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Transcription
00:00 * Extrait de « Le Midi pour le Club » de France Culture *
00:18 Et vous êtes de plus en plus nombreux à nous retrouver le midi pour le club de lecture
00:22 de France Culture.
00:23 Merci pour votre fidélité, nous poursuivons ensemble notre mission, vous donner envie
00:28 de lire et ce midi de voyager dans le temps, dans le monde.
00:32 Direction l'une des plus… l'une des villes les plus chargées en symboles, en histoire,
00:37 en spiritualité, en émotion.
00:39 Aussi ville-monde, ville-sainte, capitale spirituelle.
00:43 Nous découvrons ce midi Jérusalem avec deux guides, un auteur français envoyé en terre
00:48 sainte par sa sainteté le pape en personne et un historien installé dans la ville qu'il
00:53 nous raconte en planche, en bulle depuis ses origines il y a 4000 ans, quand Jérusalem
00:58 n'était qu'une petite bourgade.
01:00 On accueille nos invités dans un instant, mais aussi les lecteurs et les lectrices du
01:04 book club bienvenue.
01:05 Nous pourrions toucher du doigt chaque temple, chaque pierre, chaque lieu.
01:10 Toute l'histoire de Jérusalem.
01:11 En terre sainte, là où tout a commencé.
01:13 Une ville qui a vu une quantité de peuples s'y installer, y compris de cultures polythéistes.
01:18 Et ce que j'ai justement adoré apprendre, c'est sur la perméabilité de ses croyances.
01:22 La terre sainte nous paraît presque palpable.
01:24 France Culture, le book club, Nicolas Herbeau.
01:29 Et les voix de Mathias et Leïla, lecteurs et lectrices du book club qu'on retrouvera
01:34 tout au fil de l'émission.
01:36 Bonjour Eric Emmanuel Schmitt.
01:37 Bonjour.
01:38 Vous êtes l'auteur de très nombreux livres, romans, récits, nouvelles, essais, pièces
01:42 de théâtre.
01:43 Des livres qui sont comme vos tyrans.
01:45 Mes romans sont mes tyrans.
01:46 Dites-vous très exactement dans ce nouveau livre que vous publiez aux éditions Albain
01:51 Michel, Le Défi de Jérusalem.
01:53 L'histoire de ce livre est particulière car c'est en fait un livre de commande, pas par
01:59 n'importe qui, par le pape François en personne, qui vous a envoyé en terre sainte.
02:04 Qu'est-ce qui vous a demandé de rapporter un récit, un journal, un guide ?
02:09 Je reçois un appel du Vatican qui me dit on vous aime beaucoup ici, on aime votre foi
02:15 et on aime votre liberté pour la dire.
02:17 On rêve de vous envoyer en terre sainte et le vrai rêve serait que vous reveniez avec
02:24 le voyage d'un pèlerin d'aujourd'hui sur cette terre comme elle est aujourd'hui.
02:27 Alors j'ai accepté le voyage, j'ai refusé la commande, je tiens à préciser.
02:31 Car j'ai dit je verrai si ce que j'ai vécu, ce que j'ai ressenti mérite un livre.
02:37 Et bien évidemment, il s'est passé tellement de choses, j'ai été tellement fasciné
02:41 par cette terre que je suis revenu avec un livre que j'ai appelé Le Défi de Jérusalem.
02:46 On va évidemment en parler.
02:48 Le Pape et le Vatican qui vous demandent de faire des rencontres donc.
02:52 Et vous allez rencontrer Vincent Lemire que vous qualifiez de grand historien, le grand
02:56 historien Vincent Lemire comme vous le dites.
02:59 Et donc vous appréciez son ordonnance à savoir la guérison de l'histoire par la mémoire.
03:04 Mais ça je pense qu'il va nous l'expliquer.
03:06 Alors on va l'accueillir.
03:08 Mais effectivement ça m'a beaucoup frappé.
03:11 Vincent Lemire a d'abord étudié Jérusalem sous l'angle de l'eau, ce qui était vraiment
03:15 très intéressant.
03:16 Et puis en fait, on peut avoir une utilisation je dirais philosophique, existentielle et
03:21 presque politique des travaux de vrais historiens comme lui.
03:25 C'est-à-dire se rendre compte que Jérusalem est vraiment un lieu de strates différentes
03:30 d'histoire, qu'il y ait eu des coexistences et que peut-être la connaissance historique
03:35 de ces coexistences pourrait nous guérir de la folie du mémoriel qui nous met plutôt
03:40 en état de guerre qu'en état de fraternité.
03:43 Bonjour Vincent Lemire.
03:45 Bonjour.
03:46 Merci d'avoir accepté de poursuivre en quelque sorte cet échange avec Éric-Emmanuel Schmitt
03:50 dans le Book Club.
03:51 Vous êtes historien donc, vous dirigez le Centre de Recherche Français à Jérusalem
03:55 d'où vous êtes en direct avec nous ce midi.
03:57 Auteur donc de plusieurs ouvrages de référence, Jérusalem, histoire d'une ville-monde,
04:02 la ville sainte à l'âge des possibles.
04:04 Et vous publiez aujourd'hui avec Christophe Galtier une bande dessinée, 4000 ans d'histoire
04:09 au centre des passions du monde sous le titre assez simple « Histoire de Jérusalem ».
04:13 C'est la première histoire de Jérusalem en BD.
04:17 Qu'a pensé l'historien d'abord peut-être de ce format assez inédit pour un livre d'histoire ?
04:24 C'est aussi un livre de commande pour engager tout de suite le dialogue avec Éric-Emmanuel.
04:31 Sauf que moi, ce n'est pas le pape qui m'a demandé, c'est mon éditeur qui modestement
04:37 les éditions Les Arènes qui se sont un peu fait une spécialité de ce qu'on appelle
04:40 aux États-Unis les « serious comics », c'est-à-dire apprendre en s'amusant.
04:45 Mais bon, on sait que le livre qui s'est le plus vendu en 2022 en France, c'est le
04:53 fameux Le Monde sans fin de Blin et Jankovici sur la crise énergétique et c'est une bande dessinée.
04:59 C'est une bande dessinée, mais c'est plutôt, on va dire, un cours magistral,
05:05 une conférence illustrée.
