• il y a 8 mois
Toute l’année, les secouristes de haute montagne travaillent dans des conditions extrêmes pour tenter de sauver ceux qui se retrouvent confrontés au caractère imprévisible de la montagne. Ils sont nombreux et interviennent dans des situations très diverses, complexes, où les secondes sont précieuses.

Cependant, comment gérer l’échec quand il est question de vies humaines ? La force du collectif suffit-elle à passer au-delà de nos émotions les plus extrêmes ?

Pascal a dédié sa vie professionnelle à sauver celle des autres, il est venu nous parler de la complexité et de la beauté de son métier et des situations qui l’ont le plus marqué.

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Voyages
Transcription
00:00 Jean-Marc Anouilh, c'est un pilote qui a voulu se suicider en emmenant avec lui 149 personnes.
00:05 Il n'y a pas de vie à sauver.
00:06 On va avoir 150 cadavres à évacuer.
00:10 On se motive par rapport aux familles.
00:11 On doit "expurger" la zone de tous les restes humains.
00:16 Il y a des vêtements partout, il y a des jouets d'enfants.
00:19 C'est très destructeur.
00:20 Alors un secouriste de haute montagne, concrètement,
00:22 dans 90% des cas, c'est une mission d'assistance aux personnes.
00:26 C'est-à-dire qu'on reçoit une alerte des gens qui sont bloqués,
00:29 qui sont tombés dans une crevasse, qui ont été pris par le mauvais temps,
00:33 dans une avalanche.
00:34 Et nous, on intervient, on met les moyens en place
00:36 pour intervenir le plus rapidement possible,
00:39 quelle que soit l'heure du jour et de la nuit,
00:41 et l'endroit du massif où ça se passe.
00:43 On attaque par des stages d'abord de conditions physiques.
00:45 Donc c'est marcher, voire courir avec un sac à dos,
00:49 sur des dénivelés importants, sur du temps de plus en plus long.
00:52 Donc là déjà, il y a un premier écrémage, si on peut dire.
00:54 Parce que c'est quand même des niveaux physiques assez exigeants.
00:58 Et ensuite, on va pratiquer la haute montagne de manière intensive,
01:02 avec un rythme quand même très rapide en termes de progression.
01:05 Ce qui veut dire qu'il y a des gens qui n'arrivent pas à s'adapter obligatoirement au rythme.
01:09 On leur demande d'être bons rapidement, donc c'est aussi un critère de sélection.
01:12 Il faut savoir faire de l'escalade, il faut savoir grimper en neige, en glace,
01:17 il faut être bon en canyon.
01:18 Donc c'est une aptitude quand même sportive,
01:20 avec aussi une composante psychologique importante,
01:24 être capable de travailler sous tension, souvent en mode dégradé.
01:27 Ça veut dire que par exemple, on arrive face à une paroi, dans les Alpes par exemple,
01:32 on pensait pouvoir être treuillé directement grâce à l'approche de l'hélicoptère,
01:37 il y a trop de vent.
01:38 Mais là, en quelques secondes, il faut qu'on soit capable de trouver un plan B.
01:42 Donc l'hélicoptère par exemple, va nous poser au-dessus, au sommet,
01:44 et nous on va descendre en rappel.
01:46 Avoir une faculté d'adaptation assez importante, voire majeure,
01:50 parce qu'il n'y a pas de scénario.
01:52 On a une alerte, souvent elle est imprécise.
01:55 On va partir avec une idée, on nous dit par exemple que la personne est sur un chemin,
01:59 puis on arrive, elle est bloquée dans une paroi, ou dans une falaise on va dire.
02:02 Mais malheureusement, moi ça m'est arrivé,
02:04 on rentre des fois dans le vif du sujet alors que ce n'était pas prévu.
02:07 Et le premier secours peut être déjà très marquant, pas obligatoirement techniquement.
02:11 Moi je l'ai vécu, c'était plutôt psychologiquement.
02:14 Et donc ça, c'est des choses qu'on ne peut pas anticiper.
02:17 Et ma première intervention, on est à Grenoble,
02:19 on a un appel qui nous dit qu'un avion de tourisme a disparu
02:23 dans le massif de Belle-Dôme, dans la tempête.
