SMART BOURSE - AG et création de valeur

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Mardi 23 avril 2024, SMART BOURSE reçoit Caroline Ruellan (Présidente, SONJ Conseil)

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00:00 *Générique*
00:10 Le dernier quart d'heure de Smartbourg chaque soir, c'est le quart d'heure thématique.
00:13 Le thème ce soir, c'est celui des assemblées générales avec le coup d'envoi ces derniers jours de la grande saison,
00:20 de ces rendez-vous de démocratie actionnariale.
00:23 Et comment ces assemblées générales peuvent être un levier de création de valeur pour les entreprises ?
00:28 Nous en parlons avec Caroline Aurélans qui est à mes côtés en plateau,
00:31 présidente notamment de Songe Conseil, présidente également du Cercle des Administrateurs.
00:35 Vous êtes spécialiste des sujets de gouvernance. Caroline, bonsoir.
00:38 - Bonsoir Grégoire.
00:39 - Merci d'être avec nous.
00:41 Parlez justement de la gouvernance lors de votre précédente intervention.
00:44 L'idée c'est d'aller regarder ce qui se passe dans les assemblées générales aujourd'hui.
00:49 Mais quand on regarde un petit peu dans le passé, pendant longtemps, très longtemps même peut-être,
00:54 les assemblées générales ont été perçues comme des chambres d'enregistrement pour les résolutions proposées,
01:01 laissant assez peu de place notamment à ce qu'on appelle les actionnaires minoritaires.
01:05 Et puis les choses ont évolué et les choses ont même changé ces dernières années Caroline.
01:09 - Profondément. Profondément.
01:11 Je pense qu'il est intéressant de comprendre ce qui se joue en assemblées générales avec peut-être une perspective historique.
01:17 Ce que vous dites est très juste.
01:19 C'est-à-dire que très longtemps finalement les entreprises étaient habituées à ce que les actionnaires,
01:23 notamment minoritaires, ne soient pas très présents.
01:26 Et finalement leur seul moyen de vraiment contester la stratégie ou une déception boursière,
01:33 c'était de vendre leurs actions, donc de sortir.
01:36 Et puis avec le temps on observe un changement de paradigme qui est assez récent,
01:42 qui date d'une dizaine d'années environ.
01:44 Changement de paradigme qui est extrêmement puissant parce qu'en réalité il a mené à un déplacement, on va dire,
01:49 du centre de gravité plutôt au bénéfice des actionnaires.
01:53 Et en vertu duquel les entreprises maintenant se déploient dans un paradigme de redevabilité et de transparence.
02:01 Redevabilité qui veut dire concrètement que les investisseurs attendent des dirigeants qu'ils rendent des comptes.
02:07 Qu'ils rendent des comptes notamment dans le moment très privilégié qu'est l'Assemblée Générale,
02:12 mais pas uniquement, également en dehors des Assemblées Générales.
02:15 Il est vrai que désormais les Assemblées Générales sont le moment de cristallisation d'une certaine façon
02:20 de cette nouvelle relation actionnariale.
02:22 Et là comment font-ils très concrètement ?
02:25 Finalement ils utilisent une boîte à outils qui a toujours existé, qui était à leur disposition depuis longtemps.
02:29 Le dépôt de résolution, les questions écrites, les questions orales, éventuellement l'incident de séance.
02:35 Bref, autant de moyens qui leur permettent d'exercer une influence et de demander des comptes aux dirigeants.
02:41 Et c'est dans ce contexte qu'il faut comprendre en réalité la montée en puissance du phénomène activiste
02:47 qu'on observe depuis une dizaine d'années.
02:49 Mais qu'est-ce qui a changé du coup ?
02:51 Puisque vous le dites Caroline, la boîte à outils pour les actionnaires minoritaires, elle a toujours existé.
02:55 Sauf que eux se limitaient à "si je ne suis pas content, je vends l'action, circulez, il n'y a rien à voir".