05:07 C'est une conférence de Jankovici illustrée par Blin que je trouve absolument géniale.
05:10 Avec cette BD, on a voulu faire toute autre chose.
05:12 On a voulu faire une vraie BD, j'allais dire, à l'ancienne, un peu presque vintage,
05:16 avec des personnages, avec des scènes et des dialogues, avec une diachronie,
05:19 une chronologie très stricte.
05:21 C'est-à-dire qu'il n'y a jamais une date qui en recouvre une autre.
05:24 Pourquoi ? Parce qu'on se disait que le sujet de Jérusalem était sans doute extrêmement attrayant,
05:31 excitant pour les lecteurs, mais il est aussi intimidant.
05:34 Et je pense qu'Éric Emmanuel a vécu ça lui-même.
05:37 C'est-à-dire qu'on se dit qu'on a peur de ne pas tout comprendre.
05:40 Donc, avec cette BD, on voulait un peu une zone de confort,
05:46 une zone sécurisante pour le lecteur.
05:48 Et donc, on va cheminer comme ça, notamment avec des voyageurs.
05:51 Donc, d'une certaine manière, je peux dire qu'Éric Emmanuel Schmitt est dans cette bande dessinée,
05:55 même s'il ne l'y est pas directement.
05:57 Mais en fait, il y a toutes celles et tous ceux qui l'ont précédée
06:01 et qui se lisent entre eux d'ailleurs, et qui se lisent et qui se relisent,
06:05 et qui retrouvent ou ne retrouvent pas ce qu'ils étaient venus chercher.
06:08 Et je crois que c'est l'histoire de Jérusalem, c'est aussi celle-là.
06:11 Quand on dit "Ville-Monde", ça veut dire que...
06:14 Je vais utiliser une formule un petit peu peut-être un petit peu "scoot",
06:19 peut-être un peu "boy-scoot",
06:20 mais tout le monde est chez lui à Jérusalem d'une certaine manière.
06:23 Tout le monde est personne, voilà.
06:24 Et personne n'est absolument chez lui,
06:27 personne ne peut s'approprier exclusivement et en exclusivité Jérusalem,
06:31 sinon ça tourne mal.
06:32 On l'a vu pendant les croisades et on le voit peut-être aussi un petit peu en ce moment.
06:36 Personne n'est exclusivement chez lui,
06:37 mais donc tout le monde est un petit peu chez lui d'une manière ou d'une autre,
06:40 en pèlerin, en touriste, en scientifique, en historien.
06:44 Alors ça, moi, c'est mon métier, c'est ma fonction,
06:46 c'est pour ça que je suis payé, stipendier.
06:50 Moi, je suis payé effectivement plutôt pour essayer de refroidir un petit peu les choses,
06:54 en tout cas de réguler la température, de connecter les récits
06:58 et de faire en sorte que les différentes traditions réussissent à se parler
07:01 et à se rendre compte qu'elles sont effectivement peut-être un petit peu plus proches
07:04 les unes des autres que ce qu'on peut souvent dire.
07:08 En tout cas, à vous entendre, Vincent Lemire,
07:10 on a l'impression que c'est une expérience de découvrir Jérusalem, d'entrer dans Jérusalem.
07:15 Eric-Emmanuel Schmitt, vous écrivez dans votre ouvrage
07:22 "Vous ignorez si vous goûtez ou détestez cette vie,
07:25 tout en reconnaissant qu'elle vous impressionne".
07:27 J'entends du bruit, pas de la paix, je perçois de l'agressivité, pas de la douceur,
07:32 je ressens de la méfiance, pas de la confiance.
07:34 Qu'est-ce qui se passe aux premières minutes dans Jérusalem pour vous ?
07:38 On ne peut pas arriver à Jérusalem sans avoir des idées préconçues sur Jérusalem.
07:43 Et moi qui suis musicien, je me rendais à Yé-rou-sal-ême,
07:49 comme dans les messes de Mozart, c'est-à-dire je me rendais dans une cité céleste.
07:55 Et en fait, non, je me trouve en face d'une forteresse construite sur des remparts naturels
08:01 auxquels Hérode Le Grand a ajouté de gros remparts avec les portes fermées par les Ottomans.
08:06 Donc c'est vrai qu'une grande surprise.
08:09 Et puis ensuite, évidemment, quand on passe plusieurs jours à Jérusalem,
08:13 il y a un jour où on la déteste, il y a un jour où on la hait,
08:16 il y a un jour où on l'admire, il y a un jour où elle nous agace,
08:20 il y a un jour où elle nous fascine.
08:22 C'est un diamant à multiples facettes Jérusalem
08:25 et qui nous oblige nous-mêmes à être divers et multiples.
08:28 Et c'est ça la force de Jérusalem.
08:29 Elle nous contraint à des attitudes extrêmement diverses.
08:34 Et on ne peut pas simplifier son rapport à Jérusalem.
08:37 Et c'est ce que vous essayez de raconter dans votre livre "Le Défi de Jérusalem"
08:41 qu'a lu l'un de nos lecteurs, Mathias, et on écoute ce qu'il en a pensé.
08:45 Suite spirituelle de "La nuit de feu",
08:48 ouvrage où l'auteur nous raconte son épopée mystique dans le désert,
08:51 le défi de Jérusalem nous emmène cette fois en terre sainte, là où tout a commencé.
08:55 Grâce à l'écriture de Eric Emmanuel Schmitt,
08:57 la terre sainte nous paraît presque palpable.
08:59 Nous pourrions toucher du doigt chaque temple, chaque pierre, chaque lieu.
09:03 Mais l'important de ce livre ne se situe pas derrière les pierres,
09:06 mais bien dans le cœur des hommes.
09:07 L'auteur nous y livre ses réflexions sur la foi, l'amour, la chrétienté.
09:11 Celles-ci se révèlent incroyablement agréables à lire,
09:13 tant la plume de l'auteur est poétique.
09:15 Ses réflexions nous poussent à entamer les nôtres
09:18 et à réfléchir sur notre foi et surtout à ouvrir notre cœur aux autres.
09:21 Si j'avais une question à poser à l'auteur, ce serait,
09:24 M. Schmitt, dans le défi de Jérusalem,
09:27 vous réfutez la Maxime de saint Thomas disant,
09:29 "Je ne crois que ce que je vois",
09:31 et lui préférez plutôt la suivante,
09:33 "Je ne vois que ce que je crois".
