• il y a 10 mois

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00:00 [...]
00:07 ...soir à Pouces. Donc on a profité du fait que le 12ème colloque francophone sur les sondages se tient à Paris, enfin à Aubervilliers,
00:16 c'est-à-dire pour proposer à nos amis du groupe Statistique et Enjeux Publics d'organiser un café avec eux.
00:23 Le sujet qu'on a choisi de traiter est celui des sondages et des médias, et plus précisément du rôle que jouent les médias dans la montée en puissance des sondages
00:33 et dans leur influence sur l'opinion publique. Pour discuter de ce sujet, nous avons invité Luc Brenard. Donc Luc Brenard est pris Albert-Longres,
00:43 il a reçu le prix Albert-Longres en 2007. Il a été directeur de la rédaction du Monde de 2015 à 2021. Et il est aujourd'hui grand reporter au Monde
00:55 et auteur d'une enquête sur les panels en ligne utilisés par les instituts marketing. Donc Luc, je vous laisse la parole.
01:04 — Bonjour à toutes, bonjour à tous. Ravi d'être ici avec vous pour échanger. Pour moi, l'idée est de faire une présentation assez rapide
01:26 de cette question qui est évidemment très intéressante, et puis d'avoir tout le temps nécessaire pour échanger, vous entendre, répondre dans la mesure du possible
01:36 à vos interrogations, en sachant que quand on parle des sondages et des médias, et de la question, de la critique des sondages et de la critique des médias,
01:45 on allume d'emblée deux bonnes raisons de se disputer et de se fâcher, puisque la question des sondages et la question des médias sont des sujets
01:54 sur lesquels assez facilement et assez légitimement, je voudrais dire, la critique peut être portée. J'avais envie de commencer par vous raconter
02:06 comment j'en suis arrivé à travailler sur les sondages et pourquoi je les continue. Parfois, les idées de reportage naissent des notes de bas de page.
02:16 Je fais partie de cette catégorie très particulière de lecteurs qui adorent les notes de bas de page. Je pense qu'il y en a d'autres ici autour de ces tables.
02:24 Je ne sais pas très bien expliquer pourquoi, mais j'avoue que dans les notes de bas de page, souvent, on trouve des pépites.
02:30 Quand on écrit soi-même des livres, on se dit que parfois la bonne idée est dans la note de bas de page, donc ça rend modeste. Dans les notes de bas de page,
02:38 je fais référence, pour le coup, aux notices des sondages. Et je dois dire qu'en tant que directeur de la rédaction du Monde pendant des années,
02:46 j'ai contribué à publier des sondages sans complètement lire les notes de bas de page. Et donc, en disant ça, je formule d'emblée un point qui est de l'ordre de l'autocritique,
02:59 en disant que probablement je n'avais pas assez regardé. Et il se trouve qu'en devenant grand reporter, on a un peu plus de temps que quand on est directeur de la rédaction
03:06 de ce beau journal, grand journal, qu'on a un peu compliqué parfois, on a un peu plus de temps pour lire les notes de bas de page, et notamment pour la première fois,
03:16 tomber sur les access-panels. Et de me dire, avec un réflexe journalistique qui est un peu la base du journalisme, mais qu'on a tendance parfois à oublier,
03:27 de partir de sa propre interrogation et de se dire "mais qu'est-ce que c'est qu'un access-panel ?" et de ne tout simplement pas savoir ce que ça signifie
03:35 comme point de démarrage, et tout simplement de commencer à se renseigner et de voir qu'en réalité, il n'y a pas grand-chose d'écrit sur ce sujet.
03:45 En tout cas, il n'y avait pas grand-chose au moment où j'ai commencé. Et de là est née une enquête assez longue. C'est un des privilèges de ce journal
03:56 de pouvoir donner du temps aux journalistes. Dans le propos que je vais faire avec vous, il y a une idée autour du low-cost et de comment,
04:03 quand on cherche à faire des économies, à la fin on obtient ce pour quoi on a payé. Donc quand on fait du low-cost en sondage, en journalisme, en recherche,
04:13 on obtient souvent des résultats qui valent ce qu'est le low-cost. Mais je vous dis tout ça parce que, tout simplement, j'ai commencé sur les access-panels
04:25 à essayer de comprendre comment marchaient les sondages en ligne, et essayer d'avoir des sources qui me racontent. Et je suis tombé sur une sorte de trou noir.
04:34 C'est-à-dire que les gens à qui j'en parlais étaient assez incapables, y compris des gens qui pouvaient travailler en proximité avec ce secteur-là,
04:42 de m'expliquer de façon précise et simple comment ça fonctionnait. Et donc j'ai fait quelque chose de très simple au début, avec mon propre nom.
04:50 Je me suis inscrit comme paneliste, comme une de ces personnes que vous devez connaître puisque vous êtes beaucoup passionné par les questions de statistiques,
04:59 de ces personnes qui répondent à des sondages en étant inscrits en ligne dans des panels. Et donc j'ai commencé, tout simplement, sur mon propre nom, à répondre à des questions.
