Le "8h30 franceinfo" de l'historien Jean Garrigues

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Jean Garrigues est l'invité du "8h30 franceinfo" à l'occasion 80 ans du Débarquement en Provence, épisode méconnu mais essentiel de la Libération.

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00:00Bonjour Jean Garrigue, le Président de la République est dans le Var aujourd'hui pour les commémorations des 80 ans du débarquement même si on l'apprend à l'instant de la part de l'Elysée,
00:12une partie de ces événements est annulée en raison de la météo notamment l'évocation sur les plages. Cette célébration elle est c'est vrai moins connue que les débarquements en Normandie pourtant ça a été un moment décisif dans la victoire contre l'Allemagne nazie.
00:26Oui totalement il y a eu une sorte de tri mémoriel comme ça qui s'explique par le fait que le premier débarquement le D-Day c'est le 6 juin et c'est ce qui entraîne toutes les opérations qui vont suivre mais c'est vrai que vous vous souvenez ça s'appelait le marteau et l'enclume, le marteau c'était le 6 juin et l'enclume c'était le débarquement de Provence qui prenait en tenaille justement les armées allemandes et ont accéléré de manière décisive le départ des Allemands.
00:55Donc c'est vrai que c'est une date importante et c'est vrai qu'elle a été assez peu célébrée alors même que pour le général de Gaulle c'était le débarquement le plus important parce que le D-Day le 6 juin et 45 c'était fait sans les armées françaises ou de manière très très marginale, de Gaulle était arrivé après il était hostile à ce débarquement tandis que là le débarquement de Provence c'est un débarquement qui se fait avec les armées françaises et les britanniques et les américains aussi bien sûr.
01:25Et c'est ça d'ailleurs qui permet à la France de s'asseoir ensuite à la table des vainqueurs ?
01:29Oui c'est quelque chose de décisif ensuite pour les grandes conférences alors à Yalta les français n'y sont pas mais ensuite à Potsdam, non c'est quelque chose qui est très important pour le général de Gaulle qui légitime la position politique du général.
01:45N'oublions pas que le projet des américains à l'époque c'était d'installer une administration provisoire américaine avec des hommes liges qui soient au service des américains un peu comme ils l'ont fait au Japon et donc c'était très important de dire regardez nous on était présent et les troupes françaises ainsi d'ailleurs que la résistance intérieure, les maquisards ont joué un rôle très important dans la libération du sud-est de la France.
02:12Alors on se souvient le 6 juin dernier le président recevait en Normandie pour ses commémorations du D-Day, il y avait Joe Biden, il y avait Volodymyr Zelensky alors cette fois le président sera aux côtés de chefs d'état africains et notamment Paul Biya le président du Cameroun pour un hommage à nos anciennes colonies.
02:27En quoi leur rôle a-t-il été majeur dans la libération de la France ?
02:30Il est totalement majeur, alors il est vrai que finalement le rôle des français se cristallise vraiment le 16 août, le lendemain du premier grand débarquement qui est essentiellement américain mais à partir du 16 août il y a ce qu'on appelle l'armée B qui était commandée par le général De Lattre d'Ottacini et dans cette armée B vous avez 90% des troupes qui viennent de l'infanterie coloniale ou de l'infanterie d'Algérie qui était la France à l'époque.
02:59Donc vous avez 90% des troupes qui sont des africains et puis des africains du nord principalement, alors il y a aussi toute une partie de ce qu'on va appeler plus tard les pieds noirs, les européens d'Algérie mais essentiellement des musulmans d'Algérie et puis aussi des troupes de l'Afrique subsaharienne dite Afrique noire qui est à peu près 10%, ce qui veut dire qu'on a vraiment un débarquement, j'allais dire il est encore plus africain que français si on peut dire.
03:26Et pourtant les chefs d'état africains ne participent à ces commémorations que depuis le 50e anniversaire, leur reconnaissance, la reconnaissance de leur apport a été assez tardive.
03:34Oui, la reconnaissance a été tardive, elle a suscité d'ailleurs dès 1944 des émeutes à Dakar, à Tiaroua où il y a eu même des massacres, les émeutiers qui réclamaient des pensions à la mesure de leurs sacrifices ont été massacrés par les troupes coloniales françaises.
