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Frédéric Taddeï et ses invités débattent des grandes questions du XXIe siècle dans les #VisiteursDuSoir

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00:00:00 -Les visiteurs du soir avec Alain Finkielkraut,
00:00:03 c'est dans un instant, juste après le rappel des titres
00:00:06 par Simon Guillen.
00:00:08 Musique de tension
00:00:10 -Pour faire face à la hausse du prix des carburants,
00:00:13 les distributeurs pourront vendre leur essence à perte
00:00:17 pendant quelques mois.
00:00:18 Une annonce de la Première ministre,
00:00:20 alors que la vente à perte est interdite par la loi depuis 1963.
00:00:24 Un nouveau refus d'obtempérer qui tourne mal,
00:00:27 a été annoncé hier soir à Stain, en Seine-Saint-Denis.
00:00:30 De Roux a refusé de s'arrêter pour un contrôle.
00:00:33 Après une chute, une course poursuite à pied
00:00:35 s'est engagée avec les forces de l'ordre.
00:00:38 Un policier a été pris à partie par plusieurs individus
00:00:41 et violemment frappé au visage.
00:00:43 Le policier souffre d'une fracture au nez et d'une autre à la main.
00:00:47 L'Agence régionale de santé grand Est active le plan blanc en Moselle.
00:00:51 L'objectif est de faire face à la tension
00:00:54 dans les hôpitaux du département.
00:00:56 Il faut que les directeurs d'établissements
00:00:58 de se réorganisent en déprogrammant des opérations
00:01:02 considérées comme non urgentes.
00:01:03 ...
00:01:06 -Bonsoir. Bienvenue sur le plateau des visiteurs du soir.
00:01:09 Le philosophe Alain Finkielkraut,
00:01:11 membre de l'Académie française et l'invité spécial de cette émission.
00:01:15 Vous n'avez pas publié de livre depuis l'après-littérature en 2021.
00:01:19 Ce n'est pas pour faire la probo de quoi que ce soit
00:01:22 que vous êtes venu ce soir, mais pour le plaisir de la conversation.
00:01:26 On parle de la guerre en Ukraine,
00:01:28 du clivage entre la gauche et la droite et de la jeunesse d'aujourd'hui.
00:01:32 Il y aura avec vous ce soir Vyacheslav Avyutski,
00:01:35 professeur de relations internationales à l'ESCA,
00:01:39 qui a écrit "Les révolutions de velours"
00:01:41 et "Géopolitique continentale, le monde au XXIe siècle".
00:01:46 Christian Lequen, professeur à Sciences Po,
00:01:48 qui a dirigé le CERI,
00:01:50 le centre de recherche internationale de Sciences Po,
00:01:53 entre 2009 et 2014.
00:01:54 Il a écrit "La puissance par l'image, les Etats et l'ordiplomatie publique",
00:01:59 dont il a dirigé la rédaction en 2021.
00:02:02 À 23h, pour parler du clivage droite-gauche,
00:02:05 il y aura l'historien Jean-Numas Dukanj,
00:02:07 spécialiste de la gauche, des gauches en général.
00:02:10 Il a écrit une quinzaine d'ouvrages sur le sujet,
00:02:13 dont "Quand la gauche pensait la nation".
00:02:15 Sur la jeunesse d'aujourd'hui, j'ai invité Laetitia Rys,
00:02:19 rédactrice en chef du Média en ligne "Le vent se lève".
00:02:22 D'abord, j'ai quelques questions à vous poser.
00:02:24 La première, c'est sur l'Académie française.
00:02:27 Vous avez été élue en 2014, vous y siégez depuis 2016.
00:02:31 Est-ce que vous vous y plaisez ?
00:02:33 Est-ce que c'est un établissement
00:02:35 que vous recommandez à tous les autres intellectuels ?
00:02:38 -Je ne dirais pas les choses comme ça.
00:02:40 En tout cas, quand Hélène Cariadankos
00:02:43 et Pierre Nora m'ont demandé de présenter ma candidature,
00:02:48 je suis tombé des nues
00:02:50 et j'ai été partagé entre deux sentiments.
00:02:53 Le premier, c'est que je ne méritais pas tout à fait
00:02:58 de siéger dans une compagnie
00:03:01 dont Valérie Coul-Dévisse-Rose, Dumézil,
00:03:06 Moriak, Marguerite Chosonard avaient été membres.
00:03:09 Et puis, il y avait aussi un autre sentiment.
00:03:12 J'avais en tête une phrase de...
00:03:18 Enfin, ça y est.
00:03:19 De Bernanos.
00:03:21 "Il y a des vérités qu'on ne saurait dire ni écrire
00:03:24 "en habit de carnaval."
00:03:25 Donc, j'étais partagé entre les deux.
00:03:28 J'ai réuni un conseil de famille
00:03:30 et mon fils a remporté le mention en disant
00:03:33 "présente-toi, pense à tes parents."
00:03:35 Donc, je suis à l'Académie française
00:03:38 et je suis content d'y être
00:03:41 parce que l'Académie française défend la langue
00:03:45 et que, contrairement à ce qu'affirment
00:03:48 les linguistes atterrés,
00:03:50 la langue va très bien, merci,
00:03:53 la langue française va très bien, merci,
00:03:55 la langue française est à l'agonie
00:03:57 et l'Académie française le dit.
00:04:00 L'écriture inclusive est un péril mortel pour la langue.
00:04:03 Et qu'a répondu une humoriste ?
00:04:06 L'humour, aujourd'hui, est le bras armé de la bien-pensance.
00:04:10 Le seul péril mortel à l'Académie, c'est la prostate de ses membres.
00:04:14 Voilà où nous en sommes vis-à-vis de l'Académie française
00:04:17 et de ce point de vue-là, je suis content d'y être,
00:04:20 mais pour répondre tout à fait à votre question,
00:04:24 je ne suis pas très assidu.
00:04:25 -Haha !
00:04:27 -Et je sais que j'ai tort,
00:04:29 mais malheureusement,
00:04:31 on ne discute pas à l'Académie.
00:04:34 On ne peut pas se saisir d'un sujet d'actualité.
00:04:37 Les choses sont très réglementées, très corsetées,
00:04:40 ce qui fait qu'il y a un peu trop de non-dit pour mon goût.
00:04:44 Mais j'ai pris la résolution cette année de venir plus souvent.
00:04:48 -En mai 68, vous étiez gauchiste,
00:04:50 comme tout le monde, Alain Finkielkraut.
00:04:53 -Comme tout le monde. -Vous étiez maoïste.
00:04:55 Qu'est-ce qui vous a éloigné du gauchisme, d'abord,
00:04:58 et de la gauche, en général, ensuite ?
00:05:01 Quel a été le déclic ?
00:05:02 -Ah ! Le déclic, c'est la pensée...
00:05:07 d'Europe centrale.
00:05:09 Les écrivains et les philosophes
00:05:13 de l'autre Europe.
00:05:17 Kolakowski, Miłosz, et surtout Kundera.
00:05:20 Kundera, dans la préface au miracle en bohème
00:05:24 de Josef Skorinski,
00:05:27 oppose d'une manière lumineuse
00:05:31 le printemps parisien, mai 68,
00:05:34 et le printemps de Prague, qu'on a tendance à confondre.
00:05:38 Le printemps parisien, mai 68,
00:05:40 explosion de lyrisme révolutionnaire.
00:05:44 Le printemps de Prague,
00:05:45 explosion de scepticisme post-révolutionnaire.
00:05:49 Mai 68, radicalité.
00:05:53 Fascination de la radicalité.
00:05:56 Le printemps de Prague, révolte populaire démodérée.
00:06:00 68, rejet de la culture traditionnelle.
00:06:05 Le printemps de Prague, défense passionnée
00:06:09 de la culture traditionnelle,
00:06:11 qui va du christianisme à l'art moderne,
00:06:14 l'un et l'autre niés par le pouvoir.
00:06:16 D'une certaine manière, le pouvoir en place à l'époque,
00:06:19 où Kundera a écrit ce texte.
00:06:21 Et donc, moi, je suis passé, si vous voulez,
00:06:24 d'un printemps à l'autre,
00:06:25 et je constate aujourd'hui
00:06:28 que mai 68 fait des petits,
00:06:32 avec le wokisme, les luttes...
00:06:35 intersectionnelles.
00:06:37 En revanche, nul ne médite le printemps de Prague,
00:06:41 qui n'a malheureusement pas de postérité.
00:06:43 Et j'en suis très malheureux.
00:06:46 -J'ai l'impression que la guerre du Kipour a aussi à jouer.
00:06:50 -La guerre du Kipour a joué, bien sûr.
00:06:53 Vous avez raison de le dire.
00:06:56 Et c'est le point de départ
00:07:00 du divorce
00:07:03 de la gauche ou d'une partie de la gauche
00:07:05 avec la lutte contre l'antisémitisme.
00:07:08 L'antisémitisme, si vous voulez,
00:07:13 parle du fait d'Israël,
00:07:17 du fait des conquêtes de 67, etc.
00:07:21 L'antisémitisme parle la langue immaculée
00:07:26 de l'antiracisme.
00:07:28 Les sionistes sont des racistes.
00:07:31 Et les juifs d'Aleaspora, qui aiment Israël, aussi.
00:07:35 Et comme, en plus,
00:07:37 il y a un nouveau peuple en France,
00:07:41 il y a une part d'opportunisme, de clientalisme,
00:07:44 d'électoralisme
00:07:46 dans cet antisionisme
00:07:50 qui tourne très mal.
00:07:52 Et comme on voit, justement,
00:07:53 l'antisémitisme se développer dans certaines banlieues,
00:07:57 devenir non pas une opinion,
00:07:59 mais, comme l'a dit Georges Ben Sousson,
00:08:01 un code culturel.
00:08:02 La gauche de gauche, la France insoumise,
00:08:05 pour rappeler les choses par leur nom,
00:08:07 a dit que c'est d'accord, que nous suivions cela.
00:08:10 Il y a 6 millions de musulmans en France,
00:08:12 il n'y a que 600 000 de juifs.
00:08:14 Ca n'a aucune importance.
00:08:16 Évidemment, pour quelqu'un comme moi,
00:08:19 qui vient de la gauche,
00:08:21 c'est un spectacle extrêmement pénible.
00:08:27 -La Baïa, vous aviez souhaité parler de la Baïa
00:08:30 dans Politis et par une tribune.
00:08:33 -Voilà.
00:08:34 -Contre l'interdiction de la Baïa.
00:08:36 Elle est signée par Agnès Ernaud, Etienne Balibar,
00:08:39 Frédéric Lordon, Aldel ANL, le rappeur Medine.
00:08:42 -Médine.
00:08:43 -Médine, oui.
00:08:45 -C'est intéressant.
00:08:46 -Une nouvelle offensive raciste, islamophobe, sexiste
00:08:49 et patriarcale. Vous avez voulu réagir.
00:08:52 -Oui, parce qu'il faut remonter loin.
00:08:56 En 1989, deux élèves du lycée de Creil
00:09:00 sont exclus parce qu'ils veulent porter le voile en classe.
00:09:03 Ca fait énormément de bruit.
00:09:06 SOS racisme, le MRAP proteste.
00:09:09 Ainsi que tous les clergés,
00:09:11 le Premier ministre
00:09:15 saisit le Conseil d'Etat.
00:09:18 La décision du Conseil d'Etat consiste à dire
00:09:21 que ce n'est pas aux élèves
00:09:23 de respecter le principe de neutralité,
00:09:25 mais qu'ils doivent faire preuve de prosélytisme.
00:09:28 Les cas litigieux se multiplient.
00:09:30 Jacques Chirac nomme une commission en 2003
00:09:33 pour décider de la chose.
00:09:35 La commission stasie, finie par statuer,
00:09:38 après avoir reçu énormément de gens,
00:09:41 et notamment des proviseurs ou des professeurs,
00:09:44 confrontés au phénomène du communautarisme.
00:09:47 Après cela, il y a une loi, la loi 2004,
00:09:50 interdisant les signes religieux ostensibles à l'école.
00:09:54 L'abaya, c'est une autre modalité du voile.
00:09:56 D'ailleurs, les jeunes filles arrivent voilées,
00:09:59 elles enlèvent le voile et veulent rentrer avec l'abaya,
00:10:02 qui est un vêtement venu d'Arabie saoudite.
00:10:05 Alors, que fait-on ?
00:10:07 Je pense que le ministre de l'Education
00:10:09 a eu raison d'interdire l'abaya,
00:10:12 en vertu de la loi de 2004,
00:10:16 notamment parce que ce n'est pas un signe
00:10:21 comme un autre, c'est un signe qui manifeste
00:10:24 la sujétion des femmes.
00:10:26 Et en plus, il ne s'agit pas de protéger la fideur des femmes,
00:10:30 il s'agit, si vous voulez, de les soustraire
00:10:33 à la convoitise des hommes.
00:10:37 Et j'ai voulu en parler précisément
00:10:40 parce qu'une partie importante de la gauche,
00:10:43 de la gauche de gauche,
00:10:45 proteste contre cette interdiction avec Médine,
00:10:49 et ça me renvoie à ce que je disais tout à l'heure,
00:10:52 un rappeur fan du Donnée,
00:10:55 dont il imitait la quenelle,
00:10:57 qui a fait un jeu de mots désastreux
00:11:00 sur Rachel Khan, du style du Raphaël Crematoire,
00:11:04 et là, il est reçu en grande pompe
00:11:07 à la France Insoumise par les écologistes.
00:11:11 Donc, on voit l'émergence d'une gauche Médine aujourd'hui,
00:11:15 et pourquoi en parler ?
00:11:17 À cause de la coïncidence, de la coïncidence incroyable
00:11:21 entre ce mouvement prétendument antiraciste
00:11:26 et ce qui se passe en Iran.
00:11:28 Les femmes iraniennes veulent se libérer
00:11:32 de ces étendards, de ces habits religieux,
00:11:35 et nous, au nom, soi-disant, des droits de l'homme
00:11:38 et de la lutte contre l'islamophobie,
00:11:42 on veut, au contraire, qu'elles puissent les revêtir.
00:11:46 Cette coïncidence devrait faire honte
00:11:49 à cette prétendue gauche.
00:11:51 -On reparlera du clivage droite-gauche
00:11:53 à partir de 23h, avec Jean-Numa Dukanj, notamment.
00:11:57 Autre question que j'avais envie de vous poser,
00:12:01 Anaphil Colcroate.
00:12:03 Je recevais Michel Onfray la semaine dernière,
00:12:06 il était assis à votre place.
00:12:08 Il croit, lui, à l'effondrement de la civilisation européenne,
00:12:12 judéo-chrétienne,
00:12:14 peu importe le nom qu'on lui donne,
00:12:16 mais on sait de quoi on parle.
00:12:18 Est-ce que c'est votre cas ?
00:12:19 Croyez-vous à l'effondrement de la civilisation occidentale
00:12:23 que certains nous promettent ?
00:12:25 -Je ne promènerai pas les choses tout à fait ainsi.
00:12:28 Mais revenons à Kundera.
00:12:30 En 1983, il publiait, dans le débat,
00:12:33 à la revue de Pierre Nora, un article,
00:12:36 "Un Occident kidnappé",
00:12:37 un article que je médite depuis 40 ans.
00:12:40 D'ailleurs, il est republié sous forme de livre
00:12:43 depuis peu.
00:12:44 Et dans ce texte extraordinaire,
00:12:46 Kundera dit...
00:12:47 Ce qui faisait l'unité de l'Europe,
00:12:53 c'était la religion.
00:12:55 Et puis, avec le déus, comme on le dit tous,
00:12:58 le dieu caché,
00:12:59 la religion a cédé la place à la culture.
00:13:01 La culture est devenue
00:13:03 le lieu de réalisation
00:13:05 des valeurs suprêmes
00:13:08 par lesquelles l'Europe se comprenait,
00:13:11 s'identifiait, se définissait.
00:13:13 Et il dit...
00:13:14 La culture, aujourd'hui, cède la place.
00:13:16 Et il se demande à quoi.
00:13:18 Moi aussi, je m'interroge tout le temps.
00:13:20 Le grand paradoxe, c'est que la culture
00:13:23 cède la place à la démocratie.
00:13:25 Pas la démocratie comme régime politique,
00:13:27 la démocratie comme régime de toute chose.
00:13:30 La démocratie sortie de son lit.
00:13:32 La démocratie comme régime de l'école,
00:13:35 des relations amoureuses,
00:13:37 et de la culture.
00:13:39 C'est-à-dire, on passe
00:13:41 de la culture au tout culturel.
00:13:43 Il y a des pratiques culturelles.
00:13:46 Tout se vaut, tout est égal.
00:13:48 La transmission ne peut pas survivre
00:13:51 à cette horizontalité fatale.
00:13:54 Et c'est donc ça...
00:13:55 C'est à cet événement considérable
00:14:00 que nous sommes aujourd'hui confrontés.
