Christine Kelly et ses chroniqueurs débattent de l'actualité dans #Facealinfo
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00:00 Bonsoir à tous, 19h, c'est l'heure, mais nous communions tous ensemble avec l'équipe de Face à l'Info ce soir
00:09 en hommage à Misak Manouchian et son épouse, ainsi qu'aux 22 camarades exécutés en même temps
00:19 au Mont-Valérien le 21 février, donc nous suivons en direct cette cérémonie.
00:25 Nous faisons un petit tour de table rapide tout en étant évidemment connectés avec,
00:31 s'il se passe en direct, Mathieu Bocote. C'est un moment très fort ce soir pour la nation tout entière.
00:36 Vous avez utilisé le mot important, je crois, c'est la nation. La nation, c'est-à-dire c'est un moment patriotique.
00:42 Des hommes prêts à mourir pour un pays, pas pour une humanité désincarnée,
00:46 pour un pays auquel ils adhèrent au point d'être prêts à mourir pour lui pour qu'il puisse continuer.
00:51 C'est probablement la marque ultime du patriotisme depuis la nuit des temps jusqu'à la fin des temps.
00:57 C'est la marque la plus fondamentale. Je me sacrifie pour que le pays dure.
01:01 Et de ce point de vue, c'est une cérémonie évidemment magnifique.
01:05 Il y a un paradoxe assez étonnant, c'est que peut-être que la nation a rarement été aussi divisée,
01:10 peut-être que l'idée de nation a rarement été aussi décriée,
01:13 peut-être que même notre République, notre démocratie a été aussi peu, aussi rarement dans l'histoire foulée au pied.
01:20 Et pourtant, les cérémonies se succèdent pour exprimer la concorde et pour nous réunir.
01:27 Ce qui ne saurait plus me faire plaisir.
01:29 Mais en même temps, je me demande si parce que la réalité manque qu'il faut multiplier les cérémonies de ce type.
01:35 Charlotte.
01:37 Je crois que depuis la première seconde du début de cette cérémonie,
01:40 quand on a entendu ces noms aigrénés et ces élèves répondre "mort pour la France" à chaque fois,
01:47 je pense que s'éteignent toutes les discussions de ces derniers jours.
01:50 On comprend, ils sont morts pour la France, la France leur rend hommage,
01:53 non pas parce qu'ils sont ceci ou cela, mais simplement parce qu'ils avaient choisi la France au point d'en mourir.
01:58 Et là, évidemment que le pays entier est présent précisément pour cette raison et cette raison seulement en réalité.
02:07 Tant qu'on est à l'extérieur, on va continuer à discuter quand on est à l'extérieur en termes d'hommage.
02:12 On va continuer à en discuter, je vais revenir avec vous Charlotte dans un instant.
02:16 Et on continue notre tour de table.
02:18 Marc, pour vous aussi, c'est un hommage et un moment fort, important pour la nation, pour la patrie.
02:25 Oui, pour la France, pour la culture, pour notre langue.
02:28 Ça nous rappelle aussi ce qui s'était passé en 1914,
02:31 quand Bled-Sandras et tous les étrangers à Montparnasse, spontanément,
02:36 avaient créé la brigade étrangère pour partir au front.
02:40 Et ce martyr, parce qu'on peut parler de martyr,
02:43 Missak Manouchian, c'est une vie qui est broyée dès les premiers mois de son existence,
02:51 avec le drame arménien et ce personnage.
02:56 Et là, une force en lui, une flamme.
02:59 Son père meurt, sa mère meurt, un de ses frères meurt.
03:03 Et dans tout cela, il arrive, il se replie sur lui-même,
03:07 il se crée une culture et il rêvera de la France,
03:11 il découvre notre culture au Liban, où il est dans un pensionnat,
03:16 et il gagne Marseille.
03:18 Il rêve ensuite de Paris et à la bibliothèque Sainte-Geneviève,
03:22 là, juste à côté du Panthéon, seul.
03:26 Il prend les livres, il rencontre les poètes,
03:30 et depuis déjà des années, il forge notre langue, les mots.
03:35 Ce personnage est l'exemple même de l'espoir que représente le monde
03:40 pour nombre de ceux qui, sur la planète, se disent qu'il y a un espoir
03:46 qui lui quelque part, et cet espoir, c'est la France.
03:50 Alors Charlotte, je vous sens très émue par rapport à ce dont vous parliez
03:55 il y a quelques instants, c'est-à-dire l'appel des 24 noms,
04:00 ces 24 noms qui ont été lus tout à l'heure par ordre alphabétique,
04:03 on l'a pu vivre en direct sur CNN, suivi par la mention
04:07 "Mort pour la France", prononcée par les élèves du lycée militaire d'Autin,
04:12 médaillé de la Résistance française. En quoi ça vous touche ?
04:16 - Ça me touche énormément parce que précisément, il y a énormément de discussions,
04:20 il y a des parcours qui sont très différents, et à la fin, vous avez ces enfants,
04:24 parce que ce sont des enfants, qui sont là, alignés,
04:28 qui se tiennent droit, debout, et qui répètent comme ça, ce chapelet,
04:33 ils entendent des noms dont ils ne connaissaient probablement même pas l'existence
04:37 il y a encore quelques mois ou quelques jours, ils ont dû étudier à la fois cette période,
04:42 leur sacrifice, et de les voir répondre comme ça, 24 fois, "Mort pour la France",
04:48 avec cette droiture, juste après avoir entendu, comme tous les gens qui ont écouté
04:53 la lettre de Misak Manouchian, qui venait d'être lue,
04:59 et qui est une lettre qui est pareil, qui est dans le choix du vocabulaire,
05:03 dans les préoccupations de cet homme au moment où il va mourir, dans les priorités...
05:08 - La lettre d'adieu adressée à sa femme, Mélinée.
