Isabelle Lasserre, correspondante diplomatique du Figaro, et Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux États-Unis, ancien représentant permanent de la France à l'ONU, sont nos débatteurs du jour. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-lundi-30-septembre-2024-5668609
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00:00Après un retour, évidemment, dans ce débat sur la situation au Proche-Orient,
00:06après la mort dans un bombardement israélien du leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah,
00:11quelles conséquences cet événement peut-il avoir ?
00:14Des représailles sont-elles envisageables ?
00:16La communauté internationale peut-elle peser dans la région ?
00:20Ou le temps de la diplomatie n'est-il pas venu ?
00:23On pose ces questions à Isabelle Lasserre.
00:25Bonjour, correspondant diplomatique du Figaro, Gérard Haraud, bonjour.
00:31Ancien ambassadeur de France aux États-Unis,
00:34ancien représentant permanent de la France auprès de l'ONU.
00:39Il y a eu les explosions à distance des Beepers et Tokiwokis des membres du Hezbollah.
00:45Il y a eu la campagne de bombardement menée par Israël qui se poursuit encore.
00:50Il y a eu enfin ce week-end la mort du chef du Hezbollah.
00:54Isabelle Lasserre, quelle a été votre réaction en apprenant la mort d'Hassan Nasrallah,
00:59surprise, médusée, où l'étau ces derniers jours était en train de se resserrer ?
01:04J'avais plutôt envie d'ouvrir une bouteille de champagne.
01:08J'ai tout de suite pensé à une chose,
01:11aux 58 morts français du Drakkar noir en 1983 et aux 241 morts américains,
01:18ainsi qu'à tous les hommes politiques, les dissidents et les opposants
01:22qui ont été assassinés par ce mouvement terroriste.
01:24Et donc j'ai aussi pensé une chose, alors que c'est la version optimiste.
01:28Et la version optimiste dans cette région du monde n'arrive pas forcément naturellement.
01:34Mais je me suis dit que peut-être que pour la première fois,
01:38le Liban, pays pris en otage par le Hezbollah depuis si longtemps,
01:43avait peut-être une opportunité historique pour se libérer de cette milice terroriste
01:49qui l'emprisonne et qui l'empêche de vivre normalement.
01:54Alors évidemment, c'est très compliqué parce que ce pays est infiltré par,
01:58l'État est infiltré par le Hezbollah.
02:00Ça voudrait dire aussi que la communauté internationale devra accompagner,
02:05en fait, les forces démocratiques libanaises qui voudraient reprendre possession de leur pays.
02:11Et il y a tout un tas d'obstacles qui s'amoncèlent sur la route.
02:16Les États-Unis ont parlé d'une mesure de justice.
02:20Comment, et puis je vais donner la parole à Gérard Arraud,
02:23avez-vous trouvé la réaction de la France dont les soldats, effectivement, sont morts dans le Drakkar ?
02:32Alors, je ne comprends toujours pas l'absence de réaction de la France.
02:36D'habitude, la France est très prompte à se prononcer sur le Liban,
02:40y compris d'ailleurs parfois à des moments complètement décalés
02:45et de manière décalée comme, je pense, le président français l'a fait le 19 septembre après l'attaque des Bipers.
02:51Et là, j'attendais une réaction à l'égal de celle de Joe Biden, c'est-à-dire...
02:59Il y avait une liste des gens qui ont été tués.
03:02Emmanuel Macron aurait aussi pu dire,
03:05justice a été rendue pour les Français tombés à ce moment-là.
03:10Et le silence français est pour moi incompréhensible.
03:13Mais je pense, moi je l'explique par la réticence de la diplomatie française au changement quel qu'il soit.
03:20Ça m'a fait penser exactement à la manière dont, à la fin de la guerre froide,
03:26la diplomatie française qui déteste le changement, enfin qui a peur du changement,
03:31n'avait pas vu que Gorbatchev était le représentant d'un monde finissant
03:36et que le nouvel arrivant Boris Yeltsin représentait l'avenir de la Russie après la chute du mur.
03:43Et bien là, pour moi, c'est la même chose.
