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Mercredi 6 septembre 2023, SMART BOURSE reçoit Benjamin Louvet (Directeur de la Gestion Matières Premières, Ofi Invest Asset Management)

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00:00 [Musique]
00:10 Le dernier quart d'heure de Smart Bourse chaque soir, c'est le quart d'heure thématique.
00:14 Et le thème ce soir, c'est le thème de rentrée qui anime les discussions de marché, celui du pétrole et des matières premières.
00:21 Nous en parlons avec le spécialiste d'Ofi Invest Assets Management, directeur de la gestion matières premières chez Ofi Invest AM,
00:28 Benjamin Louvet, qui est à mes côtés en plateau. Bonsoir Benjamin.
00:31 Bonsoir Gérard.
00:32 30% de hausse des cours du pétrole brut, Brent, sur les trois mois écoulés,
00:38 avec la cerise sur le gâteau annoncée hier, Arabie Saoudite et Russie qui prolongent pour trois mois d'un coup
00:45 les réductions de production domestique que ces deux pays avaient mis en place déjà depuis quelques temps,
00:51 1 million de barils de jour pour l'Arabie Saoudite, 300 000 barils de jour pour la Russie.
00:56 La Russie, on a aujourd'hui un marché qui est techniquement en déficit d'offres par rapport à la demande ?
01:01 Oui, clairement. Clairement, on sait que la deuxième partie de l'année est une partie où on consomme plus de pétrole.
01:06 On en avait déjà parlé, on avait dit qu'a priori les prix montraient plutôt en deuxième partie d'année pour atteindre un niveau compris entre 90 et 100 dollars.
01:14 On y est. Alors bon, il y a eu un facteur qui nous a aidés quand même, c'est la décision de l'Arabie Saoudite et de la Russie d'abaisser encore leur production de façon volontaire.
01:22 Le pétrole avait déjà pris 25% avant.
01:24 Oui, tout à fait.
01:26 On est sur une pente ascendante effectivement qui est assez logique, qui vient de quoi ? Il y a des facteurs structurels.
01:32 On a déjà parlé du manque d'investissement, la pression sur les producteurs de pétrole pour qu'ils arrêtent de produire du pétrole.
01:39 Et puis des coûts de production qui ont eu tendance à augmenter, qui font que l'investissement dans les pays, dans les compagnies privées, on va dire, a tendance à diminuer dans le secteur pétrolier.
01:48 Et puis on a un facteur conjoncturel qui est le facteur de ces pays qui rajoutent des coupes et qui les prolongent.
01:58 Alors avec une bonne excuse qui est qu'on s'attend potentiellement à un ralentissement économique.
02:03 C'est leur excuse depuis le début parce que le resserrement monétaire avec une Chine qui redémarre plus lentement que prévu.
02:10 Maintenant, quand on regarde les chiffres de consommation, ça ne se voit pas. La Chine a une consommation qui ne cesse d'augmenter.
02:15 On a battu un nouveau record absolu de consommation de pétrole au mois de juin à 103 millions de barils par jour.
02:20 On s'attend à 102 millions de barils par jour de consommation cette année.
02:23 Et donc on est dans une deuxième partie d'année où on devrait avoir un déficit effectivement d'offres qui est de l'ordre de 2 à 3 millions de barils par jour sur une consommation d'un peu plus de 100 millions.
02:33 - L'équilibre se joue à quelques millions de barils par jour. Il faut toujours l'avoir en tête.
02:36 - Mais oui, on est sur ce qu'on appelle le syndrome de la tomate. On avait déjà eu l'occasion de parler.
02:41 Quand vous allez au marché le dimanche matin, ce qui fait le prix de la tomate, ce n'est pas de savoir s'il y aura des tomates dans 6 mois, c'est "est-ce qu'il y a des tomates ce matin ?"
02:47 - "Est-ce qu'à la fin de la matinée, j'en aurais encore ?"
02:49 - Exactement. Et donc là, on est vraiment dans cette situation-là avec des stocks stratégiques en plus qu'on baissait parce que l'année dernière,
02:55 les Américains se sont servis de ces stocks stratégiques pour éviter un effet politique mauvais pour eux en limitant la hausse du pétrole.
03:06 On peut se demander quelque part si l'attitude des Saoudiens n'est pas un moyen de récupérer quelque part ce qu'ils ont perdu à cette occasion-là.
03:14 - Mettre Joe Biden en difficulté au démarrage de la course à la présidentielle ?
03:20 - Pas forcément le mettre en difficulté, mais quelque part.
03:22 - Ah bah, ça va se voir à la pompe !
