• il y a 8 mois
Le 13/14 reçoit aujourd'hui, jeudi 21 mars 2024, Sabrina Cajoly, juriste en droit international des droits humains et Fondatrice de Kimbé Rèd F.W.I. (French West Indies) et Maryse Artiguelong, vice présidente FIDH fédération internationale pour les droits humains.

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Transcription
00:00 Plus de 30 ans maintenant que son utilisation est interdite, mais le chlordécone a spergé
00:04 pendant presque 20 ans sur les cultures de bananes en Guadeloupe et Martinique.
00:08 Ce pesticide continue d'avoir des effets dévastateurs sur la santé, sur l'environnement
00:13 mais aussi sur la vie démocratique des deux îles.
00:15 La santé c'est une explosion des cancers de la prostate, l'environnement c'est la
00:19 moitié des ressources en eau douce polluée.
00:21 Et puis la démocratie c'est une confiance rompue avec les autorités françaises qui
00:25 ont longtemps fermé les yeux sur ces ravages.
00:27 Les députés ont d'ailleurs voté le mois dernier la reconnaissance de la responsabilité
00:31 de l'Etat dans ce dossier.
00:33 Mais il reste tellement à faire, à commencer par l'approvisionnement en eau.
00:37 Un quart de la population de Guadeloupe n'a pas accès tous les jours à l'eau en raison
00:42 des coupures.
00:43 Ça c'est ce que dénonçait l'an dernier l'ONU.
00:45 Manifestement les choses n'ont pas beaucoup changé, d'où la présence dans ce studio
00:49 de nos deux invités.
00:50 Sabrina Cajoli, bonjour.
00:52 Bonjour.
00:53 Vous êtes juriste, défenseur des droits humains en Guadeloupe où vous résidez.
00:57 Nous sommes également avec Maryse Artiguelon.
00:59 Bonjour.
01:00 Bonjour.
01:01 Vous êtes la vice-présidente de la Fédération internationale pour les droits humains.
01:05 Les auditeurs de France Inter peuvent vous interroger directement.
01:08 0145 24 7000, ça se passe aussi via l'application France Inter.
01:13 Le chlordécone et l'eau, les deux dossiers sont liés.
01:15 Sabrina Cajoli, vous saisissez aujourd'hui le Comité européen des droits sociaux qui
01:19 dépend du Conseil de l'Europe pour exiger de la France l'accès urgent à l'eau potable
01:24 en Guadeloupe.
01:25 C'est-à-dire que rien n'a changé depuis un an et l'alerte de l'ONU à laquelle je
01:29 faisais référence il y a un instant ?
01:30 Alors effectivement, nous saisissons l'association que je représente, Cambridge French West
01:38 Indies, mais représentée par la FIDH, la Fédération internationale des droits de l'homme,
01:43 et avec le concours de la Ligue des droits de l'homme, le Comité européen des droits
01:47 sociaux sur la question de l'accès urgent à l'eau potable en Guadeloupe, mais également
01:51 sur l'empoisonnement au chlordécone en Guadeloupe et Martinique.
01:54 C'est vraiment sur les deux problématiques.
01:56 Sur les deux problématiques et sur Guadeloupe et Martinique.
01:58 Si on parle de l'eau, quel est le problème aujourd'hui ?
02:00 La situation non seulement n'a pas changé, mais elle ne fait que s'aggraver.
02:05 Prenez par exemple la question de l'assainissement.
02:08 Il y a 2020, quand j'ai commencé mon engagement sur la question, à peu près 70% des stations
02:15 d'épuration n'étaient pas aux normes.
02:17 Aujourd'hui, c'est près de 80%.
02:19 En 2020, nous avions 60% en moyenne de perte d'eau sur les réseaux, de fuite.
02:26 Aujourd'hui, c'est plus de 80% dans certaines zones de la Guadeloupe.
02:31 C'est un rapport de la Cour des comptes de 2023 qui le dit.
02:34 Donc la question de la vétusté des installations qui peuvent conduire à ce que des métaux
02:42 se désagrègent dans l'eau, l'assainissement qui peut amener à ce que de la matière fécale
02:46 se retrouve dans l'eau et la question en plus de cela de la pollution de l'eau aux
02:51 pesticides comme le chlordécone en particulier, se pose toujours avec une particulière gravité.
02:57 On est toujours sur ce chiffre d'un quart de la population, pour parler de la Guadeloupe,
03:01 qui n'a pas accès tous les jours à l'eau potable ?
03:04 C'est bien plus.
03:05 C'est toute la population.