09:35 Aujourd'hui, après avoir été traversé par Jérusalem,
09:38 voyez-vous plus de choses, êtes-vous un autre croyant ?
09:42 Eric Emmanuel Schmitt.
09:43 Oui, je suis revenu de Jérusalem totalement différent.
09:46 En fait, au début, je me suis dit, pourquoi partir ?
09:50 Qu'est-ce que mon christianisme, qui est intellectuel et spirituel,
09:53 qui est né de la lecture des évangiles,
09:56 qu'est-ce qu'il va gagner à avoir des pieds ?
09:59 Pourquoi marcher là-bas ?
10:00 Et en fait, il a pris corps, mon christianisme.
10:05 C'est-à-dire que d'abord, je me suis retrouvé en Galilée,
10:09 je me suis trouvé dans...
10:10 J'ai vu les origines pastorales du judaïsme et du christianisme,
10:15 alors que moi, je ne les ai connus qu'à travers des églises sombres,
10:17 des églises froides, des églises du Nord.
10:20 Et puis, j'ai vu aussi l'aspect moyen-oriental du christianisme.
10:24 Et son évocation de la splendeur naturelle, Thérèse,
10:30 en fait, François d'Assise.
10:31 J'avais l'impression d'être en Toscane avec François d'Assise
10:33 en étant un peu en Galilée, en Judée.
10:36 Et puis alors, évidemment, à Jérusalem,
10:38 j'ai vécu une chose extrêmement forte,
10:40 c'est-à-dire dans le moment le plus voltérien,
10:42 dans le moment le plus cynique, quand j'étais au sein sépulcre,
10:47 quand je me désolidarisais totalement de ce que je voyais autour de moi,
10:52 des bondieuseries, des attitudes dévotes et confites.
10:56 Eh bien là, tout d'un coup, sur le Golgotha, devant le mont Dukran,
11:00 l'endroit où Pilate envoyait les condamnés,
11:03 j'ai éprouvé une immense émotion.
11:06 J'ai eu vraiment le sentiment d'avoir la présence d'un mort,
11:11 mais la présence vivante d'un mort qui est venu par mes sens.
11:15 C'est-à-dire que ma foi a pris corps, ma foi...
11:18 Vous savez, le christianisme, c'est quelque chose d'incompréhensible.
11:22 C'est la religion la plus incompréhensible qui soit.
11:24 Je trouve que le judaïsme est plus compréhensible.
11:27 La notion principale étant le respect.
11:28 On peut très, très bien, rationnellement, théoriser la nécessité du respect.
11:33 L'islam est aussi tout à fait rationalisable
11:36 dans la mesure où la notion principale, c'est l'obéissance.
11:38 La notion fondatrice et principale du christianisme, c'est l'amour.
11:42 C'est de la folie pure.
11:43 Aimer son ennemi, aimer quelqu'un qu'on déteste,
11:45 aimer quelqu'un qui tue les êtres qu'on aime,
11:49 c'est un défi absolu.
11:51 Et cet irrationnel du christianisme,
11:53 c'est aussi l'irrationnel de la façon dont il s'est présenté.
11:56 C'est-à-dire Jésus, un homme, Dieu.
11:59 Dieu fait homme, le fils de Dieu.
12:02 Impensable.
12:02 Et puis les deux mystères chrétiens, l'incarnation, donc,
12:06 celui que je viens d'évoquer, et la résurrection.
12:08 Impensable aussi.
12:10 Donc, le christianisme, la proposition chrétienne,
12:13 c'est une proposition impensable.
12:16 Mais tout d'un coup, à Jérusalem,
12:18 je ne la pense pas, mais je l'éprouve.
12:21 C'est-à-dire que mon corps la vit.
12:22 Et ça, ça a tout changé.
12:24 - Triple légitimité, dites-vous, de Jérusalem.
12:26 Le juif y retrouve le temple chrétien,
12:28 le chemin de l'accomplissement christique.
12:29 Et les musulmans, l'esplanade où Abraham sauva ultimement Ismaël
12:33 où Mahomet vola en songe.
12:35 Vincent Lemire, vous vous souvenez, vous,
12:37 de votre première arrivée à Jérusalem ?
12:40 Qu'est-ce que vous avez ressenti ?
12:42 Est-ce qu'il y a comme ça à chaque fois de votre expérience ?
12:46 Est-ce qu'on passe par tous les états,
12:47 comme vient de le raconter Éric-Emmanuel Schmitt ?
12:50 - Oui, oui, oui, exactement.
12:52 Je crois qu'Éric-Emmanuel Schmitt vient de dire quelque chose de...
12:56 Il a une intuition absolument géniale.
12:58 Je ne vois que ce que je crois.
12:59 C'est-à-dire qu'on arrive avec de la mémoire,
13:03 avec des traditions, avec des lectures,
13:05 avec des doutes, avec des croyances, avec de l'athéisme,
13:10 avec peu importe en fait.
13:11 On arrive avec un bagage,
13:13 une grande partie de ces bagages,
13:15 on n'est pas sûr de les connaître tout à fait.
13:17 Et ils viennent se cogner en fait.
13:20 Ils viennent se cogner au réel, aux pierres.
13:22 Et ils viennent se cogner aussi à d'autres frères humains,
13:27 frères et sœurs humains qui arrivent d'un peu partout
13:30 avec d'autres bagages.
13:31 Et je crois que c'est ça qu'Éric-Emmanuel vient de raconter.
13:33 C'est-à-dire qu'il est dans le Saint-Sépulcre.
13:36 Il commence peut-être effectivement...
13:38 D'abord, il est voltairien ou flaubertien.
13:40 Les pages dans ma bande dessinée sur Flaubert,
13:44 Flaubert dans le Saint-Sépulcre, elles sont bien connues.
13:47 Il y a Herman Melville aussi qui dit "ça pue des pieds".
13:50 "Ça sent comme une vieille boîte à chaussures".
13:53 Et bon, Herman Melville est très très dépressif
13:56 au moment où il arrive à Jerusalem,
13:58 et ça ne va pas l'aider.
14:00 Mais voilà, on arrive et il y a d'autres vies que la mienne,
14:09 d'autres vies que la sienne qui sont là, d'autres parcours.