05:11 - C'est ça, et il parle à sa femme, et il lui dit ce qu'il veut pour elle,
05:14 ce qu'il a aimé en France, les raisons de son sacrifice,
05:18 ce qu'il espère pour la suite, il prend le temps de pardonner
05:22 à ceux qui ne lui ont même pas demandé pardon au moment où il écrit cette lettre,
05:26 tout est magnifique, et donc en effet, voir ces petits jeunes
05:30 qui ont la chance, quelque part, de toucher à quelque chose qui est le fil entre les générations,
05:35 je crois que le cœur de ces cérémonies, c'est précisément la transmission d'un pays,
05:40 tout simplement, mais vraiment tout simplement, et c'est aussi...
05:43 Parfois on se déchire sur cette question, et on voit qu'avec une cérémonie pareille,
05:48 à la fin on se retrouve tous sur des choses qui ne passent pas,
05:52 et de génération en génération, c'est la même cérémonie, le même hommage,
05:56 au nom d'un pays qui nous dépasse tous, et dont nous avons hérité par la force des choses,
06:01 et moi la première chose que j'ai envie quand je vois ça,
06:05 c'est de me dire est-ce qu'on sera capable de le transmettre, tout simplement,
06:08 et oui, j'y trouve finalement une mission.
06:11 - La lettre dont vous parlez a été lue par Patrick Bruel,
06:15 là on voit à l'image l'arrivée du cortège sur la place du Panthéon,
06:21 et vous vouliez rebondir, Mathieu Beaucoté, sur ce que disait Charles O'Donnella,
06:28 sur le cœur de la transmission d'un pays, c'est ce que vous ressentez aussi?
06:32 - On est passé, disons, d'une société où le rapport au pays
06:37 était sous le signe de la gratitude à une société du grief et de l'adoléance,
06:42 et il y a quelque chose, un basculement ces dernières décennies,
06:46 où globalement il y avait ce souci de s'inscrire dans une continuité,
06:50 c'est-à-dire qu'il y a une part sacrée, il faut jamais oublier,
06:53 il y a une part sacrée dans la patrie, c'est le même dans l'hymne national,
06:56 et l'originalité des temps présents, c'est plutôt un désir d'extraction,
06:59 c'est-à-dire que chacun veut se désaffilier de son pays, de son peuple,
07:03 chacun serait petit maître d'une existence totale,
07:06 et n'a avec son pays qu'un rapport de reproche,
07:09 à tout le moins c'est ce que l'époque nous pousse vers cela.
07:12 Or qu'est-ce qu'on voit devant une cérémonie comme celle-là,
07:15 moi j'en suis convaincu, le patriotisme n'est pas qu'une idéologie,
07:18 c'est une part essentielle de l'âme humaine,
07:21 un besoin fondamental de l'âme humaine c'est s'inscrire dans la continuité historique d'un peuple,
07:25 avec ce souci de récupérer l'héritage de nos pères,
07:29 et de l'améliorer un peu, mais en ayant le souci de ne jamais l'abîmer
07:32 pour la génération qui suivra.
07:35 Et la question qu'on peut se demander aujourd'hui,
07:38 qu'il y ait encore des gens prêts à mourir pour leur pays, on le sait, on le voit,
07:41 mais il reste à savoir s'il s'agit de l'exception ou s'il s'agit d'une disposition générale
07:45 qui pouvait être transmise, comme c'était le cas dans ces générations passées,
07:48 d'hommes qui, je le répète, aujourd'hui sont célébrés,
07:51 non pas pour tout ce qu'ils ont de singulier, communiste, étranger, tout ça,
07:54 mais parce qu'ils sont morts pour la France.
07:56 Et il y a quelque chose de beau, soit dit en passant,
07:58 à ce qu'un homme qui ne vienne pas de la continuité longue d'un pays,
08:01 qui n'a pas de profonde racine dans un pays, soit prêt à mourir pour ce pays,
08:05 sous le signe, encore une fois, de la gratitude.
08:07 C'est un imaginaire qui n'est plus nécessairement le nôtre, mais qui pourrait le redevenir.
08:11 On voit toujours l'arrivée du cantin sur la place du Panthéon.
08:15 Vous disiez à Mathieu Bocoté, et je m'adresse à vous Guillaume Bigot,
08:18 il disait que le patriotisme répond à une partie de l'âme humaine.
08:22 Et c'est vrai, comme disait Charlotte, on ne peut qu'être ému
08:26 lorsqu'on entend ces 24 noms "mort pour la France", "mort pour la France", "mort pour la France".
08:32 Qui, pour en bon dire, à votre remarque, aujourd'hui,
08:37 peut dire "je suis prêt à mourir pour la France".
08:39 Vous dites beaucoup, mais on peut se poser la question.
08:43 Où est la notion du patriotisme aujourd'hui ?
08:46 D'abord, c'est une histoire de transmission.
08:51 Cette cérémonie est fondamentale parce qu'elle transmet.
08:56 Et cette transmission, elle s'opère tous les 11 novembre.
08:59 Je partage complètement l'émotion de Charlotte.
09:01 Tous les 11 novembre, ces jeunes hommes, entre 18 et 20 ans,
09:04 qui sont morts 14-18 et en 39-45, on égrène leur nom.
09:09 Enfin, le 11 novembre, c'est 14-18.
09:11 Et il y a les écoliers de chaque commune française,
09:14 donc des enfants, de petits-enfants, qui répondent "mort pour la France".
09:17 Et c'est quelque chose de très caractéristique de la France.
09:20 Je pense que c'est quelque chose...
09:22 La France est incarnée par un visage féminin.
09:24 C'est quelque chose... C'est une patrie qui est aussi douce, qui est vulnérable.
09:28 Et simultanément, la France, c'est le pays le plus militaire du monde.
09:32 C'est la seule nation du monde qui arrive à attirer dans ses rangs
09:35 ces hommes de la Légion étrangère,
09:37 qui sont peut-être les soldats les plus redoutables du monde,
09:39 qui sont redoutés sur tous les terrains de combat.
09:41 Et en réalité, la France, c'est ça.
09:43 C'est à la fois une figure de gloire et parfois une figure de pitié,
09:46 une figure de vulnérabilité.
09:48 Et c'est pour ça qu'il y a quelque chose de creux
09:50 à opposer la France charnelle, la France réelle,
09:53 à la France idéale, la France d'une certaine idée.
09:55 En réalité, c'est la même chose.