03:06 Ce sont plus de 380 000 personnes qui n'ont pas accès à l'eau potable en Guadeloupe.
03:11 Pourquoi ? Parce que les coupures d'abord, effectivement, n'affectent pas tout le monde,
03:15 mais de plus en plus de personnes dans toutes les parties de l'île.
03:18 Et quand ce n'est pas à la maison, c'est aussi à l'école ou à l'hôpital, dans
03:21 les institutions publiques, vous avez ces coupures.
03:23 C'est aussi dans les commerces, dans les sites touristiques, etc.
03:27 Donc finalement, vous pouvez être affecté partout par ces coupures d'eau, pas seulement
03:31 à la maison.
03:32 Ensuite, la pollution de l'eau se pose à multiples titres, comme je vous le disais
03:38 tout à l'heure.
03:39 Et donc, c'est là, la non potabilité de l'eau concerne tout le monde en Guadeloupe.
03:44 Donc c'est 100% de la population qui est concernée.
03:46 Marie-Sarthie Guellon, pourquoi vous joindre à cette action aujourd'hui ? Le sujet est
03:51 régulièrement évoqué, visite de ministre, j'en dirais un mot dans un instant, sur place,
03:56 financement des collectivités locales, etc.
03:58 Pourquoi est-ce qu'il faut aller au-delà aujourd'hui ?
04:00 Parce que de toute façon, toutes les procédures n'ont pas abouti, comme vous venez de le
04:05 rappeler.
04:06 Et en fait aussi, c'est seulement la FIDH qui peut porter cette réclamation collective
04:13 auprès des droits sociaux du Conseil de l'Europe.
04:17 Il n'y a que 60 ONG d'envergure mondiale ou européenne qui peuvent porter ces réclamations.
04:23 Donc la FIDH, dont la LDH est membre, parce qu'elle s'intéresse énormément aux questions
04:31 d'environnement, a trouvé tout naturel de porter cette réclamation et a beaucoup travaillé
04:39 avec Sabrina notamment pour trouver, d'abord Sabrina n'avait pas besoin de la FIDH pour
04:47 enquêter sur la Guadeloupe, mais pour voir comment, quels étaient les articles de la
04:54 charte des droits sociaux qui permettaient d'attaquer la France dans cette réclamation.
05:00 Ce comité européen, il peut prendre des décisions contraignantes ou bien ça pourrait
05:04 être une décision symbolique ?
05:05 Il peut prendre des décisions contraignantes, après le problème c'est que le Conseil
05:13 n'a pas d'armée, n'a pas de policier pour contraindre un pays à appliquer ces
05:18 résolutions.
05:19 Donc c'est l'un des aspects de l'action qui est menée et qui prend différentes formes.
05:23 Je rebondis sur l'une des questions qu'on a via l'application France Inter, Sabrina
05:28 Cajoli, c'est Francis qui nous demande "Qu'en est-il de l'utilisation des subventions
05:32 de la métropole, ont-elles bien été attribuées à l'entretien du réseau ?" Comment est-ce
05:37 qu'on en est arrivé à cette situation d'un réseau dont vous nous décriviez l'état
05:41 il y a une minute en déliquescence, si je vous comprends bien ? Ça veut dire qu'on
05:45 l'a abandonné pendant des années ? Comment on en arrive là ?
05:48 Oui tout à fait, l'enquête parlementaire de 2021 est très éclairante à ce sujet.
05:53 En fait elle rappelle que la compétence de loi a été exercée pendant 30 ans par Veolia,
06:00 cette compétence lui ayant été déléguée par l'état, et que lorsque Veolia a quitté
06:06 Lille, les problèmes de l'eau étaient déjà apparus.
06:08 Mais une clause de non-poursuite judiciaire avait été signée entre les parties prenantes
06:13 de sorte que les personnes qui géraient l'eau à l'époque ne pouvaient pas être poursuivies
06:18 en justice.
06:19 Les élus locaux ont récupéré la compétence de l'eau depuis moins de 10 ans, et effectivement
06:26 il y a parfois des problèmes de gestion de l'eau et des subventions.
06:32 Ce qui est intéressant de relever c'est que parfois contrairement aux idées reçues,
06:37 le budget du principal opérateur de l'eau est sous-dépensé annuellement.
06:43 Ce sont les dires du coordinateur du plan Eau d'Homme au niveau gouvernemental et du
06:50 syndicat de l'eau lui-même.
06:52 Ils ne dépenseraient pas tout l'argent qu'ils ont à disposition ?
06:54 Tout à fait, parce que les problèmes techniques aujourd'hui pour réparer les fuites d'eau
06:58 en Guadeloupe sur le réseau d'eau sont tels, tellement difficiles.