14:13 Et des gens qui effectivement sont prosternés par terre
14:16 ou frottent des tissus sur la pierre de l'onction, ou pleurent.
14:22 Et on ne peut pas être complètement...
14:25 Enfin oui, à priori, on ne peut pas, si on est humain,
14:28 on ne peut pas être complètement insensible à ce que vivent
14:29 et à ce que traversent d'autres.
14:31 Et Jerusalem, c'est un lieu saint, donc c'est un lieu de pèlerinage,
14:34 et donc tant qu'on n'a pas vu les pèlerins, on n'a pas vu les lieux.
14:37 Et je crois que c'est ça qui est arrivé à Éric Emmanuel,
14:39 d'autant plus qu'il était dans la première partie de son voyage dans un groupe.
14:44 Et donc voilà, y compris dans les moments d'ennui,
14:47 dans les trajets en bus, dans les petits déjeuners,
14:51 en fait on est traversé par d'autres vies que les nôtres,
14:56 et d'autres bagages culturels et spirituels.
14:59 Et Jérusalem, de toute façon, nous fait bouger.
15:04 C'est pour ça que je dis toujours aux gens qui hésitent à venir,
15:08 et je comprends bien qu'un chrétien, quel qu'il soit,
15:11 catholique, protestant encore plus, mais hésite à venir dans la bande dessinée,
15:16 on raconte que le pèlerinage ne s'est pas du tout tout de suite imposé
15:19 comme une pratique pivot et importante
15:25 dans la théologie et dans la liturgie.
15:28 En 381, Grégoire de Nice dit exactement ce qu'Éric Emmanuel Schmitt vient de dire.
15:33 Qu'aura-t-il de plus, celui qui se sera rendu en ces lieux,
15:36 comme si le Seigneur vivait toujours corporellement à Jérusalem
15:39 et qu'il était absent de chez nous ?
15:40 L'Esprit Saint souffle où il veut.
15:43 L'incarnation, nous la connaissions avant de voir Bethléem,
15:45 la résurrection, nous y avons cru avant de voir le tombeau,
15:48 l'ascension avant de voir le Mont des Oliviers, etc.
15:51 Donc, il y a eu, y compris chez les théologiens chrétiens,
15:55 jusqu'au IVe, Ve siècle, une forme de résistance
16:00 face à cette pratique de pèlerinage qui s'est finalement imposée
16:04 par le peuple et par les peuples chrétiens,
16:07 et qui a débordé d'une certaine manière la théologie et les théologiens.
16:13 Et Jérusalem, c'est ça, c'est cette tension entre des pratiques
16:17 et des règles et des orthodoxies qui font comme elles peuvent avec ces pratiques.
16:22 Vincent Lemire-Legge, notre lectrice a lu votre bande dessinée,
16:25 on va écouter ce qu'elle en retient.
16:28 J'ai été très attirée par le sujet de cette bande dessinée
16:31 parce qu'elle propose de retracer toute l'histoire de Jérusalem.
16:34 L'auteur ne s'est pas contentée de mettre en lumière
16:37 une des périodes historiques de la ville,
16:39 mais il se consacre bien à son entièreté,
16:41 depuis ses origines jusqu'à aujourd'hui.
16:44 Une ville trois fois sainte qui a vu une quantité de peuples s'y installer,
16:48 y compris de cultures polythéistes.
16:50 Et ce que j'ai justement adoré apprendre,
16:52 c'est sur la perméabilité de ses croyances.
16:54 Et puis, ce que j'ai trouvé très appréciable,
16:56 c'est la qualité du travail de recherche
16:59 qui est basé sur des sources historiques, mais aussi archéologiques.
17:02 Et un autre point auquel j'ai été très sensible,
17:05 c'est le choix du narrateur,
17:06 qui s'avère être un olivier, un végétal qui est hautement symbolique
17:10 et qui permet d'asseoir dans le contexte de la bande dessinée
17:14 une position objective,
17:16 puisqu'il se présente comme un témoin millénaire.
17:18 Et puis, avec les actualités brûlantes,
17:20 c'est vraiment un ouvrage qui me semble essentiel
17:22 pour comprendre l'oracilement des tensions,
17:25 et ce, de manière très accessible,
17:27 tout en donnant un message d'espoir.
17:29 Et quand je dis message d'espoir, ce n'est pas naïvement utopique,
17:32 puisqu'on découvre qu'il a déjà existé par le passé
17:34 une harmonie dans la coexistence des cultures.
17:38 Vincent Lemire, vous dites au commencement de cette histoire,
17:40 il n'y avait rien, et il n'y avait rien,
17:42 sauf peut-être un olivier.
17:44 Pourquoi avoir choisi ce narrateur symbolique ?
17:48 C'est le résultat d'un long cheminement,
17:51 d'un long travail et de plein de mauvaises idées
17:54 que j'ai laissées sur le bord de la route.
17:56 La première de ces mauvaises idées, c'est Dieu.
18:00 Il a plein d'avantages, Dieu.
18:03 Il est éternel, il est omniscient,
18:06 il voit tout, il sait tout.
18:07 Mais je pense qu'Éric Emmanuel sera d'accord avec moi,
18:11 il est presque trop parfait comme narrateur,
18:14 il voit tout, il sait tout,
18:15 et donc ce n'est pas très intéressant.
18:19 Et puis ça ne collait pas avec le point de vue,
18:22 avec la focale dont je voulais pour cette histoire.
18:25 Je voulais faire atterrir aussi l'histoire de Jérusalem
18:28 au ras des pavés, au ras de la vie quotidienne
18:30 de ses habitants et de ses visiteurs,
18:34 tout autant légitime les uns que les autres.
18:36 Et donc je suis passé par plein d'autres hypothèses,
18:40 une fontaine, à un moment je pensais faire raconter
18:42 cette histoire par une fontaine.
18:44 Je me disais c'est bien une fontaine parce que d'abord,
18:45 il n'y a pas beaucoup d'eau à Jérusalem,
18:47 puis comme ça a été dit,
18:49 j'ai passé huit ans de ma vie à travailler sur l'eau.
18:51 Et puis une fontaine, on sait bien,
18:52 c'est là où les gens se rassemblent, se retrouvent,
18:54 on s'échange les potins, les petites et les grandes histoires.