03:23 - L'Arabie Saoudite a fait quand même un travail extraordinaire avec les pays de l'OPEP.
03:26 Je vous rappelle que quand on est la crise du Covid, l'Arabie Saoudite et les pays de l'OPEP,
03:30 qui ont baissé sa production pour arriver à équilibrer le marché et ne pas se retrouver avec des prix négatifs du pétrole qui dépassent une journée ou deux journées, je ne sais plus,
03:39 c'est l'Arabie Saoudite et les pays alignés. Parce que les acteurs privés, eux, n'ont pas réduit leur consommation.
03:45 Et donc derrière, quand les prix remontent, que les Saoudiens et les pays de l'OPEP remontent leur production,
03:51 Joe Biden qui libère ses stocks, je peux comprendre qu'ils n'aient pas trouvé ça du meilleur goût.
03:56 - Donc aujourd'hui, ils avaient des bonnes raisons de limiter la production, parce que c'est vrai qu'on craignait tous l'arrivée d'une récession dont on ignorait l'ampleur dans les pays occidentaux.
04:06 Ils ont mené cette réduction. Aujourd'hui, ils disent "ben voilà, la hausse des taux, ça met du temps à se transmettre, donc potentiellement, on pourrait voir des effets un petit peu plus tard".
04:16 Donc on maintient cette baisse de production. En attendant, on tape dans les stocks qui baissent à vitesse grand V, et donc les prix du pétrole remontent.
04:22 - Je disais sur l'Arabie Saoudite, Riad est d'autant plus à l'aise à prolonger ses coupes qu'il faut l'avoir en tête.
04:30 Et on le voit bien à travers les percées, les poussées du royaume dans le domaine de l'hospitalité, du sport, etc.
04:38 Il y a un changement de modèle économique, en tout cas une évolution du modèle économique saoudien qui est en marche depuis plusieurs années,
04:44 au point qu'aujourd'hui, je disais que 60% du PIB saoudien, de l'activité économique ou de la croissance économique saoudienne, ne dépendait plus de l'industrie pétrolière ou gazière.
04:56 C'est du non-oil business en majorité, au deux tiers aujourd'hui qui fait l'activité économique de l'Arabie Saoudite.
05:02 - Il y a une volonté de se diversifier, il y a aussi une diversification dans le secteur des métaux, qui est aussi particulièrement intéressante.
05:07 - Et pertinente, j'imagine ?
05:08 - Ils ont compris que les métaux étaient peut-être le pétrole de demain, donc ils font des investissements dans des compagnies minières,
05:13 ils donnent des permis pour explorer le territoire saoudien pour voir s'ils n'auraient pas des métaux à vendre.
05:18 Et puis, il faut dire ce qui est, Grégoire, cette coupe de leur production, elle ne leur coûte pas si cher que ça,
05:23 parce qu'ils ont baissé leur production, ils étaient à 11 millions, ils sont tombés à 9 millions, donc ils ont baissé leur production à un peu plus de 20%.
05:29 Le pétrole, dans le même temps, a pris 30%, au final, dans l'équation, ils ne sont pas perdants.
05:33 - Oui, bien sûr.
05:34 - Et ils gardent des réserves, donc finalement, ce n'est pas un mauvais calcul, vu qu'on sait que, de toute façon, on a encore besoin de pétrole pendant longtemps.
05:40 La IEA a rappelé avant l'été que le pic de consommation n'arriverait pas avant 2028, ce qui, je le rappelle, parce que c'est important de bien comprendre ce que ça veut dire,
05:48 ce qui veut dire que tous les ans jusqu'en 2028, la consommation de pétrole va continuer à augmenter selon l'Agence internationale de l'énergie.
05:57 Et donc, on sait que les compagnies nationales du Moyen-Orient sont celles qui ont les coûts de production les moins élevés,
06:05 et donc le dernier baril qu'on ira chercher, on ira le chercher là-bas.
06:07 Donc, bon, voilà, ils sont plutôt un peu dans un fauteuil, et puis aujourd'hui, ils ont un moyen de pression fort,
06:12 c'est qu'on voit bien aujourd'hui aux Etats-Unis que le pétrole de schiste commence à interroger,
06:20 parce que la production par puits l'année dernière a baissé, le nombre de puits forêts a réaugmenté, mais depuis quelques mois, il rebaisse,
06:28 et donc, il y a des questions qui commencent à se poser sur le fait de savoir si on n'aurait pas atteint, même dans le bassin permien qu'est l'eldorado du pétrole de schiste aux Etats-Unis,
06:38 si on ne serait pas proche du pic. Alors, on ne pense pas qu'on l'ait déjà atteint, mais certains commencent à évoquer possiblement un pic qui pourrait intervenir beaucoup plus tôt que prévu,
06:45 c'est-à-dire fin 2024, et ça, ça serait un vrai sujet, parce que compte tenu de la décision qu'on a prise déjà de ralentir nos investissements, nous, dans le secteur pétrolier,
06:55 on pourrait se retrouver avec une offre qui n'arrive pas à suivre la demande, et dans ces cas-là, il n'y a pas 36 solutions, il faut que le prix s'ajuste...