00:14:02 Il y a des oeuvres, bien sûr.
00:14:03 Les oeuvres, les chefs-d'oeuvre,
00:14:05 ce sont, par définition, des miracles.
00:14:08 Elles sont imprévisibles,
00:14:10 mais elles n'ont plus d'abri.
00:14:12 Elles sont orphelines.
00:14:14 C'est ça. La culture s'efface.
00:14:18 La culture se dissout.
00:14:20 Et du fait, précisément,
00:14:22 et c'est l'immense paradoxe de notre temps,
00:14:24 de cette démocratie sans limite.
00:14:29 -Quand vous parlez de culture,
00:14:31 je me demande si vous parlez de la culture
00:14:33 au sens de ce que l'on produit aujourd'hui culturellement
00:14:36 et parmi toutes ces productions,
00:14:38 il y a de l'art qui restera
00:14:40 et qui seront les chefs-d'oeuvre auxquels vous faites allusion,
00:14:43 ou la culture qui est notre manière de nous comporter,
00:14:46 la politique culturelle, la façon de se tenir à table...
00:14:50 -Vous voyez bien.
00:14:51 -Cette définition, la culture, c'est ce qu'on retenait
00:14:54 quand on a tout oublié.
00:14:55 Au fond, ça n'est pas les chefs-d'oeuvre.
00:14:58 -Non, mais la culture dont parle Kundera,
00:15:00 c'est les oeuvres d'art et de pensée.
00:15:03 C'est ça qui faisait l'unité de l'Europe
00:15:06 à partir de la Renaissance, de l'humanisme de la Renaissance.
00:15:10 C'est vrai, donc, c'est pas la fin du sacré,
00:15:12 c'est l'élargissement du sacré du livre au livre,
00:15:16 et notamment au grand livre.
00:15:19 C'est ça, la culture,
00:15:20 c'est ça qui a fait notre être européen.
00:15:24 Et cela, justement,
00:15:26 aujourd'hui, a de moins en moins de sens
00:15:29 du fait de cette demesure, de cette hubris démocratique
00:15:33 qui s'empare de toute chose
00:15:36 et qui rend, je le répète,
00:15:37 la transmission toujours plus difficile.
00:15:40 Parce que si tout est égal, si toutes les pratiques se valent,
00:15:44 si la culture n'est entendue qu'au sens sociologique,
00:15:47 que veut dire transmettre ?
00:15:49 Que veut dire, encore, exercer la capacité d'admiration ?
00:15:55 Aurélien Taché, je crois, qui est député, a dit,
00:15:58 c'est quelque chose d'absolument extraordinaire,
00:16:00 "Que suis-je pour énoncer un jugement de valeur ?"
00:16:04 Oui, donc, si on en est là, si vous voulez,
00:16:07 si on ne peut pas se mettre d'accord
00:16:09 autour de l'admirable,
00:16:12 c'en est fini, de la culture, en effet.
00:16:15 Et c'est en ce sens-là que je parle
00:16:18 de, je dirais pas d'effondrement de la culture,
00:16:21 mais une sorte d'effacement paradoxal
00:16:24 parce que le successeur de la culture porte le même nom.
00:16:28 C'est toutes les pratiques culturelles
00:16:31 dans lesquelles nous passons nos loisirs.
00:16:34 -Et puisque vous parlez de loisirs,
00:16:36 la technologie est omniprésente,
00:16:38 notamment dans la culture, en réalité.
00:16:41 Or, dans le domaine de la technologie,
00:16:43 l'Europe, en tout cas, pas les Etats-Unis,
00:16:45 mais l'Europe a l'air d'être complètement attardée.
00:16:50 On dépend entièrement d'instruments
00:16:52 qui sont produits aux Etats-Unis ou en Asie.
00:16:55 Est-ce que ça, ça vous inquiète ?
00:16:58 -Le problème, c'est que, si j'ose dire,
00:17:00 je suis encore beaucoup plus attardé que l'Europe
00:17:02 parce qu'on a forgé un nouveau mot, "électronisme".
00:17:05 -Oui, c'est pas bon. -C'est moi.
00:17:07 C'est complètement moi.
00:17:09 Je sais pas si on dit "électronique", "électroniste",
00:17:12 mais je me sers de rien.
00:17:13 Je n'arrive à rien.
00:17:15 J'arrive même pas à envoyer un message sur portable.
00:17:18 J'ai pas de portable, j'ai les doigts trop gourds.
00:17:21 Enfin, trêve de plaisanterie.
00:17:23 Je pense, en tout cas,
00:17:25 que ces technologies,
00:17:27 qui ont leur vertu,
00:17:29 loin de moi, l'idée de le nier,
00:17:32 elles sont...
00:17:33 Elles rendent la transmission de la culture
00:17:37 toujours plus difficile.
00:17:40 C'est Simonel qui disait,
00:17:41 "La formation de la faculté d'attention,
00:17:44 "c'est le but essentiel des études."
00:17:47 Mais justement, comment obtenir l'attention
00:17:52 avec ces instruments sans cesse à portée de main ?
00:17:56 C'est extrêmement difficile.
00:17:58 Donc, l'urgence aujourd'hui,
00:18:00 pour que la culture survive,
00:18:02 c'est la déconnexion.
00:18:04 Et d'ailleurs, dans la Silicon Valley,
00:18:06 ils le savent, ils envoient les patrons,
00:18:08 les vocats de la Silicon Valley,
00:18:10 leurs enfants dans des écoles
00:18:14 totalement déconnectées.
00:18:16 Pas de smartphone, pas de tablette,
00:18:18 rien de tout ça.
00:18:20 Il y a même des craies, un tableau noir,
00:18:23 des livres, la matérialité des choses.
00:18:25 Oui, il y a un lien entre la culture et la matérialité.
00:18:29 -On fait une pause et on se retrouve juste après.
00:18:33 On va parler de la guerre en Ukraine.
00:18:36 Alain Fingelkraut est en direct avec nous jusqu'à minuit.
00:18:45 Pour parler de la guerre en Ukraine,
00:18:47 nous avons deux visiteurs du soir,
00:18:49 Vyacheslav Avyutski et Christian Lequen.
00:18:51 Vyacheslav Avyutski,
00:18:53 vous êtes franco-russe, professeur à l'ESSA,
00:18:57 l'École supérieure de sciences commerciales d'Angers.
00:19:00 Vous avez écrit "Les révolutions de velours".
00:19:02 Vous avez écrit "Géopolitique continentale,
00:19:05 le monde au XXIe siècle".
00:19:07 Christian Lequen, vous êtes professeur à Sciences Po.
00:19:11 Vous avez dirigé le CERI,
00:19:13 le Centre de recherche internationale,
00:19:16 entre 2009 et 2014.
00:19:17 Votre dernier ouvrage, c'est "La puissance par l'image,
00:19:20 les États et leur diplomatie publique",
00:19:23 vous avez dirigé la rédaction.
00:19:24 Alain Fingelkraut, vous avez souhaité
00:19:27 qu'on parle de la guerre en Ukraine.
00:19:29 Pour quelle raison ?
00:19:30 En quoi vous vous sentez concerné par cette guerre ?
00:19:34 -Je ne suis pas différent de tout le monde.
00:19:36 C'est une guerre terrifiante
00:19:38 qui s'installe à l'Élysière de l'Europe.
00:19:43 Et on parle, en plus,
00:19:46 d'utilisation des armes nucléaires tactiques.
00:19:51 Je ne vois pas comment on pourrait ne pas être concerné,
00:19:55 ni même obsédé par cette guerre.
00:19:58 Cela étant, il y a une raison personnelle.
00:20:02 En 1990,
00:20:05 éclatait la guerre en ex-Yougoslavie.
00:20:09 Et cette guerre,
00:20:11 la Serbie,
00:20:13 la Yougoslavie devenue Serbo-Slavie,
00:20:17 la menait au nom de la lutte
00:20:20 contre les Zoustachies croates,
00:20:23 les nazis croates.
00:20:25 Et Vukovar,
00:20:28 la ville a été non seulement conquise,
00:20:30 mais détruite.
00:20:32 Et on suréposait, à l'image de cette destruction,
00:20:36 celle des Zoustachies à Vukovar.
00:20:39 Et à l'époque, ça a marché.
00:20:42 De bons esprits y ont cru.
00:20:45 Et j'ai eu peur que ça ne recommence avec l'Ukraine,
00:20:49 parce qu'il s'agissait d'en finir avec un régime nazi.
00:20:53 Fort heureusement,
00:20:56 à part quelques esprits faibles,
00:20:59 on ne s'est pas laissé piéger
00:21:02 par cette propagande atroce.
00:21:05 Et j'étais prêt,
00:21:07 exactement comme au moment de la guerre en France,
00:21:09 moi-même à y répondre.
00:21:11 Et puis, il y a une autre raison.
00:21:14 C'est un élément de surprise et de fascination.
00:21:18 L'idéologie, c'est un gigantesque mensonge.
00:21:22 C'est une réalité parallèle.
00:21:25 C'est une fiction.
00:21:26 Mais là, je me rends compte, en Russie,
00:21:29 et peut-être allez-vous le confirmer ou l'infirmer,
00:21:32 que c'est une fiction à laquelle croient
00:21:36 ceux-là-mêmes qui la fabriquent.
00:21:38 C'est-à-dire qu'il s'est répandu en Russie
00:21:41 une mentalité obsidionnale et complotiste,
00:21:46 et dans les milieux informés de Moscou,
00:21:48 depuis quelque temps déjà,
00:21:50 on présentait l'OTAN
00:21:52 comme une alliance de la même nature que l'Axe,
00:21:55 préparant l'équivalent moderne d'une opération Barbarossa
00:22:00 contre la Fédération de Russie via la Biélorussie et l'Ukraine.
00:22:05 Et ça, c'est quand même que l'idéologie de Poutine
00:22:09 puisse agir sur Poutine lui-même.
00:22:13 Il y a là, pour moi, un élément de surprise et d'effroi.
00:22:19 Parce qu'évidemment, là, je réponds encore à votre question,
00:22:22 jusqu'où ça va aller ?
00:22:25 -Mais juste petite parenthèse, nous aussi,
00:22:28 on a fait la même chose en Axe-Nouvelle-Savie,
00:22:30 on a comparé Milosevitch et le régime à l'époque à des nazis.
00:22:35 On a recommencé la même chose au moment où on a bombardé le Kosovo.
00:22:40 Pourquoi ? Parce qu'ils étaient des nazis
00:22:43 qui allaient exterminer les Kosovo.
00:22:46 On l'a fait un peu aussi...
00:22:47 -Ce n'est pas ce que disaient les Américains.
00:22:50 Et pour ce qui est de Milosevitch,
00:22:54 moi, je peux vous dire une chose.
00:22:56 Il y avait des bonnes raisons de traiter Milosevitch
00:23:00 comme le bourreau qu'il était.
00:23:03 C'est pas la peine d'utiliser ce terme de nazi.
00:23:07 Mais moi, je peux vous dire qu'il y a des Serbes,
00:23:11 des intellectuels serbes, qui sont venus me voir,
00:23:15 qui m'ont convoqué dans un café...
00:23:18 -Vous avez pris le parti pour les Croates.
00:23:20 -Non, mais pour me demander, avant même ça,
00:23:24 d'aller aider la Serbie, parce qu'effectivement,
00:23:27 ils voulaient en finir avec le régime oustaché.
00:23:30 Mais pour vous rejoindre,
00:23:32 le problème de l'antifascisme et de l'antinazisme,
00:23:35 c'est qu'il n'a jamais été aussi fort que depuis la disparition,
00:23:39 l'effondrement du 3e Reich.
00:23:41 Et nous avons à en souffrir.
00:23:43 -Voilà. Alors, réaction ?
00:23:45 Christian Leclerc ?
00:23:46 -Oui, écoutez, je suis pas sûr, d'abord,
00:23:52 que je sois très surpris, moi,
00:23:55 par le fait que M. Poutine soit un idéologue.
00:23:58 Je crois que ça fait des années
00:24:01 que je suis absolument convaincu
00:24:03 qu'il n'est pas ce réaliste
00:24:06 qu'on nous présente parfois aux Etats-Unis,
00:24:09 y compris le cher Henry Kissinger
00:24:13 ou d'autres dans cette école de relations internationales.
00:24:18 Je pense que c'est quelqu'un qui est profondément animé
00:24:23 par une représentation idéologique de son action
00:24:28 et aussi de l'histoire.
00:24:31 C'est quand même très intéressant
00:24:33 de voir que les discours qu'il mène,
00:24:38 notamment le fameux discours qu'il a mené
00:24:41 juste avant l'intervention militaire
00:24:43 du mois de février 2022,
00:24:45 on avait le sentiment qu'il était l'historien en chef,
00:24:48 bien sûr, et visionniste de la Russie.
00:24:52 Donc, je pense qu'on est face à quelqu'un
00:24:55 qui est profondément animé par l'idéologie.
00:25:00 Et je crains, hélas,
00:25:03 que beaucoup de Russes le soient également.
00:25:09 Des Russes ordinaires.
00:25:12 Mais ça, précisément, c'est une grande question pour nous.
00:25:15 Que pensent les Russes de cette guerre ?
00:25:20 On n'a pas véritablement de réponse.
00:25:22 -On va poser la question à Vyotsky.
00:25:25 A défaut de vivre en Russie, vous parlez évidemment le russe
00:25:28 et vous regardez tous les programmes
00:25:31 qui sont à votre disposition en ce qui concerne la Russie.
00:25:34 -Je voulais juste rebondir d'abord
00:25:36 par rapport à cette vision de Poutine.
00:25:41 Rappelons-le quand même que Poutine,
00:25:44 il a fabriqué une image idéologique complètement fausse.
00:25:49 Pour résumer, les Ukrainiens ne sont pas des Ukrainiens,
00:25:52 ce sont des Russes, qui sont pollués par l'Occident.
00:25:55 Donc, en fait, nous allons là-bas...
00:25:58 Juste ce qu'il faut faire, en fait, c'est les dépolluer.
00:26:01 Il faut juste faire basculer ce régime...
00:26:05 Voilà, anti-russe qui les pollue.
00:26:08 Et une fois, tout va s'effondrer,
00:26:10 et eux, ils vont se reconnaître...
00:26:12 Voilà, en tant que Russes,
00:26:15 cachés, dissimulés,
00:26:18 et ils vont nous accueillir aux bras ouverts, etc.
00:26:21 Donc, voilà. Je pense que c'est très, très dangereux
00:26:25 de mélanger les choses ici.
00:26:28 À la fois une idéologie, d'accord,
00:26:30 qui n'a aucun fondement, d'accord,
00:26:33 et ce qui est très intéressant, c'est que Poutine va plus loin.
00:26:36 En fait, je crois que c'était l'historien François Storm
00:26:40 qui a révélé ça.
00:26:41 En fait, il a essayé de parler avec...
00:26:43 Je crois que c'était avec George Bush,
00:26:46 en lui suggérant, voilà,
00:26:48 "On organise une deuxième Yalta, on va se partager le monde."
00:26:52 Vous avez déjà tout, l'Amérique latine, l'Afrique, l'Asie.
00:26:56 Laissez-moi juste l'Europe."
00:26:57 Il parle de l'Europe.
00:27:00 -Vous êtes sûr que c'est arrivé, ça ?
00:27:02 -Exactement.
00:27:03 Ils étaient très étonnés par cette histoire-là.
00:27:06 Et aussi, vous savez, c'est très intéressant,
00:27:08 le rapport de Poutine à l'égard des Crémiens,
00:27:11 qu'il considère sur le plan identitaire
00:27:13 inexistant en tant que nation,
00:27:16 ce qui est fou, c'est une erreur, bien entendu,
00:27:18 mais aussi, en même temps, les Européens, ça n'existe pas.
00:27:21 En fait, ça n'existe pas,
00:27:24 c'est une pollution démocratique, etc.
00:27:26 Il faut tout petit peu débler les choses,
00:27:29 tout va s'effondrer, ils vont nous accueillir au bras ouvert,
00:27:32 on va aller là-bas, on va tout ouvrir, etc.
00:27:34 Ce qu'il faut bien comprendre, là où il a raison,
00:27:37 il s'agit d'un conflit systémique de valeurs,
00:27:40 parce que les valeurs sont complètement opposées,
00:27:43 la liberté, et je suis convaincu,
00:27:46 jusqu'au bout, que le sens de l'histoire,
00:27:49 c'est la démocratie.
00:27:50 -Donc, Poutine, en fait, il essaie de sortir
00:27:53 cette vision identitaire, complètement opaque de l'histoire.
00:27:57 Maintenant, je suis désolé, la deuxième partie,
00:28:00 est-ce que les Russes s'inscrivent dans cette vision-là ?
00:28:04 Il faut quand même rappeler aussi une chose
00:28:07 qui est très importante.
