Lionel Duroy : L'Heure des Livres (Émission du 25/09/2023)
Anne Fulda reçoit Lionel Duroy pour son livre «Mes pas dans leurs ombres» dans #HDLivres
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00:00 Bienvenue à l'Heure des livres, Lionel Dirois.
00:02 On ne vous présente plus.
00:04 On vous connaît comme romancier.
00:07 Vous avez écrit déjà une vingtaine de romans,
00:09 dont évidemment Le Chagrin,
00:10 avec toujours ce fil rouge de vos œuvres et malheurs familiaux.
00:16 Mais depuis quelques temps,
00:18 il y a une autre préoccupation qui pointe,
00:23 c'est celle de La Roumanie.
00:24 Et c'est une préoccupation qu'on trouve dans Mes Pas dans leurs ombres.
00:27 Ce livre qui vient de paraître chez Miel et Barreau.
00:30 Un roman qui est passionnant, toujours bien écrit,
00:33 mais qui est instructif aussi.
00:35 Alors déjà, première question,
00:36 pourquoi, comme dans Eugénia,
00:39 comme dans Disparaître,
00:41 il y a cette Roumanie,
00:43 ce pays qui semble vous hanter,
00:45 presque vous obséder,
00:47 que ce n'est pas du tout vos racines familiales ?
00:49 Oui, c'est un pays qui me hante,
00:51 comme tous les pays où l'antisémitisme a fait des ravages.
00:53 Ça fait des années en fait que je travaille là-dessus.
00:56 Est-ce que ce n'est pas mes origines familiales ?
00:58 J'avais des parents pas mal antisémites quand même.
01:01 J'ai découvert très tard, vers 14-15 ans,
01:04 Auschwitz, le mur qui séparait l'Europe en deux,
01:07 et derrière, toute cette histoire monstrueuse
01:09 sur laquelle je travaille maintenant.
01:11 Alors l'héroïne de votre livre
01:14 est une jeune journaliste qui s'appelle Adèle Codreanu.
01:17 Elle ne sait pas grand-chose de ce pays.
01:21 Ses parents, ses propres parents,
01:23 se sont installés en France et ont fui le régime de Ceausescu.
01:27 Elle-même semble en colère.
01:29 Mais en colère pourquoi ?
01:30 Oui, elle déteste ce pays.
01:32 Je voulais que ce soit une femme comme ça.
01:35 On est en France,
01:36 c'est une jeune femme qui est immigrée,
01:38 qui est née en 1985 en France.
01:40 Ses parents sont arrivés en 1983.
01:42 Elle a une image de la Roumanie qui est celle de ses parents,
01:45 c'est-à-dire un couple misérable,
01:47 qui a peur de tout et qui rase les murs.
01:49 Et d'emblée, en fait, elle déteste ce pays,
01:52 sans savoir ce qui s'y est passé.
01:54 Je voulais que ce soit ça parce que,
01:56 d'abord, j'adore cette jeune femme.
01:57 Je voulais faire un portrait d'une jeune femme en colère.
02:00 Elle est en colère, elle ne sait encore rien,
02:02 mais elle est en colère d'être née dans ce pays
02:04 qu'elle ne connaît pas, la France.
02:06 Elle est en colère parce que ses parents
02:08 lui ont toujours parlé le roumain,
02:10 qu'elle n'a jamais mis les pieds en Roumanie.
02:12 Et cette colère va déboucher, en fait,
02:14 sur une découverte de son pays, de ses origines.
02:17 Et pour moi, c'est très important
02:19 parce que j'ai pas mal travaillé aussi sur l'immigration en France.
02:22 C'est dur d'être immigré, d'être loin de son pays,
02:25 de rien comprendre à la culture.
02:27 Sa culture, en fait, elle est là-bas.
02:29 Et c'est ça qui m'intéresse.