18:57 Et c'est par cette fontaine, en fait,
18:59 c'était trop compliqué, la fontaine,
19:01 que je suis arrivé jusqu'à l'olivier,
19:02 parce que aussi sous un olivier, il y a de l'ombre,
19:05 il fait frais et puis évidemment, cet olivier,
19:07 il est planté au sommet du Mont des Oliviers,
19:10 donc c'est une très belle vue.
19:12 Et oui, je n'allais pas quand même me priver de ça.
19:14 Et donc on s'y retrouve et le lecteur s'y retrouve régulièrement.
19:17 Et c'est ça aussi, je crois qu'il faut trouver des formes de récits,
19:21 que ce soit en texte, comme dans le livre d'Éric-Emmanuel Schmitt
19:24 ou en bande dessinée.
19:25 On parle de Jérusalem, donc on parle d'un lieu un peu,
19:28 enfin un petit peu, non, beaucoup électrique, intense.
19:31 Il faut des moments de repos, il faut des temps de pause.
19:34 Il faut pouvoir se reposer, alors en l'espèce,
19:37 à l'ombre de cet olivier.
19:39 Et on peut tout à fait imaginer que, effectivement, Saladin
19:43 croquait des olives à l'ombre de l'olivier,
19:46 que les croisait aussi avant leur assaut final,
19:49 que voilà, tous les grands personnages ont pu se reposer
19:52 à l'ombre de cet olivier.
19:54 Et ça permet d'incarner, j'y arrive, d'incarner cette histoire,
19:58 parce que ça a été dit,
20:00 la grande question de Jérusalem, le grand mystère,
20:02 le grand défi de Jérusalem, c'est celui de l'incarnation.
20:05 Et donc c'est celui des lieux.
20:07 Jérusalem, c'est une collection de lieux,
20:09 et donc d'empreintes physiques,
20:12 et comme ça a été dit par notre lectrice,
20:15 ces lieux, ils sont communs, par définition.
20:16 Ce sont des lieux communs.
20:18 Les traditions s'en emparent, les religions s'en emparent,
20:21 mais ces récits, ces traditions restent, se déposent.
20:25 Et donc cette porosité, ce n'est pas une vue de l'esprit
20:28 d'un historien humaniste de gauche de 2022-2023
20:33 qui voudrait raconter que tous ces gens-là coexistent.
20:36 Non, parfois, ça se termine par des massacres.
20:39 Mais même quand il y a des massacres,
20:41 je vais dire quelque chose de, voilà, peut-être un peu provocateur,
20:43 mais même, il peut y avoir des massacres ou du dialogue interreligieux.
20:47 De toute façon, on partage des lieux communs.
20:49 Et jusqu'évidemment à l'esplanade des mosquées,
20:51 le monde du Temple et Rocher d'Abraham,
20:53 qui est aujourd'hui un lieu de tension très, très forte.
20:56 - Ce qui est intéressant, c'est quand on revient sur l'histoire
20:58 de la naissance de cette ville sainte,
21:00 c'est que vous dites que l'endroit n'était pas tout à fait idéal.
21:03 Vous l'avez dit, il y a eu du problème de l'eau.
21:05 Il y a eu une forme d'isolement de cette ville
21:09 qui n'est pas du tout sur les grandes routes commerciales.
21:12 D'ailleurs, vous le racontez, Éric-Emmanuel Schmitt,
21:14 on atterrit bien à Tel Aviv.
21:16 On n'atterrit pas du tout à Jérusalem,
21:18 qui paraît pourtant être le centre.
21:21 - Oui, c'est une ville qui n'a pas de raison d'être ce qu'elle est.
21:25 À part qu'on a l'impression qu'il y a une décision de Dieu
21:29 qui est d'abord de communiquer de manière, je dirais, verticale
21:33 avec les hommes dans cette ville,
21:36 en la choisissant comme un lieu fondateur,
21:38 finalement, des trois monothéismes.
21:40 Mais maintenant, je trouve que c'est un lieu horizontal.
21:42 C'est-à-dire, c'est un lieu où si Dieu y a dit pendant des siècles,
21:46 écoutez-moi, c'est un lieu où aujourd'hui Dieu dit, entendez-vous.
21:52 C'est-à-dire, cette ville nous appelle à passer du fratricide à la fraternité.
21:58 Et je suis très intéressé par toutes les légendes fratricides,
22:01 que ce soit Seth et Osiris en Égypte,
22:05 ou en Grèce, Éthéocle et Polynice,
22:08 dans le monde romain, Rémus et Romulus, etc.
22:12 Dans la Bible, évidemment, Caïn et Abel.
22:14 Les frères deviennent fratricides quand ils sont dans l'oubli de l'origine commune,
22:18 l'oubli du père ou l'oubli de la mère.
22:21 Et c'est un peu ça qui se produit à Jérusalem.
22:25 C'est l'oubli de l'origine commune
22:27 et la force de Jérusalem, c'est de rappeler ça pour toujours.
22:33 Vous avez une origine commune, soyez frères plutôt que fratricides.
22:37 C'est la seule ville au monde qui peut tenir ce discours.
22:42 - Vincent Lemire, dans l'histoire, puisqu'on rappelle que votre bande dessinée
22:45 repose sur des sources historiques, archéologiques même,
22:48 comment cette petite bourgade isolée devient cette cité cosmopolite
22:53 où se retrouvent toutes ces religions ?
22:57 - C'est un des mystères.
23:00 Je crois que parfois l'historien doit essayer de bien travailler sa question
23:04 et pas forcément verrouiller sa réponse.
23:08 Comme ça a été dit, il n'y a pas d'eau,
23:12 on est au sommet d'une ligne de crête et les routes commerciales ne passent pas par là.
23:15 Moi, je suis historien de l'urbain,
23:18 donc je sais à peu près où et comment doivent se fonder des villes.
23:21 Soit c'est des sites de défense, soit c'est des sites de pont,
23:23 soit c'est des sites portuaires.
23:24 Je veux dire, ça ne colle pas, ça ne colle pas.
23:28 Sauf qu'effectivement, c'est au sommet d'une ligne de crête.
23:30 Et alors, on peut regarder un petit peu les autres villes saintes de la région.