00:28:09 La Russie existe en tant qu'empire,
00:28:12 et l'empire n'a pas de frontières.
00:28:14 D'accord ? Et normalement,
00:28:16 c'est ça, ce qui s'est passé, après la fin de l'URSS,
00:28:20 en fait, il y a eu un grand échec de la construction
00:28:23 de l'éternation.
00:28:25 La Russie est restée un empire
00:28:26 avec un habillage pseudo-démocratique.
00:28:29 C'est ce que je voulais dire.
00:28:31 Une partie des Russes, bien entendu,
00:28:33 se reconnaissent. Si vous me demandez,
00:28:35 en ce qui concerne l'opinion publique,
00:28:37 comment ça fonctionne, il y a à peu près 20 % des ultras,
00:28:41 qui sont en guerre,
00:28:44 20 % qui sont plutôt contre, ou sont froids,
00:28:47 par rapport à la guerre,
00:28:49 et à peu près, on a le milieu,
00:28:51 le milieu qui était plutôt empathique
00:28:55 de Poutine au début,
00:28:57 mais qui, aujourd'hui, s'est désintéressé
00:28:59 de plus en plus de la guerre,
00:29:01 et qui est dans une sorte de dunie.
00:29:03 Voilà ce que je constate.
00:29:04 -Mme Finkielkot ? -Alors, j'ai lu,
00:29:07 il y a quelque temps,
00:29:10 le livre extraordinaire de Yegor Grann,
00:29:13 "Z comme zombies".
00:29:15 C'est le fils de Sinyavski,
00:29:17 il est russe lui-même,
00:29:19 il se plonge dans les réseaux sociaux,
00:29:21 il n'est pas frappé par l'électronisme.
00:29:24 Et ce qu'on y voit est absolument fascinant.
00:29:28 Il dit, tout ça, la propagande russe,
00:29:31 c'est un gigantesque poisson d'avril
00:29:34 concocté par des débiles.
00:29:36 Et il cite, par exemple, un chanteur,
00:29:39 chanteur du groupe Alisa.
00:29:41 "J'aimerais tellement que les Ukrainiens se réveillent
00:29:44 "et comprennent enfin
00:29:45 "que nous sommes un seul et même peuple,
00:29:48 "mais ils ont été drogués
00:29:50 "par le Reich LGBT,
00:29:53 "qui les utilise à son avantage."
00:29:55 Alors, arrêtons-nous à cette expression,
00:29:58 le Reich LGBT.
00:30:00 C'est complètement dingue.
00:30:02 Et finalement, ça fonctionne,
00:30:04 moi, sur une partie du public russe.
00:30:07 Et, je le répète, ce qui m'inquiète,
00:30:10 c'est que, non pas seulement que Poutine soit un idéologue,
00:30:16 mais qu'il semble lui-même intoxiqué
00:30:18 par sa propre idéologie.
00:30:20 L'idéologie, c'est un mensonge.
00:30:21 Mais si le menteur ne sait même plus qu'il ment
00:30:24 et s'installe lui-même dans cette réalité parallèle,
00:30:27 il y a de quoi avoir peur.
00:30:28 Mais là, il y a une question que je voudrais vous poser à tous deux.
00:30:32 Vous en savez plus long que moi sur ce conflit.
00:30:35 En France,
00:30:37 beaucoup de ceux qui refusent de prendre le parti de l'Ukraine
00:30:42 ont un argument.
00:30:44 Tout ça, c'est quand même la faute de l'Ukraine,
00:30:47 parce qu'elle n'a pas respecté les accords de Minsk.
00:30:52 Et c'est ça, en fait,
00:30:54 qui a presque condamné Poutine à l'intervention.
00:30:57 Les accords de Minsk,
00:30:59 entre les régions séparatistes et l'Ukraine.
00:31:02 Donc, les russophones étaient menacés,
00:31:05 la Russie est intervenue.
00:31:08 Quelle est la vraisemblance,
00:31:13 quelle est la force de cet argument ?
00:31:15 J'aimerais qu'on y réponde.
00:31:18 -C'est un argument complètement tiré par les cheveux.
00:31:21 Je crois que, d'abord,
00:31:24 les accords de Minsk arrivent à un moment
00:31:27 où il y a déjà
00:31:29 une grande annexion qui se fait,
00:31:33 en Crimée.
00:31:34 Et donc, je veux dire,
00:31:36 c'est ensuite la tentative
00:31:39 des Allemands et des Français,
00:31:42 oui, d'ouvrir une sorte de dialogue
00:31:45 entre Kiev et Moscou.
00:31:48 A mon avis, d'ailleurs, on a commis une erreur,
00:31:50 à l'époque, français et allemand,
00:31:52 on aurait mieux fait de faire participer
00:31:55 l'Union européenne dans sa totalité.
00:31:59 D'ailleurs, les Polonais l'ont très mal pris, à l'époque.
00:32:03 Et donc, je ne crois pas que l'on puisse...
00:32:06 Enfin, je veux dire, les accords de Minsk arrivent
00:32:09 à un moment où le dessein annexionniste de la Russie
00:32:13 est déjà là.
00:32:14 Donc, je trouve que c'est un argument
00:32:16 complètement fallacieux
00:32:19 et, pour moi, totalement inacceptable.
00:32:22 -Vyacheslav... -C'est un sujet hyper complexe.
00:32:26 Hyper complexe, les accords de Minsk, si vous voulez.
00:32:30 En fait, ce qu'on constate...
00:32:31 Les Ukrainiens ont signé ces accords
00:32:34 dans un moment d'extrême faiblesse,
00:32:36 lorsque leur armée était attaquée par l'armée russe,
00:32:40 pas par des milices séparatistes.
00:32:42 -Les Russes qui ont attaqué. -Les Russes qui ont attaqué.
00:32:45 Et pour, globalement, sauver cette armée-là,
00:32:48 ils ont signé ces accords de Minsk, d'accord,
00:32:52 qui, voilà, qui leur donnaient une petite pause
00:32:56 pour respirer, etc.
00:32:58 Donc, ça, c'est la première chose.
00:33:00 Ce ne sont même pas les accords de Minsk,
00:33:02 non l'application des accords de Minsk,
00:33:04 qui a surtout avancé Poutine.
00:33:07 C'est l'histoire que...
00:33:08 En fait, il y a une question comme ça.
00:33:10 "Qu'avez-vous fait pendant huit ans ?"
00:33:13 C'est ça, ce que les Russes disent
00:33:15 pour justifier l'invasion de l'Ukraine.
00:33:18 Ils disent que pendant huit ans,
00:33:20 les Ukrainiens ont bombardé, en fait,
00:33:22 les populations civiles, d'accord,
00:33:24 et donc, pour arrêter ce bombardement,
00:33:28 il fallait intervenir.
00:33:29 Une autre chose, très intéressante, juste...
00:33:32 Il faut parler du conflit de Nagorno-Karabakh,
00:33:34 d'accord, qui est très lié aux accords de Minsk,
00:33:37 parce qu'en fait, il faut quand même dire
00:33:39 que pendant ces huit ans,
00:33:41 l'armée ukrainienne s'est renforcée.
00:33:43 Les Russes ont bien compris... -Aux aides des Occidentaux.
00:33:46 -Bien entendu, mais aussi avec leurs propres efforts,
00:33:49 parce que les armes ne nous donnent pas tout.
00:33:52 Je parle de ce conflit armé non azéri
00:33:54 juste avant la guerre en Ukraine.
00:33:57 Donc, il y avait des informations complètement fausses
00:34:00 qui circulaient un peu partout,
00:34:02 comme quoi les Ukrainiens, ce serait...
00:34:04 Euh... Voilà.
00:34:06 Ils vont s'inspirer de la solution azérie
00:34:10 par rapport à l'Arménie,
00:34:12 et ils vont prendre les armes,
00:34:13 ils vont régler ce problème-là sans respecter les accords,
00:34:16 ce qui est complètement faux.
00:34:18 C'est pas du tout confirmé.
00:34:20 Une dernière chose aussi par rapport à ces histoires
00:34:23 des accords de Minsk, on peut parler pendant trois heures.
00:34:26 En fait, Zelensky a été élu
00:34:29 sur un programme très, très pragmatique et réel
00:34:34 de mettre en oeuvre les accords de Minsk.
00:34:36 Il est venu à Paris avec notre président Macron.
00:34:40 Il a essayé d'avancer,
00:34:42 et normalement, c'était la Russie
00:34:45 qui a bloqué l'application des accords de Minsk.
00:34:48 Voilà, ce qu'il faut quand même dire.
00:34:50 -Très important, en effet.
00:34:52 Et alors, une aussi des autres raisons
00:34:56 pour lesquelles ce conflit me concerne et même m'obsède,
00:35:02 j'ai lu avec profit, il y a quelque temps,
00:35:07 le livre testamentaire de Vassily Grossman, "Tout passe",
00:35:12 roman essai absolument extraordinaire.
00:35:16 Il s'interroge sur le destin de la Russie.
00:35:19 Et il dit qu'en Occident,
00:35:22 il y a eu connexion du progrès et de la liberté.
00:35:26 La Russie, c'est la connexion du progrès et de la servitude.
00:35:31 Lénine a voulu mettre fin à cette malédiction.
00:35:37 Et en fait, il l'a renforcée.
00:35:39 Et avec Poutine, ça continue.
00:35:42 Et même, ça s'aggrave.
00:35:44 Parce que l'une des raisons
00:35:47 pour lesquelles cette guerre est populaire
00:35:52 dans certaines franges de la nation russe,
00:35:55 c'est qu'elle apparaît comme la manifestation de la grandeur.
00:35:58 C'est-à-dire, un peuple qui est condamné
00:36:01 à une certaine misère, à une certaine indigence,
00:36:04 trouve une compensation dans cette guerre.
00:36:09 Tout continue.
00:36:11 La Russie n'arrive pas à sortir de sa propre histoire.
00:36:15 Elle n'arrive pas non plus à se défaire de la forme de l'Empire.
00:36:19 Et c'est ça qui fait...
00:36:20 Et il y a, aujourd'hui comme hier,
00:36:24 des glorieux dissidents.
00:36:26 On retrouve des dissidents.
00:36:29 Et il y en a un, d'ailleurs,
00:36:30 qui est extraordinairement impressionnant,
00:36:33 qui s'appelle Karamurza, je crois, si je ne me trompe pas.
00:36:36 Il est revenu en Russie,
00:36:39 alors qu'il risquait gros,
00:36:41 il risquait tellement gros qu'il a été condamné
00:36:44 à 25 ans de prison en régime sévère.
00:36:47 Et j'ai vu, un jour, à la télévision,
00:36:50 son épouse, qui vit à Strasbourg.
00:36:53 Elle était absolument inouïe, absolument extraordinaire.
00:36:57 C'est une femme vraiment qu'il faut soutenir,
00:37:00 qu'il faut aider,
00:37:02 parce que, voilà, ils sont peut-être...
00:37:04 Ce sont les héros de la Russie contemporaine,
00:37:07 lui, Navalny et quelques autres,
00:37:09 et les gens de l'association Mémorial
00:37:14 ou le cercle Sakharov,
00:37:16 tout ça qui a été aboli par Poutine.
00:37:18 C'est ces Russes-là qu'il faut aider,
00:37:22 qu'il faut soutenir
00:37:24 de toute notre âme et de toutes nos forces.
00:37:27 -Voilà. Je voulais réagir
00:37:29 par rapport à cette histoire de l'alliance
00:37:32 entre la modernité et l'esclavitude moderne,
00:37:36 le refus de la démocratie et tout ça.
00:37:39 En fait, il y a un discours programmatique
00:37:43 qui a été fait par Listras,
00:37:45 ancienne Premier ministre,
00:37:48 lorsqu'elle était ministre de la Défense britannique,
00:37:51 où elle a passé un message très important.
00:37:53 En fait, on était complètement aveugles en Occident.
00:37:57 On était très attirés par ce grand marché,
00:38:00 comme aussi par le marché chinois,
00:38:02 et on pensait qu'on a passé un deal
00:38:04 avec les Russes et les Chinois,
00:38:06 on leur donnait la technologie,
00:38:08 on gagnait de l'argent,
00:38:09 et en même temps, on glissait la démocratie entre les deux.
00:38:12 Le commerce, la démocratie,
00:38:15 la technologie va résoudre les problèmes, etc.
00:38:19 Et ce qui s'est passé,
00:38:20 on leur a donné la technologie meurtrière,
00:38:23 qu'ils utilisent aujourd'hui,
00:38:26 précisément dans cette guerre-là.
00:38:27 Elle dit qu'on était tout faux.
00:38:30 Ce qui se passe aujourd'hui, il faut le rappeler,
00:38:33 parce que c'est très visible.
00:38:35 Vous savez, avec l'Ukraine, la Russie et l'Occident,
00:38:39 qui commencent à s'isoler de la Russie,
00:38:41 c'est une grande déchirure au niveau mondial.
00:38:45 C'est une partie de la démondialisation
00:38:47 qui s'opère, mais il ne faut pas oublier
00:38:49 que la même chose se passe avec la Chine.
00:38:52 On revient, on peut...
00:38:53 En fait, on a donné les capacités à nous nuire,
00:38:57 à un pays qu'on considérait comme partenaire,
00:39:02 et c'est retrouvé un autre ennemi quasi mortel aujourd'hui.
00:39:05 C'est assez dangereux.
00:39:07 -Mais un ennemi quasi mortel
00:39:09 qui n'est pas si bien organisé militairement que cela,
00:39:13 et ça, c'est quand même un point aussi qu'il faut souligner.
00:39:16 Je pense qu'on se rend compte
00:39:18 qu'il y a une faiblesse aussi russe
00:39:23 qui est absolument évidente.
00:39:26 Rappelez-vous ce qu'on disait dès le début de la guerre.
00:39:29 On disait en trois jours qu'ils allaient être sur Kiev, etc.
00:39:33 Non, c'est pas du tout comme ça que les choses se sont passées.
00:39:36 Et ça, je pense qu'on a une assez grande continuité,
00:39:39 même avec la période de la guerre froide.
00:39:41 Y compris dans la guerre froide,
00:39:43 on a vraisemblablement surestimé les capacités militaires.
00:39:48 A l'époque, ce n'était pas seulement l'Union soviétique,
00:39:51 c'était le bloc de l'Est.
00:39:53 Quand tout ça s'est écoulé, on s'est rendu compte
00:39:56 que les matériels, les systèmes de transmission, etc.,
00:40:00 étaient quand même très obsolètes et très faibles.
00:40:04 -Pardonnez-moi, mais c'était les faucons américains
00:40:07 qui avaient intérêt à l'époque à surestimer la puissance soviétique.
00:40:12 -Ca justifiait les budgets qu'on votait pour l'armement.
00:40:15 Et puis, une fois qu'il y a eu la fin de la guerre froide
00:40:18 et la fin de l'URSS, le budget militaire de la Russie,
00:40:22 y compris de Poutine, est dérisoire
00:40:24 par rapport au budget militaire de l'OTAN.
00:40:26 -Et de la Chine. -Et de la Chine.
00:40:29 De toute façon, ils ne peuvent pas rivaliser d'aucune manière.
00:40:32 C'est pas étonnant. Et puis, au moment de l'invasion de l'Ukraine,
00:40:36 il y a très peu d'hommes qui sont...
00:40:39 C'est les forces les plus d'élite.
00:40:42 Mais ils sont très peu nombreux. -Forces d'élite...
00:40:45 -Beaucoup moins de soldats ont été envoyés en Ukraine
00:40:48 qu'il y en avait eu au moment du printemps de Prague,
00:40:51 envoyés en Tchécoslovaquie. -Oui, et surtout
00:40:54 avec un manque cruel de sous-officiers,
00:40:57 pas d'officiers subalternes non plus,
00:40:59 donc un rapport direct des officiers supérieurs
00:41:03 avec la troupe qui a été assez catastrophique.
00:41:06 Donc, moi, je ne surestimerais pas
00:41:09 les capacités militaires de la Russie,
00:41:13 sauf que la Russie a l'arme atomique.
00:41:16 Et le fait d'avoir brandi à nouveau
00:41:20 la possibilité d'utiliser les armes nucléaires tactiques,
00:41:25 ça, je trouve que c'est très grave, parce que...
00:41:29 -Oui, c'est très grave. -Très, très grave.
00:41:31 -Je voulais juste faire... -Pardon, je vais juste faire
00:41:34 une autre chose. La première fois qu'on a parlé
00:41:37 d'utiliser l'arme nucléaire, c'est toujours été du bluff.
00:41:40 A part les deux fois où les Américains ont utilisé
00:41:42 contre les Japonais, depuis, ça a toujours été du bluff.
00:41:45 Est-ce que ça n'est pas la fonction même
00:41:48 de l'arme nucléaire que d'être utilisée pour bluffer,
00:41:51 en tant que menace, et jamais autre chose ?