03:45C'est-à-dire qu'on a peur du changement, c'est sans doute l'esprit jacobin des Français,
03:50de tous ces bouleversements.
03:52Et je trouve que la réaction de la France est totalement décalée
03:56par rapport à l'importance des événements qui sont en train de se passer.
04:00Isabelle Lasserre aurait bien ouvert une bouteille de champagne.
04:03Et vous, Gérard Haraud ?
04:06Vous savez, je ne conçois pas les relations internationales comme un western
04:08où on applaudit la mort du méchant.
04:11En réalité, il arrive qu'il y a plus méchant que le méchant qui succède.
04:16Donc moi, lorsque j'ai appris la mort de Nasrallah,
04:20d'abord j'en ai conclu que c'était un événement très important, à l'évidence.
04:25Et donc ma réaction a été de me demander immédiatement
04:29quelles peuvent être les conséquences.
04:31C'est ça les relations internationales.
04:34Donc quelles peuvent être les conséquences ?
04:36Il y a trois scénarios immédiatement.
04:38L'un, c'est que les talibanais rétablissent la souveraineté
04:41aux dépens du Hezbollah, comme l'a évoqué Isabelle.
04:46Honnêtement, aujourd'hui, étant donné que le Liban est quasiment un état failli,
04:51je doute qu'ils y parviennent.
04:54Ensuite, il y a deux questions.
04:56Les deux scénarios, deux questions, c'est
04:58que vont faire Jérusalem et que va faire Téhéran ?
05:02Car hélas, le sort du Liban risque en grande partie de se décider ailleurs.
05:08L'Iran a reçu ces dernières semaines une série de claques,
05:13s'il faut bien le dire, absolument ahurissantes.
05:15Les Israéliens ont éliminé le chef du Hamas
05:19dans la résidence officielle des hôtes de la République islamique à Téhéran.
05:23Et maintenant, on voit le principal allié de l'Iran dans la région qui est décapité.
05:30Et donc, c'est le statut quasiment de l'Iran comme grande puissance qui est en jeu.
05:34En même temps, les Iraniens ne sont pas suicidaires.
05:36Le régime n'est pas suicidaire face à la supériorité militaire d'Israël et au soutien américain.
05:42Mais est-ce que l'Iran peut continuer d'encaisser les coups durs qu'il reçoit ?
05:46De l'autre côté, c'est Jérusalem, c'est-à-dire est-ce que...
05:49Israël met le Hezbollah et l'Iran dans les cordes.
05:53C'est le titre à la une ce matin du quotidien L'Opinion.
05:56C'était d'ailleurs un tweet que j'ai fait juste après l'événement.
06:00J'ai dit l'Iran est renvoyé dans les cordes dans un tweet.
06:03Et deuxièmement, du côté de Jérusalem,
06:08est-ce que c'est simplement un coup pour essayer de convaincre le Hezbollah d'arrêter de tirer sur le nord du pays ?
06:15Ou est-ce que c'est l'annonce, le prologue d'une intervention militaire comparable à celle de 2006
06:20que j'ai vécue en tant qu'ambassadeur de France en Israël à ce moment-là ?
06:25Donc pour le moment, je pense qu'on ne peut pas dire que si la mort de Nasrallah est positive ou pas.
06:34On va voir ce qui va se passer dans les semaines qui viennent.
06:36Un mot sur la réaction française. Il y a tout de même le ministre des Affaires étrangères qui s'y est rendu.
06:41Un mot, Gérard Raraud, sur la réaction française par rapport à la réaction américaine.
06:46De nouveau, vous savez, les États-Unis sont en période électorale.
06:51Et ils ne peuvent pas se permettre d'émettre la moindre critique d'Israël,
06:56et surtout lorsque Israël élimine le chef d'un mouvement responsable d'actes terroristes.
07:03Donc les Américains dans cette affaire, et c'est important de signaler,
07:07les puissances extérieures à la région, et la première, quasiment la seule qui compte, les États-Unis,
07:12ne peuvent plus rien sur les acteurs. Israël fait ce qu'il veut.