02:25 Donc on est déclenché, on part de nuit, il a beaucoup neigé.
02:28 Donc on fait une caravane de secours, ce qu'on appelle,
02:31 on part avec des skis en plein hiver, on fait la trace dans la montagne.
02:34 Et déjà on arrive au refuge, je vois mes collègues qui ouvrent à peine la porte du refuge.
02:38 Donc on a à peu près 50 à 60 cm de neige fraîche, bien sûr, pas de trace.
02:43 Ils ont compris qu'il n'y a personne au refuge.
02:44 Et à la radio, j'entends le guide qui est le plus ancien du groupe
02:48 et qui mène l'équipe de secours qui dit "personne retrouvée, Delta, Charlie, Delta".
02:52 Alors "Delta, Charlie, Delta", dans notre langage, ça veut dire "personne décédée".
02:56 Quand j'entends ça, ça me saisit quand même, j'ai été quand même assez dynamique,
02:59 je suis plutôt optimiste dans ce que j'entreprends en général.
03:02 Et là, je sens quand même que j'ai un fardeau qui arrive immédiatement.
03:05 Et moi, je suis là, je suis presque observateur de la scène,
03:09 donc je sens à un moment donné une main sur mon épaule
03:11 et j'ai un camarade qui voit ce que je vis et il me dit
03:14 "Pascal, j'ai besoin de toi, viens m'aider".
03:17 Et ce jour-là, je découvre d'une part une facette assez triste et lourde de notre métier,
03:22 c'est la gestion de l'humain et notamment la mort,
03:25 auxquelles je n'étais pas du tout préparé.
03:26 Et je découvre aussi la force du collectif,
03:28 qui est quelque chose d'extraordinaire chez nous,
03:30 qui est certainement la force la plus marquante de nos activités.
03:35 C'est que seul, on n'est pas grand-chose, mais en équipe,
03:37 on est capable vraiment d'affronter et de surmonter beaucoup d'obstacles.
03:41 Donc une journée très enrichissante et certainement fondatrice dans ma carrière.
03:45 Mais pour un jeune arrivant dans la spécialité, difficile quand même à vivre.
03:52 Quand tu es confronté à cette souffrance humaine,
03:55 avec le métier, tu t'apprends à te protéger,
03:58 mais les choses se vivent quand même à l'intérieur.
04:00 On est obligé de se protéger, sinon on ne serait plus dans l'action.
04:03 C'est la grande différence entre quelqu'un qui va être témoin d'un accident
04:06 et un professionnel qui arrive.
04:07 Le professionnel qui arrive, il est focus sur ce qu'il a à faire,
04:10 ne peut pas s'embarrasser entre guillemets de tout ce qu'il y a autour,
04:13 sinon il n'est pas efficace.
04:14 Et ensuite, je pense que le cerveau est très bien fait.
04:17 Il y a tout un ensemble de mécanismes qui se mettent en place pour vous protéger,
04:20 parce que sinon c'est très destructeur.
04:22 Quand on voit, on va chercher un père et son fils encordés,
04:25 qui sont partis le matin et qui l'après-midi sont décédés,
04:29 il faut le vivre.
04:30 Donc oui, le cerveau est bien fait, je pense qu'il retient ce qui est positif,
04:33 ce qui est engageant et ce qui nous aide à grandir.
04:37 Et tout ce qui est quand même plutôt négatif,
04:39 qui aurait tendance à vous tirer vers le bas,
04:42 je pense qu'il le met dans une case.
04:43 Ce n'est pas obligatoirement évident de l'anticiper quand on choisit ce métier,
04:47 parce que ça ne remonte pas éventuellement comme premier objectif.
04:50 Quelque part, c'est un échec pour nous.
04:52 Moi, j'ai eu deux crashes d'hélico dans le groupe,
04:54 avec à chaque fois pas mal de victimes.
04:56 Benjamin Nguyen, c'est un pilote qui a voulu se suicider
04:59 en emmenant avec lui 149 personnes.
05:01 Donc il y a 150 victimes sur la zone, c'est dans les Alpes de Haute-Provence.
05:05 C'est une mission, il y a plus individuellement à perdre qu'à gagner,
05:08 il n'y a pas de vie à sauver.
05:09 On sait que sur la zone, on va avoir 150 cadavres
05:13 à évacuer.