07:01 — Ça, c'est pas forcément factorisé, ce que vous décrivez là, qui est encore à confirmer, c'est pas encore factorisé dans le marché ?
07:05 — Non, pas encore. — D'accord. Sur l'offre encore, alors, c'est ce qu'on m'a expliqué hier à un stratégiste, c'est que la Russie accompagne les coupes de production de l'OPEP+,
07:14 qui intègrent donc la Russie depuis des mois, sauf qu'on sait très bien qu'il y a les effets d'annonce, l'affichage des réductions, et puis la réalité,
07:21 et visiblement, jusqu'au mois de juin, les coupes de production de la Russie étaient pas très visibles ou très claires, et là, depuis cet été, visiblement,
07:29 elles se mettent en place à hauteur de ce que la Russie doit couper conformément à ses promesses.
07:35 — Tout à fait, on est conformes aux prévisions. Et je pense que... Enfin, historiquement, les Russes n'ont jamais vraiment bien respecté leurs coupes de production,
07:43 mais je crois que là, en ce moment, ils ont aussi compris qu'il y avait un vrai intérêt à jouer la partie de concert avec l'Arabie saoudite,
07:52 et qu'ils ont compris qu'il fallait qu'ils fassent un effort pour pas irriter un petit peu l'Arabie saoudite. Ils sont gagnants.
07:59 Eux aussi, ils ont baissé leur production de 300 000 barils. Je rappelle qu'ils produisent à peu près 10 millions de barils par jour.
08:04 Donc ils ont baissé leur production de 3%, et le prix du pétrole a monté de 30%. Alors effectivement, il y a des contraintes sur le prix parce qu'il y a le price cap,
08:12 mais en fait, on se rend compte qu'il est contourné de plein de façons. Donc au final, c'est un deal qui est gagnant-gagnant pour tout le monde.
08:19 Les seuls qui empâtissent dans tout ça, c'est l'Europe et les États-Unis. Et puis je dirais la Chine également, dans une moindre mesure.
08:27 Mais comme ils achètent en partie du pétrole russe, ils arrivent à s'en sortir pas trop mal. Et potentiellement, effectivement, Joe Biden,
08:33 avec un prix à la pompe aux États-Unis, qui pourrait monter. D'autant qu'on a un autre problème, c'est qu'on a des capacités de raffinage qui sont un peu limitées en ce moment.
08:39 Donc on commence à avoir ce qu'on appelle les "cracks spread", donc les marges de raffinage qui sont en train d'exploser et qui pourraient justifier un prix du pétrole plus élevé que celui qu'on connaît aujourd'hui.
08:49 Il y a le pétrole et les autres. C'est-à-dire que je regardais notamment le cuivre. Toujours intéressant de suivre le cuivre. Après l'envolée spectaculaire de 2020
08:59 qui a amené la tonne de cuivre à des cours historiques, les cours du cuivre restent très très à plat quand le pétrole est capable de rebondir et de marquer un nouveau sommet annuel.
09:10 - Et encore, vous avez pris le métal non ferreux qui s'en sort le mieux. - Qui tient le mieux.
09:14 - On regarde les autres métaux, le nickel, l'aluminium, le zinc... - Le lithium aussi.
09:18 - Le lithium, ce sont des métaux qui ont beaucoup souffert. Alors pourquoi ? La première chose, c'est qu'il faut rappeler que le plus gros consommateur de métaux au monde,
09:26 qui consomme 50% des métaux de la planète, c'est la Chine. Et très clairement, il y a eu une déception côté croissance sur la Chine.
09:33 Mais ça n'explique pas tout. Parce qu'en réalité, quand on regarde pour le cas du cuivre précisément, la consommation de cuivre en Chine cette année a augmenté.
09:41 Et elle n'a pas augmenté un peu. Elle est en hausse de 11% year to date à la fin du mois de juin. Pourquoi ? Parce qu'ils ont énormément accéléré dans le secteur du solaire.
09:50 Je disais cet après-midi qu'ils devraient installer cette année 210 gigawatts de solaire. C'est plus que ce qu'on a installé au niveau mondial l'année dernière.