09:57 C'est vraiment deux faces d'une même pièce.
09:59 Qu'est-ce qu'il y a de plus charnel
10:01 que de donner sa vie pour la France ?
10:03 Rien. Et pour répondre à votre question de base,
10:05 il faut se rappeler que ces héros n'ont pas voulu être des héros.
10:09 Ils ont été entraînés et ils n'ont pas eu le choix
10:11 parce que des hommes en armes sont venus faire la loi ici
10:14 au nom d'idéaux qui ne sont pas les nôtres.
10:16 Et donc ces hommes, même s'ils n'étaient pas français,
10:18 ils étaient effectivement français de cœur,
10:20 ils ont pris les armes pour défendre ces idéaux
10:22 et pour défendre la France. Je ne vois pas de différence
10:24 entre les deux et d'opposition possible entre les deux.
10:26 Et en fait, il ne faut jamais oublier que ces gens
10:29 n'ont pas eu de choix que d'être des héros.
10:31 Dans les FTP, moi je les connais bien,
10:33 parce qu'il y en a dans ma famille,
10:35 ce sont des gens qui de toute façon étaient traqués.
10:37 Donc quand ils se sont sortis, quand ils se sont sauvés,
10:39 soit ils mourraient, ils étaient attrapés par la police
10:41 parce qu'il y avait un couvre-feu,
10:43 soit ils rentraient dans ces réseaux de résistance.
10:45 Ils n'ont pas toujours voulu être des héros,
10:47 mais ils l'ont été quand même par le sang versé, évidemment.
10:50 Et c'est très important aussi de rappeler à mon avis
10:52 à tous les Français que la plupart de nos compatriotes
10:55 pendant la seconde guerre mondiale,
10:57 parce qu'on veut absolument aligner moralement
11:00 la France sur l'Allemagne pour construire l'Europe,
11:02 mais la plupart des Français étaient épouvantés par l'occupation.
11:06 Tous les sondages le montrent, les gens détestaient les Allemands,
11:09 ils détestaient les nazis.
11:10 Ce n'est pas vrai que la France ait été collaborationniste.
11:12 La vérité, c'est que c'est la classe dirigeante
11:14 qui a été collaborationniste.
11:15 Et cette classe dirigeante, maintenant,
11:16 elle essaye de coller sur le dos du peuple cette culpabilité.
11:19 Ce n'est pas la même chose que de dire que tous les Français
11:22 étaient des héros, étaient des résistants.
11:24 Évidemment, très peu de gens ont été des résistants, des héros.
11:26 C'était très difficile.
11:27 Est-ce qu'on pourrait tous donner notre vie pour la patrie ?
11:31 J'espère que la question ne se posera jamais.
11:33 Et j'espère aussi qu'on aura le courage de le faire,
11:35 si c'est nécessaire.
11:36 Peut-être que la question est déjà posée aujourd'hui.
11:38 Je ferme la parentale.
11:39 Marc Venant.
11:40 Ce qui est formidable, c'est qu'on ne cesse depuis des années
11:44 de parler d'assimilation.
11:46 Et là, il y a une fusion spontanée.
11:50 C'est-à-dire que tout à l'heure, j'utilisais le mot d'espoir.
11:53 Il se présente sur notre terre et il voit scintiller devant ses yeux
11:58 lui qui n'a connu que le malheur, les abominations,
12:03 les peuples laminés, les cadavres.
12:06 Et il voit devant lui la lumière qui lui est offerte.
12:12 Et cette lumière, qu'il comprend tout de suite,
12:14 qu'il pourra s'en enrichir grâce aux mots.
12:18 Là encore, alors que nous avons cette langue qui s'appauvrit,
12:23 lui tout de suite, il va seul dans les bibliothèques,
12:27 il va à la sorbonne et telle l'abeille, il butine.
12:32 Il ne se contente pas de les ranger.
12:35 Il veut tout de suite qu'ils s'expriment,
12:37 qu'ils aient cette force et qu'ils proposent l'élévation par l'âme.
12:45 Et cette âme, on la trouve dans la plume.
12:48 Et c'est ce qui les galvanise au quotidien.
12:51 N'oublions pas ce qui se passe ce 21 février.
12:54 Ces 23 personnes, dont une femme,
12:58 qui sont menées après avoir été à la prison de Fresnes,
13:03 à un procès bâclé, on leur dit,
13:07 et les plus jeunes ont 20 ans,
13:09 "Vous serez exécuté."
13:11 Et ce qui est invraisemblable, c'est qu'ils se cambrent en eux-mêmes
13:17 et ils trouvent cette force d'affronter les 40 Allemands
13:24 qui sont là avec les armes et qui les attendent pour les cueillir.
13:30 Il y a cinq poteaux, c'est-à-dire que c'est par petite équipe
13:39 que l'on est positionné, les mains attachées derrière le dos
13:45 et vous faites front, toujours dans la dignité.
13:50 Manouchian refusera qu'on lui bande les yeux.
13:55 Il a vu tomber ses camarades, les uns derrière les autres.
14:00 Vous imaginez ceux qui étaient avec vous,
14:04 ceux qui ont cultivé l'audace,
14:06 qui ont eu le courage, cette armée des ombres,
14:11 et là, les uns et les autres qui s'affaisent, qui tombent,
14:16 cette mitraille qui signifie la disparition à tout jamais
14:22 et vous attendez votre tour.
14:25 Et pour autant, vous revendiquez de faire front.
14:31 -Charlotte, tout à l'heure, évoquait cette lettre
14:34 sans la moindre haine.
14:37 Comment peut-on être capable, après tout ce qu'il a vécu,
14:40 de pouvoir encore se présenter en se disant
14:45 que l'espèce humaine mérite le pardon ?
14:49 Comment ce jeune homme qui sait, et c'est sa grande chance,
14:56 que sa femme a échappé à la tragédie,
15:00 notons au passage qu'elle a trouvé refuge
15:03 chez les parents de Charles Aznavour.
15:05 Ce sont eux qui la cachent.
15:09 Que se passe-t-il dans sa tête quand il voit les soldats
15:16 qui lèvent les armes et qui l'attendent le coup de feu ?