03:02 Qu'est-ce qui a changé du point de vue de ces actionnaires minoritaires
03:05 qui font qu'ils vont utiliser une boîte à outils qui était déjà à leur disposition auparavant ?
03:10 D'abord il y a une évolution de réglementation.
03:14 C'est-à-dire que, alors même qu'ils n'utilisaient pas ces droits,
03:17 ils sont devenus objets de protection avec le temps.
03:21 D'ailleurs on est passé du narratif d'actionnaire à celui d'épargnant.
03:24 Et puis il y a une catégorie d'actionnaires minoritaires, notamment des fonds d'investissement qui sont très professionnels,
03:31 qui ont les moyens, les moyens financiers, les moyens humains, les moyens de compréhension industrielle
03:37 et qui ont décidé de rentrer d'une certaine façon dans l'arène et d'exercer une influence.
03:42 Et le phénomène activiste en réalité se décrit comme une catégorie d'actionnaires qui souhaitent exercer une influence
03:49 et donc participer au devenir de l'entreprise.
03:53 Alors la vraie question qui se pose est de connaître leurs ressorts profonds,
03:56 car il peut y avoir des ressorts qui sont plus ou moins louables,
04:00 et leur démarche s'inscrit dans cette évolution de redevabilité et de volonté de participer au futur de l'entreprise.
04:09 Et de manière très intéressante, quand on voit les chiffres, notamment sur 2023,
04:13 on constate une augmentation significative des campagnes activistes, plus 15% l'an passé.
04:19 En Europe, c'est ça ?
04:20 En Europe, absolument.
04:21 Et surtout de manière très intéressante, on constate 46% de primo-activistes.
04:27 En réalité, ce ne sont pas nécessairement des fonds activistes, mais ce sont des fonds d'investissement,
04:32 des family office, même parfois des acteurs du private equity,
04:35 qui ont décidé d'utiliser d'une certaine manière des postures activistes pour exercer une influence.
04:40 Donc on voit bien que le phénomène activiste dépasse très largement la seule population des fonds que l'on nomme comme telle,
04:49 et que c'est finalement devenu un modus operandi d'un certain nombre d'investisseurs qui souhaitent influencer le futur de l'entreprise.
04:56 On constate cette professionnalisation effectivement chez des sociétés de gestion d'actifs,
05:02 de grande taille notamment, mais de taille moyenne également,
05:05 qui ont du personnel dédié aujourd'hui à ce qu'on appelle l'engagement, le stewardship.
05:10 Et d'ailleurs, ces gens-là m'expliquent que généralement, la vraie négociation ne se fait pas au moment de l'Assemblée Générale,
05:17 qui reste aussi un théâtre de la démocratie actionnelle, mais que c'est entre les saisons d'AG que tout se joue.
05:23 Parce que l'activisme le plus efficace, c'est celui qui ne se voit pas, Caroline.
05:27 Évidemment, d'abord, on ne peut que militer dans son sens, parce que c'est celui-ci qui ne se voit pas,
05:33 et c'est celui-ci qui ne fait pas de dommages à l'entreprise.
05:36 Une campagne activiste a toujours des conséquences, ne fussent qu'en termes de réputation,
05:41 elle fragilise l'émetteur, donc on ne peut pas le souhaiter.
05:44 C'est une vraie décharge difficile pour l'entreprise à vivre, et il faut le reconnaître.
05:49 Tout ce dialogue, tout cet engagement que vous évoquez très justement,
05:52 et qui n'est plus le fait uniquement des activistes, mais également de beaucoup d'investisseurs institutionnels
05:58 qui ont désormais des équipes dédiées à ce dialogue et à cet engagement, il est majeur parce qu'en fait,
06:04 la lame de fond, me semble-t-il, est la suivante, c'est de faire en sorte que l'émetteur tisse un lien de qualité
06:13 avec son actionnariat, qui reste d'une certaine manière son meilleur actif.