23:34 Héberon, Bethléem, Jérusalem, Naplouse, Sychème, plus au nord,
23:39 elles sont toutes situées sur cette même ligne de crête.
23:41 Donc, il y a un moment, il faut se dire qu'il y a peut-être quelque chose là.
23:45 Donc, c'est effectivement un point de communication vertical
23:47 entre la terre et le ciel.
23:49 On voit bien que ça fonctionne très bien.
23:50 Et le rocher d'Abraham, aujourd'hui, le dôme du rocher,
23:54 qui se commence par un carré, l'imperfection humaine et terrestre,
23:58 et qui se termine par un dôme et par un rond, la perfection céleste.
24:02 Ça, c'est très islamique, mais en réalité, c'est aussi très, très, très byzantin.
24:05 Donc, Jérusalem, c'est un point de communication vertical
24:08 entre la terre et le ciel, mais c'est aussi effectivement
24:13 une synapse, un point de contact horizontal.
24:17 Entre quoi et quoi ?
24:18 Entre, à l'ouest, l'Europe, la Méditerranée, la plaine littorale,
24:21 c'est-à-dire le commerce, les pèlerins, les vivants.
24:24 Et puis, à l'est, immédiatement à l'est de Jérusalem,
24:28 le désert, la mer morte et jusqu'à la Mésopotamie,
24:32 c'est-à-dire le monde des morts et des prophéties.
24:35 Et c'est là que sont tous les cimetières,
24:37 et c'est de là qu'arrivent ou que reviennent en permanence les prophètes,
24:40 jusqu'à évidemment un certain Yahushua ben Yosef,
24:43 un rabbin du premier siècle qu'on va appeler Jésus de Nazareth,
24:47 et qui ne cesse de revenir au désert
24:50 quand il est fatigué du bruit de Jérusalem
24:53 et des autres villes de la région qu'il parcourt.
24:56 Donc voilà, Jérusalem, c'est ce mystère-là.
24:59 Dans cette bande dessinée, on a essayé effectivement de le raconter en historien,
25:04 c'est-à-dire que les lectrices et lecteurs vont avancer chronologiquement, très posément.
25:10 Et puis, on va donner la parole à chaque fois à des visiteurs,
25:13 à des gens qui décrivent la ville.
25:16 Et puis, en bas de chaque page, presque, de cette bande dessinée,
25:19 il y a une petite astérix, très simple,
25:21 et le lecteur va voir que c'est la lettre numéro 108 de Saint Jérôme,
25:24 ou que c'est un récit des croisés,
25:28 ou que c'est le maire de Jérusalem des années 1890 qui écrit à Théodore Herzl.
25:33 Toutes ces sources sont disponibles,
25:35 elles sont décrites ensuite dans la bibliographie ou la webographie qui est à la fin de l'ouvrage.
25:38 C'est important aussi, parce qu'on sait qu'on est dans un lieu de disputé,
25:42 on est dans un lieu de dispute.
25:44 Pour reprendre l'image d'Éric-Emmanuel Schmitt,
25:47 j'ai souvent l'habitude de dire que Jérusalem, c'est un peu comme une maison de famille
25:50 dont on a hérité en indivision, vous savez.
25:53 C'est une maison de famille où on est à la fois content
25:55 et pas du tout content de s'y retrouver une fois par an pour un repas de famille.
25:58 Et on s'y engueule assez régulièrement, on peut s'y réconcilier aussi.
26:03 Et puis, on n'a pas le choix, cette vieille baraque, elle est là,
26:07 et il faut s'y retrouver.
26:09 Il faut s'y retrouver, et ça se passe bien ou ça ne se passe pas bien,
26:11 ce n'est pas forcément le problème.
26:15 [Musique]
26:23 Pourquoi partir ?
26:24 Parce qu'il faut d'abord abandonner son cadre,
26:26 perdre ses repères, se désenquister de ses habitudes.
26:30 Cette rupture constitue une hygiène nécessaire.
26:32 Le voyage exprime ensuite le respect de soi-même,
26:35 le soin qu'on apporte à soi-même.
26:37 Consacré du temps à la rêverie, à l'impromptu,
26:39 aux sensations, aux sentiments,
26:42 enfin, il nous porte à ouvrir les bras, le cœur, l'intellect,
26:46 à déverrouiller nos préjugés, à assumer notre faiblesse,
26:49 à cultiver notre fragilité.
26:51 Sans nos failles, comment la lumière passerait-elle ?
26:54 Le voyage coupe, disperse, recendre, puis aboutit.
26:57 [Musique]
27:02 Extrait lu par Matthias du défi de Jérusalem,
27:06 signé Eric Emmanuel Schmitt.
27:08 Ce départ, ce voyage, vous l'avez accepté,
27:11 vous vous dites "je vais voir ce qui se passe en moi
27:15 quand je serai en terre sainte".
27:18 Mais si vous avez été choisi, en quelque sorte,
27:20 si on vous a fait cette proposition,
27:21 si le Vatican vous a appelé,
27:22 c'est parce que vous avez écrit aussi ce livre,
27:25 "Nuit de feu", à 28 ans, dans le désert,
27:27 vous découvrez votre foi et une révélation, en quelque sorte.
27:33 - Oui, oui, je pars dans le désert complètement athée
27:37 et j'en reviens croyant.
27:41 On m'avait demandé d'écrire un scénario sur Charles de Foucault,
27:43 ce missionnaire qui n'a converti personne
27:46 et qui est aujourd'hui un exemple,
27:49 je pense, pour beaucoup de chrétiens
27:50 et en tout cas pour le pape François.
27:52 Simplement quelqu'un qui a vécu au milieu d'êtres différents
27:55 avec ses valeurs.
27:56 Et donc je fais ce voyage dans le désert,
28:00 une marche de dix jours, et je me perds.
28:03 Voilà, il faut dire que je me perds partout.
28:06 D'ailleurs, à Radio France aussi.
28:09 - Pas à la paille seule, rassurez-vous.
28:12 - Je me perds partout, mais là, je passe 32 heures
28:14 dans un état de danger vital, puisque je suis isolé
28:17 au milieu du désert, sans rien à boire, sans rien à manger.
28:20 Et là, je vis une nuit de grâce, une extase,
28:24 que j'ai appelée la nuit de feu dans le récit que j'y ai consacré,
28:27 parce que j'ai repris l'expression de Pascal,
28:29 qui lui-même était un athée et qui a été touché en une nuit.