15:23 Cette femme à qui il a dit "Vis sans moi",
15:27 cette femme à qui il a dit "Aie un enfant",
15:31 comme si la fusion qui était la leur
15:36 a créé une sorte d'alchimie
15:40 où il sera immanquablement présent
15:45 à travers le petit être qui se présentera sur terre.
15:50 C'est incroyable, cette audace face à la mort,
15:55 cette sérénité, et ceux qui ont été retirés
16:02 pour que lui puisse apparaître également devant ces hommes
16:08 qui ne sont guère plus âgés qu'eux,
16:10 mais que l'histoire a transformé en bourreaux.
16:14 Il y a ceux qui sont agenouillés, ils sont vains,
16:18 et puis ceux qui sont debout,
16:21 ils sont là, larmes pointées vers les martyrs.
16:27 Le feu va claquer, il tombe,
16:32 et on a l'impression qu'il tombe encore dans l'espoir,
16:38 et cet espoir, c'est notre devoir aujourd'hui
16:42 de le prendre tel une graine et faisons le germer.
16:48 On va écouter quelques instants le chant des partisans.
16:51 Gaulez les tueurs à la balle et au couteau, tuez vite !
17:01 Gaulez sans fauteuil, l'attention à ton fardeau, dynamite !
17:09 C'est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères !
17:17 La haine à nos trous, c'est la faim qui nous pousse la misère !
17:25 Il y a les pays où les gens crevillent, où on les rêve !
17:33 Ici, nous voit-tu, nous on marche et nous on tue, nous on crève !
17:41 Ici, chacun sait ce qu'il veut, ce qu'il fait quand il passe.
17:49 Ami, si tu tombes, un ami, sans demeure, à ta place !
17:57 Demain, du sang noir séchera au grand soleil sur les routes.
18:05 Sifflez, compagnons, à la nuit d'ailleurs et nous écoutez !
18:13 ...
18:33 ...
19:01 -A Mark Menand, le chant des partisans.
19:05 -On pense forcément à Kessel, avec son oncle Maurice Druon, à Londres.
19:11 Quelques années auparavant, devant un piano, et puis soudain,
19:16 des paroles qui sont venues de l'autre bout du monde,
19:21 elles sont venues de Russie, et les traduisent en français.
19:27 C'est un jaillissement, une sorte d'inspiration supérieure.
19:32 Et c'est comme ça que naît ce chant des partisans, sans une rature,
19:39 dans un instant où on est à Londres, en train de chercher à se mobiliser
19:47 et de trouver ce qui pourrait être la sève que l'on se communiquerait,
19:54 ce qui pourrait attiser les cœurs, et partout, là où on est en lutte,
20:00 on l'entonnerait pour pouvoir affronter la mort, qui est l'espoir de la vie.
20:09 -Charlotte Dornelas, est-ce que sous la Ve République,
20:14 pendant qu'on continue avec ces images, il y a un record de panthéonisation
20:20 durant la Ve République, sous Mitterrand, il y a eu 7 panthéonisations,
20:25 René Cassin, Jean Monnet, Henri Grégoire, Gaspard Monge,
20:30 le couple Pierre et Marie Curie, est-ce qu'on est tombés aujourd'hui
20:36 dans un excès de commémorations, comme si on a soif de reconnaissance,
20:46 comme si ça comble un manque invide ?
20:50 -C'est sûr et certain, parce que la cérémonie et la panthéonisation,
20:54 quand on fait la liste des noms, on voit qu'ils le sont
20:57 pour des raisons très différentes et peu comparables.
21:00 Il y a deux choses, cette recherche de cérémonie, de commun,
21:05 c'est pour ça que les discussions qu'on a eues ces derniers jours
21:09 sont parfois peu à la hauteur de ce que l'on va chercher
21:12 intimement et profondément dans ces cérémonies.
21:15 A la fin, il reste quoi ? Il reste cette ancienne église
21:18 Sainte Geneviève, devenue panthéon qui retrace elle-même
21:21 toute notre histoire, pierre après pierre.
21:25 Il reste ces hommes de la Légion étrangère, chez qui on peut aussi
21:29 trouver un modèle, ce que disait Mathieu tout à l'heure,
21:32 de ces hommes qui ne s'inscrivent pas par le sang dans l'histoire longue
21:35 de la France et qui, pourtant, par le sang versé, s'y inscrivent
21:39 jusqu'à ce qu'on leur rende hommage pendant des années et des années après.
21:43 Il y a en effet ça qu'on va chercher dans les cérémonies,
21:46 et parfois ces cérémonies, et notamment celles au Panthéon,
21:50 on sent des ressorts d'ajustement politique, voire parfois politicien,
21:56 et ça en effet c'est dommage, mais ça se cache, et cachons-le ce soir,
22:01 derrière, je pense, une volonté. Après, il y a aussi un risque,
22:05 je pense, d'ailleurs, dans cette démarche-là, c'est de ne s'attacher
22:09 à la France charnellement que quand on en fait une sorte de musée,
22:13 finalement, et il faut trouver dans ces exemples, si on prend des modèles,
22:17 et si on dit "mort pour la France", il faut trouver, je le redis,
22:21 parce que je pense que c'est le plus important, il faut trouver
22:24 chez ces hommes-là la force et les vertus qu'ils ont exercées,
22:28 que l'époque les a aussi poussées à exercer, que leur éducation
22:32 les a aussi poussées à exercer, pour devenir des hommes solides,
22:36 prêts en effet à mourir, Guillaume a raison de rappeler que
22:40 personne ne va chercher à mourir, personne ne cherche à devenir un héros,
22:45 en revanche, le moment où ça se présente, il vaut mieux être prêt,
22:49 parce que je pense qu'on ne devient pas un héros par hasard,
22:52 on s'y prépare tous les jours de sa vie en réalité,
22:55 et récemment, on a eu l'exemple avec Arnaud Beltrame,
22:58 sa mère a répété au procès, il n'a pas cherché à mourir,
23:01 il a voulu certes prendre la place de cette femme pour la sauver,
23:04 d'abord, ce jour-là, la France avait le visage de cet otage,
23:07 c'est ça, Arnaud Beltrame s'était engagé pour sauver,
23:10 pour servir la France, ce jour-là, la France avait le visage de cet otage,
23:15 il a pris sa place, d'accord, mais il a pris sa place pour combattre ce terroriste,
23:20 il en est mort, mais il voulait combattre et être victorieux,
23:24 et c'est par sa mort qu'il a montré justement son service de la France,
23:29 je pense que ça, ce sont des vertus qu'il faut examiner,
23:33 et auxquelles il faut éduquer précisément les jeunes à ces vertus-là en particulier.