07:16Et donc, je dirais, du point de vue des Américains, ils n'avaient pas d'autre choix que,
07:22comme disait, je crois, Séguy en parlant à la CGT, puisque je suis leur chef, je vais les suivre, voilà.
07:28Et je pense que la réaction à la diplomatie française, me semble être une réaction de bon sens,
07:32c'est d'essayer de se dire, attendez, tout peut exploser, c'est quand même une région qui peut exploser,
07:37essayons d'être prudents et de voir ce qui va se passer, essayons aussi, éventuellement, de calmer le jeu.
07:44Mais, il faut bien dire, l'influence de la France, de l'Europe et des États-Unis est très faible à l'heure actuelle.
07:50Plus personne n'a la main sur les acteurs, Isabelle Lasserre ?
07:52Non, plus personne n'a la main, pour deux raisons, enfin pour une raison particulièrement,
07:57c'est que je pense que ce qui s'est passé le 7 octobre est l'équivalent,
08:01peut-être en même plus important pour les Israéliens que le 11 septembre 2001 pour les États-Unis.
08:07Et donc là, il s'agit à la fois de, c'est une question existentielle pour Israël,
08:12c'est une volonté de rétablir sa dissuasion et de restaurer le pacte avec les Israéliens qui était la sécurité.
08:20Et je pense que, d'un point de vue israélien, ça ne pourra être fait que quand le Hamas sera en partie,
08:27éradiqué en partie, parce qu'évidemment, avec toutes les réserves d'usage, on n'extermine pas une idéologie, etc.
08:34Et pareil pour le Hezbollah et d'ailleurs, visiblement aussi, pareil pour les Houthis.
08:38Donc Israël ne peut pas s'arrêter tant que la menace des proxys iraniens n'aura pas été jugée suffisamment affaiblie
08:48pour que l'État hébreu puisse vivre, en tout cas pendant quelques années,
08:52parce que ça revient toujours, et ça revient toujours plus fort d'ailleurs, à peu près en sécurité.
08:57Donc personne ne peut arrêter Netanyahou parce que c'est une question existentielle.
09:04C'est insupportable pour Israël de vivre avec un Hezbollah à ses portes
09:08qui pourrait recommencer un nouveau 7 octobre à la frontière nord du pays.
09:14Mais alors, cela dit, la France n'a plus aucune influence ni l'Europe, etc.
09:20L'influence, elle reste uniquement, elle peut être canalisée dans le domaine humanitaire
09:25et après, quand on parlera de reconstruction à Gaza, ce sera dans le domaine économique.
09:30La seule puissance qui pourrait avoir une influence sur les Israéliens, c'est les Etats-Unis
09:34parce que ce sont eux qui financent en partie la guerre, enfin indirectement,
09:41mais oui, en fournissant des armes à Israël.
09:45Donc les Etats-Unis, moi je ne suis pas tout à fait d'accord parce que les Etats-Unis, à l'ONU,
09:49ont essayé justement, même s'ils sont en campagne électorale,
09:53ils ont quand même, avec la France, poussé la résolution.
09:59Et on a entendu Joe Biden dire « cessez de tirer », etc.
10:03Donc les pressions verbales existent, mais elles ne sont pas suivies des faits,
10:07c'est-à-dire qu'il n'y a pas de pression économique et militaire.
10:10Et là, c'est la ligne que ne veulent pas franchir et ne peuvent pas franchir les dirigeants américains,
10:16effectivement, parce que, pour des raisons électorales,
10:18mais aussi pour des raisons d'alliances stratégiques entre les Etats-Unis et Israël.
10:22Le temps file, pourquoi et comment expliquez-vous la retenue de l'Iran à ce stade ?
10:29Vous savez, je crois que ce que nous avons vu, c'est l'affirmation, la confirmation
10:34de la suprématie militaire israélienne dans la région.
10:38Tout simplement, comme je l'ai dit, les Mollahs ne sont pas suicidaires,
10:42ils ont en face d'eux la puissance militaire israélienne,
10:46qui est soutenue par les Etats-Unis.
10:50Les Etats-Unis ont averti l'Iran qu'ils seraient aux côtés d'Israël.