28:34 - Et donc ensuite, ce voyage en Tarsinte, Bethléem, Nazareth,
28:38 et vous arrivez à Jérusalem, et là, vous dites,
28:40 je pensais traverser Jérusalem, Jérusalem m'a traversé.
28:44 C'est là que vous avez terminé votre mu.
28:47 Qui êtes-vous aujourd'hui ?
28:49 - C'est vrai qu'en écoutant Vincent Lemire, tout à l'heure,
28:51 parler de Jérusalem, vous vous promenez dans Jérusalem
28:55 et la ville vous dit toujours, qui es-tu ?
28:58 Parce qu'il y a tellement d'êtres différents et venant de traditions
29:01 et de cultures et de religions différentes.
29:04 Et je peux répondre maintenant, oui, oui, je suis chrétien.
29:08 Et complètement fraternel, évidemment,
29:12 avec d'autres façons de penser que la mienne,
29:16 ou que l'athéisme, c'est quelque chose que je connais parfaitement,
29:19 puisque j'ai passé 30 ans de ma vie dans l'athéisme,
29:22 mais j'ai aussi beaucoup étudié les autres religions.
29:25 Et il y a nécessité à partager les religions.
29:29 Moi, je pense que Dieu a beaucoup d'humour.
29:31 Il a écrit trois livres, enfin, il a fait écrire trois livres.
29:35 Et je crois que chacune de ces religions n'est qu'une manière de dire.
29:41 Et bien, après, une manière de ritualiser,
29:43 puis après, une manière d'institutionnaliser, dans le cas de certaines religions.
29:48 Mais il s'agit du même feu à l'intérieur, du même cœur de feu, comme disait Bergson.
29:54 Et voilà, moi, je me sens absolument fraternel de gens qui ne pensent pas comme moi.
30:00 Parce que croire, ce n'est pas savoir.
30:04 Croire, c'est adhérer à quelque chose.
30:07 Le savoir, il ne demande pas notre adhésion.
30:09 Deux et deux, ça fait quatre pour tout le monde.
30:12 Donc, pour moi, la religion et la conduite de la vie,
30:16 qui peut être une conduite aussi non inspirée par une religion,
30:20 mais par une autre spiritualité ou par la spiritualité athée.
30:23 Bref, la conduite de la vie, pour moi, relève d'un choix.
30:27 Moi, j'ai l'impression d'avoir consenti au réel, à travers ce qui m'est arrivé.
30:33 La foi dans le désert, une foi qui n'était pas religieuse,
30:37 ni juive, ni musulmane, ni chrétienne.
30:40 Et puis ensuite, un trajet à l'intérieur du christianisme dû à ma lecture des évangiles,
30:45 qui me conduit finalement à Jérusalem, où de nouveau, j'éprouve quelque chose.
30:49 Et de nouveau, je consens au réel.
30:51 En fait, j'ai juste l'impression d'épouser le réel.
30:54 - Allons justement dans le réel.
30:57 Vincent Lemire, il est impossible de ne pas parler de Jérusalem aujourd'hui,
31:01 qui revient dans l'actualité très régulièrement.
31:04 Vous dites et vous appelez un phénomène qui concerne Jérusalem,
31:08 que c'est l'impossible capital.
31:11 Alors, comment prendre aujourd'hui,
31:14 comment comprendre Jérusalem et comment imaginer ce qu'elle sera dans 50 ans, dans 100 ans ?
31:20 - Oui, vous faites référence sans doute à la dernière double page de cette bande dessinée,
31:26 qui est peut-être les deux pages sur 250 pages qui m'ont coûté le plus d'efforts
31:32 et de, peut-être pas de nuit de feu, mais de nuit de doute en tout cas,
31:35 parce que c'est très difficile de finir un récit ou de finir une pièce de théâtre,
31:41 ce n'est pas Eric-Emmanuel Schmitt que je vais te dire,
31:43 parce qu'on se dit, la dernière scène, le dernier mot, c'est la morale de l'histoire.
31:47 Alors, qui je suis ?
31:50 Moi, historien de Jérusalem, après d'autres, avant d'autres,
31:54 pour donner le fin mot de l'histoire.
31:57 Et puis, alors, voilà, est-ce qu'il faut finir sur quelque chose d'optimiste, de pessimiste ?
32:01 Est-ce que ça va bien se passer ?
32:02 Est-ce que ça va mal se passer ?
32:03 Je ne sais pas, on ne sait pas.
32:05 On peut constater que ça ne va pas bien.
32:09 On peut constater que toutes les forces sont en présence pour que la conflagration
32:15 et pour que les affrontements aient lieu et s'aggravent dans les années qui viennent.
32:19 Mais bon, 4000 ans d'histoire permettent aussi de prendre du recul et de se dire,
32:25 voilà, la roue peut tourner.
32:28 Et donc, j'ai finalement redonné la parole à notre Olivier,
32:32 qui s'appelle Zeytoun, Zeytoun en hébreu et en arabe, ça veut dire Olivier,
32:38 à notre Olivier qui a donc à traverser ces 4000 ans.
32:41 Et puis, il a des petits rochetons en plus à ses pieds.
32:43 Il a deux petits Oliviers qui sont en train de pousser
32:47 et qui imaginent les futurs possibles.
32:50 Alors, il ne sait pas, lui, ça peut être un Bible Land
32:53 complètement transformé en parc d'attraction seulement pour les touristes.
32:57 Ça peut être une ville que les Nations Unies ont décidé de neutraliser totalement
33:01 en en expulsant tous les religieux et en mettant un grand drapeau des Nations Unies
33:04 sur le dôme du rocher, ce qui est toujours un fantasme de la communauté internationale,
33:09 mais ce qui serait évidemment contradictoire avec la vocation de la ville.
33:12 Ça peut être une ville théocratique, quelle qu'elle soit,
33:14 où les religions ont repris à nouveau le pouvoir exclusivement
33:17 et essayent d'annuler toute trace de vie profane.
33:23 Ça peut être une ville détruite, elle l'a déjà été, elle peut l'être,
33:26 mais ce n'est pas parce que les murs seront détruits
33:29 que l'idée de Jérusalem sera perdue.