03:56C'est un sujet de polémique depuis très très longtemps et on voit peu à peu une reconnaissance qui s'est effectuée, effectivement ça a été surtout à partir du 50e anniversaire, de plus en plus de chefs d'état africains qui ont été invités, le piqué ayant été en 2014 sous François Hollande où il y avait 19 représentants des pays africains.
04:23Là il y en aura un petit peu moins parce que c'est le reflet de ce qui se passe pour la position de la France au niveau international.
04:32Alors il y a un rôle très important des tirailleurs sénégalais, une délégation d'ailleurs de tirailleurs sénégalais est arrivée hier en France pour assister à ces commémorations car sur les 250 000 soldats de l'armée française dans la région, beaucoup évidemment venaient de ces colonies françaises en Afrique, deux d'entre eux témoignent sur le rôle important qu'ils ont joué dans la libération de la France, on les écoute.
04:51Si la France a pu écrire sur son drapeau liberté, égalité, fraternité, c'est en partie grâce aux tirailleurs sénégalais qui ont consenti des sacrifices trop importants pour la liberté de la France.
05:14La France nous avait oubliés mais ils sont en train de rattraper le temps perdu.
05:21Jean Garrigue, la France, même si elle a fait beaucoup ces dernières années pour la reconnaissance des tirailleurs sénégalais, elle leur doit encore réparation ?
05:28Oui, je pense qu'il y a une réparation à la fois symbolique et financière.
05:33Beaucoup de choses ont été faites depuis une dizaine d'années, on va dire, ça s'est peu à peu débloqué mais je pense que symboliquement, notamment pour les sénégalais, les ivoiriens,
05:46ce qu'on appelait les tirailleurs sénégalais, c'était les tirailleurs qui venaient de toute l'Afrique de l'Ouest, qui était une Afrique colonisée par la France.
05:56Et pour tous ces hommes-là, comme pour Léopold Sédar Senghor qui avait fait un poème en mémoire des forces françaises noires, comme ils les appelaient dans un recueil qui s'appelait « Hostie noire »,
06:10pour Senghor, ancien président du Sénégal, comme pour les sénégalais, symboliquement c'est quelque chose d'important.
06:16Jean Garrigue, vous restez avec nous sur France Info, on poursuit cette discussion, on va également parler de l'actualité plus politique liée notamment au gouvernement en France.
06:24Ce sera juste après le Fil Info, à 9h moins 20 avec Sophie Echelle.
06:29Le trafic des trains est interrompu ce matin entre Nice et Marseille, il ne reprendra pas avant midi selon la SNCF.
06:35Le trafic aérien est également perturbé avec des retards à l'arrivée et au départ de l'aéroport de Nice.
06:41Conséquence des intempéries, les Alpes-Maritimes et le Var sont actuellement en vigilance orange aux orages.
06:46Emmanuel Macron rend hommage aux deux militaires morts en exercice après la collision de deux avions Rafale hier en Meurthe-et-Moselle.
06:53Un instructeur et son élève issus de la base aérienne 113 de Saint-Dizier.
06:58Le ministre des armées Sébastien Lecornu est attendu sur place cet après-midi.
07:02Paul Watson sera aujourd'hui, s'il est maintenu en détention, la justice danoise doit se prononcer.
07:07Le militant en faveur de la protection des océans et fondateur de l'ONG Sea Shepherd a été arrêté au Groenland il y a plus de trois semaines.
07:14Le Japon réclame son extradition, l'accusant de s'en être pris à l'un de ses navires baleiniers.
07:19C'est une icône du cinéma américain qui vient de s'éteindre, Jenna Rolands, à l'âge de 94 ans.
07:25Elle s'était notamment distinguée dans Une femme sous influence, Opening Night ou encore plus récemment N'oublie jamais.
07:31France Info, le 8.30, France Info, Brigitte Boucher, Benjamin Fontaine.
07:41Jean-Gary Goncel, président de la République, affectionne particulièrement ces séquences mémorielles.
07:46Est-ce que les Français sont aussi attachés à faire vivre cette histoire collective ?
07:51C'est toujours très, très difficile à analyser.
07:54Ce qu'on peut dire, c'est que la séquence précédente, celle du débarquement de Normandie, a suscité un vrai engouement là-bas, sur les plages du débarquement.
08:05J'en ai été témoin direct. C'est vrai que j'ai été surpris par l'affluence, le succès de ces manifestations.
08:13Ça s'est vérifié aussi sur les écrans de télévision, enfin dans l'audience télévisuelle.
08:18Ça participe au renforcement de la cohésion nationale ?