10:53Moi, je voudrais quand même faire une remarque à cet égard,
10:55c'est-à-dire que lorsque vous avez un gros marteau, tout problème ressemble à un clou.
11:00Et on a un Israël qui est tellement fort militairement qu'il essaye de tout résoudre par la force.
11:06La politique israélienne aujourd'hui, il n'y a pas la moindre perspective stratégique et politique.
11:12Parce que, par exemple, sur Gaza, dire on va éradiquer le Hamas, ils n'éradiqueront pas le Hamas.
11:16Le Hamas est toujours là. Et donc, quand vont-ils s'arrêter ?
11:20Parce qu'ils bombardent une région, ils quittent une zone, aussitôt le Hamas est de retour.
11:25Donc, quand vont-ils s'arrêter ? On ne voit pas.
11:28Je rappelle qu'en ce qui concerne l'Hezbollah, jusqu'au 7 octobre, la frontière nord était pacifique.
11:33Il n'y avait pas de problème à la frontière nord entre le Hezbollah et Israël.
11:38Si, la résolution 17-01 était toujours violée.
11:41Attendez, il n'y avait pas de problème à la frontière, le Hezbollah ne tirait pas sur Israël,
11:46ce qui a été déclenché, c'est le 7 octobre, où le Hezbollah,
11:50par solidarité avec le Hamas, a déclenché des tirs sur le nord,
11:53mais a déclenché des tirs sur le nord extrêmement limités.
11:57Le Hezbollah avait à 150 000 roquettes.
11:59Ils pouvaient mettre Israël dans les abris.
12:02Ils ont se senti obligés.
12:04D'ailleurs, ils l'ont dit publiquement, en disant franchement, le Hamas aurait pu nous avertir.
12:07Et ils ont multiplié les discours pour dire qu'ils n'allaient pas entrer totalement en guerre avec Israël.
12:14Donc, dire qu'Israël a été menacé par le Hezbollah...
12:20Mais est-ce que ça pouvait rester impuni du point de vue israélien ?
12:22Les tirs de l'étire, oui, tout à fait.
12:24Il y avait des tirs et les Israéliens, en effet, ont été, devaient réagir.
12:30Mais ils ont quand même réagi de manière, je dirais, extrêmement massive.
12:34Et de nouveau, la question n'est pas de savoir, de dire c'est formidable, ils bombardent, ils sont forts.
12:40C'est mais quelle est la perspective politique au bout du chemin ?
12:44Et de nouveau, moi je crains que l'Israël soit entraîné par l'hubris des anciens,
12:49la perte du sens des mesures, et en particulier parce que Netanyahou,
12:53s'il arrête la guerre, eh bien il est mort politiquement.
12:56Isabelle Lasserre ?
12:57Ça oui, bien sûr, de toute façon, Netanyahou est entraîné dans une escalade guerrière,
13:04ne serait-ce que pour préserver son pouvoir.
13:06Mais sur le Nord, moi j'ai une analyse un petit peu différente.
13:11Il y a quand même 80 000 réfugiés israéliens,
13:17qui ont dû quitter le Nord sous les bombardements du Hezbollah.
13:21Et le retour de ces réfugiés dans le Nord, au bout d'un an,
13:25est devenu l'un des objectifs de la guerre israélienne.
13:29Je crois que, de manière générale, Israël considère qu'elle ne peut plus vivre avec ces menaces aux frontières.
13:35Et là, autant on peut critiquer la manière dont Netanyahou conduit sa guerre à Gaza,
13:42la colonisation sauvage en Cisjordanie,
13:45mais là, avec le Hezbollah, Israël est dans son droit international.
13:51C'est-à-dire qu'un souverain a le droit à une légitime défense,
13:57et ensuite la résolution 1701, qui est censée forcer le Hezbollah à retourner plus au Nord,
14:04c'est-à-dire à laisser cet espace qui menace Israël libre, n'est pas respecté par le Hezbollah.
14:13Merci à tous les deux. Isabelle Lasserre, correspondante diplomatique du Figaro,
14:17Gérard Raraud, ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis
14:21et ancien représentant permanent de la France auprès de l'ONU.