05:14 Là, pareil, on se motive par rapport aux familles.
05:16 Donc c'est une mission qui est quand même très particulière, atypique.
05:20 Les gens, ils restaient trois, quatre jours en moyenne
05:22 pour ne pas être trop exposés psychologiquement.
05:25 On s'alternait, nous par exemple, on est monté des Pyrénées
05:27 pour aider nos camarades alpins qui avaient travaillé la semaine avant.
05:31 Là, c'est toute la famille du secours montagne
05:33 qui a assumé cette mission qui était difficile.
05:36 Gendarme des PGHM, CRS, il y avait même l'armée
05:39 dans les zones les plus basses,
05:40 parce que globalement, c'était techniquement assez difficile.
05:43 C'était des pentes assez raides.
05:44 Même si c'était de la terre, il fallait se déplacer en crampons
05:48 avec un piolet.
05:49 Donc tout le monde ne pouvait pas y travailler, on va dire.
05:51 Donc ça a été un formidable exemple de solidarité entre les services.
05:54 Je le retiens.
05:55 Mais après, c'est vrai qu'on imagine bien que quand
05:57 on doit, entre guillemets, explurger la zone de tous les restes humains.
06:02 Donc c'est un spectacle assez dur.
06:05 Il y a des vêtements partout.
06:07 Il y a des jouets d'enfants.
06:08 Notre rôle, c'est de rendre cette zone la plus propre possible,
06:13 entre guillemets, pour être capable d'alimenter les gens
06:17 qui sont des scientifiques et qui vont faire en sorte qu'on puisse
06:20 dans quelque temps rendre aux familles la dépouille, évidemment.
06:24 Et puis ensuite, tous les objets personnels.
06:25 Donc c'est vraiment une grosse, grosse organisation.
06:28 La suite, il y a quelques personnes qui ne se sentaient plus
06:31 la force de continuer ce métier.
06:33 Oui, c'est normal.
06:34 Et donc c'est tout à fait respectable.
06:35 Il n'y a pas de jugement à avoir là-dessus.
06:37 Ce qui m'a animé tout au long de la carrière, pour faire une trentaine d'années,
06:40 c'est vraiment l'envie de sauver les gens, parce que là,
06:42 on parle du côté obscur de notre métier.
06:45 Mais il y a aussi toute cette lumière qui jaillit dans la majorité des secours.
06:49 On ramène des gens qui ne s'en seraient pas sortis sans nous.
06:53 Tout le monde n'est pas gravement blessé.
06:54 Donc c'est ça qui nous nourrit.
06:55 C'est cette énergie positive.
06:57 Et on est obligé d'aller chercher dans cette énergie positive
07:00 la force de surmonter les moments qui seront plus difficiles.
07:04 La situation qui m'a marqué le plus, c'est toujours délicat,
07:08 parce qu'il y en a énormément.
07:09 Moi, j'ai fait plusieurs centaines de secours.
07:11 Donc la perte de mes camarades, c'est ce qui me restera le plus lourd,
07:15 parce que malgré tout, voilà, c'est des amis que tu perds en mission.
07:18 Donc moi, perdre six camarades en 30 ans, c'est assez inhumain, on va dire.
07:22 Ensuite, ce que je garde, c'est tous ces souvenirs exceptionnels
07:26 de gens que tu croises de regard.
07:28 Tu sais qu'ils te doivent leur vie souvent.
07:31 C'est une poignée de main, c'est une accolade.
07:33 Parfois, c'est très rapide parce qu'on repart sur une autre intervention.
07:35 Mais voilà, c'est le côté humain.
07:37 Les situations dans lesquelles on intervient, elles sont quand même très variées.
07:40 Ça peut aller, je me souviens d'un secours d'une gamine de 14 ans
07:44 qui s'est endormie à côté du chemin
07:46 parce que ses parents avaient décidé de faire le sommet sans elle,
07:48 parce qu'ils l'ont retardée.
07:50 Et en redescendant, ils ne l'ont pas retrouvée
07:51 puisqu'elle s'était mis un petit peu à l'écart du chemin.
07:54 Et on l'a cherchée toute la nuit, on l'a retrouvée dans les bras de Morphée,
07:57 elle dormait, donc c'était assez marrant parce qu'elle avait eu un peu froid,
08:00 mais ça s'est arrêté là.