23:38 Être héros se prépare tous les jours.
23:41 Être plus gros que soi.
23:43 Et encore, faut-il avoir des idées au nom desquelles être plus gros.
23:46 Oui, mais là, en l'occurrence, malheureusement, l'histoire vous convoque,
23:52 soit vous vous réfugiez, vous caparassonnez en disant
23:57 "Attendons que les temps meilleurs arrivent, vous allez être celui
24:02 qui permettra de faire émerger ces temps meilleurs."
24:05 Et quand on est dans cette transcendance, la mort n'existe plus,
24:10 vous essayez de l'oublier, mais ce qu'il ne faut pas oublier ce soir,
24:17 parce qu'il y avait des Polonais qui étaient Juifs,
24:21 il y avait des Espagnols, il y avait des Arméniens,
24:28 mais il y avait aussi trois Français.
24:30 C'est-à-dire qu'ils sont l'exemple même d'une fraternité
24:35 qui se fonde dans cette cause qui est celle de l'espoir
24:42 et d'une liberté à reconquérir.
24:45 - Alors ici, vous avez vu à l'image les photos des 24 résistants
24:51 membres du groupe Manouchan. Mathieu.
24:54 - Je pense qu'aussi une cérémonie comme celle-là nous oblige
24:57 à nous poser quelques questions qu'on n'a pas l'habitude de se poser.
25:00 C'est-à-dire que ferait-on dans des circonstances semblables?
25:03 La vérité, c'est qu'on ne le sait jamais, mais on est quand même obligé
25:06 de se la poser. Alors moi, très franchement, on est d'une génération
25:09 qui a été complètement étrangère par rapport au courage physique.
25:12 On sait qu'il y en a qui n'en a pas. Le courage intellectuel,
25:15 on sait qu'il y en a qui n'en a pas, mais le courage physique,
25:18 bien franchement, et moi, je serais le dire, j'en ai aucune idée
25:21 si placé devant des circonstances tragiques, aurait-je le courage physique,
25:24 ne l'aurai-je pas, aurait-je la tentation de la fuite?
25:27 Il y a des gens qui sont habités depuis leur plus tendre enfance
25:30 par le désir d'être des héros. Ça existe.
25:33 - Et si vous permettez, tout à l'heure, je faisais allusion
25:36 au fait d'être héros aujourd'hui. Est-ce que c'est un courage physique?
25:39 - Je pense que c'est un courage physique aussi.
25:42 - Est-ce que c'est un courage intellectuel peut-être?
25:45 - Alors, en temps de paix, je dirais, le charme des temps de paix,
25:48 c'est que l'héroïsme ne va pas jusqu'au sang versé.
25:51 Globalement, le courage intellectuel, on connaît des gens, nous,
25:54 qui en ont, et on connaît surtout qui n'en ont pas,
25:57 des gens qui ne sont pas prêts à risquer ni leur réputation,
26:00 ni leur situation pour leurs idées, pour leurs convictions.
26:03 Et à la rigueur, je les comprends. Je veux dire, qui a envie de tout risquer?
26:06 Et c'est ce qu'on appelle, en ce moment, la réaction par rapport à la mort.
26:09 Pour les croyants, cette question, on trouve, c'est une réponse
26:12 à tout le monde pas aisée, mais je dirais plus simple.
26:15 Mais comment réagir devant la mort? Est-ce qu'on s'effondre devant la mort?
26:18 C'est tout à fait possible, et c'est pas désolorant, soit dit en passant.
26:21 Et je pense, il y a quelques réactions que j'ai enregistrées
26:24 dans ma mémoire au fil du temps de morts qui me bouleversent au XXe siècle.
26:27 Il y en a une autre qui me vient à l'esprit,
26:30 qui touche à la Deuxième Guerre mondiale,
26:33 c'est la mort du colonel Stauffenberg,
26:36 qui fait le complot de 1944 contre Hitler, pour tuer Hitler,
26:39 parce qu'il dit, il faut tuer Hitler,
26:42 pour sauver l'âme de ce pays, il faut en finir avec le tyran.
26:45 Et le complot, on le sait, échoue, le soulèvement de Stauffenberg échoue.
26:48 Et que dit-il au moment de mourir?
26:51 Il dit, vive la Sainte-Allemagne, dans ce cas-là.
26:54 Vous voyez, c'est particulier. Il meurt. Il meurt pourquoi?
26:57 Pour son pays. Il veut tuer le tyran.
27:00 L'attachement patriotique le poussait à vouloir se débarrasser d'un tyran.
27:03 Et moi, la réaction d'un homme par rapport à la mort,
27:06 au moment de la mort, il y a quelque chose là-dedans.
27:09 Donc vive la France, vive... Dans le cas de Stauffenberg,
27:12 vive d'autres pays, chacun est touché au pays où on mente du pur sacrifice.
27:15 Mais est-ce qu'on en sera encore capable aujourd'hui?
27:18 On est dans une société qui n'est plus préparée mentalement,
27:21 culturellement, qui ne prépare plus les ressorts des uns des autres à cela.
27:24 Et on peut s'en réjouir encore. Une fois, je dis personnellement,
27:27 j'espère mourir à 94 ans sur un rocking chair,
27:30 comme ça, tranquillement, en expliquant que j'ai eu raison toute ma vie
27:33 à ceux qui m'ont contredit. Mais il se peut qu'on vive dans d'autres circonstances aussi.
27:36 Voyant cela, ça nous ramène à nous-mêmes, à nos propres limites,
27:39 à nos propres aspirations, à nos insuffisances.