05:08 Déjà où j'ai été très intrigué, donc j'ai répondu à des sondages, une fois, deux fois, en me disant "mais qu'est-ce qui se passerait si, au lieu de m'appeler Luc Bromère,
05:16 d'avoir 48 ans, d'être domicilier en Ile-de-France, je m'appelais..." - alors vous verrez que j'ai inventé plein de noms que je ne donne pas, puisque je ne voudrais pas que les panels me retrouvent -
05:26 voilà, j'ai commencé tout simplement à me poser cette question de "qu'est-ce qui se passerait si j'avais 20 ans et que j'habitais, par exemple, en région Pacara ou en Occitanie,
05:37 est-ce qu'on me proposerait les mêmes sondages ?" Et comme, assez vite, j'ai vu que ces résultats étaient assez étranges, j'ai créé deux, trois, jusqu'à une dizaine,
05:48 je crois une douzaine même, j'avoue, je ne sais plus, d'identités fictives pour pouvoir remplir des sondages, de façon assez mécanique.
05:56 C'est là où c'est un privilège de travailler dans ce journal, parce qu'on a le temps de procéder à des expériences journalistiques.
06:03 Je ne vous cache pas qu'à un moment donné j'ai cru devenir un peu flou, parce que je répondais à des sondages en continu toute la journée,
06:08 vraiment pour essayer de comprendre la mécanique. J'ai répondu, je pense, à près de 300 sondages en réalité.
06:16 Je ne vous rassure pas tous intégralement, parce que parfois il y a des sondages qui sont, je ne sais pas comment dire, sans être trop durs tout de suite,
06:25 mais dont on voit que ça n'a aucun intérêt. J'ai répondu évidemment à des sondages politiques, puisqu'on était dans une période,
06:31 l'automne 2021, où les sondages d'intention de vote commençaient à monter fortement, et donc, de façon éthique, j'ai répondu tout ou n'importe quoi.
06:40 Mais j'aurais pu répondre de façon beaucoup plus militante, ça n'aurait pas été une difficulté d'un point de vue technique.
06:48 Et donc j'ai fait ça pendant des semaines et des semaines, avec une idée évidemment de, ensuite, confronter ce que j'avais observé
06:58 avec ce qu'allait l'être les instituts de sondage. Mais je l'ai fait en deux temps. C'est d'être journaliste, c'est de pouvoir aller chercher l'information sur du long terme.
07:07 J'aurais d'abord demandé de me dire comment fonctionnaient les panels. Et là j'ai eu une sorte de... je ne sais pas, encore une fois,
07:14 je vais être prudent dans ma formulation, puisqu'on en parlera si vous voulez, il y a des instituts de sondage qui font des procès en diffamation
07:21 sur des chercheurs qui sont critiques sur le fonctionnement des sondages. Mais donc j'ai eu des versions officielles sur le fonctionnement des panels
07:29 qui ne correspondaient pas du tout à ce que j'observais dans ma propre pratique, avec ma dizaine de comptes différents.
07:37 Et j'en suis arrivé à publier un article dans le journal, alors avec cet autre privilège qu'offre ce journal aujourd'hui,
07:46 qui est de pouvoir écrire sur trois pages du Monde un seul article. Donc d'assumer une forme de longueur et d'assumer une forme de complexité
07:56 pour raconter cette expérience étrange qui est de publier, comme ça, pendant des semaines, plusieurs centaines de sondages
08:02 et de confronter ensuite cette série de découvertes, en tout cas d'informations, aux sondeurs, qui m'ont donné des versions variables,
08:16 qui m'ont donné des versions qui parfois n'étaient pas correctes, qui se sont corrigées ensuite. Et j'en suis arrivé à la conclusion,
08:24 et je suis très heureux d'en débattre avec vous et qu'on m'apporte des éléments contradictoires, parce que le sujet, je pense,
08:30 de point de vue démocratique est absolument majeur, au sentiment que, pour plein de raisons, notamment des questions de financement,
08:38 et là, nous médias, on doit réfléchir et se poser une série de questions, puisqu'on ne paye pas les sondages,
08:44 et que je pense que quand on ne paye pas quelque chose, eh bien, il ne faut pas être surpris du fait qu'on ait une qualité
08:50 qui corresponde au prix qu'on paye. Donc quand on ne paye pas, voilà, je pense qu'il y a un vrai problème.
08:55 Et les sondeurs ont raison de nous renvoyer le fait qu'on est très mal placés pour critiquer des sondages qu'on ne paye pas,
09:01 ou vraiment marginalement. Mais la conclusion, c'est que pour plein de raisons, y compris des raisons méthodologiques,
09:09 et j'imagine que vous allez en parler sur la difficulté d'accéder à des populations qui, aujourd'hui, ne veulent plus répondre en face-à-face,
09:17 ne veulent plus répondre au téléphone. Les panels en ligne sont devenus des outils d'apparence très performants, très efficaces.
09:25 Mais à la fin, on livre, je trouve, et c'est un point de vue personnel qui n'engage que moi, des représentations,
09:35 des visions de ce que sont les problèmes sociaux, politiques, économiques, qui sont...