07:03 Il faut par exemple défoncer la chaussée littéralement pour pouvoir avoir accès
07:08 à certains segments des tuyaux et les réparer.
07:12 Lorsque vous réparez un segment, ça peut en détruire un autre du fait de la pression
07:18 qui est rétablie.
07:19 Ce sont des travaux qui sont lents et très contraignants, très difficiles.
07:24 C'est pour ça qu'en fait, même si aujourd'hui on avait toute la volonté politique du monde
07:29 et tout l'argent du monde pour réparer le réseau, ça prendrait encore des années
07:35 et des années.
07:36 D'où l'objet de ce recours européen devant le Comité européen des droits sociaux, c'est
07:40 de demander des mesures d'urgence pour la population, pour l'alléger de ses souffrances
07:44 au quotidien, dans l'attente de la réfection totale et sur le long terme du réseau d'eau
07:48 et d'assainissement en Guadeloupe.
07:50 Pierre nous appelle précisément de Guadeloupe, du Gauzier je crois.
07:54 Bonjour Pierre.
07:55 Oui bonjour.
07:56 Témoignages et questions aussi je crois.
07:58 Oui, j'habite la Guadeloupe depuis 30 ans, avant je venais de la Martinique.
08:03 J'ai comme tout le monde des problèmes d'eau et des inquiétudes concernant la chlordécone.
08:08 Mais je suis toujours un peu étonné qu'on cherche sur les deux sujets qui sont distincts
08:14 à exonérer systématiquement la responsabilité locale.
08:17 La chlordécone c'est un choix de planteur d'utiliser une molécule qui était interdite,
08:24 le rachat d'une licence aux américains qui eux-mêmes ne l'utilisaient plus, la
08:28 demande de nos parlementaires d'obtenir des prolongations.
08:30 On a l'impression que c'est passé sous silence.
08:34 Et le problème de l'eau et le problème de l'assainissement, même si effectivement
08:38 il y a eu le léolien, relève quand même principalement de la responsabilité de nos
08:42 élus.
08:43 L'assainissement à la Guadeloupe c'est une catastrophe.
08:45 On est en train, la qualité totalité de nos stations d'épuration sont sous-dimensionnées
08:51 et posent des véritables problèmes de fonctionnement.
08:53 Nous déversons aujourd'hui de l'eau sale sur nos côtes et dans nos littoraux.
08:58 Alors certes il faudra beaucoup d'argent, nous souhaitons que l'État nous aide, mais
09:02 nous souhaitons aussi qu'un inventaire des responsabilités locales soit véritablement
09:07 établi pour que toutes ces erreurs ne se reproduisent plus.
09:10 Merci Pierre pour ce témoignage, cette question aussi.
09:14 Sabrina Cajolin, une réaction ? Les responsabilités locales dit Pierre.
09:18 Merci beaucoup pour ce témoignage et cette prise de position.
09:22 D'une part, contrairement aux idées reçues, la responsabilité première et ultime de
09:28 la gestion de l'eau et de la santé publique c'est celle de l'État.
09:31 Et ce n'est pas moi qui le dis seulement, mais c'est 70 experts des Nations Unies qui
09:37 rien que l'année dernière, à travers quatre mécanismes, notamment les comités des droits
09:41 de l'enfant, les comités des droits des femmes et le comité des droits économiques,
09:45 sociaux et culturels sont venus le dire.
09:46 Ce sont également cinq rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur les droits humains,
09:51 notamment sur le droit à l'environnement.
09:53 Ce qui ne veut pas dire que des élus locaux n'ont pas des responsabilités sur des décisions
09:57 qui ont pu être prises ces dernières années, c'est ce que suggérait Pierre.
10:01 Effectivement, mais ce qui se passe c'est qu'en fait, d'après le droit international,
10:04 les droits de l'homme, qui est applicable chez nous, qui relève de chez nous, l'État
10:07 peut déléguer cette compétence, que ce soit à des acteurs privés comme il l'a fait
10:10 pendant 30 ans avec Veolia ou à des acteurs et des élus locaux comme il le fait depuis
10:16 une dizaine d'années en Guadeloupe.
10:18 Mais il a toujours la responsabilité d'encadrer, d'accompagner, de transférer des compétences
10:23 et d'appuyer avec des ressources techniques, financières, logistiques, cette gestion de
10:30 l'eau.
10:31 Donc oui, la responsabilité reste toutefois partagée, puisque c'est une compétence
10:36 qu'ont revendiquée les élus locaux, mais il y a une responsabilité première et ultime
10:40 de l'État en la matière.