27:42 - C'est sûr qu'il faut des idéaux. Ce que disait aussi Charlotte,
27:45 c'est qu'on n'a pas envie de savoir si on est un héros ou pas,
27:48 parce qu'on n'a pas envie de se retrouver dans cette situation.
27:51 Mais ça se prépare. C'est sûr que ça se prépare toute une vie.
27:54 Et des gens comme Arnaud Beltrame, qui ont eu ce courage,
27:57 il a été forgé par des idéaux.
28:00 Et je crois que c'est une formule très poignante de Général De Gaulle
28:03 au moment de la Libération, sous les balles, d'ailleurs,
28:06 les gens se couchaient, ils restaient debout, il était gigantesque,
28:09 comme tout le monde sait, dans la crypte de Notre-Dame,
28:12 ou peut-être devant l'hôtel de ville. - Devant Notre-Dame.
28:15 - Devant Notre-Dame. Et il dit "il y a des moments dans nos pauvres vies
28:18 qui nous dépassent". C'est vraiment ça.
28:21 C'est-à-dire qu'il y a un moment où on sent que quelque chose est plus grand que nous.
28:24 Et je pense que la dignité d'un être humain, d'un homme,
28:27 ce n'est pas de vivre que pour lui. Ce n'est pas possible.
28:30 Il y a quelque chose dans l'être humain qui aspire à une grandeur.
28:35 Alors, évidemment, les réponses sont très différentes.
28:37 On sait que Manoukian a été communiste, tout en étant d'ailleurs très attaché à la France,
28:41 parce que la France représentait quelque chose d'immense,
28:44 et doit représenter quelque chose toujours d'immense,
28:46 on doit retrouver ce sens-là, une aspiration extraordinaire.
28:50 Mais, si vous voulez, il y a vraiment, sans avoir d'idéaux,
28:57 on ne peut pas finalement justifier l'héroïsme ou le don de soi.
29:01 Ça c'est un premier point. Deuxième point.
29:03 - Juste avant votre deuxième point, qu'on puisse expliquer aux téléspectateurs
29:06 que pour l'instant on voit projetés sur la façade du Panthéon
29:10 les différentes étapes de la vie de Misak Manoukian, son enfance arménienne.
29:16 - Le génocide arménien, j'imagine.
29:18 - Oui, l'ouvrier poète apatride, ensuite la phase "les militants et résistants",
29:23 et ensuite l'arrestation et la mort, pour vous expliquer un peu ce qu'on voit à l'image.
29:29 Je vous laisse continuer votre deuxième point.
29:31 - J'étais très sensible à ce que disait Mathieu tout à l'heure en disant...
29:34 - Je vous demanderais, qu'est-ce qu'être un héros aujourd'hui,
29:37 même si on a commencé à l'aborder, qu'est-ce qu'être un héros aujourd'hui en 2024, pour la France ?
29:42 - Mathieu disait "il y a un courage intellectuel, c'est déjà difficile de penser contre le groupe,
29:50 de se sentir à part". Il ne faut pas se tromper.
29:55 Des gens qui ont connu cette époque m'ont raconté qu'il y avait une bien-pensance.
30:03 C'est très important à comprendre ça.
30:05 Il y avait une bien-pensance en 1942, en 1943, en 1944, dans ces années très difficiles.
30:09 La bien-pensance, c'était Vichy. La bien-pensance, c'était des hommes politiques de centre-droite, de centre-gauche,
30:14 couchés devant l'Allemagne, qui voulaient fabriquer l'Europe nouvelle.
30:17 Et c'était eux qui avaient gagné. Alors évidemment, avec le débarquement, ça a un peu changé, la donne.
30:21 Mais grosso modo, il y avait cette bien-pensance.
30:23 Et la France officielle, les notables, tous les gens qui font la leçon aujourd'hui,
30:27 les magistrats, le conseil d'État, les vedettes de l'époque, les people, comment dire aujourd'hui ?
30:33 On ne disait pas les people, les journalistes, etc.
30:36 Toute la France officielle, toute la France des notables, était complètement avec Vichy.
30:40 C'est ça qui est compliqué. Et les gens qui ont vécu cette époque, ils étaient seuls.
30:44 Ils étaient seuls, ils avaient faim, il fallait qu'ils se cachent.
30:47 J'ai connu des gens qui avaient 15 ans, 16 ans, qui étaient des lycéens,
30:50 qui ne voulaient pas être des héros et qui étaient obligés de se procurer,
30:54 mais imaginez, à 16 ans, des marteaux pour aller tuer des soldats allemands.
30:58 Et s'ils ne tuaient pas des soldats allemands, ils n'avaient pas une planque le soir.
31:00 Vous imaginez ce que ça peut représenter ?
31:02 C'est ça, être un héros. Vous posez la question, mais c'est à toutes les époques la même chose.
31:05 Je pense que les vrais héros sont des gens qui servent des causes justes.
31:09 Et quand on sert une cause juste, on n'est pas un fanatique.
31:12 Et quand on est obligé de donner sa mort, et peut-être pire encore, de la prendre aux autres,
31:17 c'est vraiment parce qu'à un moment, on ne peut plus faire autrement.
31:21 Et il faut avoir ce ressort-là et ce courage à l'intérieur de soi.
31:24 Est-ce que c'est possible ? Je n'en sais rien.
31:26 Mais quand j'étais petit garçon, je me faisais mal, je me blessais.
31:29 Je me disais "mais comment ces gens ont eu ce courage ? C'est inimaginable."
31:32 Et donc il est fondamental, dans la transmission des générations,
31:35 d'enseigner ça, de comprendre ça.
31:38 C'est honteux d'apprendre les nounours, allumer des bougies, etc.
31:42 C'est pas ça, la France. C'est pas ça qui a fait la grandeur de la France.
31:45 La France est un pays d'idéal, de générosité, d'idéaux, de liberté, d'égalité, de fraternité.
31:51 Mais c'est jamais un pays qui s'est couché devant l'histoire.