02:30 C'est-à-dire, je fais partir pour la Roumanie
02:33 une jeune femme de 33 ans qui ne sait pratiquement rien de son pays.
02:37 Et là, en fait, elle va découvrir, moi,
02:40 ce qui me hante depuis maintenant des années, en fait,
02:43 c'est que l'armée roumaine a commis un génocide épouvantable en Ukraine
02:50 quand les Roumains, alliés des Allemands,
02:52 ont pénétré en Russie en juin 1941.
02:57 Un pogrom épouvantable qui a disparu de l'histoire,
03:00 mais vraiment disparu.
03:02 On l'a attribué à l'armée allemande.
03:04 Les Roumains ne savent même pas ce que leur armée a commis,
03:08 tout simplement parce que les communistes sont arrivés en 49.
03:11 Ils étaient encore plus antisémites que les Roumains d'origine, je crois.
03:15 Et qu'ils ont effacé toutes les traces.
03:17 Donc, avant d'écrire ce roman,
03:19 je voulais que ce soit les yeux d'une jeune femme qui découvre tout ça.
03:23 J'ai fait plusieurs voyages sur toutes ces zones
03:25 où les Juifs ont été exterminés et j'ai retrouvé quelques traces.
03:29 - Parce que ce qui est intéressant, c'est ce qu'elle découvre sur place,
03:32 puisqu'elle est envoyée par son journal.
03:35 C'est-à-dire qu'elle découvre aussi que son histoire familiale
03:37 a été, si ce n'est déformée, en tout cas tronquée.
03:40 On a parlé d'un grand-père résistant,
03:42 mais qui, en fait, a collaboré avec le général Antonin Schko.
03:47 Et elle découvre que l'histoire roumaine, de façon générale, a été déformée.
03:52 On ne la connaît pas.
03:54 - On ne la connaît pas. C'est effrayant.
03:56 Je pense que le choc de découvrir sa propre histoire familiale,
04:01 lorsqu'on est du côté des bourreaux, ce qui est notre cas dans ce roman,
04:05 c'est le même choc que de découvrir qu'on a une famille qui a été exterminée.
04:09 C'est aussi violent.
04:11 Moi, je pense que les enfants de bourreaux,
04:13 et j'ai beaucoup travaillé sur les enfants des condamnés de Nuremberg,
04:16 que les enfants de bourreaux souffrent infiniment.
04:19 C'est très compliqué d'être l'enfant de Hans Frank,
04:22 qui était le dictateur de la Pologne pendant la guerre,
04:25 l'homme qui dirigeait Auschwitz.
04:27 C'est très compliqué.
04:28 Comment on grandit quand on est enfant de bourreaux ?
04:30 Et c'est aussi ça, ce roman.
04:32 Je parle d'une jeune femme qui va découvrir d'où elle vient
04:36 et qui va découvrir, en effet, que son grand-père a servi dans l'armée d'Antonescu
04:40 et que c'est très probablement un criminel de guerre.
04:43 Seulement, il n'y a pas eu de procès en Roumanie.
04:45 On a eu Nuremberg pour les Allemands,
04:47 donc on a pu écrire l'histoire de la Shoah commise par les Allemands.
04:52 On n'a pas pu écrire celle commise par les Roumains.
04:55 D'où cette chapse de silence, en fait,
04:58 qui a recouvert l'histoire de la Roumanie, que vous décrivez très bien.
05:02 En tout cas, vraiment, je vous conseille de lire ce livre,
05:05 "Mais pas dans leurs ombres".
05:06 C'est vraiment un très beau livre.
05:08 Et en plus, c'est vrai qu'on apprend beaucoup de choses sur l'histoire de ce pays,
05:12 cette enclave latine à l'Est que peu de gens oublient
05:16 et où beaucoup de gens parlent encore très bien le français.
05:19 Merci beaucoup, Lionel Durand.
05:21 Merci.
05:22 [Musique]
05:27 [SILENCE]