00:41:54 -Avant de revenir sur les armes nucléaires,
00:41:56 je voulais juste rappeler que, en fait,
00:41:59 sur le plan technologique, les Soviétiques,
00:42:01 puis les Russes, ont été toujours très dépendants de l'Occident.
00:42:06 Ils n'ont pas inventé les chars.
00:42:09 Les chars, c'était les Américains en 1929.
00:42:12 C'est les Américains qui ont vendu, je vais dire,
00:42:15 un prototype de char qui, après, a été utilisé
00:42:18 pendant la Seconde Guerre mondiale.
00:42:20 Les missiles, c'est pareil. Les armes nucléaires,
00:42:22 ça vient quand même tout de l'Occident.
00:42:25 On a tout fourni. -Ils en ont fabriqué
00:42:27 quelques-uns, quand même, pendant la Seconde Guerre mondiale.
00:42:30 -Les chars, oui. -Les chars, les avions...
00:42:33 -Mais c'était pas, on va dire, les chars
00:42:36 qu'ils ont inventés eux-mêmes.
00:42:38 Je le rappelle, 1929, 1930, c'était les Américains,
00:42:41 pendant la fameuse crise de 1929.
00:42:44 Ils ont ouvert là-bas les usines, etc.
00:42:47 C'était... Ils ont vendu des prototypes
00:42:50 qui ont été, par la suite, utilisés par les Russes.
00:42:53 Ils n'ont pas inventé les chars, par exemple,
00:42:56 ou même d'autres choses. -C'est les Anglais
00:42:58 qui ont inventé les chars. -Oui, exactement.
00:43:01 -Tous les autres,
00:43:02 personne d'autre n'a inventé les chars que les Anglais.
00:43:05 Oui, Alain Finkielkraut ? -Alors...
00:43:08 Vous parliez de l'invasion
00:43:10 de la Tchécoslovaquie.
00:43:12 Eh bien, ça me rappelle un entretien
00:43:17 que Kundera a donné à Philippe Rott
00:43:19 dans les années 80.
00:43:21 Les années 80, donc...
00:43:23 Et il dit ceci,
00:43:25 "Après l'invasion russe en 1968,
00:43:28 "toute Tchèque a dû faire face à l'idée
00:43:31 "que sa nation pouvait être effacée de l'Europe
00:43:34 "sans faire plus de vagues,
00:43:36 "écoutez bien, que 40 millions d'Ukrainiens
00:43:40 "qui ont disparu au cours des cinq dernières décennies
00:43:44 "dans les différents générales."
00:43:46 Et maintenant, les Ukrainiens veulent réapparaître.
00:43:49 C'est l'enjeu existentiel de cette guerre pour eux.
00:43:52 Voilà pourquoi ils se tournent vers l'Europe,
00:43:54 pourquoi ils veulent adhérer absolument à l'UE.
00:43:58 Ils ne veulent pas être absorbés dans la Russie.
00:44:02 On ne peut que les comprendre.
00:44:04 Mais là, la question que je voudrais poser à nos deux invités,
00:44:07 c'est ceci, c'est comment imaginez-vous
00:44:11 une sortie de la guerre ?
00:44:14 Quelle forme doit-elle prendre ?
00:44:16 Une victoire sur le terrain ?
00:44:18 Quel pourrait être le compromis ?
00:44:21 Et vous avez dit, Frédéric Taddeï,
00:44:26 que c'était du bluff, toujours,
00:44:29 que l'invocation de l'arme nucléaire,
00:44:32 mais là, c'est des armes nucléaires tactiques,
00:44:34 et on peut s'inquiéter de ce que ferait une Russie aux abois.
00:44:38 Voilà les questions que je ne cesse de me poser.
00:44:41 -Oui, et je dirais à juste titre.
00:44:46 Je pense que dans la situation actuelle,
00:44:49 on ne voit pas tellement une sortie de la guerre
00:44:53 qui se ferait par un cessez-le-feu
00:44:56 et des Ukrainiens et des Russes
00:45:00 qui se mettent autour d'une table.
00:45:02 C'est quelque chose qu'on n'imagine pas.
00:45:06 Donc la seule chose qu'on puisse dire pour l'instant,
00:45:10 c'est qu'il y a un premier scénario,
00:45:12 c'est de dire que c'est la victoire militaire
00:45:15 qui, finalement, mettra fin à la guerre.
00:45:19 Et là, si vous interrogez les Tchèques, les Polonais,
00:45:23 ils vous diront qu'il faut que les Ukrainiens gagnent.
00:45:27 Il n'y a pas de choix.
00:45:29 Il n'y a pas de négociation possible.
00:45:32 Il faut une victoire des Ukrainiens.
00:45:34 Continuons les armées.
00:45:35 -Mais jusqu'où ? Le Donbass ? La Crimée ?
00:45:38 -C'est les... Non, non, certainement pas.
00:45:42 Mais c'est le retour aux frontières de 1991.
00:45:45 -Ah, c'est ça. -Donc, y compris...
00:45:48 Y compris la Crimée, annexée plus tard, en 2014.
00:45:52 Et puis, la deuxième solution, qu'on ne peut pas exclure,
00:45:56 c'est que, finalement, on est un grand conflit gelé.
00:45:59 Et qu'on n'est jamais de sortie véritablement de la crise.
00:46:05 -C'est ce que fera Putin, en général.
00:46:07 -Et ça, les Russes... Enfin, Putin sait très bien,
00:46:10 très bien gérer les conflits gelés, vous voyez ?
00:46:13 Donc, qu'est-ce qu'on fait, nous, Occidentaux,
00:46:17 pour essayer, si on est dans cette situation,
00:46:20 d'arriver, quand même, au maximum, l'Ukraine ?
00:46:23 Je vois pas d'autre solution
00:46:24 que de leur permettre d'entrer dans l'UE.
00:46:27 -Donc, des avions ?
00:46:28 -Oui, alors, bien sûr.
00:46:30 Continuer militairement à aider l'Ukraine,
00:46:34 mais aussi l'ancrer politiquement.
00:46:36 C'est-à-dire, c'est l'offre de l'entrée dans l'UE,
00:46:41 qui, à mon avis, va être concrétisée
00:46:44 au mois de décembre prochain, avec le Conseil européen,
00:46:48 où on va, je pense, autoriser l'ouverture
00:46:52 de négociations d'adhésion,
00:46:53 ce qui est très dur pour les anciens Yougoslaves,
00:46:57 pour les Balkaniques, parce qu'eux,
00:46:59 attendent depuis 15 ans.
00:47:00 -Est-ce que vous pensez qu'on soutiendra,
00:47:03 je parle de l'Europe et des Etats-Unis,
00:47:05 les Ukrainiens, s'ils veulent réconquérir la Crimée ?
00:47:08 Je parle même pas d'un changement de majorité
00:47:11 aux Etats-Unis, où on peut se demander,
00:47:13 même si, au cas où les Républicains gagneraient,
00:47:16 on peut se demander,
00:47:17 si on peut réconquérir l'Ukraine,
00:47:19 mais jusqu'en Crimée, ça paraît difficile.
00:47:22 -Je suis d'accord avec ces deux scénarii qui se profilent.
00:47:26 Le premier scénario, la victoire méditaire,
00:47:29 le deuxième, le scénario qu'on appelle coréen,
00:47:32 lorsque les deux parties s'arrêtent...
00:47:34 -C'est Michel Duplot qui avait dit ça.
00:47:37 -Les deux parties s'arrêtent sans conclure un accord,
00:47:40 et à un certain moment, la guerre se termine
00:47:42 sur la ligne du front.
00:47:44 Il y a une grande question qui se pose.
00:47:46 Quel est le scénario plus profitable à nous ?
00:47:48 Je parle de l'Union européenne.
00:47:50 C'est une grande question qui se pose.
00:47:53 Donc, la première chose, les Ukrainiens,
00:47:55 ils ont exprimé ça d'une manière très claire,
00:47:58 très nette, ils veulent revenir aux frontières de 1991.
00:48:01 Ce qui leur empêche de le faire,
00:48:03 ce ne sont pas les hommes,
00:48:05 parce qu'ils ont une armée motivée,
00:48:07 une armée aguerrie, d'accord,
00:48:09 qui a même une expérience, on va dire,
00:48:12 meilleure que l'armée russe.
00:48:14 Bon, quand même, disons que les Russes
00:48:16 commencent aussi à faire la guerre,
00:48:18 et on voit quand même que la ligne du front
00:48:21 est très, très stable.
00:48:22 Rappelons-le que, en fait, c'est la livraison
00:48:25 d'I-Mars, je ne sais pas comment on appelle ces missiles,
00:48:28 qui a arrêté la progression russe,
00:48:30 l'année dernière, il y a un an, à peu près.
00:48:33 Donc, les Ukrainiens, ils demandent des armes,
00:48:36 et beaucoup d'armes, d'accord ?
00:48:38 Et c'est ça, ce qui leur...
00:48:39 C'est ça qui peut leur...
00:48:41 C'est ça qui peut leur permettre de gagner cette guerre-là,
00:48:45 et là, c'est la volonté politique de l'Union européenne,
00:48:48 mais surtout des Etats-Unis,
00:48:50 qui possèdent ce stock d'armes, de les livrer.
00:48:52 Je crois que l'intérêt majeur de l'Union européenne,
00:48:55 c'est de terminer cette guerre le plus vite possible.
00:48:59 Plus la guerre continue, plus il y a de la souffrance.
00:49:02 Je voulais juste partager les statistiques,
00:49:04 qui sont très tristes.
00:49:06 On n'a pas de chiffre exact du mort de deux côtés, d'accord ?
00:49:09 On n'a pas de chiffre exact du nombre de blessés,
00:49:12 civils et militaires confondus.
00:49:14 Il y en a 200 000, blessés, ukrainiens.
00:49:17 Il y a à peu près 20 000 blessés civils,
00:49:19 et tous les autres sont militaires.
00:49:22 Sur ces 200 000, il y en a 50 000 amputés.
00:49:25 -Hum ! -50 000.
00:49:27 C'est horrible, quand même.
00:49:28 Et plus, on va durer cette guerre-là
00:49:31 pour des conséquences politiques.
00:49:33 Disons-le clairement, aux Etats-Unis,
00:49:35 en fait, ils ont peur de l'effondrement de la Russie.
00:49:38 Ils ont peur.
00:49:39 Ils se sont déjà habitués à Poutine.
00:49:42 Voilà, on peut négocier, etc.
00:49:44 On peut trouver un arrangement, etc.
00:49:46 En fait, concernant les négociations,
00:49:48 les négociations continuent, d'accord ?
00:49:51 Même entre les Ukrainiens et les Russes,
00:49:53 il y a l'échange de ceux des prisonniers de guerre, etc.
00:49:57 Et même, il y a des négociations,
00:49:59 ce qui continue aussi entre les Etats-Unis et la Russie.
00:50:02 Ça continue. Il y a des messages qui sont passés
00:50:05 précisément pour dissuader les Russes
00:50:07 d'utiliser les armes nucléaires.
00:50:09 Et apparemment, cette option a été présente
00:50:12 au mois de septembre de l'année dernière.
00:50:14 C'était Poutine qui a essayé de la pousser.
00:50:17 Et finalement, il a été, finalement, dissuadé.
00:50:20 Parce que l'utilisation de ces armes
00:50:22 sera nuisible non seulement pour les Ukrainiens,
00:50:25 mais aussi pour l'armée russe, qui est sur le front.
00:50:28 Il n'y a aucune utilité de les utiliser.
00:50:30 Donc là, il faut se calmer, parce que les Ukrainiens sont calmés.
00:50:34 Et les utilisations des armes, qui ne sont pas tactiques,
00:50:37 des armes nucléaires, à mon avis, c'est exclu.
00:50:40 Ils comprennent ça très bien.
00:50:42 Là, il faut quand même se limiter à un conflit conventionnel.
00:50:45 Il faut fournir aux Ukrainiens des armes conventionnelles
00:50:49 pour leur laisser la possibilité de gagner cette guerre
00:50:52 sur le plan militaire. -Sur le plan militaire,
00:50:55 pardonnez-moi, mais c'est la guerre de 14
00:50:57 à laquelle on assiste. -Oui.
00:50:59 -Et d'ailleurs, sans tellement d'avions.
00:51:02 Donc ça ressemble à la guerre de 14,
00:51:04 et ça pourrait durer aussi longtemps.
00:51:06 On a l'impression qu'ils grignotent km² par km².
00:51:09 -Mais précisément, en fait, ils grignotent ces km²
00:51:12 parce qu'ils n'ont pas d'avions.
00:51:14 Les Ukrainiens, dès le début, avaient un nombre limité d'avions
00:51:17 qui disparaissait. C'est normal, car pendant la guerre,
00:51:20 on perd des avions. Ils n'ont pas de nouveaux.
00:51:23 Ils ont obtenu des avions ex-soviétiques.
00:51:25 Là, ils ont besoin de 300 F-16, à peu près.
00:51:28 D'accord ? On aura peut-être quelques dizaines
00:51:31 à partir du mois de janvier.
00:51:33 Donc ça va prolonger la guerre encore de plus en plus,
00:51:36 de plus en plus, et ça va quand même peser aussi sur nous.
00:51:39 En fait, terminer la guerre le plus vite possible,
00:51:42 c'est dans le meilleur intérêt de l'Union européenne,
00:51:45 de l'OTAN et des Etats-Unis.
00:51:47 -Un petit mot sur votre parallèle avec la guerre de 14.
00:51:53 Ce qui a mis fin à la guerre de 14,
00:51:55 c'était l'écroulement des empires.
00:51:57 Donc vous comprenez aussi
00:52:01 pourquoi en Europe centrale en particulier,
00:52:04 je sais qu'Alain Finkielkraut est très sensible
00:52:08 à la pensée de cette région,
00:52:10 on vous dit qu'il faut que la Russie,
00:52:13 en tant qu'empire, s'écroule.
00:52:15 Alors on dit, oui, mais alors c'est quoi le...
00:52:17 Parce que ça, c'est une grande différence avec nous.
00:52:20 Nous, on dit que l'empire ne s'écroulera jamais,
00:52:23 parce que ça fait partie de l'histoire russe, etc.
00:52:26 Et les Polonais répondent,
00:52:28 oui, il faut que ça devienne un État-nation normal.
00:52:31 Et...
00:52:32 Oui, je comprends le parallèle,
00:52:37 et je ne suis pas sûr que c'est ce qui va arriver.
00:52:40 -Mais alors, justement, j'ai une dernière interrogation.
00:52:44 Si Poutine s'enlise,
00:52:47 s'il connaît la défaite,
00:52:50 même si ce n'est pas une défaite totale,
00:52:52 est-ce qu'on peut espérer
00:52:56 une révolution démocratique
00:52:59 qui brise la malédiction de l'histoire russe,
00:53:01 un Maïdan russe ?
00:53:03 Un Maïdan russe, où d'un coup,
00:53:05 on verrait réapparaître
00:53:07 Ferramuza et d'autres ?
00:53:08 Ou est-ce que c'est du domaine de l'impossible ?
00:53:11 -Il nous reste 30 secondes.
00:53:12 -Ecoutez, c'est lié, à mon avis,
00:53:17 à ce que la sociologue tchèque
00:53:21 Irina Shiklova appelait "la zone grise".
00:53:24 Vous savez, dans les sociétés totalitaires,
00:53:27 il y a toujours ceux qui sont au milieu,
00:53:29 qui attendent, etc.
00:53:31 Et dans le fond,
00:53:33 c'est ceux-là qui pourraient faire cette révolution.
00:53:37 Voilà. -Juste un mot.
00:53:38 -Je suis très optimiste.
00:53:40 Il y aura cette révolution un jour.
00:53:42 Il faut rester optimiste.
00:53:44 -Je vous remercie tous les deux d'avoir participé à cette émission.
00:53:48 Ca va être le rappel des titres Simon Guillain.
00:53:50 Après, on va s'intéresser au clivage droite-gauche
00:53:53 avec Jean-Numa Ducange et Laetitia Riz,
00:53:56 qui vont nous rejoindre dans un instant.
00:53:58 -Merci beaucoup.
00:53:59 -C'est très intéressant.
00:54:01 -Face à la pression migratoire sur l'île de Lampedusa,
00:54:04 Georgia Meloni et Ursula von der Leyen
00:54:07 se sont rendues sur place ce dimanche.
00:54:09 La présidente de la Commission européenne
00:54:11 propose un plan d'urgence en 10 points pour aider l'Italie.
00:54:15 Il vise à mieux répartir les migrants
00:54:17 entre les pays européens,
00:54:19 faciliter les retours et prévenir les arrivées.
00:54:22 Dispositif de sécurité renforcée à Marseille.
00:54:25 50 000 policiers et agents sont mobilisés
00:54:27 pour la venue du pape François,
00:54:29 le souverain pontife attendu les 22 et 23 septembre
00:54:32 dans la cité phocéenne.