10:41 Les députés ont d'ailleurs voté sur le dossier du Chlordécone le mois dernier, la
10:45 reconnaissance de la responsabilité de l'État dans ce dossier.
10:50 Est-ce que cette loi n'apporte pas tout de même une avancée, puisqu'elle indique,
10:57 Marisa Artiguelon, que désormais l'État s'assigne pour objectif l'indemnisation
11:01 des victimes de cette condamnation et de leur territoire.
11:04 Ça c'est une bonne chose ?
11:05 Oui c'est une bonne chose.
11:06 C'est un député, Goued Loupein, qui a déposé une proposition de loi qui a été votée
11:12 à l'Assemblée Nationale.
11:13 Maintenant, on attend qu'elle soit votée au Sénat.
11:15 Ça c'est pas évident, je pense que c'est pas gagné.
11:19 De toute façon, sur la responsabilité de l'État, je pense qu'elle est, peut-être
11:25 pas entière, mais elle est quand même très importante.
11:27 Sur le Chlordécone, c'est quand même à l'État à prendre des dispositions, parce
11:33 que de toute façon, ceux qui en ont profité ne sont certainement pas les personnes qui
11:37 en sont victimes à l'heure actuelle.
11:38 Je pense aux grands propriétaires de bananeraies, etc., qui n'ont certainement pas été intoxiqués
11:46 par le Chlordécone.
11:47 Oui mais ce sont eux qui ont décidé d'utiliser ce pesticide ?
11:51 Oui, bien sûr.
11:52 Alors, effectivement, l'État peut se retourner contre eux, mais je pense qu'il y a quand
11:57 même peu de chance que ça aboutisse.
11:59 Combien d'indemnisations, Sabrina Kajoli, dans le dossier du Chlordécone jusqu'à
12:05 présent ?
12:06 Est-ce qu'il y en a eu d'ailleurs ?
12:07 Alors, pour d'abord bien apprécier ce chiffre, il faut savoir quel est le taux de contamination
12:11 de la population.
12:12 Donc, 92% c'est le pourcentage de la population contaminée au Chlordécone en Martinique,
12:18 95% c'est le pourcentage de la population contaminée en Guadeloupe.
12:23 Ça ne veut pas dire malade, ça veut dire contaminée.
12:26 Il y a une différence entre les deux.
12:28 Malade, alors vous pouvez ou pas déclarer une maladie, mais vous l'avez dans votre
12:31 corps, donc vous êtes exposé à ce risque accru pour la santé.
12:34 Et vous savez, on a le plus haut taux de cancer de la prostate au monde.
12:39 On a des problèmes de prématurité des enfants, de développement cognitif et comportemental
12:45 des enfants.
12:46 Tout ça, ça a été prouvé, documenté et scientifiquement prouvé.
12:50 Et puis il y a des impacts aussi sur les femmes qui sont sous-documentées pour l'instant,
12:55 mais il y a des chiffres alarmants en termes de cancers de toutes sortes parce que le Chlordécone
13:00 est un batteur endocrinien qui provoque des maladies hormonales.
13:04 Donc sur les indemnisations, oui.
13:06 Donc sur une population touchée à plus de 90% par le Chlordécone, aujourd'hui, en 2024,
13:11 d'après les chiffres de l'État qui datent du mois de février, 60 personnes indemnisées.
13:16 Donc c'est un chiffre très faible.
13:18 Oui, je pense.
13:20 Un dernier mot avec vous, Marisa Artiguelon.
13:23 J'en ai parlé, les conséquences sur la vie démocratique.
13:26 Et on l'a vu au moment de l'épisode du Covid, il y a une méfiance terrible des populations
13:30 de Martinique et de Guadeloupe vis-à-vis de tout message de santé de l'État.
13:34 Là aussi, il y a un enjeu important.
13:36 Bien sûr, il y a d'abord des fausses informations, mais il y a aussi effectivement une défiance
13:42 très grande vis-à-vis de l'État.
13:44 Et quand les messages pendant le Covid étaient "lavez-vous les mains", premier message,
13:53 et qu'il n'y a pas d'eau pour se laver les mains, comment fait-on ?
13:55 Donc c'est vrai que la crédibilité de l'État est assez faible et on voit bien les résultats
14:02 des élections à chaque fois.
14:03 Merci à toutes les deux d'avoir accepté l'invitation du 13-14 de France Inter aujourd'hui
14:09 pour parler de ce sujet, de ces dossiers qu'on suit évidemment régulièrement.

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