Anne Fulda reçoit Sorj Chalandon pour son livre «L'Enragé» dans #HDLivres
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00:00 - Bonjour, Sanche Chalandon. - Bonjour.
00:02 - Alors, on vous connaît, vous êtes journaliste, vous avez écrit de nombreux livres,
00:04 vous avez reçu plusieurs prix, notamment vous avez écrit "Enfant de salaud" récemment,
00:08 et là vous venez de publier "L'enragé", c'est chez Grasset.
00:13 Alors, c'est un roman qui est né comme souvent chez vous,
00:16 à partir d'une information réelle, je crois que vous avez découvert dans un journal,
00:21 sur un lieu peu sympathique, qui se trouve dans un endroit très sympathique, qui est Belle-Île.
00:27 - Belle-Île, c'est-à-dire que j'étais jeune journaliste, j'étais à Libération déjà en 77,
00:32 et j'apprends en 77 que le centre d'éducation surveillé de Belle-Île vient de fermer.
00:37 Bon, en soi comme ça, c'est une information qui est anodine,
00:41 sur le centre d'éducation de Belle-Île, je cherche un petit peu comme ça pour faire un article,
00:45 dans Libération, que je n'ai jamais fait, je n'ai pas eu le temps,
00:47 et je vois que c'était en fait un bagne,
00:49 et c'était considéré par la presse locale, dans les années 30, comme un bagne pour enfants.
00:53 Et là je suis bouleversé, parce que moi je suis...
00:56 J'étais dans une famille très très dure, avec un père très très dur,
00:58 et la menace d'aller au bagne, pas au bagne, ils me disaient en maison de correction,
01:02 en maison de redressement, c'était une menace constante.
01:04 Moi j'ai été élevé par...
01:07 J'ai été élevé avec l'enfant, avec Jules Vallès,
01:12 j'ai été élevé avec les hauts murs d'Auguste Le Breton,
01:16 j'ai été élevé avec tous ces enfants malheureux dans des lieux malheureux,
01:19 et tout d'un coup je me suis dit, 77 c'est incroyable.
01:21 Et je ne l'ai pas fait.
01:22 Et je ne l'ai pas fait, parce que l'information est telle que...
01:27 Et chaque fois que je suis allé à Béli, la presse, je tournais autour de la citadelle,
01:31 et en fait le bagne était juste à côté,
01:33 qui a été construit pour les communards d'abord, et ensuite pour les enfants.
01:38 Et chaque fois j'avais...
01:39 Comme si une petite voix me disait, tu as failli à ta mission,
01:43 peut-être pas de venger ces enfants, mais au moins de les rejoindre,
01:45 ces enfants, en 1930, et de nous raconter.
01:48 - Des enfants qui étaient là parfois pour des délits très mineurs d'ailleurs.
01:51 - Rien, justement, orphelins.
01:53 - Orphelins, oui.
01:55 Et alors vous décrivez extrêmement bien l'ambiance qu'il y a dans cet endroit,
01:58 et cette violence sourde, et on comprend le titre,
02:02 d'où la naissance d'enfants enragés, dont ce Jules Bonneau dit "l'atteigne",
02:09 et on rentre complètement dans sa peau, on subit les humiliations qu'il subit,
02:13 on subit la violence qui le traverse, et tout cela aboutit à une mutinerie.
02:18 - Et la rage qui monte.
02:18 - Et la rage qui monte.
02:19 - Bien sûr.
02:20 - D'où le titre, "l'enragé".
02:22 Et donc on arrive à plusieurs enfants qui se rebellent,
02:26 et il y a une mutinerie, 56 enfants.
02:28 - 56 enfants.
02:29 Et donc, moi, ce que j'aime dans les romans, que je me mets en tête d'écrire,
02:34 c'est qu'il y ait des éléments réels.
02:37 C'est extrêmement important que oui, le 27 août 34, il y a ces 56 enfants,
02:45 mais s'évader de Belle-Île, ça veut dire quoi ?
02:48 Ça veut dire on passe le mur et après, le pire de tous les gardiens de prison,
02:52 il est au tour, l'océan.