08:20De toute façon, c'est quelque chose de très important. Un peuple, une nation, a besoin d'une mémoire, a besoin de héros aussi.
08:30Ça s'est fait à toutes les époques. Les hommes de la Troisième République avaient célébré le centenaire de la Révolution française pendant un an, en 1889.
08:39Ça avait été des fêtes à répétition très, très importantes et surtout dans une France comme la nôtre, dont tout le monde dit qu'elle est fracturée, archipélisée.
08:49Ce genre de commémoration nous permet de reprendre pied, d'avoir des points de repère et de voir aussi des moments où la France s'est retrouvée pour gagner ensemble.
09:01Comme la France a pu se retrouver lors des Jeux olympiques il y a quelques jours maintenant.
09:06D'ailleurs, Emmanuel Macron va chercher à entretenir la flamme du souvenir après avoir entretenu la flamme olympique.
09:12Ça va prolonger quelque part cette parenthèse. Est-ce que vous pensez que ça peut jouer contre lui ?
09:16Est-ce que les Français peuvent avoir le sentiment qu'ils cherchent à prolonger la trêve politique ?
09:21Là encore, il est évident que l'opposition, les oppositions vont considérer qu'il y a là une instrumentalisation.
09:29Je l'ai lu un peu partout de la part du président de la République et que l'intérêt cynique du président de la République, effectivement,
09:38c'est que cette période dure au maximum pour essayer de redorer un petit peu sa popularité, légitimer les choix politiques qu'il est en train de faire.
09:50Mais en même temps, aurait-on compris que les 80 ans de ce débarquement de Provence ne soient pas célébrés ?
09:59Les 70 ans l'ont été, les 50 ans l'ont été. Et je pense que ça fait partie du travail d'un chef d'État, précisément, d'entretenir cette mémoire
10:11et d'essayer au maximum, et c'est même fondamental, d'assurer la cohésion de la nation, ce que nos derniers présidents ont eu beaucoup de mal à réaliser.
10:22Avant les Jeux olympiques, il y avait beaucoup de ressentiment à l'égard du président de la République à cause de la dissolution.
10:28Est-ce qu'Emmanuel Macron peut profiter de la réussite des Jeux pour redorer son image, à l'image peut-être de Jacques Chirac en 1998 ?
10:35Alors c'est très clair. J'ai publié il y a quelques mois un livre qui s'appelle « Les jours heureux » dont le dernier chapitre porte sur la Coupe du monde de 1998.
10:44Ce qui est très frappant en 1998, c'est la manière dont Jacques Chirac et d'ailleurs Lionel Jospin, qui étaient en cohabitation avec lui,
10:50ont surfé sur le succès de cette Coupe du monde, sur la victoire des Français, la cote de popularité de Jacques Chirac a ébondi de 15%.
10:58C'est une popularité éphémère ?
11:00Alors c'est de toute façon éphémère, il ne faut pas s'y tromper, et je ne suis même pas sûr qu'aujourd'hui, dans le contexte politique qui est le nôtre,
11:09avec l'image et cette image de rejet qu'est celle d'Emmanuel Macron, ils obtiennent les mêmes résultats en termes de popularité.
11:19C'est toujours très difficile à analyser, y compris sur la durée, mais dans la France d'aujourd'hui, dans le besoin finalement d'horizontalité des Français,
11:31le rejet d'une certaine forme de présidence jupitérienne, je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui ça fonctionne aussi bien qu'en 1998.
11:39Jean Garrigue, vous l'avez dit, en 1998 il y avait cohabitation, pour le moment on attend toujours la nomination d'un Premier ministre avant un gouvernement.
11:47Est-ce qu'il y a déjà eu dans notre histoire autant de temps entre des élections et une nomination de Premier ministre ?
11:53C'est inédit, sous la Ve République, il y a eu des formes de palinodies de ce type, sous la IIIe ou la IVe, où un tel était nommé et puis finalement renonçait,
12:05ça s'est déjà produit dans notre histoire, mais aussi longtemps, on n'a jamais connu.
12:11Et une telle instabilité, il faut remonter à la IVe véritablement ?
12:13Alors, instabilité, oui et non, parce que là vous avez un gouvernement qui assure la bonne marche des affaires de manière transitionnelle.
12:23Non, moi je pense qu'on est fondamentalement confronté à une révolution culturelle à venir.