31:53 Jamais. C'est un pays qui est resté debout,
31:55 et c'est un pays dont le peuple ne s'est jamais couché,
31:57 contrairement à ses élites, qui se sont souvent malheureusement couchées.
32:00 De la guerre de Cent Ans, en passant par 40, et je vais m'arrêter là.
32:03 - Mathieu, vous voulez réagir ? Ensuite on passe à Marc sur qu'est-ce qu'être un héros aujourd'hui.
32:08 - Je dirais, on parle beaucoup du rôle de l'idéal, et je le comprends,
32:11 mais je pense que l'homme ordinaire, et il ne faut pas l'oublier,
32:14 ne vit pas toujours sous le signe de l'idéal.
32:16 L'homme ordinaire veut avoir une vie à peu près tranquille,
32:19 et c'est une aspiration légitime.
32:21 Et c'est à ce moment que la question de l'héroïsme se pose autrement.
32:24 Et il y a sûr, il y a une prédisposition dans le caractère.
32:26 Je les admire. Franchement, il y a des gens qui sont prédisposés à être des héros.
32:30 Mais il y a l'homme ordinaire qui ne pense pas à ça tous les jours,
32:32 qui ne se rêvait pas héros, qui aurait espéré poursuivre sa vie tranquillement,
32:36 et il voit son pays envahit. Il voit son pays attaqué.
32:39 Et qu'est-ce qu'il se dit ? Il n'a pas réfléchi trois jours, quatre jours, cinq jours.
32:42 Quelque chose naît en lui, quelque chose se réveille en lui,
32:45 et il dit « mon Matak, je défends les miens, je défends mon peuple, je défends mon pays ».
32:49 Et ça, c'est comme je dis, ce n'est pas l'héroïsme idéalisé,
32:53 c'est la réaction vitale d'un homme qui ne tolère pas qu'on s'en prenne aux siens.
32:57 Je pense que c'est l'homme qui veut protéger sa famille, qui veut protéger les siens,
33:00 qui veut protéger sa patrie, et je pense que ça, c'est effectivement,
33:03 c'est un réflexe vital qu'on peut cultiver, mais c'est d'abord un réflexe vital, je crois.
33:08 - Bien déjà, là, ce qui est extraordinaire, c'est qu'au départ, ce n'est pas leur pays.
33:13 - Bien sûr. - Mais il se dit « c'est notre pays ».
33:17 Et ce n'est pas une fantaisie, ce n'est pas un hôtel,
33:19 ce n'est pas un endroit où il y a simplement de beaux décors,
33:23 de belles montagnes, des jolis cours d'eau, les pâquerettes qui fleurissent au printemps.
33:30 Non, il y a une âme.
33:32 C'est important de rappeler que faire peuple,
33:36 c'est de sentir qu'il y a quelque chose en nous d'irrationnel.
33:41 Ça rejoint la foi pour le croyant.
33:45 C'est ces éléments qui nous font nous propulser
33:50 et que l'on retrouve, vous dites « qu'est-ce qu'un héros aujourd'hui ? »
33:55 - Oui, c'est ça, mon cher Marc, la question qu'on peut se poser
33:58 lorsqu'on voit « qu'est-ce qu'être un héros aujourd'hui ? »
34:01 Qui est prêt, aujourd'hui, à se sacrifier pour son pays,
34:05 pour peut-être des idées, pour sa patrie, ou pour la patrie,
34:08 être un étranger et se sacrifier pour un autre pays qu'est la France ?
34:13 On a beaucoup parlé, par exemple, de Marie Curie,
34:16 qui a donné toute sa vie à la France, étant polonaise, n'étant pas française.
34:20 Il y a beaucoup de personnages de l'histoire
34:24 qui se sont sacrifiés dans leur carrière pour tout donner à la France.
34:27 Mais aujourd'hui, est-ce que ça a encore un sens ?
34:29 Aujourd'hui, est-ce qu'être un héros, dans ce sens, ça existe encore ?
34:34 - Eh bien, on le verra, je l'espère, dans quelques mois,
34:38 au moment des Jeux Olympiques.
34:40 C'est une autre forme d'héroïsme.
34:42 C'est-à-dire que, pour le drapeau,
34:45 pour essayer d'avoir un jour une médaille autour du cou,
34:49 en entendant... Parce que, écoutez-les,
34:52 quand ils se confient ici et là, depuis quelques semaines maintenant,
34:56 dans la perspective de ce qui les attend au mois de juillet,
35:00 ils disent « Nous sommes en France,
35:03 et nous allons essayer de briller devant notre public,
35:08 et nous voulons entendre la Marseillaise. »
35:11 C'est-à-dire qu'il y a quelque chose,
35:13 quand je dis « être plus grand que soi »,
35:15 c'est ça, le point qui devrait être dans la tête de tous les professeurs.
35:22 Dire aux enfants,
35:24 ne cherchez pas à avoir une bonne note pour une bonne note,
35:28 c'est comment une bonne note peut vous grandir.
35:31 À chaque seconde dans l'existence,
35:34 on peut être le héros du petit rien.
35:37 C'est comment développer en soi,
35:40 faire grandir les qualités, les dons,
35:44 qui nous ont été donnés par la nature,
35:47 ou par la transcendance, ou par Dieu,
35:49 n'ayons pas peur du mot, pour ceux qui y croient.
35:53 C'est-à-dire qu'il y a un foyer d'incandescence
35:57 dont nous sommes les détenteurs,
35:59 et aujourd'hui, malheureusement, nous le négligeons trop souvent.
36:04 Mais ce qui est formidable, c'est de voir que cette jeunesse
36:09 cherche dans le sport, cherche dans l'aventure.
36:13 Aujourd'hui, il y a ceux qui sont sur leur voilier,
36:16 seuls, façon tempête, des vagues de plus de 12 mètres,
36:21 et bien ils les affrontent.
36:23 Ils les affrontent pas uniquement pour eux-mêmes, non.
36:28 Ils les affrontent pour ce qu'ils représentent.
36:31 Ils sont porteurs.
36:34 Ils agrègent en eux le principe d'une identification au peuple.
36:40 Et c'est ça qui les fait souffrir au quotidien,
36:44 qui fait qu'à chaque seconde, ils n'admettent pas l'abdication.