08:01 Ça peut être un secours en cagnone,
08:03 comme celui dont je parle dans ma biographie Bravo Papa,
08:06 où je vais chercher 14 gamins dans un cagnone en cru.
08:10 On se blinde dans pas mal de choses,
08:12 mais l'enfance, ça reste quand même un point sensible pour tout sauveteur
08:15 parce qu'on se projette en tant que parents,
08:17 parce que les enfants veulent que, voilà,
08:20 humainement, il leur arrive rien, on veut toujours le meilleur.
08:23 Et donc, à chaque fois qu'il y a un secours sur un gamin,
08:25 ça reste pour nous assez sensible.
08:28 Et je dirais qu'on a immédiatement un supplément d'âme,
08:30 même si on n'en a pas besoin,
08:32 mais on sent quand même qu'on rentre dans une autre dimension.
08:34 Donc ce jour-là, c'est quelque chose qui arrive, malheureusement.
08:37 Un orage dans l'après-midi, un cagnone qui commence à se gorger d'eau
08:41 de manière progressive et à un moment donné, il devient torrent en cru.
08:46 Et on a 14 gamins qui sont pris dans ce cagnone.
08:48 On commence notre progression de nuit, il est 11 heures du soir à peu près.
08:53 On fait comme on peut, on fait les bordures,
08:55 on se bat dès qu'on est dans de l'eau vive.
08:59 Et en milieu de nuit, on se retrouve nez à nez avec 14 gamins.
09:03 Et là, c'est quand même un premier moment de soulagement
09:05 parce que jusque-là, on se demande ce qui allait se passer.
09:08 Ça aurait pu être 14 victimes.
09:09 Et donc, on fait un check rapidement.
09:12 Donc ils sont globalement en bonne forme.
09:13 Ils ont froid, mais ça va.
09:15 Il y en a une qui est en hypothermie, donc le médecin s'en occupe très rapidement.
09:19 Et là, en tant que responsable de l'équipe, on doit réfléchir très rapidement.
09:23 Est-ce qu'on passe la nuit là avec le froid qui va être de plus en plus intense
09:27 et l'hypothermie qui va guetter tous les gamins ?
09:29 Est-ce qu'on prend la décision de continuer dans le cagnone qui est quand même encru,
09:33 donc que ça demande à poser des cordes pour éviter l'eau ?
09:36 C'est quelque chose de très technique.
09:38 Et puis, je ne sais pas, la force du groupe, comme je le disais,
09:41 les évidences ce soir-là.
09:43 Moi, je ne me pose pas 50 fois la question.
09:45 J'ai l'aval du médecin qui me dit que physiologiquement,
09:47 les gosses sont en état de continuer, donc on continue.
09:50 Donc, on prend la décision, on continue.
09:52 Et on prend la décision aussi de détendre les gamins
09:56 pour qu'ils ne subissent pas le choc un peu psychologique du cagnone.
09:59 Donc, on commence à entamer en pleine nuit au bord du cagnone une chorégraphie.
10:03 On leur fait faire un peu de gymnastique.
10:04 Déjà, ça les réchauffe.
10:05 Et puis, on démystifie la chose en disant, vous allez voir, ça va bien se passer.
10:09 Et donc, ils sont bloqués à un endroit, on appelle ça un chaos.
10:12 C'est un encaissement de blocs enchassés où l'eau est vraiment très violente.
10:17 Il y a une veine d'eau.
10:19 On ne sait pas comment on va passer.
10:20 J'ai un camarade qui va voir.
10:22 Il met un pied dans la veine, il se fait emporter.
10:24 Donc là, il fait une trentaine de mètres, on voit la frontale disparaître.
10:27 On se demande dans quel état il va être.
10:29 On ne peut pas avoir de relation avec lui puisque là, la radio ne passe pas.
10:32 Donc, beaucoup d'inquiétude.
10:34 On fait demi-tour.
10:34 Moi, je trouve un plan B.
10:35 On passe le long du cagnone.
10:38 On descend les gamins en rappel.
10:39 Les gamins n'ont rien vu.
10:40 Donc, de ce côté-là, tout va bien.