00:54:33 57 000 personnes sont attendues
00:54:35 pour assister à la messe que donnera le pape François.
00:54:38 Un événement qui sera à suivre samedi sur CNews,
00:54:41 émission spéciale présentée par Emmerich pour Bay.
00:54:44 Pour faire face à la hausse du prix des carburants,
00:54:47 les distributeurs pourront vendre leur essence à perte
00:54:50 pendant quelques mois.
00:54:52 Le ministre Elizabeth Borne, alors que la vente à perte
00:54:55 est interdite par la loi depuis 1963.
00:54:57 ...
00:55:04 -Bienvenue. Si vous nous rejoignez,
00:55:06 les visiteurs du soir, c'est de 22h jusqu'à minuit.
00:55:09 Alain Finkielkraut est notre invité fil rouge ce soir.
00:55:12 Laetitia Rys, la rédactrice en chef du média en ligne "Le Vent",
00:55:17 se lève, nous a rejoints.
00:55:18 On parlera tout à l'heure avec elle de la jeunesse d'aujourd'hui.
00:55:22 On vous intéresse beaucoup.
00:55:24 On accueille également Jean-Numas Ducange,
00:55:26 professeur en histoire contemporaine
00:55:29 à l'université de Rouen.
00:55:30 Vous vouliez parler du clivage droite-gauche.
00:55:33 Voilà un interlocuteur tout indiqué.
00:55:35 Il est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages
00:55:38 sur l'histoire de la gauche.
00:55:39 "Quand la gauche pensait la nation",
00:55:42 il y a aussi "Une histoire globale des socialismes",
00:55:45 du 19e au 21e siècle,
00:55:46 avec Rasmik Kecheyan et Stéphanie Rosa.
00:55:50 Qu'est-ce qui vous intéresse à la FINC
00:55:52 dans l'opposition droite-gauche ?
00:55:54 -Ce qui m'intéresse, c'est de savoir
00:55:58 si cette opposition qui structure la vie politique
00:56:03 est encore pertinente.
00:56:05 Jacques Julliard, à qui il faut rendre hommage,
00:56:09 c'était une très grande figure de l'intelligentsia
00:56:12 et du journalisme, a écrit un livre
00:56:15 sur les gauches françaises.
00:56:18 Il dit que la gauche,
00:56:20 c'est la rencontre de deux grandes idées,
00:56:24 le progrès et la justice.
00:56:26 Mais qu'en est-il aujourd'hui du progrès ?
00:56:31 Le progrès, c'était la possibilité pour l'homme
00:56:34 de se rendre comme maître et possesseur de la nature,
00:56:39 pour parler le langage Descartes,
00:56:41 afin de soulager la condition des hommes.
00:56:45 Une science qui devenait une science pratique.
00:56:49 Mais voilà.
00:56:50 Et donc, Victor Hugo l'a dit en termes lyriques,
00:56:53 "Tout borne l'homme, mais rien ne l'arrête,
00:56:56 "à la limite, il réplique par l'enjambé."
00:57:00 Seulement, voilà, le progrès, maître et possesseur,
00:57:05 est devenu un processus immétrisable
00:57:09 et se pose à des modernes qui n'en peuvent mais,
00:57:12 parce qu'ils n'ont pas été construits comme ça,
00:57:15 la question des limites.
00:57:17 La question des limites.
00:57:19 Comment trouver des limites ?
00:57:21 On n'y arrive pas.
00:57:23 On cherche à y arriver pour sauver quelque chose de notre nom.
00:57:27 Donc, il y a une nouvelle urgence qui s'offre à tous, justement,
00:57:32 celle d'être, dans certains domaines, du moins, conservateurs.
00:57:37 Conservateurs, oui.
00:57:38 L'écologie, si on réfléchit 30 secondes,
00:57:42 c'est cette exigence de conservation,
00:57:45 très bien exprimée par Hans Jonas.
00:57:47 On passe du principe espérance, on va toujours plus loin,
00:57:51 au principe responsabilité.
00:57:53 Nous devons répondre de la nature,
00:57:57 répondre de la terre
00:57:59 et sans doute aussi de la beauté du monde.
00:58:02 Mais alors, j'ajoute aussi...
00:58:03 Donc, ça, c'est quand même...
00:58:05 Ça nous met en porte-à-faux
00:58:06 avec notre propre héritage politique et philosophique.
00:58:12 Et j'ajoute...
00:58:14 Alors, pour, justement, réfléchir encore avec Jacques Julliard,
00:58:20 Jacques Julliard, on considère, dans certains cercles,
00:58:24 qu'il est devenu réac à la fin de sa vie.
00:58:27 Il faisait de la Deuxième Gauche, il était rocardien,
00:58:30 il a milité à la CFDT,
00:58:32 il a été le grand hétéroriste du Nouvelle Europe sanitaire.
00:58:35 Tout d'un coup, il a des chroniques au Figaro.
00:58:39 Et puis, il est réac,
00:58:42 sinon pire, sinon d'extrême droite, disent certains.
00:58:46 Mais que répondait Julliard ?
00:58:48 Il disait que la gauche a abandonné à la droite
00:58:53 certains de ses principes fondateurs.
00:58:57 La nation, la laïcité,
00:59:00 on l'a vu tout à l'heure avec la Baïa,
00:59:03 la sécurité,
00:59:05 et l'école, l'école, si vous voulez.
00:59:08 Aujourd'hui, l'élitisme...
00:59:10 Quand on dit que le ministre de l'Éducation
00:59:14 veut réintroduire l'autorité à l'école
00:59:19 et les savoirs fondamentaux,
00:59:21 on vous explique dans la bonne presse
00:59:24 que c'est pour séduire la droite.
00:59:27 L'autorité à l'école, c'est pour séduire la droite.
00:59:29 Les savoirs fondamentaux, c'est pour séduire la droite.
00:59:32 Un homme de gauche normalement constitué
00:59:34 devrait s'arracher les cheveux,
00:59:36 tout pour la gauche, passer par l'école,
00:59:39 mais toute une gauche a voulu faire la critique de la méritocratie.
00:59:44 On en parlera sans doute tout à l'heure.
00:59:46 Ce sont toutes les questions que je me pose
00:59:50 parce que je m'interroge sur la pertinence de ce clivage.
00:59:54 -Jean-Denis Maducange, les valeurs de gauche ont-elles changé ?
00:59:58 -Pour vous ?
00:59:59 -Une des grandes valeurs de gauche, dont on n'a pas encore parlé,
01:00:02 c'est la question sociale.
01:00:04 Bien sûr qu'il y a la justice, le progrès.
01:00:06 -C'est la justice sociale.
01:00:08 -Le mot n'a pas été prononcé.
01:00:10 La question sociale a été clivante entre la gauche et la droite
01:00:13 pendant des décennies.
01:00:15 Même si on remonte au XIXe siècle,
01:00:17 si on devait donner une définition élémentaire de la gauche,
01:00:20 ce serait l'idée que face au développement du capitalisme,
01:00:23 de l'industrialisation,
01:00:25 et des nombreuses inégalités sociales
01:00:27 qui ont été générées par cette industrialisation,
01:00:30 il faut une amélioration du genre humain.
01:00:32 Et donc, quand on parle du clivage gauche-droite aujourd'hui,
01:00:36 qui est brouillé sur un certain nombre de sujets,
01:00:38 c'est tout à fait juste,
01:00:40 je crois qu'il faut rappeler quand même
01:00:42 que sur la question sociale,
01:00:44 il y a encore des lignes de clivage fondamentales.
01:00:47 Nous sommes en 2023.
01:00:48 Parmi les grands thèmes qui ont structuré l'actualité,
01:00:51 il y a cette fameuse question des retraites.
01:00:54 Et qui a organisé ces grandes manifestations
01:00:56 contre la réforme des retraites ?
01:00:59 Je suis au courant que ça n'a pas abouti,
01:01:01 mais ça a mobilisé beaucoup de monde.
01:01:03 Ce qui était différent d'autres mobilisations syndicales,
01:01:06 c'est que dans les petites et moyennes villes,
01:01:09 il y avait souvent des mobilisations importantes.
01:01:12 Il y a un milieu social structuré par les syndicats
01:01:15 ou en sympathie avec eux,
01:01:16 les syndicats qui sont messieurs de la gauche,
01:01:19 qui existent.
01:01:20 Je suis toujours un peu chiffonné
01:01:22 quand on avance l'idée que la gauche a abandonné la nation.
01:01:25 Mais si on parle de tout ça,
01:01:27 il faut réinsérer le social au cœur du problème.
01:01:30 Parce que, finalement, un des grands clivages...
01:01:32 On ne parle plus de classe sociale,
01:01:34 on parlait des luttes de classe
01:01:36 sans même mettre de guillemets,
01:01:38 encore il y a 30 ou 40 ans.
01:01:40 Si on veut parler de ce clivage-là,
01:01:42 ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas discuter des limites.
01:01:45 La question sociale au XIXe siècle,
01:01:47 c'est mettre des limites au capitalisme,
01:01:49 à l'exploitation.
01:01:50 Cette question des limites ne se pose pas depuis 10 ou 15 ans.
01:01:54 Je crois que c'est ça qu'il faut avoir en tête.
01:01:57 C'est un des éléments du débat qu'il faut remettre là.
01:02:00 Sinon, on a l'impression que le social a disparu
01:02:03 ou qu'il a été abandonné à la droite ou à l'extrême droite.
01:02:06 Non, on a vu dans la séquence ces derniers mois
01:02:09 qu'il y avait des choses issues de l'histoire du mouvement ouvrier,
01:02:13 du socialisme, même si on n'emploie plus ces mots-là,
01:02:16 qui demeurent des éléments structurants.
01:02:18 Il y avait 70-80 % des Français
01:02:20 qui étaient en solidarité avec ce mouvement.
01:02:23 On était d'accord avec la CGT, bien sûr.
01:02:25 Mais ça montre que ce clivage-là existe encore.
01:02:30 Me semble-t-il.
01:02:32 J'en ai pas entendu parler pour l'instant,
01:02:35 mais on va en parler maintenant.
01:02:37 -Non, mais là encore,
01:02:38 ce clivage s'est déplacé et a changé
01:02:43 parce que ceux qui, aujourd'hui,
01:02:47 défendent la réforme des retraites
01:02:51 ne le font pas au nom d'une classe de riches
01:02:55 qui voudrait s'enrichir toujours davantage
01:02:58 au détriment des classes laborieuses.
01:03:01 Ils le font pour sauver un système de retraite
01:03:06 par répartition.
01:03:08 Parce que l'alternative à la répartition,
01:03:11 c'est la capitalisation.
01:03:13 Et je pense qu'on y viendra un jour ou l'autre, malheureusement.
01:03:16 Donc, sauver notre système de retraite,
01:03:19 ça demande peut-être un certain nombre d'efforts,
01:03:23 d'autant, il est vrai,
01:03:25 qu'il y a un allongement de la durée de la vie.
01:03:29 On peut penser qu'avec un allongement de la durée de la vie,
01:03:33 un allongement de la durée du travail
01:03:35 n'est pas scandaleux
01:03:37 et ne relève pas de l'exploitation d'une classe par une autre.
01:03:42 Il y a une gauche mendéciste,
01:03:45 hérocardienne, qui pensait en ces termes.
01:03:49 Je veux bien que ce soit un clivage important,
01:03:52 mais il n'oppose pas
01:03:55 les privilégiés
01:03:58 à ceux qui triment.
01:04:00 Je crois que la question est de se savoir,
01:04:03 et tout le monde se la pose,
01:04:06 comment sauver notre système de répartition.
01:04:10 Et je remarque qu'il y a aussi une surenchère
01:04:14 de l'extrême droite sur ce thème,
01:04:16 parce que Marine Le Pen ne craint pas du tout
01:04:19 d'être favorable à la retraite à 60 ans.
01:04:22 Ainsi entend-elle capitaliser
01:04:25 sur un certain mécontentement populaire.
01:04:28 Donc il peut y avoir aussi une part de démagogie
01:04:32 dans cette façon de réfléchir aux choses.
01:04:36 Mais là, vous avez raison, on peut discuter.
01:04:39 Il y a...
01:04:43 Et vous avez raison aussi de dire que la question sociale
01:04:47 ne doit pas être oubliée.
01:04:50 Ce que je remarque,
01:04:51 c'est que la gauche, qui a le vent en poupe aujourd'hui,
01:04:56 se soutient beaucoup moins du social
01:05:00 que du sociétal, comme on dit.
01:05:03 Ce sont les luttes intersectionnelles,
01:05:06 c'est le wokisme,
01:05:09 c'est, chez certains, une critique même de l'intégration,
01:05:14 qui apparaît comme un concept néocolonial.
01:05:19 C'est tout cela.
01:05:21 C'est un antiracisme devenu fou.
01:05:25 Voilà.
01:05:27 Il y a quand même, si vous voulez...
01:05:29 Nous sortons d'un siècle
01:05:34 qui a vécu sous la magie du chiffre 2.
01:05:39 C'est d'ailleurs énoncé très clairement par Paul Nizan
01:05:43 dans ses livres "Les chiens de garde" ou "Aden Arabi".
01:05:47 Il n'y a que deux espèces humaines
01:05:50 qui n'ont que la haine pour lien...
01:05:53 Il y a deux espèces humaines qui n'ont que la haine pour lien...
01:05:55 Qui ont la haine pour lien, pardon, j'y arriverai.
01:05:58 Celles qui écrasent et celles qui ne consentent pas à être écrasées.
01:06:03 Ce chiffre 2 a donné...
01:06:07 est au principe du totalitarisme.
01:06:10 Et je trouve justement
01:06:12 que cette mentalité totalitaire n'a pas disparu.
01:06:17 Et sous l'égide d'un certain antiracisme.
01:06:22 C'est ça que nous vivons aujourd'hui
01:06:24 et qui rend d'ailleurs la situation, notamment intellectuelle,
01:06:28 particulièrement pénible.
01:06:30 Donc je regrette que toute une partie de la gauche
01:06:35 soit ainsi sortie de ses gonds.
01:06:39 Parce qu'en plus, c'est très drôle aujourd'hui.
01:06:41 On vous explique, on le voit très bien,
01:06:43 l'Abaya, c'est islamophobe,
01:06:46 et la protection des frontières même, c'est raciste.
01:06:51 Enfin, il faut naturaliser tout ça, Zimuth,
01:06:56 mais c'est très intéressant. La protection des frontières est raciste.
01:07:00 La technique vous dit une chose, à Edgar, à très bien entrer,
01:07:03 être, c'est être remplaçable.
01:07:05 Et c'est ce que pensent les patrons cyniques,
01:07:08 on remplace, peu importe,
01:07:10 les êtres humains sont interchangeables,
01:07:13 et c'est ce qu'en pensent aussi la gauche compassionnelle
01:07:16 et la gauche antiraciste.
01:07:18 Cette gauche, justement, dont Julia sait désolidariser
01:07:23 et qui ne voulait elle-même plus de lui.
01:07:25 Et c'est cette gauche, moi, qui m'inquiète.
01:07:29 Parce que, quand même, c'est elle qu'on entend,
01:07:32 qui est, si vous voulez, la plus vocale.
01:07:35 C'est la France insoumise, notamment.
01:07:38 Et c'est les écologistes
01:07:40 qui n'ont absolument pas le souci de l'écologie, en réalité.
01:07:44 Est-ce que la gauche est sortie de ses gonds, pour vous, Jean-Noël ?
01:07:47 Le clivage qui consiste à dire
01:07:51 qu'il y a une gauche sociale, une gauche sociétale,
01:07:54 il y a toute une série de divergences depuis quelques années,
01:07:57 c'est absolument juste.
01:07:59 Après, nous aurions eu cette discussion,
01:08:01 il y a un an, au moment de la création de la NUPES,
01:08:04 largement sous l'hégémonie de la France insoumise.
01:08:07 Effectivement, là, on pouvait se demander
01:08:10 quelle voie tout cela prendrait.
01:08:11 Ce que je constate, empiriquement, au-delà du mouvement des retraites,
01:08:15 qui a, à mon avis, un peu changé la donne ces derniers mois,
01:08:17 c'est que vous avez des débats de plus en plus clivés
01:08:22 au sein de la gauche et de ceux qui s'en réclament,
01:08:24 au sein de la coalition NUPES, au sens large,
01:08:26 on n'est pas là pour faire des étiquettes politiques.
01:08:30 Et vous avez des figures qui ont émergé,
01:08:33 même en termes de popularité, quoi qu'on en pense,
01:08:35 comme François Ruffin, Fabien Roussel, etc.,
01:08:38 qui sont plutôt à dire qu'il faudrait, certes,
01:08:43 il faut tenir compte des problématiques antiracistes, écologistes, etc.,
01:08:46 mais que la gauche, ce qui est issu de la gauche,
01:08:49 a eu tendance à oublier une partie des classes populaires.