36:50 Ils cherchent à tisonner les forces primordiales qui sont les leurs.
36:55 Et après, quand l'histoire vous convoque,
36:58 c'est-à-dire que je crois qu'il nous faut avoir le sens de notre existence.
37:04 Et l'existence, c'est pas celle du consommateur,
37:07 c'est être celle de cette foi en la vie,
37:15 et que doit-on donner à la vie pour en être digne.
37:19 Et c'est ça qui vous lève le jour où l'histoire se manifeste.
37:23 - L'ouverture des portes du Panthéon a eu lieu il y a quelques instants sur les images que vous voyez.
37:29 Et on voit la violoncelliste Astrid Cyranocian qui interprète Grant, l'oiseau d'Arménie.
37:39 On continue sur ces images.
37:41 Avant de revenir avec vous, Charlotte, sur le fait de la question que je posais à tout le monde,
37:45 qu'est-ce qu'être un héros, etc.
37:47 En France, aujourd'hui, en 2024,
37:50 je reviens sur ce que vous disiez tout à l'heure,
37:53 sur ces 24 résistants qui ont été tués dans le groupe Manouchon.
37:58 Vous disiez que c'était tous des ouvriers.
38:01 En quoi le fait que ce soit des ouvriers,
38:03 ça apporte une certaine information particulière, selon vous ?
38:08 - Déjà, c'est qu'à l'époque,
38:11 la vie de l'ouvrier est presque une petite torture du quotidien.
38:17 C'est-à-dire que vous affrontez des risques qui sont liés à votre profession.
38:24 Il n'y a pas de véritable protection.
38:28 Et lorsqu'il se retrouve face à ce destin,
38:31 nous sommes dans un monde, dès 1940,
38:36 où le manque est là, se manifeste à chaque seconde.
38:42 Le manque, c'est le manque déjà des siens,
38:45 que vous ne pouvez pas rencontrer comme vous le voulez.
38:49 C'est le manque de cette liberté.
38:52 À chaque seconde, vous êtes surveillé par votre voisin
38:58 qui risque de vous dénoncer.
39:00 Vous avez les Allemands qui sont là en arrogance,
39:03 qui passent dans la rue.
39:05 À chaque seconde, si vous êtes juif,
39:08 vous ne craignez qu'une seule chose.
39:10 C'est qu'une main vous hape et vous place dans un camion.
39:16 L'abomination est là, l'horreur vous guette.
39:20 Et quand vous êtes communiste ou résistant,
39:24 quel que soit votre appartenance, c'est cela également.
39:29 C'est vivre donc dans une sorte de suspension.
39:34 Il n'y a pas une seule seconde où vous pouvez vous allonguir.
39:39 Vous êtes dans une mobilisation, une mobilisation totale.
39:44 Et où seuls quelques camarades peuvent,
39:49 lorsque malheureusement, parce que l'environnement est là,
39:55 qu'il vous lamine, qu'il y a le doute qui vous saisit,
39:59 seul le camarade peut vous aider à vous relever.
40:07 On voit ici à l'image la dépose des cercueils au centre de la Nef du Panthéon
40:12 par la garde républicaine.
40:14 D'un instant à l'autre, le chef de l'État commencera son discours.
40:19 En attendant, le discours du chef de l'État,
40:22 qui commencera d'abord par une minute de silence,
40:25 et ensuite il y aura une marseillaise interprétée
40:28 par le cœur de l'armée française.
40:30 Charlotte, je reviens en attendant le discours d'Emmanuel Macron
40:34 sur cette notion aujourd'hui.
40:35 Parce que quand je vois ces images, je ne pense qu'à 2024 aujourd'hui.
40:40 C'est-à-dire, qu'est-ce qu'est la France aujourd'hui ?
40:42 C'est-à-dire, où me serais-je placée aujourd'hui ?
40:46 Où serais-je placée Missach Manouchian aujourd'hui ?
40:49 Où serais-je aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'être un héros aujourd'hui ?
40:52 Il y a différentes manières d'être héroïque dans sa propre vie.
40:56 Certains le sont au quotidien pour X raisons extrêmement différentes
41:00 qui sont parfois personnelles, parfois professionnelles
41:03 ou parfois publiques en effet.
41:05 Mais là, évidemment, c'est une forme d'héroïsme qui est particulière,
41:08 qui est un héroïsme patriotique, qui est le fait d'aller donner sa vie
41:11 pour sauver la France.
41:13 Cette cérémonie, elle n'a de sens que si la seule chose
41:16 qui est commune entre l'époque et aujourd'hui,
41:20 d'abord, un, c'est la France, et entre les générations,
41:24 si c'est la chose que nous voulons sauver,
41:26 si on honore des personnes dans le passé parce qu'elles ont sauvegardé la France,
41:30 ça n'a de sens que si c'est une préoccupation pour nous.
41:33 Il ne faut pas simplement que ce soit une manière de rester bloqué
41:37 sur des victoires passées, parce que je rappelle que ce sont des victoires.
41:41 La victoire, elle est acquise en l'occurrence.
41:43 Et les personnes aujourd'hui qui menacent la France,
41:46 ce n'est pas le nazisme et ce n'est pas de ce côté-là qu'il faut chercher.
41:50 Cette victoire-là est acquise.
41:52 On honore les qualités et des personnes qui ont porté ces qualités pour la France.
41:59 En effet, et cela ne peut avoir qu'une seule raison,
42:01 c'est si aujourd'hui nous nous demandons ce qui menace la France.
42:04 Et ça, aujourd'hui, l'héroïsme, c'est pour ça que je parlais très naturellement d'Arnaud Beltrame,
42:09 c'est que lui a eu affaire à l'ennemi mortel d'aujourd'hui.
42:14 Il ne faudrait pas que ce soit la France qu'on emmène au Panthéon, si vous voulez,
42:17 qu'on muséifie la France.
42:19 Et selon vous, il y a un risque ?
42:21 Parce que ce que représente la France, c'est la liberté,
42:23 et la liberté de se gouverner elle-même.
42:25 Je vous propose d'écouter le chef de l'État.