06:17 Et d'ailleurs, pour preuve, c'est que les entreprises qui n'ont pas un socle actionnarial solide,
06:22 qui n'ont pas notamment un actionnaire de référence, sont bien plus vulnérables en temps de crise.
06:26 Donc il y a toute cette relation qui peut parfois être plus ou moins conflictuelle,
06:30 mais qui devrait s'inscrire dans une logique plus de partenariat, et tout ça dans l'intérêt social bien compris.
06:36 Est-ce qu'aujourd'hui, j'allais dire, le moindre actionnaire minoritaire peut se transformer en actionnaire activiste ou actionnaire engagé ?
06:45 Je ne veux pas utiliser le terme activiste qui est très connoté en France, mais moi je n'ai pas de connotation particulière derrière ce mot.
06:51 Sachant qu'en face de ça, vous parliez de la redevabilité des entreprises vis-à-vis de leurs actionnaires,
06:57 il y a ce risque de réputation qui est monté, qui devient un des risques principaux peut-être aujourd'hui dans certaines industries,
07:04 pour certains secteurs. Est-ce que là, c'est un vrai levier justement pour des actionnaires minoritaires qui restent minoritaires ?
07:13 Alors votre point est très important parce qu'il ne faut quand même pas perdre de vue qu'il y a en principe une corrélation
07:20 entre la participation dans le capital social et le pouvoir que le droit vous reconnaît.
07:27 Et d'ailleurs, dans l'une des évolutions très significatives que l'on constate depuis une dizaine d'années,
07:32 et qui a participé à la montée en puissance du phénomène activiste, c'est que finalement ces actionnaires minoritaires
07:38 ne se contentent plus d'un traitement purement capitalistique de leur participation.
07:43 En d'autres termes, ils n'acceptent plus de se faire opposer comme argument, vous ne représentez que 0,00000,
07:49 et par conséquent votre influence, votre pouvoir d'influence doit être limité à 0,0.
07:56 Donc on voit que là, il y a quelque chose qui se joue, mais pas d'ailleurs sans poser une certaine difficulté,
08:00 puisqu'il y a quand même au final le risque social. Donc est-ce qu'il est très légitime qu'une personne avec un 0,00000 puisse mettre,
08:10 je dirais challenger un émetteur ? C'est une vraie bonne question.
08:14 Peut-être que la réponse est la qualité du dialogue et la qualité des alternatives qu'il peut mettre sur la table, de propositions.
08:21 Est-ce que vous avez un exemple d'entreprise ou de sujet sur lesquels des actionnaires minoritaires en campagne
08:28 ont pu exercer une influence majeure, Caroline ?
08:32 Je pense qu'il y a le dossier Lagardère, qui est un très bon exemple, où le Fonds d'investissement Amber Capital a mené,
08:38 on va dire, une vraie bataille, une vraie campagne, une longue campagne activiste qui a duré plusieurs années.
08:44 Il y a eu notamment sur deux assemblées générales, et donc un investissement de plusieurs années également.
08:52 Et on peut considérer que c'est cette persistance qui a fini par faire bouger les lignes et modifier en profondeur la gouvernance.
09:02 Donc il y avait aussi un alignement de facteurs qui a permis cette réalisation.
09:07 Mais c'est un exemple très concret et qui, je pense, a beaucoup marqué la place de Paris.
09:11 Quand vous voyez la cristallisation ou le degré de focalisation que certaines assemblées générales d'entreprises emblématiques peuvent susciter,
09:26 l'exemple français étant évidemment Total Energy, est-ce que c'est une bonne chose ?
09:32 Est-ce que ça permet un bon fonctionnement de la démocratie actionnelle ?
09:36 Est-ce que ça veut dire que l'Assemblée Générale de Total, qui cristallise beaucoup d'attention et de tension aussi peut-être,
09:42 c'est un vrai moment de création de valeur pour l'entreprise, pour reprendre l'expression,
09:47 ou est-ce qu'il y a un moment où ça peut devenir contre-productif ?