01:08:53 Et par rapport à ce que vous disiez sur, entre guillemets,
01:08:56 ce que vous appelez la démagogie du Rassemblement national
01:08:58 sur la question des retraites,
01:08:59 une des raisons du fort ancrage populaire électoral
01:09:03 du Rassemblement national, c'est qu'effectivement,
01:09:05 si vous copiez-collez certaines de leurs revendications
01:09:08 à proprement parler, elles ressemblent beaucoup plus
01:09:09 aux revendications syndicales que du temps de Jean-Marie Le Pen, bien sûr.
01:09:13 Mais quand on voit tout cela, on se dit que, si je puis dire,
01:09:16 la partie n'est pas jouée au sein de la gauche,
01:09:18 sur la place du social, sur la façon dont les choses vont se dérouler.
01:09:23 On a de plus en plus des indicateurs.
01:09:26 D'abord, il faut toujours rappeler que la gauche électoralement,
01:09:29 aujourd'hui, tout cumulé représente 30 %.
01:09:32 Si on se projette à la fin des années 70,
01:09:35 quand elle était un peu plus connectée,
01:09:37 si je puis dire, aux valeurs que vous évoquiez tout à l'heure,
01:09:39 elle faisait autour de 45,
01:09:41 elle a même gagné les élections en 80 dans des circonstances particulières,
01:09:43 mais tout de même.
01:09:45 Et donc, on a un socle électoral aujourd'hui qui est assez faible.
01:09:48 Et par contre, toute une série de débats qui sont très ouverts
01:09:51 sur comment pourrions-nous, excusez-moi de la vulgarité,
01:09:54 mais la familiarité du mot, de reconnecter-nous,
01:09:57 essayons de nous reconnecter au social,
01:10:01 à la classe ouvrière, à ce monde ouvrier qui nous a échappé,
01:10:04 qui se sent profondément dépossédé,
01:10:07 et qui, aujourd'hui, est largement, pas uniquement,
01:10:10 mais quand même largement dans les mains du Rassemblement national.
01:10:13 Vous savez, vous avez fait allusion,
01:10:15 j'étais historien du mouvement ouvrier,
01:10:16 ça me marque toujours de savoir que une des villes
01:10:20 où Maurice Thorez a passé son enfance,
01:10:22 quoiqu'on pense de Maurice Thorez,
01:10:23 mais il a été dirigeant du Parti communiste
01:10:25 pendant des dizaines d'années,
01:10:27 à une époque où le Parti communiste
01:10:28 avait beaucoup de membres de la classe ouvrière en son sein,
01:10:31 on peut parler de l'orientation, c'est encore un autre problème,
01:10:33 et Maurice Thorez avait évolué à Beaumont,
01:10:35 qui fusionnera ultérieurement,
01:10:37 qui donnera cette fameuse commune d'Enin-Beaumont,
01:10:39 de vue devenue l'emblème de la conquête du Rassemblement national.
01:10:42 Mais on pourrait analyser longuement les raisons de tout cela,
01:10:46 mais pour moi, c'est un symbole du fait qu'effectivement,
01:10:49 une partie de ce monde populaire et ouvrier,
01:10:51 qui jadis, pas totalement,
01:10:54 il y a toujours eu une partie du monde ouvrier
01:10:56 qui a voté à droite, en plus,
01:10:57 parce que parfois, il y a des fantasmes sur les ouvriers,
01:10:59 ils étaient tous communistes,
01:11:00 mais ce n'est pas que ça n'a jamais existé,
01:11:01 ils étaient très implantés.
01:11:03 – Il y a toute une partie de la bourgeoisie
01:11:04 qui a toujours voté à gauche aussi.
01:11:06 – Aussi, absolument, il existe une bourgeoisie libérale,
01:11:08 d'ailleurs le mot "gauche" lui-même pose problème,
01:11:10 parce que si c'est juste une délimitation parlementaire
01:11:12 avec des valeurs, la gauche, au 19ème siècle,
01:11:15 à un moment donné, ça peut être tout à fait des libéraux,
01:11:17 contre d'autres, il y a des républicains libéraux,
01:11:19 il y a des républicains centristes,
01:11:20 et ils sont de gauche par rapport aux monarchistes,
01:11:22 aux conservateurs, donc on peut retourner les choses.
01:11:24 Mais effectivement, vous aviez un socle quasiment naturel,
01:11:29 solidement implanté, qui pouvait faire l'objet de rivalités
01:11:32 entre socialistes, communistes,
01:11:33 et éventuellement un peu l'extrême gauche,
01:11:35 mais toute une partie de ce monde-là,
01:11:37 effectivement, anciennement industrialisé,
01:11:39 a basculé du côté du rassemblement national.
01:11:41 Et ce qui est intéressant, encore une fois,
01:11:43 à propos de ce clivage gauche-droite, social-pas-social, justice, etc.,
01:11:47 c'est que le rassemblement national, sur la question sociale,
01:11:51 a plutôt fait évoluer son programme,
01:11:53 pour justement conquérir des gens qui, jadis,
01:11:57 étaient acquis à la gauche, et ça, ça doit effectivement interpeller.
01:11:59 Et c'est un peu ce que disent des gens comme Ruffin, aujourd'hui.
01:12:01 - Alors, justement... - Je me sens le kill.
01:12:03 - Je voulais juste préciser, parce que ce que disait
01:12:05 Alain Finkielbaum tout à l'heure, c'est qu'en gros,
01:12:08 sur l'école, sur l'antiracisme, sur la République même,
01:12:15 Alain Finkielbaum a l'air de dire que la gauche
01:12:17 est sortie de ses gonds.
01:12:18 Oublions la question sociale, passons à la question sociétale,
01:12:21 qui a pris beaucoup d'importance aujourd'hui.
01:12:23 Est-ce que vous avez l'impression que cette gauche
01:12:25 est cohérente avec ce qu'elle était,
01:12:27 ou au contraire, elle est partie à la dérive ?
01:12:31 - Je pense... - Il y aurait tendance à penser...
01:12:33 - Moi, je pense qu'une partie de la gauche, effectivement,
01:12:36 ne défend plus véritablement la laïcité,
01:12:38 ça, c'est tout à fait clair,
01:12:40 ou alors a des définitions de la laïcité
01:12:42 tellement à géométrie variable que ce n'est plus de la laïcité.
01:12:45 Et c'est comme le mot "républic"
01:12:46 parce que tout le monde est formellement républicain
01:12:47 dans le champ politique, c'est ça qui est devenu compliqué aussi,
01:12:49 parce que personne ne se dit aujourd'hui antirépublicain.
01:12:51 - Vous étiez. - Tant mieux, bien sûr.
01:12:53 Mais ce qui rend parfois l'analyse des clivages plus compliquée,
01:12:58 parce que vous avez des courants
01:12:59 qui peuvent être issus historiquement de l'extrême droite
01:13:01 qui, effectivement, n'ont plus aucun problème avec la République,
01:13:04 alors que pendant longtemps, la laïcité,
01:13:07 une certaine conception républicaine de la nation,
01:13:09 leur pose des problèmes, et ça, ça a beaucoup évolué,
01:13:11 ça a beaucoup changé,
01:13:13 et d'une certaine manière, symétriquement,
01:13:15 à gauche, certains, souvent issus d'ailleurs de la deuxième gauche,
01:13:18 alors Jacques Julliard, on peut discuter
01:13:19 des retournements multiples de Jacques Julliard,
01:13:21 quoi qu'il en soit, il a une œuvre, effectivement,
01:13:23 qui mérite d'être lu et étudié.
01:13:25 Mais ce qui m'a toujours un peu amusé dans le cas de Jacques Julliard,
01:13:28 que j'ai toujours lu avec intérêt, malgré des divergences de fond,
01:13:31 c'est que Jacques Julliard était quand même un de ceux
01:13:33 qui, dans les années 1970, lorsqu'il était très proche de Rocart,
01:13:36 qui écrivait même ses discours,
01:13:38 qu'il était à la tête de la deuxième gauche,
01:13:39 c'est tous ces gens qui critiquaient le plus, à l'époque,
01:13:42 l'école, l'autorité, etc.
01:13:44 - Ce n'était pas Julliard.
01:13:46 - Ce n'était pas Julliard à proprement parler,
01:13:48 mais il était plutôt dans cette gauche-là.
01:13:50 C'est aussi pour ça qu'il faut préciser,
01:13:53 quand on fait des oeuvres de Jacques Julliard.
01:13:55 - En tout cas, il tenait un tout autre discours sur l'école.
01:13:58 Il a écrit un livre, un très beau livre, "L'école est finie".
01:14:02 Et à mon avis, c'était clairement un discours de gauche.
01:14:08 Or, toute une gauche aujourd'hui marquée par Pierre Bourdieu,
01:14:14 a, disons, déconstruit le mérite ou le talent.
01:14:17 Le talent, le mérite, ça n'existe pas.
01:14:20 Ce sont des qualités héritées
01:14:22 qu'on prend pour des qualités personnelles.
01:14:26 Il ne faut pas croire à la méritocratie,
01:14:29 moyennant quoi l'école s'est réformée
01:14:32 sous l'influence de Bourdieu,
01:14:34 et ça a été fait par des gouvernements de droite
01:14:38 comme de gauche.
01:14:40 Et donc, on a accueilli des élèves plus faibles
01:14:45 dans les classes plus avancées, pas de redoublement, etc.
01:14:50 Et effectivement, on a fait baisser le niveau
01:14:54 pour ne pas les laisser au bord de la route.
01:14:56 Résultat, l'école s'est effondrée,
01:14:59 et les seuls qui s'en tirent, pas complètement d'ailleurs,
01:15:03 ce sont les enfants des classes privilégiées
01:15:06 qui suivent des cours particuliers
01:15:08 ou qui vont dans l'enseignement privé.
01:15:09 Et donc, la pensée Bourdieu a eu les effets
01:15:14 contraires à ce qu'on pouvait espérer
01:15:17 en détruisant la méritocratie.
01:15:20 Et la gauche devrait à nouveau s'emparer de ce thème aujourd'hui.
01:15:25 Or, elle ne le fait pas, elle n'est pas prête de le faire.
01:15:28 Alors, vous m'avez parlé de François Ruffin.
01:15:31 En effet.
01:15:32 Mais c'est important, parce que...
01:15:34 Manuel Valls parlait de deux gauches irréconciliables.
01:15:39 Vous vous souvenez ?
01:15:40 En 2017, en octobre, je crois, 2017,
01:15:42 Jean-Luc Mélenchon a vu Manuel Valls à l'Assemblée nationale,
01:15:48 et il dit "Moi, je ne m'assois pas à côté de ce nazi,
01:15:53 "tu n'es qu'une ordure, un pauvre type, une merde."
01:15:57 Voilà comment s'exprime Mélenchon.
01:15:59 Alors, si c'est François Ruffin qui prend le relais,
01:16:02 tant mieux, tant mieux.
01:16:04 Il ne s'exprime pas comme ça.
01:16:06 Et François Ruffin, lui, dit, en effet,
01:16:09 ce qui caractérise notre monde,
01:16:11 c'est la concurrence, la croissance, la mondialisation.
01:16:16 Et il veut opposer l'entraide, le partage, le protectionnisme.
01:16:22 C'est plutôt gentil.
01:16:24 Je pense que c'est trop gentil pour être totalement crédible,
01:16:27 mais je reprends le mot "protectionnisme".
01:16:30 Est-ce qu'il ira jusqu'à la protection des frontières ?
01:16:33 Parce que pourquoi croyez-vous que l'électorat populaire
01:16:37 se soit tourné vers Marine Le Pen ?
01:16:40 Ce n'est pas parce qu'elle a dit la retraite à 60 ans.
01:16:42 C'est précisément parce qu'il a pris en compte
01:16:46 une angoisse existentielle.
01:16:48 Edgar Cuinet disait, "Le véritable exil,
01:16:51 "ce n'est pas d'être arraché à son pays,
01:16:53 "c'est d'y vivre et de ne rien reconnaître
01:16:55 "de ce qu'il faisait t'aimer."
01:16:57 Il y a beaucoup de gens qui éprouvent ça.
01:16:59 Ces gens-là, ce sont les "somewhere",
01:17:01 les gens de quelque part.
01:17:03 Les "anywhere", ils s'en foutent.
01:17:05 Il y a 15 ans, une amie journaliste m'a dit,
01:17:09 "Moi, je me sens plus proche
01:17:13 "d'un habitant de Londres ou de Berlin
01:17:17 "que d'un habitant de Limoges."
01:17:18 J'ai compris qu'il se passait quelque chose.
01:17:20 Elle était de gauche.
01:17:21 J'ai compris qu'il se passait quelque chose.
01:17:23 Donc les "somewhere" protestent
01:17:26 contre ce que, dans un éclair de lucidité,
01:17:29 Jean-Luc Mélenchon a appelé le grand déménagement du monde.
01:17:33 C'est pas que ça ne leur plaît pas,
01:17:36 ça les fait souffrir.
01:17:37 Soit on tient compte de cette angoisse existentielle,
01:17:41 comme les sociodémocrates au Danemark,
01:17:44 soit on s'en fout complètement
01:17:47 et on fait de l'anti-racisme
01:17:51 l'alibi éthique de ce processus fatal.
01:17:55 Et alors là, la gauche ne pourra pas,
01:17:59 en aucun cas, ne pourra revenir au pouvoir.
01:18:02 -Intéressons-nous maintenant à la jeunesse d'aujourd'hui.
01:18:05 Avec Laetitia Harris, vous êtes normalienne,
01:18:07 comme Alain Finkielkraut,
01:18:08 doctorante en sciences politiques et en philosophie.
01:18:12 Vous êtes aussi la rédactrice en chef
01:18:14 du média en ligne "Le Vent se Lève",
01:18:18 un média fondé en 2016.
01:18:20 Bien entendu, vous n'êtes pas ici en tant que porte-parole de la jeunesse.
01:18:24 La jeunesse n'est pas un parti politique,
01:18:26 mais vous en êtes une représentante,
01:18:28 la représentante de ce qu'on appelle la jeune génération.
01:18:30 Vous avez 26 ans.
01:18:31 Alors en quoi est-elle différente, d'ailleurs,
01:18:33 la jeunesse de Laetitia Harris par rapport à la vôtre,
01:18:36 Alain Finkielkraut ?
01:18:38 Je parle en termes de génération.
01:18:40 Vous êtes de la génération 68.
01:18:42 Vous aviez 18 ans en mai 68.
01:18:45 En quoi la génération de Laetitia Harris
01:18:48 vous semble différente ?
01:18:50 -Je crois d'abord qu'on n'accède à la liberté
01:18:54 que lorsqu'on s'arrache à sa génération.
01:18:57 On s'arrache à sa génération, on devient un individu.
01:19:00 Et le plus vite on le fait, le mieux c'est.
01:19:03 Bon, mais j'appartiens en effet à la génération 68.
01:19:06 Mais je crois qu'il n'y a pas tellement de différence.
01:19:08 C'est ça qui m'ennuie un tout petit peu, si vous voulez.
01:19:12 C'est-à-dire que je parlais tout à l'heure
01:19:16 de la différence entre le printemps de Prague
01:19:18 et le mai parisien.
01:19:20 Le mai parisien, explosion de l'irisme révolutionnaire,
01:19:24 enchantement de la radicalité.
01:19:26 Printemps de Prague, révolte populaire des modérés.
01:19:30 Modérés.
01:19:31 La radicalité est de retour.
01:19:34 La radicalité est de retour dans une jeunesse
01:19:37 qui en est à nouveau porteuse.
01:19:41 Alors, la radicalité, elle prend...
01:19:44 Oui, c'est parce que...
01:19:46 Vous savez, Primo Nevi, dans "Les naufragés et les rescapés",
01:19:50 dit que nous avons un penchant
01:19:53 pour les oppositions...
01:19:57 Manichéennes, si vous voulez.
01:20:00 Et dit que c'est surtout les jeunes
01:20:03 qui demandent que les choses soient claires
01:20:07 et la séparation franche,
01:20:09 parce que, dit-il,
01:20:12 ils n'ont pas beaucoup d'expérience du monde,
01:20:15 donc ils n'aiment pas l'ambiguïté.
01:20:17 Et on le voit aujourd'hui avec cette cause,
01:20:20 qui est effectivement urgente,
01:20:22 à savoir l'écologie.
01:20:24 La jeunesse s'est emparée du thème de l'écologie,
01:20:27 avec ce symbole planétaire de Greta Thunberg.
01:20:30 Et c'est très intéressant,
01:20:32 parce que c'est sous cette forme-là,
01:20:34 sous la forme de radicalité,
01:20:36 qu'il n'y a plus de problème, mais il faut désigner les salauds.
01:20:39 C'est-à-dire, l'écologie,
01:20:41 c'est non seulement le bien contre le mal,
01:20:45 mais c'est la vérité scientifique contre l'erreur,
01:20:49 contre le mensonge, etc.