33:32 Et puis, ça peut être, c'est évidemment la dernière case de cette bande dessinée,
33:35 et c'est peut-être pour le coup l'avis de l'historien qui s'exprime là,
33:41 à travers l'Olivier, ça peut être une ville partagée.
33:45 - Voilà pour les scénarios que vous proposez.
33:47 Et il y a 4000 ans d'histoire avance là dans cette bande dessinée.
33:51 Merci beaucoup Vincent Lemire d'avoir été en direct avec nous,
33:54 vous publiez avec Christophe Gauthier cette bande dessinée "Histoire de Jérusalem",
33:57 la première histoire de Jérusalem en BD.
34:00 C'est aux éditions Les Arènes BD.
34:01 Et merci à vous, Éric-Emmanuel Schmitt, d'être venu échanger avec nous
34:05 le défi de Jérusalem-Paris chez Alba Michel.
34:08 Votre récit, votre journal de votre voyage en Terre sainte,
34:11 post-facé par le pape François. Merci beaucoup.
34:13 - Merci.
34:13 * Extrait de "Histoire de Jérusalem" *
34:17 L'épilogue du jour, dans un instant bien sûr,
34:19 d'abord Charles Danzig qui clôture ses 4 items.
34:21 - Blessandrar, qui ne croyait pas au discret, au ténu, au dissimulé,
34:26 s'est toujours rendu vers des lieux correspondant à son tempérament jovial et coloré.
34:32 Nove-Gorod, l'Amazonie, New York, Hollywood.
34:35 Dans cette dernière ville, il s'est rendu à l'invitation d'un patron de presse
34:40 qui avait eu la bonne idée de l'y envoyer pour son journal
34:43 et il en a rapporté un excellent récit, "Hollywood, la mecque du cinéma".
34:49 Un des éléments les plus intéressants de ce livre
34:51 est le choix des mots que Sandrar applique à Hollywood.
34:55 Si je me contentais d'en fournir la liste, je donnerais une assez bonne idée de quoi il s'agit.
35:01 Moins les noms propres comme Universal, Paramount, United Artists,
35:06 Metro-Goldwyn-Mayer que les noms communs que voici.
35:10 Improvisation, jeunesse, fétiche, Kremlin.
35:15 Ce dernier mot évoque quelque chose de terrible.
35:18 Peut-être que le plus intéressant de ce livre n'est pas un mot mais un nombre.
35:23 Dans "Je vais les acteurs" dont je parlais dans le deuxième volet de ce quadritème, Ben Escht écrit
35:28 "La vérité est que cette activité qui consiste à faire des films,
35:32 bien que ne réclamant de l'esprit que peu d'efforts,
35:36 est, de toutes les entreprises humaines, la plus dangereuse pour le système nerveux".
35:41 La statistique que révèle Sandrar est celle des suicides dans les villes les plus peuplées des États-Unis en 1930.
35:49 Ces villes se rangeaient alors dans l'ordre suivant, New York, Chicago, Philadelphie, Détroit et Los Angeles.
35:57 Eh bien, c'est la dernière en quantité de population qui est la première en quantité de suicides.
36:03 439 cette année-là à Los Angeles, soit 35% de la population,
36:10 pratiquement le double de la ville qui la suit dans ce domaine, New York.
36:14 Je sais bien et Sandrar aussi que Hollywood n'est qu'un quartier de Los Angeles,
36:18 mais il note qu'il n'existe pas d'endroit au monde où l'on se suicide autant qu'à Hollywood et dans les milieux du cinéma.
36:25 Personne n'a jamais entendu dire qu'à Cinecitta, ou dans les studios d'Ealing,
36:30 ou dans ceux de la Victorine, on enjambait les cadavres.
36:34 Peg Endrissel, actrice dont la carrière patinait, s'est jetée en 1932, à l'âge de 24 ans,
36:41 du haut de la lettre H, la première, du gigantesque panneau publicitaire pour un programme immobilier,
36:48 en haut du mont Lee, qui annonçait Hollywoodland.
36:52 Le deuxième volume du Hollywood Babylon de Kenneth Anger établit un inventaire des suicidés de Hollywood,
36:59 il ne compte pas moins de 90 pages.
37:02 Ce n'est pas pour rien que le chapitre suivant et dernier s'intitule « La vallée de la mort »,
37:08 ni qu'un de ceux du livre de Sandrar porte le nom de « Besognes sans joie ».
37:13 Ce pays puritain et cupide a inventé des idoles lucratives et éliminables.
37:19 On a vu quantité de peintres se suicider, on a vu quantité d'acteurs se suicider,
37:25 on a vu quantité de musiciens se suicider, on a vu quantité de chanteurs se suicider,
37:30 on a vu quantité d'écrivains se suicider, on n'a jamais vu de galeristes, de producteurs, d'agents, d'éditeurs se suicider.
37:38 Les 4 items de Charles Danzig à retrouver sur franceculture.fr et sur la Play Radio France.
37:41 Un grand merci à toute l'équipe du Book Club, Oriane Delacroix, Zora Vignet, Jeanne Agrappard, Didier Pinault et Alexandre Alaï-Bégovitch.
37:48 Thomas Beau réalise cette émission et à la prise de son ce midi, c'est Jacques Ezuber à qui nous souhaitons bon vent, bonne route pour tes nouvelles aventures.
37:55 Tournons ensemble la dernière page du jour, voici l'épilogue.
37:58 Yérusalem.
37:59 Quand on dit "Ville-Monde", ça veut dire que tout le monde est chez lui, tout le monde est personne.
38:03 Personne n'est absolument chez lui, personne ne peut s'approprier exclusivement et en exclusivité Yérusalem, sinon ça tourne mal.
38:08 Tout le monde est un petit peu chez lui.
38:10 Évidemment, quand on passe plusieurs jours à Yérusalem, il y a un jour où on la déteste, il y a un jour où on la hait, il y a un jour où elle nous fascine.
38:17 C'est un diamant.
38:18 Mais ça pue des pieds.
38:20 C'est un peu comme une maison de famille.
38:21 On est à la fois content et pas du tout content de s'y retrouver une fois par an pour un repas de famille.
38:25 France Culture.
38:28 L'esprit d'ouverture.
38:30 L'Esprit d'ouverture

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