09:43 Je vais essayer de rester diplomate, parce que je ne pourrais pas me faire trop d'ennemis en une seule fois avec les instituts de sondage,
09:49 où c'est parfois déjà un peu compliqué, qui sont de qualité très médiocre pour moi. Et c'est embêtant parce que nous, médias,
09:55 et vraiment, je pense que la formulation de la conférence est pertinente, on est co-responsables.
10:02 C'est-à-dire qu'on a tendance à publier des sondages, à publier des estimations, à reprendre une partie de communication,
10:12 puisque la gratuité des sondages fait que parfois on confond gratuité d'un sondage et exclusivité.
10:18 Chaque fois que vous lirez ce que je lis, "exclusif", deux points, un sondage révèle que...
10:24 Bon, l'exclusivité, c'est simplement qu'une institution a décidé qu'elle allait utiliser un sondage
10:29 qu'après, elle ne doit pas tellement lui déclare, pour parler de sa propre activité.
10:33 C'est-à-dire que la notion d'exclusivité est assez faible. C'est relative, en tout cas.
10:39 Mais ce sentiment qui, pour moi, est problématique, c'est qu'on produit un volume d'études,
10:45 on produit un volume d'informations qui est absolument fascinant.
10:53 Vous faites l'exercice, par exemple, vous prenez Google News et vous tapez "sondage, études d'opinion"
10:59 et vous regardez tout ce qui est publié, tout ce qui est repris par les médias,
11:03 avec à la fin, pour moi, ce sentiment, encore une fois, c'est une critique sur les médias,
11:07 sur moi-même, sur nous-mêmes, avant des critiques sur les sondages.
11:11 Le fait de publier comme ça une quantité d'informations de qualité me semble-t-il très faible.
11:18 Ça serait qu'un problème de médias et un problème de sondage, ça serait pas très grave.
11:22 Après tout, je pense que c'est un problème démocratique, parce que dans la fabrication de la décision publique,
11:28 les sondages pèsent et l'utilisation par les médias des sondages n'est pas neutre.
11:33 Et donc, à la fin, cette façon de faire entre médias et sondeurs a, je pense, des conséquences.
11:43 Je serais très curieux de vous en parler là-dessus.
11:45 Par exemple, sur la perception du temps long, sur la perception du long terme.
11:49 Dans quelle mesure, quand on est dirigeant d'une démocratie, aujourd'hui, soumise à la pression des sondages,
11:56 on est capable d'avoir une politique de long terme ?
12:00 Ces sondages sont fondés sur des accès spanels, avec toutes les limites que je viens de vous décrire,
12:04 et sur lesquelles je vais pouvoir revenir longuement si vous le souhaitez.
12:07 Je me demande bien quelle perception les gouvernants peuvent avoir de la réalité d'une société.
12:14 Je travaille, par exemple, en ce moment, sur les comptes de campagne et la façon dont les sondages ont été utilisés
12:21 pendant une campagne présidentielle.
12:23 Je dois vous dire, je tombe parfois à la renverse en lisant certaines des études
12:26 qui ont contribué à faire la campagne présidentielle.
12:30 Je tombe à la renverse, par exemple, quand je relis certaines estimations de votes
12:36 à l'automne dernier, où par exemple, Eric Zemmour est monté à des chiffres qu'on a tendance un peu à oublier.
12:42 Je crois que ça montait jusqu'à 17% pour un institut de sondage.
12:45 Il a été testé au second tour, parfois de façon assez élevée.
12:49 Tout ça n'est pas neutre. Tout ça contribue à fabriquer le débat public.
12:53 Tout ça contribue à ce qu'une partie des thématiques dans le débat soit traitée ou ne soit pas traitée.
13:00 Et c'est pour ça que je pense que sur ce sujet, on a besoin de travaux, d'expertise.
13:09 Alors demain, dans le cadre du colloque, il y a une étude qui est très intéressante,
13:14 qui est discutée sur ce sujet.
13:17 Je pense que nous, médias, on doit être soumis à la critique.
13:21 Alors on a un peu l'habitude en tant que médias d'être soumis à la critique.
13:24 Mais je pense que c'est vertueux.
13:26 Et je pense par ailleurs que c'est un sujet sur lequel on a besoin de travail de l'antenne.
13:32 Parce que L'Oréal, que Renault, que PSA, toutes les entreprises que vous voulez,
13:40 utilisent des sondages et que c'est un impact sur leur stratégie ou qu'ils ne l'utilisent pas.
13:49 Bon, je dois dire que ce n'est pas ma préoccupation première.
13:53 En revanche, que tous ces outils qui font le débat public,
13:57 et que nous médias avons la responsabilité de faire vivre, de faire émerger,
14:01 et de faire en sorte qu'ils contribuent au débat public.
14:05 Pour le coup, je pense que nous avons une responsabilité qui est aujourd'hui fondamentale.
14:10 Voilà, je suis peut-être un peu rapide.
14:13 Mais je me dis que c'est bien de commencer comme ça déjà à échanger.
14:17 Si vous avez des remarques, des critiques, des questions...
14:21 ...

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