01:20:51 Et c'est la vie contre la mort.
01:20:52 Alors, on ne peut pas faire mieux.
01:20:54 Et donc, il faut foncer tout droit
01:20:57 contre cette génération des boomers
01:20:59 qui a tout gaspillé,
01:21:00 qui nous laisse une planète dégoûtante, etc.
01:21:03 Mais non, on devrait dire, oui, bien sûr, c'est important,
01:21:06 mais les choses ne se présentent pas comme ça.
01:21:08 Par exemple, c'est extraordinaire, les éoliennes.
01:21:10 On nous présente comme une solution écologique.
01:21:14 Et je ne vois pas de jeunes qui s'y opposent.
01:21:16 Mais ça, c'est si on veut sauver la planète.
01:21:19 Mais si on veut sauver la Terre...
01:21:21 D'abord, on ne devrait pas parler de planète.
01:21:24 Nous sommes des habitants de la Terre.
01:21:26 Il faut qu'elle soit habitable.
01:21:28 C'est l'habitabilité qui devrait être notre critère.
01:21:30 Et les éoliennes, c'est une modalité de la technique.
01:21:33 Ce n'est pas une solution.
01:21:34 Non, et tout ça, ça demande un peu de recul,
01:21:37 un peu de réflexion, un peu de problématisation.
01:21:41 Et la jeunesse n'y est pas naturellement apte.
01:21:44 Donc, je n'ai rien contre elle comme génération,
01:21:47 mais je dis qu'il faut l'aider, justement,
01:21:51 à entrer dans la sphère de la problématisation
01:21:54 et ne pas reproduire à l'envie le schéma 68a.
01:21:59 Est-ce que vous vous sentez si proche du schéma 68a,
01:22:02 Laëtitia Riss, aujourd'hui ?
01:22:04 Non, je ne le crois pas.
01:22:05 Par contre, j'ai été assez frappée de ce que vous disiez
01:22:08 sur le fait qu'il n'y a pas tant de différence entre les générations.
01:22:11 Et précisément, ce qui caractérise la vôtre comme la nôtre,
01:22:14 c'est qu'on arrive dans un monde qu'on n'a pas choisi, finalement.
01:22:17 Et donc, on est aussi sommés de faire avec les événements,
01:22:20 les questions, les problèmes.
01:22:21 Vous disiez qu'il s'agit de problématiser les choses.
01:22:24 Et je crois qu'effectivement, cette jeunesse,
01:22:26 qui est dans des identités diverses et qui n'est pas, je crois,
01:22:29 aussi ivre de radicalité, qu'on veut bien l'entendre,
01:22:32 on le dit sur les plateaux,
01:22:33 elle n'a pas forcément beaucoup de repères,
01:22:35 et j'entends parler des repères idéologiques,
01:22:38 précisément parce que certains héritages,
01:22:40 certaines questions ne se sont-elles pas reposées
01:22:43 dans les termes qu'elles auraient dû ?
01:22:45 Et ça peut conduire à certaines caricatures,
01:22:47 à certains clivages caricaturaux
01:22:49 qui sont d'une certaine manière aussi renforcés dans les médias.
01:22:53 On pourrait jouer les rôles qui nous sont attribués,
01:22:55 mais je crois qu'on pourrait être un peu plus intelligents que ça,
01:22:59 précisément parce qu'en fait,
01:23:01 l'enjeu, c'est quel monde commun voulons-nous ?
01:23:03 Et je crois que c'est ça qui compte aussi pour ma génération,
01:23:06 si j'accepte le mot génération, c'est de se dire,
01:23:09 nous sommes face à des questions nouvelles, écologiques,
01:23:13 des questions qui engagent notre rapport entre êtres humains
01:23:16 et notre rapport à la Terre.
01:23:17 Et ça, d'ailleurs, vous le savez autant que moi,
01:23:20 Monsieur Finkielkraut, c'est pas une question nouvelle.
01:23:23 Je travaille sur les textes de Gunther Anders
01:23:25 dans mon travail philosophique.
01:23:27 C'est un philosophe qui a beaucoup réfléchi
01:23:29 à la question de l'habitabilité de la Terre,
01:23:32 qui a été frappé par la question du nucléaire,
01:23:34 qui a réfléchi à comment laisser ce monde plus habitable
01:23:37 qu'il ne nous ait donné.
01:23:39 Et moi, c'est de ça dont je me sens héritière,
01:23:42 de savoir comment faire pour qu'il existe quelque chose demain.
01:23:45 Et donc ça, dans une certaine mesure,
01:23:47 ça engage une radicalité, mais pas pour le principe
01:23:50 de l'opposition de la jeunesse face à ceux qui seraient responsables.
01:23:54 La tâche est immense, donc nous n'avons, d'une certaine manière,
01:23:58 pas le choix et nous n'avons pas non plus le luxe
01:24:00 du temps du débat poli.
01:24:03 Ca ne veut pas dire qu'il ne faut pas discuter,
01:24:06 mais qu'il faut savoir de quoi on discute.
01:24:08 C'est ça qui est important.
01:24:10 -J'ai l'impression qu'en plus, on retrouve dans toutes les générations,
01:24:14 à toutes les époques du 20e siècle,
01:24:16 mais probablement aussi du 19e,
01:24:18 des jeunes qui disent "cours, camarade,
01:24:20 "le vieux monde est derrière toi".
01:24:22 On l'a eu pendant la Révolution française,
01:24:25 on l'a eu sous Napoléon, en 1848,
01:24:27 on l'a eu pendant la Commune,
01:24:28 on l'a eu pendant tout le 20e siècle.
01:24:31 Et puis aussi, une génération qui ne se reconnaît pas
01:24:34 dans le monde dans lequel elle termine sa vie,
01:24:36 parce que ça ne ressemble pas au monde
01:24:39 dans lequel elle est née ou elle a grandi.
01:24:41 J'ai l'impression que ce schéma se reproduit à chaque fois,
01:24:44 et à chaque fois, on en... -C'est dommage.
01:24:47 -On en déduit qu'il y a un fossé des générations.
01:24:49 -C'est dommage de reproduire des schémas.
01:24:52 C'est échapper aux schémas qu'il faudrait...
01:24:54 Moi, je reconnais absolument l'urgence écologique.
01:24:58 C'est René Char qui disait
01:25:00 "Nous ne sommes plus près du sinistre,
01:25:03 "nous sommes plus près du sinistre que le toxin lui-même".
01:25:06 Dans les années 50, il avait raison.
01:25:09 Mais la question est de savoir comment traiter cette question.
01:25:13 D'une part,
01:25:14 et n'avons-nous pas besoin
01:25:17 d'une écologie générale ?
01:25:19 Parce que c'est aussi la culture, c'est aussi la littérature,
01:25:23 c'est aussi la langue qu'il faut savoir préserver.
01:25:27 Et ça, on ne peut pas le demander à la jeunesse.
01:25:31 On peut essayer de rendre les jeunes,
01:25:35 un par un, conscients du problème,
01:25:38 pour les amener eux-mêmes, d'ailleurs,
01:25:41 à parler mieux.
01:25:43 Et puis aussi, il faut les mettre devant leur contradiction.
01:25:47 C'est-à-dire, oui, il faut sauver la Terre, etc.
01:25:50 Mais alors, regardez vos outils technologiques.
01:25:54 Vous ne se perdez jamais de votre portable,
01:25:56 surtout pas de votre écran, de tablettes, etc.
01:26:00 Mais l'extraction de ces métaux,
01:26:02 c'est pas polluant, peut-être ?
01:26:05 C'est terriblement polluant, terriblement coûteux en énergie.
01:26:08 Alors pensez à ça aussi.
01:26:11 Donc, la jeunesse est cécie d'une véritable anxiété.
01:26:16 On parle d'éco-anxiété.
01:26:18 Je peux le comprendre.
01:26:19 Je peux le comprendre, parce que l'avenir n'est pas prometteur.
01:26:25 Il est devenu menaçant.
01:26:27 Donc, il faut l'amener, si vous voulez,
01:26:31 à vivre intelligemment cette anxiété.
01:26:35 Et donc, nous n'avons pas de leçons à entendre de la jeunesse.
01:26:41 Il faut l'accompagner dans cette prise de conscience
01:26:45 pour ne pas que celle-ci débouche
01:26:48 sur une radicalité stupide et stérile.
01:26:51 -Ethiaris ?
01:26:54 -Peut-être pour rebondir sur ce que vous disiez,
01:26:56 sur "échapper au schéma" et sur le sentiment
01:26:58 où, finalement, on a tout le temps l'impression que ça se répète,
01:27:01 qu'on arrive dans un monde qu'on ne connaît pas
01:27:03 et on retrouve, finalement, celui plus tard qu'on a perdu.
01:27:06 Et ce qui nous manque dans cette affaire,
01:27:08 c'est la question du présent.
01:27:10 Pendant très longtemps, on a opposé la question
01:27:12 de la droite et de la gauche à la droite du côté du passé
01:27:15 et la gauche du côté du futur et de l'avenir.
01:27:17 C'est une division qui, bien sûr, a sa pertinence.
01:27:20 Et Jean-Germain Pompidou-Camp, je pourrais le dire aussi,
01:27:23 à savoir qu'elle s'ancre dans une longue tradition
01:27:26 des espoirs révolutionnaires.
01:27:27 Mais ce qui est oublié dans ces discussions,
01:27:29 c'est cette question du présent.
01:27:31 Quelle diagnostic faisons-nous aujourd'hui ?
01:27:33 Là, je serais curieuse de voir ce qu'a la droite
01:27:35 et ce qu'a la gauche à dire sur le présent.
01:27:37 Et d'une certaine manière, quand on s'atteint grâce à ça,
01:27:40 ce qu'on voit, c'est que d'un côté,
01:27:42 la droite, pour le dire de manière générale,
01:27:44 s'intéresse à ce qui se joue dans les bouleversements de valeurs
01:27:47 et est fidèle à sa tradition de ce point de vue,
01:27:50 là où la gauche s'intéresse à ce qui se joue
01:27:52 dans les bouleversements des rapports sociaux.
01:27:54 Ça redéfinit aussi des questions intéressantes
01:27:57 pour repenser nos clivages politiques
01:27:59 et voir là où les choses se jouent.
01:28:01 Et j'ajouterais aussi quelque chose
01:28:03 sur cette question de l'éco-anxiété.
01:28:05 Je ne crois pas que je suis éco-anxieuse,
01:28:07 à titre très personnel.
01:28:08 En revanche, je suis certaine que l'avenir qui nous est offert
01:28:12 n'est pas radieux,
01:28:13 mais ce n'est pas pour autant qu'il s'agit précisément
01:28:17 de tout brûler et de faire en sorte
01:28:19 qu'on aille plus vite à la fin du monde.
01:28:21 Ça pourrait être une voie facile,
01:28:23 mais en l'occurrence, je crois que ça nous engage encore plus.
01:28:27 Et d'une certaine manière, c'est ça aussi
01:28:29 que nous enseignent les textes de Günther Anders.
01:28:32 Ils nous disent que nous devons apprendre à vivre sans espérance.
01:28:36 Mais quand il dit ça, il ne dit pas que nous devons apprendre
01:28:39 à vivre d'une certaine manière triste, résignée,
01:28:43 incapable de voir les choses se faire.
01:28:45 Il dit au contraire, "Vous ne devez plus attendre de vous engager.
01:28:48 "Vous ne pouvez plus compter sur le demain.
01:28:51 "Et tous les jours qui passent
01:28:53 "vous éloignent de la possibilité de transformer ce monde."
01:28:56 Et ça, je crois que ça parle beaucoup plus
01:28:58 à des gens de ma génération.
01:29:00 Et d'une certaine manière,
01:29:02 ce serait peut-être ça, vivre intelligemment son anxiété.
01:29:05 Ou peut-être, si vous avez une autre manière de l'envisager,
01:29:08 je serais heureuse de l'entendre.
01:29:10 Moi, c'est comme ça que je l'entends.
01:29:12 -Juste, la dichotomie que fait Laetitia Rist...
01:29:16 -A chaque fois, je tape sur le micro.
01:29:18 -Au moins une fois par émission.
01:29:20 -On n'est pas professionnels.
01:29:22 -La dichotomie qu'elle faisait entre la gauche et la droite,
01:29:25 est-elle si originale ?
01:29:27 -Oui, c'est effectivement assez singulier.
01:29:31 Mais ce qui me marque dans ce qui vient d'être dit,
01:29:33 c'est ce rapport au temps passé, présent, futur.
01:29:37 Parce qu'on a parlé des époques révolutionnaires.
01:29:40 C'est souvent les jeunes générations...
01:29:43 Quand on fait de la sociologie élémentaire,
01:29:45 des révolutionnaires, des radicaux,
01:29:46 c'est souvent les plus jeunes qui chassent les vieux schématismes.
01:29:49 En plusieurs moments d'histoire, c'est comme ça.
01:29:51 Sur le rapport aux... -Et à toutes les époques,
01:29:53 les personnes, ce qu'on appelle les seniors,
01:29:56 se sont plaints que les jeunes parlaient mal
01:29:59 et aussi que le monde avait cessé de ressembler
01:30:03 à celui qu'ils connaissaient.
01:30:04 -Les premiers bolcheviks sont contre les vieux bons
01:30:07 de la social-démocratie.
01:30:08 Au-delà des clivages politiques,
01:30:10 il y a une forme de conflit de génération très forte.
01:30:13 Ce que je veux dire sur le temps,
01:30:14 ce qui est intéressant,
01:30:16 et ce qui a peut-être changé aujourd'hui
01:30:18 dans les groupes militants,
01:30:20 quelle que soit leur nature à gauche,
01:30:22 c'est qu'auparavant, il y avait une sorte de culte du passé
01:30:25 qui servait aussi comme élément mobilisateur.
01:30:27 Avant, il y avait ces grandes luttes,
01:30:29 vous parliez de 1848, de la commune de Paris.
01:30:32 Bon, quelques symboles demeurent,
01:30:34 mais on est dans des logiques militantes
01:30:36 qui accordent, me semble-t-il,
01:30:38 moins de place aux événements historiques passés,
01:30:43 à la formation militante.
01:30:45 Avant, c'était quasiment un dogme, dans le bon sens du terme.
01:30:47 Il fallait absolument avoir une culture,
01:30:50 une connaissance très construite du passé,
01:30:52 quand même celle-ci était idéologique,
01:30:54 partiellement déformée.
01:30:55 Et ça, c'est quelque chose qui, me semble-t-il,
01:30:58 a plutôt périclité,
01:31:00 et qui a des conséquences sur la façon dont vous envisagez l'action.
01:31:04 Quand vous parlez de radicalité, d'action un peu dans tous les sens,
01:31:08 de causes minoritaires sur telle ou telle chose,
01:31:10 ça vient aussi, à mon avis, du fait que finalement,
01:31:13 la forte conscience qu'on avait auparavant du passé,
01:31:16 pour toute une série de raisons,
01:31:18 est quelque chose qui a eu tendance un petit peu à s'éclipser.
01:31:22 Et là, c'est un phénomène relativement récent,
01:31:24 on pourrait dire ces 20-30 dernières années.
01:31:26 Et ce n'est pas à prendre à la légère,
01:31:28 parce que quand vous avez le culte de se dire
01:31:31 "Ah oui, nous sommes les héritiers d'eux, dans la continuité d'eux",
01:31:34 parce que la gauche, ce n'est pas que faire table rase du passé,
01:31:37 comme le veut la fameuse ritornelle de l'International,
01:31:38 en fait, c'était plutôt de dire "Regardez, même depuis Spartacus,
01:31:41 il y a des gens qui se soulèvent contre l'ordre établi,
01:31:45 nous allons continuer cela, nous sommes les héritiers de tous ces gens".
01:31:49 Et finalement, ça, c'est un peu perdu,
01:31:51 et ça a probablement des conséquences
01:31:53 sur la façon dont on envisage l'action aujourd'hui et à venir, me semble-t-il.
01:31:57 - C'est d'autant plus paradoxal que ça se soit perdu,
01:31:59 c'est qu'aujourd'hui, grâce à Internet,
01:32:02 le stock est aussi présent que le flux.
01:32:05 Toutes les musiques du passé sont à portée de clic,
01:32:08 ce qui n'était pas le cas il y a 40 ou 50 ans.
01:32:11 Et ce qui est vrai pour les musiques est vrai pour à peu près tout.
01:32:14 Comment se fait-il que l'on se coupe du passé alors qu'il est si présent ?
01:32:18 - Oui. Alors, vous avez parlé d'engagement tout à l'heure,
01:32:22 et je me souviens qu'un homme complètement oublié,
01:32:27 Paul W. Landsberg, a écrit dans le revue "Esprit", en 1937,
01:32:34 une définition de l'engagement.
01:32:36 "C'est une décision pour une cause imparfaite."