09:57 Donc quand je vous dis qu'ils accélèrent, ils ne font pas semblant. D'ailleurs, ils commencent à avoir des problèmes parce qu'ils n'arrivent plus à suivre au niveau du réseau.
10:03 Ils ont investi également dans le réseau, donc ça consomme du cuivre. Et puis, dans les plans qui ont été annoncés par le gouvernement chinois, il y a eu des plans pour finir les bâtiments qui avaient été construits.
10:12 Et le cuivre fait partie des métaux qui sont consommés plutôt à la fin du chantier, quand on installe les câbles électriques, quand on installe les tuyaux, etc.
10:19 Et donc la consommation de cuivre a beaucoup monté. Donc ce qui explique l'absence de réaction du cours du cuivre aujourd'hui, c'est qu'en fait, on a tendance à oublier
10:27 – et c'est quelque chose que nous, on avait en partie mal lu, il faut être très clair – c'est que la Chine n'est jamais vraiment sortie du Covid depuis 2020.
10:36 Et donc en réalité, l'activité manufacturière a tourné au ralenti. Donc il y a des stocks qui se sont constitués.
10:42 – Le cuivre qu'ils consomment aujourd'hui, c'est du cuivre qu'ils ont acheté il y a 2 ans.
10:45 – Au mois de mars, les PMI étaient très bons. Même l'État a dit "on va y aller doucement sur les aides parce que ça a l'air de bien repartir".
10:51 Mais on n'a pas eu non plus en Chine les aides qu'on a pu avoir en Europe ou aux États-Unis avec le "quoi qu'il en coûte", avec le plan pour la préservation de l'emploi.
10:59 Donc il n'y a pas eu la même épargne qui a été faite. Et donc les consommateurs chinois sont beaucoup plus prudents.
11:04 Et quand les entreprises ont vu ça, elles se sont dit "on va commencer à travailler sur nos stocks et puis on reviendra sur le marché".
11:09 Résultat, aujourd'hui les stocks de la Chine sont sur des niveaux extrêmement faibles. Et on commence à voir des fenêtres d'arbitrage revenir.
11:15 Et donc on pourrait être pas loin. D'ailleurs on commence à voir des articles fleurir sur des analyses des traders qui redeviennent positives sur le palladium,
11:23 sur l'aluminium, sur le cuivre. Et donc on a tendance à penser qu'on a mangé notre pain noir et que...
11:29 – La loi du marché va reprendre le dessus après le phénomène de déstockage.
11:33 – Oui, les stocks étant apurés, on va revenir sur quelque chose, si on ne prend pas une récession majeure dans les pays occidentaux,
11:39 ce qui n'est pas pour l'instant le scénario, on devrait revenir sur quelque chose de beaucoup plus cohérent avec le scénario qu'on avait,
11:45 que je vous rappelle, c'est que le développement de la transition énergétique va nécessiter une consommation d'énergie très importante
11:51 et surtout une consommation très importante de métaux qui devraient emmener le cours de ces métaux à des niveaux très élevés.
11:58 Ce n'est pas moi qui le dis, on le voit bien, la France a mis en place un fonds d'investissement pour sécuriser sa souveraineté en termes de matériaux minéraux.
12:08 On a une loi de la Commission européenne, la Critical Raw Materials Act, pour tenir compte de ce problème.
12:15 Les États-Unis s'en occupent aussi. Les listes de métaux critiques de la Commission européenne et des États-Unis s'allongent chaque année quasiment,
12:23 alors elles ne sont pas revues tous les ans, pas chaque année, mais elles s'allongent régulièrement et on va au-devant d'un énorme problème.
12:29 Je rappelle juste une chose, le CNRS dit dans une étude, dans les 30 prochaines années, on va devoir extraire de la croûte terrestre
12:36 autant de métaux que depuis le début de l'histoire de l'humanité. Voilà le challenge auquel on est confronté, donc la baisse conjoncturelle qu'on connaît aujourd'hui.
12:42 Et pour moi, purement conjoncturelle ne remet en rien le scénario long terme en cause. La seule chose qui pourrait le remettre en cause,
12:50 c'est qu'on décide de ne pas faire la transition énergétique, mais on n'a pas le choix. Voilà. Donc, pour moi, la baisse actuelle est plutôt une opportunité
12:57 à saisir pour des investissements peut-être diversifiants et une autre manière d'approcher la transition énergétique.
13:03 Merci Benjamin. Merci pour votre éclairage toujours aussi précieux sur la question des matières premières, des métaux, des minéraux et du pétrole.
13:13 C'était quand même le sujet d'accroche de ce soir. Benjamin Louvet avec nous en plateau, directeur de la gestion des matières premières chez Offi Invest Assets Management.
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