50:11Monsieur, nous vous écoutons.
50:13Merci, Monsieur le Président.
50:15Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel,
50:17l'article L230 du Code électoral prévoit que les individus privés du droit électoral ne peuvent être conseillers municipaux.
50:24Tirant les conséquences de cette inéligibilité en ce qui concerne les mandats de conseillers municipaux en cours,
50:30l'article L236 du même Code dispose que le préfet déclare des missionnaires d'office de conseillers municipaux devenus inéligibles postérieurement à son élection.
50:40Et ce sont ces dispositions qui ont été renvoyées à votre examen par le Conseil d'État.
50:45Plus exactement, cela a déjà été dit, ce sont ces dispositions telles qu'interprétées par la jurisprudence constante du Conseil d'État.
50:54En effet, celui-ci juge depuis une décision Simon-Pierry du 20 juin 2012 que le préfet est tenu de déclarer des missionnaires d'office élus devenus inéligibles,
51:03y compris lorsque le juge pénal a décidé de l'exécution provisoire.
51:08Cette position a été fréquemment réaffirmée, y compris récemment par une décision arrivagée du 29 mai 2024.
51:17La question prioritaire de constitutionnalité qui est soumise aujourd'hui à votre examen ne porte donc que sur les conséquences attirées sur le mandat en cours
51:25d'une peine d'inéligibilité visant un élu municipal lorsqu'elle a été assortie de l'exécution provisoire.
51:31Elle ne porte pas sur la possibilité pour une juridiction pénale d'assortir de l'exécution provisoire une condamnation à une peine d'inéligibilité.
51:40Avant d'en venir à l'examen des griefs, il convient de préciser quelles sont les conséquences qu'a une décision du juge d'appel infirmant la peine d'inéligibilité sur le mandat, sur la démission d'office.
51:57Contrairement à ce qui a été soutenu de l'autre côté de la barre, dans ce cas-là, il n'y a pas de difficulté.
52:03L'élu municipal récupère ce mandat. Le Conseil d'Etat, dans une décision d'avril 2022, a très clairement jugé que la décision du préfet déclarant l'élu démissionnaire d'office devient illégale au jour où la Cour d'appel infirme la condamnation d'inéligibilité.
52:23Conséquence mécanique de cette illégalité à compter de ce jour-là, le préfet est alors tenu d'abroger cette décision de démission d'office. L'élu récupère alors son mandat municipal.
52:39Les collectivités concernées procèdent alors au remplacement rendu nécessaire par cette décision en application de la décision de la Cour d'appel.
52:49C'est donc ce qui résulte de la jurisprudence du Conseil d'Etat, ce qui a très clairement également rappelé le ministre dans une réponse sénatoriale du mois d'août 2023 et qui, en pratique, ne pose, contrairement à ce qui a été soutenu, pas de difficulté.
53:05Alors en ce qui concerne les griefs soulevés, en premier lieu, vous pourrez écarter le premier grief tiré de la méconnaissance du principe de l'égalité des délits et des peines. En effet, contrairement à ce qui est soutenu, l'expression droit électoral figurant au premièrement de l'article L230 du Code électoral est parfaitement clair.
53:23On voit tout à la fois au droit de vote et à l'éligibilité et ne présente aucun risque d'arbitraire. Vous pourrez également écarter le grief tiré de l'atteinte au droit au recours juridictionnel effectif dès lors que les dispositions contestées et même leur interprétation n'ont ni pour objet ni pour effet de restreindre le droit au recours de l'élu condamné à une peine d'inéligibilité.
53:45Il lui est évidemment possible de contester la décision pénale l'ayant condamné comme il lui est évidemment possible d'exercer un recours pour excès de pouvoir contre la décision du préfet le déclarant démissionnaire d'office.
53:59D'ailleurs, l'examen de certaines des écritures révèle qu'en réalité, ce grief tendait à contester la possibilité même pour le juge pénal de décider de l'exécution provisoire en application du quatrième alinéa de l'article 471 du Code de procédure pénale.
54:14Mais je le répète, cette disposition ne vous a pas été renvoyée et n'est donc pas soumise à votre exemple.
54:21Enfin, il est soutenu que l'interprétation constante des dispositions contestées méconnaîtraient le droit de participer à l'avis public de voter et d'être élu qui sont garantis par les articles 3 de la Constitution et 6 de la déclaration de 1780.
54:36Lorsque vous êtes saisi sur le fondement des articles 136 et 296 du Code électoral, vous refusez de constater la décéance de plein droit de la qualité parlementaire aux membres de l'Assemblée nationale ou du Sénat, dont l'inéligibilité révélée après la proclamation des résultats n'a pas encore acquis de caractère définitif.
54:59Les conséquences de l'exécution provisoire d'une peine d'inéligibilité sur la poursuite du mandat en cours ne sont donc pas les mêmes pour les parlementaires et pour les élus locaux du fait des différences entre cette jurisprudence et la jurisprudence constante du Conseil d'État qui est l'objet de la présente question prioritaire de constitutionnalité.
55:19Ainsi, comme nous l'avions indiqué dans les observations écrites, le gouvernement se remet donc à votre sagesse pour l'appréciation de ce dernier brief. Je vous remercie.
55:30Je devrais le faire plus souvent. Merci, monsieur. Nous avons entendu les observations des parties présentes. L'un des membres du Conseil souhaitait-il poser une question à l'une des parties ?
55:44Cette question prioritaire de constitutionnalité est mise en délibérée. La décision sera publique le 28 mars 2025. Vous pourrez en prendre connaissance en vous connectant sur notre site Internet. L'audience est levée.