01:32:39 Il s'interrogeait déjà aussi sur la montée du fanatisme,
01:32:42 et il ne voulait pas lui sacrifier l'engagement.
01:32:44 "Une décision pour une cause imparfaite."
01:32:45 Malheureusement, c'est l'engagement sartrien
01:32:47 qui a prévalu sur la définition de Landsberg.
01:32:49 Mais ce qui m'inquiète aujourd'hui, justement,
01:32:53 dans la jeunesse en tant que telle,
01:32:55 c'est qu'elle a envie de se déciser pour des causes parfaites.
01:32:59 Et l'écologie, en apparence, est une cause parfaite.
01:33:03 Et avec une cause parfaite, on ne fait rien de bon.
01:33:06 Donc, il faut méditer cela.
01:33:07 Oui, c'est une décision pour une cause imparfaite
01:33:10 dans un monde qui est celui de la pluralité humaine,
01:33:13 qui ne peut jamais être réduite au chiffre 2.
01:33:15 Ça, ce sont les leçons de l'histoire.
01:33:18 Et ces leçons de l'histoire,
01:33:20 il est normal que nous essayions de les transmettre.
01:33:24 Non pas parce que nous sommes des vieux cons,
01:33:26 mais parce que, justement, la jeunesse,
01:33:29 ainsi informée, est apte à reprendre le flambeau.
01:33:33 Et puis, je vous rassure,
01:33:35 les seigneurs se plaignent que les jeunes parlent mal.
01:33:37 Moi, je me plains de voir que beaucoup des seigneurs,
01:33:41 pas absolument, n'importe comment.
01:33:43 - Laetitia Ryss.
01:33:45 - Oui, mais peut-être, pour redire un mot
01:33:48 sur cette différence entre un rapport au passé,
01:33:51 finalement très présent dans les formations,
01:33:54 disons, peut-être du siècle passé par rapport à celle d'aujourd'hui,
01:33:57 et de leur disponibilité.
01:33:58 C'est quand même pas la même chose,
01:33:59 vous en conviendrez tous ici,
01:34:01 d'avoir accès à une masse d'informations non triées
01:34:03 qu'à avoir accès à des lieux de transmission.
01:34:06 Et, effectivement, d'une certaine manière,
01:34:10 si on voulait jouer la provocation,
01:34:12 la seule responsabilité de la génération précédente
01:34:14 est celle de l'héritage qu'elle n'a pas transmis,
01:34:16 d'une certaine manière, ou mal transmis,
01:34:18 ou peut-être d'ailleurs que ce n'est pas sa seule responsabilité,
01:34:21 mais que ce sont aussi les médiations qui ont été absentes.
01:34:23 Et à ce moment-là, si ce sont les médiations qui sont absentes,
01:34:25 alors c'est une question collective.
01:34:27 C'est la question de pourquoi les lieux
01:34:29 qui permettaient cette transmission ne le permettent plus.
01:34:32 Et de ce point de vue, je crois que c'est beaucoup plus intéressant
01:34:34 sur cette question générationnelle de parler d'héritage
01:34:36 que de parler d'opposition entre les jeunes et les vieux,
01:34:39 qui finalement reconstruisent toujours des choses
01:34:41 qui finalement nourrissent le débat public de manière caricaturale
01:34:45 et arrangent aussi bien certains politiques, il faut le dire.
01:34:48 Et peut-être aussi, pour rebondir sur cette définition de l'engagement,
01:34:53 où je serais prête à souscrire à cette décision
01:34:55 pour une cause imparfaite,
01:34:57 même si je crois que l'engagement, finalement,
01:34:59 c'est aussi quelque chose qui, d'une certaine manière,
01:35:02 ne se décide pas non plus de manière si clairvoyante.
01:35:06 Il y a aussi des situations dans une vie qui réclament
01:35:08 et où on se dit "je ne peux pas ne pas réagir",
01:35:10 "je ne peux pas ne pas faire comme si de rien n'était".
01:35:13 Et là, peut-être que s'engage aussi quelque chose
01:35:15 d'une forme de radicalité de la jeunesse,
01:35:17 c'est qu'elle s'indigne au sens le plus bruit du terme
01:35:19 et qu'après se pose la question de comment ceci va être mis en forme,
01:35:23 avec quelles références, avec quels moyens de lutte,
01:35:25 et tout ça peut être sujet de débat.
01:35:27 Mais ce que je voudrais dire par là,
01:35:29 c'est que la réaction face à une forme d'injustice,
01:35:32 l'indignation devant des situations qui sont intolérables,
01:35:35 me semble la chose la plus saine qu'on puisse avoir.
01:35:38 Puisque si ça ce n'est pas présent,
01:35:40 en fait, nous sommes, comme le disait tristement François Furé,
01:35:43 condamnés à vivre dans le monde où nous vivons.
01:35:45 Et je crois, en tout cas j'espère, que nous tous sur ce plateau
01:35:48 ne souhaitons pas vivre éternellement dans ce monde.
01:35:51 Après, se discuteront les modalités pour le transformer.
01:35:54 Mais il y a une différence aussi,
01:35:57 puisque vous dites qu'il y a cette capacité d'indignation,
01:35:59 c'est qu'aujourd'hui, il y a la possibilité
01:36:02 d'émettre son indignation,
01:36:04 ce qui n'existait pas pour la génération d'Alain Finkielkraut,
01:36:06 dans les 19 ans.
01:36:07 S'il y avait eu Twitter et les réseaux sociaux,
01:36:11 imaginez le nombre de sotis qu'on retrouverait aujourd'hui.
01:36:14 -Maman, maman, maman !
01:36:16 -Maman, maman !
01:36:17 -Emise un certain nombre sans Twitter.
01:36:18 -Non mais vous vous rendez compte, à l'époque,
01:36:21 la logorée marxiste-léniniste aurait été, à mon avis,
01:36:26 dans les mêmes proportions que ce que l'on peut entendre
01:36:29 aujourd'hui, ce qui vous déplaît foncièrement,
01:36:31 sur l'écologie, par exemple.
01:36:33 Et on y aurait vu, on y voyait sans doute aussi,
01:36:36 une cause parfaite.
01:36:37 -Oui, mais vous parlez d'indignation.
01:36:41 Oui, bien sûr, c'est un moteur, l'indignation,
01:36:44 mais moi, je pense à ce petit livre de Stéphane Essay,
01:36:48 il y a quelques années.
01:36:49 "Indignez-vous", c'est phénoménal,
01:36:52 et qui était complètement idiot.
01:36:53 Parce que c'est un livre, il disait, voilà,
01:36:55 indignez-vous, mais choisissez votre sujet.
01:36:58 Il fallait faire son marché.
01:36:59 On se promenait, on disait, je m'indigne pour si,
01:37:01 je m'indigne pour ça, mais surtout, indignez-vous,
01:37:03 c'est absolument absurde. Pourquoi ?
01:37:04 Parce que l'indignation n'est pas une valeur en soi.
01:37:07 C'est pas une valeur en soi.
01:37:09 Et on peut s'indigner pour choisir de très mauvaises causes,
01:37:12 et il en a choisi un certain nombre, d'ailleurs, Stéphane Essay.
01:37:14 Donc, c'est pas comme ça que ça marche.
01:37:16 Oui, bien sûr, l'indignation doit être là,
01:37:21 parce qu'il y a des sujets de colère,
01:37:24 il y a des choses absolument révoltantes
01:37:28 qui se produisent, comme par exemple l'invasion de l'Ukraine,
01:37:32 dont nous parlions tout à l'heure.
01:37:34 Et il y en a d'autres dans notre propre pays.
01:37:36 Mais là encore, l'engagement, l'action,
01:37:40 comme dirait Alain Rennes,
01:37:42 l'action politique demande aussi d'autres vertus, si vous voulez.
01:37:47 La curiosité, le sens des proportions,
01:37:52 peut-être une certaine modération, en effet.
01:37:56 En effet, une certaine modération qui tient au fait.
01:37:58 C'est ce que disait Camus, le démocrate est modeste.
01:38:02 Le démocrate est modeste parce qu'il sait qu'il ne sait pas tout.
01:38:05 Il est clair que Sartre, lui, était totalement immodeste
01:38:09 parce qu'il savait tout.
01:38:10 Mais au bout du compte, on l'aura compris,
01:38:12 c'est Camus qui avait raison,
01:38:14 ce soi-disant, ce prétendu philosophe pour classe terminale,
01:38:17 qui a essayé, dans "L'homme révolté",
01:38:20 ça qui est extraordinaire,
01:38:22 un livre méprisé aussi bien par André Breton
01:38:25 que par l'équipe des Temps modernes,
01:38:27 il a voulu réconcilier la révolte et la mesure.
01:38:29 Ça faisait rigoler tout le monde.
01:38:31 Mais c'était prémonitoire, c'était génial.
01:38:34 -Vous savez bien que les modérés ont toujours mauvaise réputation.
01:38:36 -Oui, mais...
01:38:38 Oui, parce qu'on pensait que c'était des bourgeois ventrus, etc.
01:38:41 Mais pensons au printemps de Prague
01:38:45 et pensons à Camus
01:38:47 pour, justement, rehausser le prestige de la mesure
01:38:50 et donc de la modération.
01:38:52 -Les tissieristes et modérés ont toujours mauvaise réputation,
01:38:55 dans votre génération, j'imagine.
01:38:56 -Comme dans toute l'histoire, j'ai envie de dire,
01:38:59 on a toujours le sentiment que c'est ceux qui choisissent pas,
01:39:01 et surtout qui s'en sortent toujours,
01:39:03 parce que c'est beaucoup plus facile d'apparaître
01:39:06 et de dire "moi, je suis modérée"
01:39:08 face à toute cette personne insupportable
01:39:10 qui hurle en permanence.
01:39:12 C'est une position facile,
01:39:13 mais là où je suis sensible à ce que vous dites,
01:39:16 c'est qu'évidemment, ça ne sert à rien non plus
01:39:18 de crier au loup en permanence
01:39:20 sans plus savoir sur quoi on crie, depuis quel lieu,
01:39:22 et s'endigner pour n'importe quelle cause
01:39:25 comme on choisit son produit au supermarché.
01:39:27 -C'est un peu modéré, ça, je pense.
01:39:29 -Les réseaux sociaux encouragent à ça.
01:39:31 C'est l'indignation permanente, l'émotion permanente,
01:39:35 donc forcément, c'est une tentation.
01:39:38 -Non, c'est le contraire de ce que nous évoquions précédemment
01:39:41 quand on parlait, à l'époque, d'un autre rapport au passé,
01:39:44 des formations dans les partis politiques,
01:39:47 il y avait un côté rituel.
01:39:48 Les gens arrivaient dans une salle,
01:39:50 s'y réunissaient, y avait pas les téléphones portables,
01:39:53 et pendant 2 ou 3 heures, on écoutait, on échangeait,
01:39:56 on assistait, mais ça paraît être d'un autre temps,
01:40:00 et ça explique aussi beaucoup la décomposition idéologique
01:40:03 à laquelle on peut assister.
01:40:05 -Les jeunes aussi avaient tendance à attendre, enfin, étaient obligés,
01:40:09 ils n'en avaient pas le goût,
01:40:10 ils étaient obligés de se taire devant les plus âgés.
01:40:14 Mao participe à la fondation du PCC,
01:40:17 il prend pas la parole avant des années,
01:40:19 mais le jour où il prend la parole, il prend le pouvoir.
01:40:22 -Ces configurations-là,
01:40:24 ça paraît anecdotique de le rappeler comme ça,
01:40:26 mais c'est fondamental,
01:40:28 parce que ça forme même des façons de raisonner,
01:40:31 on le voit bien, les étudiants et étudiantes,
01:40:33 la façon dont ils cherchent à s'approprier
01:40:36 un certain nombre de repères politiques, historiques,
01:40:39 c'est fait de briquettes broc,
01:40:40 parce qu'il y a cet univers des réseaux sociaux
01:40:43 qui a fondamentalement changé la donne.
01:40:45 La véritable question, pour ceux qui s'intéressent à des débats,
01:40:49 c'est est-ce que dans cette ambiance-là,
01:40:51 on va parvenir à reconstituer des éléments
01:40:54 qui permettraient de retrouver des conditions
01:40:56 pour des débats plus sereins et des traitements,
01:40:59 même d'un certain nombre d'événements passés,
01:41:01 ce qui est assez difficile.
01:41:03 -Il y a quand même une révolution
01:41:05 en ce qui concerne votre génération.
01:41:07 Tout le monde a la parole, y compris votre génération.
01:41:10 Vous avez la parole.
01:41:12 Autrefois, on écrivait des lettres,
01:41:14 je veux dire, au journal.
01:41:15 Maintenant, vous avez la parole.
01:41:17 Et je crois pas qu'on ait vu la possibilité
01:41:21 pour une jeune fille de 15 ans
01:41:23 de mobiliser à la fois, en n'allant plus à l'école,
01:41:26 de mobiliser à la fois sa génération,
01:41:29 mais aussi d'obliger les adultes à l'écouter
01:41:32 et à l'inviter à la collègue.
01:41:34 -Vous parlez de notre chère Greta.
01:41:36 -De votre chère Greta. C'est un phénomène.
01:41:38 Vous me direz, il y a eu Jade Dar,
01:41:40 qu'elle en avait 16, mais ça a touché beaucoup moins de monde.
01:41:44 -Je pense que sur cette dimension d'avoir accès à la parole,
01:41:47 il y a des lieux pour s'exprimer plus nombreux.
01:41:50 C'est vrai. Après, vous conviendrez
01:41:52 qu'exprimer son indignation sur Twitter
01:41:54 quand on est suivi par 200 personnes,
01:41:56 ce n'est pas la même chose qu'avoir accès
01:41:59 à des chaînes de grand public ou à des lieux confidentiels.
01:42:02 -Les gens, après,
01:42:03 vous en devez trouver 200 qui sont de votre avis,
01:42:06 puis ensuite, il y en a 600, il y en a une mille.
01:42:09 -Ca fait des effets d'amplification.
01:42:11 Ce que je veux dire, c'est que néanmoins,
01:42:13 je crois que c'est intéressant de se demander
01:42:16 sur quelle parole on entend aussi.
01:42:18 Moi, ce qui me frappe beaucoup,
01:42:20 et là, je parle aussi peut-être pour nous, plus jeunes,
01:42:23 qui prenons la parole,
01:42:24 c'est comment on accepte aussi, parfois, assez facilement,
01:42:28 de se plier à ce qu'on attend un peu de nous aussi,
01:42:30 d'une certaine manière.
01:42:32 On joue notre rôle, chacun, en étant, finalement,
01:42:35 les porte-parole d'une génération
01:42:37 qu'on ne sait même pas nous-mêmes nommer, finalement.
01:42:40 Et donc, autre chose sur cet élément de prise de parole,
01:42:43 moi, ce qui me frappe beaucoup aussi,
01:42:45 j'ai aussi, j'enseigne aussi
01:42:47 auprès d'un peu plus jeunes que moi,
01:42:49 et c'est vrai qu'ils sont beaucoup en demande, finalement,
01:42:52 de réponses à des questions,
01:42:54 et qu'ils ont plus de mal à formuler les questions.
01:42:57 Mais moi, ce qui m'intéresse dans ça,
01:42:59 ce n'est pas, justement, d'être préoccupé
01:43:02 par le fait qu'absolument,
01:43:04 ils ne savent plus poser des questions,
01:43:06 c'est plutôt d'être préoccupé
01:43:08 par le fait qu'ils ne se pensent plus légitimes pour le faire.
01:43:12 Et ça, je me permets de finir juste une dernière phrase,
01:43:15 et je vous laisse rebondir.
01:43:17 Moi, ce qui m'inquiète aussi bien comme enseignante
01:43:20 que comme jeune citoyenne engagée,
01:43:22 c'est à quel moment on en est arrivés,
01:43:24 un moment politique qui nous permet de demander des réponses
01:43:27 mais de ne plus nous penser capables de formuler les bonnes questions.
01:43:31 -L'état Thunberg...
01:43:33 Fury Bond, l'état Thunberg,
01:43:35 c'est devenu le surmoi de notre temps.
01:43:39 Et la grande révolution anthropologique
01:43:41 à laquelle nous sommes soumis, c'est le rajeunissement du surmoi.
01:43:45 C'est ça.
01:43:46 Et je suis bien sûr que le monde se porte mieux
01:43:49 avec un surmoi juvénile.
01:43:51 Voilà, c'est tout ce que je voulais dire.
01:43:53 -Merci à tous les trois d'avoir participé à cette édition.
01:43:57 Merci à Alain Filkelkraut d'avoir été là depuis 22h jusqu'à minuit.
01:44:01 Merci de nous avoir suivis.
01:44:03 Et rendez-vous au prochain numéro.
01:44:06 Ce sera dimanche à 22h.
01:44:08 Sous-titrage ST' 501
01:44:10 Merci à tous !
01:44:12 [SILENCE]

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