10:41 Et puis, par chance, je retrouve mon collègue en bas du rappel,
10:45 en sain et sauf, en train de nous demander qu'est-ce qu'on foutait
10:48 et pourquoi on avait perdu autant de temps.
10:50 Donc, c'était assez cocasse puisque nous, on le voyait mort.
10:53 Et ensuite, on fait jouer les gosses.
10:54 On fait des tyroliennes.
10:55 Donc, on leur évite de mettre la plupart du temps les pieds dans l'eau.
10:59 Donc, ça marche bien.
11:00 Les gamins s'amusent sur les cordes.
11:02 Ils ne se rendent pas compte, nous, de la tension qu'on a psychologique
11:04 parce que c'est une époque, on est en 95.
11:08 Les matériels de cagnone ne sont pas ceux qui sont aujourd'hui.
11:11 Moi, j'ai déjà pratiquement plus de lumière.
11:13 Ma lampe m'a laissé un petit peu en route.
11:16 Les vêtements, les combinaisons ne sont pas ce qu'elles sont aujourd'hui.
11:18 Donc, on n'a pas de radio étanche.
11:20 C'est quand même les balbutiements de l'activité.
11:23 Donc, on est quand même isolé et engagé dans quelque chose
11:25 où là, il y a un seul point de sortie, c'est la fin du cagnone.
11:28 Donc, on est tous concentrés là-dessus.
11:30 Et puis, arrive un moment magique.
11:32 La fin du cagnone, c'est derrière un hôtel,
11:34 Cagnone de Gèdre, dans le cirque de Gavarnie,
11:36 avec un phare qui éclaire la fin du cagnone.
11:39 Et là, on sait que les gamins sont sauvés.
11:41 La gamine qui était en hypothermie est évacuée rapidement à l'hôpital de Tarbes.
11:46 Pour le reste, on les en mitoufle dans des couvertures
11:48 et voilà, c'est une belle histoire.
11:50 D'autres exemples, moi j'ai eu la chance de travailler à l'étranger.
11:53 Je me souviens, on organisait un séminaire en Équateur.
11:56 J'avais fait déjà quatre missions là-bas où on implantait le secours en montagne.
11:59 On s'était dit, ça serait sympa de faire bénéficier au pays andin
12:03 de la même prestation qu'a bénéficié le pays de l'Équateur.
12:07 Donc, on rassemble tous les pays de l'arc andin à Guano,
12:10 dans un centre du groupe des opérations spéciales.
12:13 C'est l'équivalent du RAID là-bas.
12:14 Et le jour où je dois présenter les interventions héliportées dans ce pays,
12:19 qui ne sont pas encore effectives,
12:21 puisqu'il n'y a qu'un hélico et les pilotes ne sont pas formés,
12:23 on a une alerte de secours qui nous dit que deux Français
12:26 ont déclenché une balise de détresse dans le pays.
12:29 En recherchant très rapidement sur Google Maps,
12:31 parce que là-bas les moyens sont quand même limités,
12:34 on se rend compte que les gens sont à peu près à,
12:37 on va dire un hélicoptère à 30 à 40 minutes de vol de l'endroit où on se trouve.
12:41 Et l'hélicoptère arrive.
12:42 Et donc moi j'ai l'idée de proposer aux pilotes de tenter d'évacuer ces personnes.
12:47 On ne connaît pas l'état,
12:49 on sait qu'elles sont à tel endroit,
12:50 mais on ne sait pas dans quel état elles sont.
12:52 On se dit que s'ils ont déclenché une balise, c'est quand même grave.
12:55 Et le pilote accepte de partir en hélico,
12:57 faire ce secours, c'est une première dans ce pays.
12:59 Donc voilà, on décolle avec un hélicoptère
13:02 qui n'est pas obligatoirement adapté à la montagne,
13:04 un pilote qui n'est pas formé,
13:05 donc c'est assez tendu.
13:06 Et puis on arrive, après bien des péripéties, à localiser la victime.
13:10 Et ce qui est marrant, c'est que la victime avait déclenché sa balise
13:13 à 11h, fin de matinée.
13:15 Elle avait fait une chute assez grave,
13:17 elle avait un trauma crânien.
13:19 Et deux heures après, elle voit arriver un CRS,
13:22 secours en montagne, police nationale française,
13:24 auprès d'elle.