02:54 Et donc moi, ce qui me bouleverse, c'est de, à ce moment-là,
02:57 je commence à travailler sur ce qui s'est passé.
02:59 Donc oui, il y en a 56 qui s'évadent.
03:03 - Ils reviennent.
03:03 - Et puis 55 qui sont repris, mais qui sont repris de la façon la plus terrible,
03:07 qui sont repris par les braves gens.
03:09 C'est-à-dire que sur l'île, pendant une nuit entière,
03:11 il y a une chasse à l'enfant qui se met en place,
03:13 avec les gardiens de prison, évidemment, avec les gendarmes,
03:16 mais aussi avec les touristes, avec les îliens, avec les paysans,
03:20 et à chacun, la gendarmerie propose et offre une pièce de 20 francs d'argent
03:26 pour chaque enfant, que l'on appelait un turin à l'époque, du nom du graveur,
03:29 pour chaque enfant récupéré.
03:31 Et pendant une nuit entière, les braves gens ramènent les enfants à la prison.
03:37 - Et alors ce qui est fou, c'est qu'il en manque un.
03:38 - Il en manque un, qui est le fameux Jules Bonneau,
03:42 qui va mener son chemin et qui va mourir en héros,
03:46 c'est ce qu'on verra à la fin.
03:47 Mais ce qui est intéressant, c'est que cette mutinerie
03:50 et surtout cette collaboration, finalement, de la population
03:53 pour retrouver les enfants, elle a inspiré Jacques Prévert.
03:55 Jacques Prévert qui est dans le livre et Jacques Prévert qui a écrit là-dessus.
03:58 - Moi, ce qui m'a bouleversé encore plus, je pense que tout le reste,
04:02 tout le reste m'a bouleversé,
04:04 mais de savoir qu'il y avait un poète parisien qui était là,
04:06 à l'hôtel du Port, qui entend du bruit,
04:08 qui est en pyjama sur le pas de sa porte,
04:11 et qui dit "Qu'est-ce qui se passe ?"
04:12 et il voit des enfants qui pleurent,
04:13 comme ça, qu'on ramène les bras, les bras liés, etc.
04:17 Il dit "Il se passe quoi ?"
04:19 et on l'explique, les enfants, il dit "Mais ils ont fait quoi ces enfants ?
04:23 J'ai des voyous, mais ils ont fait quoi ?"
04:27 Il y a des voleurs de pain, il y a des orphelins,
04:29 et là, il est bouleversé et il écrit un poème que nous, enfants,
04:35 nous avons récité lorsque nous étions jeunes,
04:37 qui s'appelait "La chasse à l'enfant", justement, "La chasse à l'enfant".
04:40 Et il raconte ça, mais je ne savais pas,
04:43 quand j'ai commencé à travailler sur ce livre,
04:45 que ce poème que je connaissais, que mes enfants, mes filles,
04:49 ont décliné en classe,
04:52 que ça avait un rapport direct avec la mutinerie.
04:55 Donc, Prévert écrit ce poème, qui sera publié tard,
04:58 puisque la mutinerie était en 1934,
05:00 ça sera publié dans "Paroles" dans les années 1950,
05:02 mais en tout cas, ce poème-là, c'est "La chasse à l'enfant", c'est Bélisle.
05:06 Pour chasser les enfants, pas besoin de permis,
05:08 tous les braves gens s'y sont mis.
05:09 Bien sûr.
05:10 Alors, ça fait partie des lumières de ce livre,
05:13 comme la lumière que trouve le héros auprès de Ronan,
05:17 qui tient lieu de père, de figure paternelle.
05:21 Là, je me suis compris, quatre pères à la fois.
05:23 Voilà.
05:24 Trois pères et une mère.
05:25 Et héros.
05:26 Et en tout cas, c'est vraiment un joli livre,
05:30 il n'y a pas que de la noirceur,
05:33 il y a de la violence, il y a de la lumière,
05:34 il y a de la poésie avec Prévert.
05:36 Donc, je vous conseille vraiment de le lire,
05:37 ça s'appelle "L'enragé", c'est paru chez Grasset.
05:39 Merci.
05:40 Merci, Sancho Lando.
05:41 Merci à vous.
05:42 (musique)
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