12:31Vous avez des institutions, qui sont celles de la Vème République, qui sont taillées pour avoir une forte majorité présidentielle.
12:39Il faut aujourd'hui s'habituer à ce que cette majorité n'existe plus et qu'on essaye de trouver des solutions pour adapter la Vème République
12:47au nouveau champ politique, qui est un champ divisé en trois, voire même en quatre.
12:52Ce qu'on oublie toujours, c'est qu'au fond, et ils ont finalement raison de le dire, les Républicains représentent la première force parlementaire, députés plus sénateurs.
13:02Pour vous, c'est une alerte, qu'il faut refonder la Constitution ?
13:04Pour moi, c'est surtout une nécessité d'adapter ces institutions, ou plutôt peut-être de revenir à l'esprit initial de ces institutions,
13:14puisque nous sommes dans un régime parlementaire, il ne faut jamais l'oublier.
13:18C'est-à-dire que c'est d'abord la responsabilité d'un Premier ministre par rapport au Parlement qui est, je dirais, le fil conducteur de notre vie politique.
13:29C'est vrai que le général De Gaulle considérait que ce qui était essentiel, c'était le président de la République.
13:34Peut-être qu'aujourd'hui, il faut essayer d'aménager tout ça pour tenir compte de ce paysage, aujourd'hui, qui est divisé en trois, voire quatre forces d'importance à peu près égales.
13:45Jean Garrix, sous la 4ème République, un gouvernement pouvait tenir quelques semaines à peine et ensuite tomber.
13:51Est-ce que c'est ce qui nous attend pour l'année 2025 ? Est-ce qu'une dissolution est, à votre avis, probable dans un an ?
13:58C'est toujours très compliqué de le dire, mais je rappelle, en ce qui concerne la 4ème République,
14:04parce que j'entends beaucoup de choses qui sont très superficielles par rapport à la 4ème République.
14:09Les gouvernements, c'est vrai, avaient une durée de vie assez courte, neuf mois de moyenne.
14:16Sous la 3ème, qui est aussi un régime parlementaire, vous avez eu des gouvernements qui duraient plus de trois ans, ce qui est largement au niveau de la 5ème République.
14:24Et sous la 4ème République, si les gouvernements tombaient de manière très rapide, le personnel politique restait très souvent le même.
14:35C'est-à-dire qu'il y avait une forme de stabilité très importante.
14:38Donc, attention, le système parlementaire, le régime parlementaire n'est pas forcément synonyme d'instabilité.
14:46Donc, peut-être qu'on va trouver là une solution transitoire, parce qu'au fond, tout ce qui est derrière la tête des politiques aujourd'hui, ça reste l'horizon 2027 de l'élection présidentielle.
14:58Mais je pense qu'il n'y a aucune fatalité, si vous voulez, à cette instabilité.
15:04Mais Jean-Garrick, vous l'avez dit, nous avons aujourd'hui trois grandes forces dans cette Assemblée nationale, avec le nouveau Front populaire en tête, légèrement en tête.
15:12L'historien que vous êtes, je ne parle pas d'un point de vue purement politique, mais en tant qu'historien, vous estimez, vous, que le Premier ministre devrait venir des rangs du nouveau Front populaire ?
15:22Contrairement à toute une vague d'articles que je vois venir de mes collègues universitaires, je ne suis pas totalement persuadé de ça.
15:31D'abord, c'est au président de choisir, ça c'est institutionnel, et au président de choisir en fonction de la capacité d'abord d'expertise, mais aussi de durée du gouvernement qui pourrait se mettre en place.
15:45Mais la tradition républicaine ne veut-elle pas que le premier groupe arrivé en tête aux élections législatives, que ce Premier ministre, soit issu de ces rangs ?
15:53C'est la tradition républicaine, sauf qu'on voit bien aujourd'hui que cette majorité relative, elle est extrêmement faible, et qu'à contrario, ce qui risquerait de se passer pour un gouvernement issu du nouveau Front populaire,
16:08c'est que très vite, il soit soumis à une motion de censure venant des deux tiers du reste de l'Assemblée.
16:15Donc c'est aussi un paramètre qu'on ne peut pas négliger, la capacité de durée d'un gouvernement potentiel de cohabitation.
16:24Merci beaucoup Jean Garrigue, président de la commission internationale d'histoire des Assemblées, d'avoir été l'invité du 8.30 ce matin. Merci Brigitte.
16:31Très bonne journée.