13:25 Et là, elle ne comprend pas.
13:26 Et elle me parle en espagnol, je lui réponds en français,
13:29 je lui dis non, non, je suis français, je suis de la police française.
13:31 Elle se dit c'est incroyable.
13:32 Et donc c'est une anecdote qui est marrante,
13:34 parce qu'on marque le premier secours hélicoptère à cette altitude,
13:38 c'était à 5200 mètres.
13:39 C'est quand même, pour un pilote, c'est déjà une altitude conséquente.
13:44 Et puis nous, c'est un secours marquant,
13:46 parce qu'il n'était pas du tout prévu.
13:47 On était là vraiment pour faire un séminaire théorique
13:49 et on se retrouve planté au milieu du massif équatorien,
13:52 à sauver deux Français qui avaient déclenché une balise de détresse.
13:55 Quand je le raconte, moi-même, j'ai du mal à y croire.
13:58 Et puis c'est quand même des secours où nous aussi, on apprend énormément.
14:03 Sur cette opération, je me souviens, ça avait été compliqué
14:05 pour driver le pilote, parce qu'il ne voulait pas s'approcher du relief.
14:08 Il voulait beaucoup trop vite pour qu'on puisse localiser la victime
14:11 et à un moment donné, on arrive tant bien que mal à faire ce qu'il y avait à faire.
14:14 Je lui demande de nous poser à un endroit un peu large,
14:16 parce que je n'avais pas trop confiance à sa qualité de pilotage.
14:18 Et mon collègue, je lui dis, tu nous poses au milieu des vaches qu'on aperçoit.
14:23 Et j'ai mon collègue équatorien qui m'avait accompagné,
14:25 qui me dit, ce ne sont pas des vaches, ce sont des taureaux de combat.
14:28 Et là, on est formé à bien des choses dans notre métier,
14:30 mais au moment de solitude, je me tourne vers lui,
14:32 je dis, mais quand même, des taureaux de combat, comment on fait ?
14:34 Je ne suis pas formé à ça, on va se faire encorner.
14:37 Et là, il me dit, rassure-toi, quand ils sont en troupeau, ils sont inoffensifs.
14:41 Donc, on est intervenu au milieu d'un troupeau de taureaux de combat.
14:44 J'étais plus inquiet à la fin vis-à-vis des taureaux que vis-à-vis du vol en hélicoptère.
14:48 Donc, on est satisfait à chaque fois qu'on ramène quelqu'un en vie et en bon état,
14:55 qu'on sait que notre intervention a été capitale, c'est notre moteur principal.
14:59 Moi, je suis convaincu, maintenant, ça fait cinq, six ans que j'ai arrêté.
15:03 La carapace est tombée, puisque je ne suis plus exposé à cette pression
15:07 vis-à-vis de laquelle je devais me protéger, quelque part.
15:10 Et je vois, je retrouve aujourd'hui ma sensibilité "normale".
15:13 Et c'est vrai que je me dis que je pense qu'il y a quand même,
15:17 je parlais tout à l'heure d'une case où on met les choses négatives,
15:19 je pense qu'il y a quand même des blessures, des fissures qui se créent avec le temps.
15:23 Et souvent, les individus peuvent éventuellement se révéler vers,
15:26 et nous conduire vers des choses peut-être plus pathologiques, quelque part.
15:30 C'est un petit peu les syndromes que les militaires ont au combat.
15:33 Et c'est vrai que je suis certain qu'il y a source à réflexion dans ce domaine.
15:37 Mais moi, je retiens la chance d'avoir fait le métier qui m'a fait vibrer.
15:41 Vraiment, si je devais réécrire l'histoire, je la réécrirais à la virgule près.
15:45 Donc, c'est déjà une belle perspective.
15:48 Pour moi, c'est vraiment un cadeau d'avoir eu ce métier
15:52 et d'avoir pu le faire avec des personnes qui deviennent très rapidement des amis.
15:56 Moi, en 30 ans, il y a très rarement eu des moments où j'ai eu l'impression de travailler.
16:00 Ça a toujours été un plaisir.
16:02 Donc, c'est vraiment un cadeau de la vie.
16:04 [Générique]
16:11 [SILENCE]

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