09:50 C'est une question compliquée parce que le sujet est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît.
09:56 Total Energy est très exposée, notamment et au premier chef en conséquence de l'industrie dans laquelle ce groupe se déploie,
10:07 parce qu'il y a effectivement des ONG qui ont été assez actives, parce qu'il y a des sujets de dépôt de résolution,
10:12 parce qu'il y a la question de soumettre aux actionnaires le plan pour consultation.
10:19 Donc toutes ces questions cristallisent. Je trouve toujours important finalement que les acteurs puissent échanger.
10:25 Moi, la ligne rouge, c'est que finalement la victime ne soit pas l'entreprise.
10:30 Il y a la création de valeur, il y a des enjeux qui sont très importants.
10:35 Et d'ailleurs, de manière quand même très significative dans cette vague de cette saison des assemblées générales,
10:40 on constate malgré tout que les investisseurs, alors même qu'ils ont été très attentifs et restent attentifs aux vecteurs
10:48 et aux enjeux environnementaux, notamment climat, restent encore très attachés à la valeur financière,
10:57 à la performance opérationnelle, à la trajectoire boursière.
11:00 Donc en réalité, là où les choses deviennent compliquées, c'est qu'on attend des entreprises qu'elles créent à la fois de la valeur financière
11:06 et qu'elles créent la valeur extra financière. Donc pour revenir à Total, c'est là où les choses deviennent complexes.
11:12 Un des sujets de l'Assemblée Générale de Total cette année va être la dissociation des fonctions de Président et de Directeur Général.
11:18 Intéressant, on part de sujets climatiques et on en arrive à un sujet de gouvernance.
11:24 D'abord, les sujets climatiques et les sujets de gouvernance ne sont pas si éloignés l'un de l'autre
11:29 car c'est la gouvernance qui décide de porter le climat puisque le climat fait partie intégrante, me semble-t-il, de la stratégie.
11:36 Je vous renvoie à notre précédente intervention à retrouver sur bsmart.fr "Gouvernance et création de valeur".
11:42 Absolument, donc ça la première remarque. Et quant à la dissociation, j'avais eu l'occasion également de m'en entretenir avec vous.
11:51 Moi, il me semble que cette demande de dissociation n'est pas en tant que telle à pas forcément pour objet directement la demande de dissociation
11:59 mais peut-être d'attirer l'attention sur la gouvernance et ça peut être compris comme un moyen détourné de remettre au centre du jeu,
12:05 finalement, la question du climat. Donc il faut peut-être la comprendre au second degré et pas de manière immédiate.
12:12 Et je continue de penser que la dissociation exige beaucoup de conditions pour qu'elle fonctionne très bien,
12:19 la dissociation de fonction entre présidence et direction générale.
12:22 Donc là aussi, c'est un modèle qui est idéal mais qui exige un certain nombre de conditions et d'exigences pour qu'il soit vertueux.
12:30 Pour conclure, Caroline, quel est le rôle de Songe Conseil dans cet équilibre de la démocratie actionnariale que sont les assemblées générales ?
12:37 L'équilibre, précisément, l'équilibre. L'équilibre, car on parle beaucoup notamment dans le contexte de la loi attractivité qui est en discussion.
12:46 On parle beaucoup de mettre en avant un certain nombre de sujets, les droits de vote multiples et notamment.
12:53 Moi, je pense que tout est une question d'équilibre. Pour que la place de Paris demeure et attractive et compétitive,
13:00 il faut certes préserver les émetteurs. Il faut aussi laisser la place aux investisseurs et que chacun trouve son, je dirais,
13:08 s'y retrouve dans un équilibre et dans une relation de partenariat.
13:12 Merci beaucoup Caroline. Caroline Aurélien qui était l'invité de ce quart d'heure thématique de Smart Bourse ce soir. Présidente de Songe Conseil.
13:18 [Musique]

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