Tous les vendredis, samedis et dimanches soirs, Pascale de La Tour du Pin reçoit deux invités pour des débats d'actualités. Avis tranchés et arguments incisifs sont aux programmes de 19h30 à 20h00.
Retrouvez "Ça fait débat" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-grandes-voix-du-weekend
Category
🗞
NewsTranscription
00:00Europe 1 Soir Week-end, 19h21, Pascal Delatorre Dupin et Olivier D'Artigolle,
00:05chroniqueur politique, Véronique Jacquet, journaliste politique à CNews, nous ont
00:09rejoints dans ce studio. Bonsoir, merci d'être là. Nous sommes avec Jérôme Fourquety,
00:15directeur du département Opinion et Stratégie d'entreprise à l'IFOP et auteur de l'ouvrage
00:19Métamorphose française, état de la France en infographie et en image. C'est passionnant ce
00:24que l'on se dit depuis un quart d'heure. C'est pour ça que nous voulions poursuivre cet entretien.
00:30Votre livre dresse une photographie, c'est une photo de notre société. Et comment nous en sommes
00:36arrivés là ? Je voulais aborder la question de l'immigration. Donc, à travers les prénoms,
00:41c'est très intéressant. En 1900, il n'y avait aucun nouveau-né en France qui portait un prénom
00:49arabo-musulman. En 2021, ils sont 21%. Est-ce que c'est la grande mutation, Jérôme Fourquety ?
00:56C'est une des transformations que le pays a connue. On peut remonter peut-être à une
01:02période moins ancienne que le début du XXe siècle, si on prend même le début des années 50. Le
01:07pourcentage de nouveaux-nés qui recevait ce type de prénom en France, quand on dit la France,
01:10c'est la France contemporaine. Les anciens départements d'Algérie ne sont pas comptabilisés
01:15dans le fichier sur lequel on a travaillé. C'était à peu près 1% parce qu'il y avait
01:19des familles qui étaient arrivées au moment de la reconstruction des Trente Glorieuses pour
01:23rebâtir le pays, travailler dans les mines et les usines ou dans l'agriculture dans certaines
01:28régions. Puis, début des années 60, l'arrivée des Harkis en France. Et donc, on voit le
01:35développement de ces prénoms qui s'est poursuivi, qui aboutit aujourd'hui au score de 21% des
01:42naissances. Alors attention, ce chiffre a été très commenté. Il est parfois instrumentalisé. Ce n'est
01:47pas 21% de la population, c'est 21% des gens qui naissent. Puisque les personnes les plus âgées,
01:53les fameux boomers, sont encore très nombreux en France. Et la proportion de personnes portant ce
01:58type de prénom dans ces générations-là est assez faible. Deuxième précaution à prendre. Attention
02:05à ce chiffre, il ne faut pas le considérer d'un bloc. Quand on fait la liste, c'est des milliers
02:09de prénoms différents. Quand on les dépouille un à un, on voit apparaître d'abord la grande
02:16famille des prénoms maghrébins. Mais dans ces prénoms maghrébins, on a des prénoms d'origine
02:20kabyle et non kabyle. Donc, il y a des sous-groupes. On a aussi toute une famille de prénoms turcs avec
02:25kurdes et non kurdes. Et puis, on a également des prénoms d'obédience musulmane, mais qui se
02:31raccrochent à des pays d'Afrique subsaharienne, Mali, Mauritanie. Et donc, ce sont encore d'autres
02:36populations. Donc, si on veut reprendre l'image un peu de l'archipélisation du pays, on voit comment
02:40notre société française s'était fragmentée. On a parlé de l'effondrement de la vieille matrice
02:46catholique. On pourrait parler aussi du déclin du Parti communiste, la perte aussi d'influence des
02:51grands médias de masse. Voilà l'audience d'un média très puissant comme TF1 qui a beaucoup
02:57décliné. Donc, la société française, de manière intrinsèque, s'était déjà fragmentée,
03:01archipélisée. Et en fait, on a un petit archipel, ce fameux, matérialisé par ses prénoms, qui est
03:07venu s'arrimer à l'archipel principal. Et donc, ce n'est pas une île dans l'archipel qui pèserait
03:1320% de la population, c'est tout un chapelet d'îles qui s'agrège au reste du corps social.
03:21Mais si on compare cette dynamique au regard, et vous le faites, de l'immigration polonaise au début
03:26du siècle dernier, qui constituait 40% des effectifs de mineurs, mais seulement 3% des
03:31prénoms des nouveau-nés, notamment dans le Pas-de-Calais. C'était le signe d'une assimilation
03:37réussie ? Je vous pose la question, contrairement à aujourd'hui. Alors, il faut remettre les choses
03:43dans leur contexte. D'abord, effectivement, vous parlez d'assimilation. Il y avait un modèle,
03:48en France, qui était un modèle qu'on appelle assimilationniste. Alors, certains regrettent
03:53que ce modèle fonctionne moins bien aujourd'hui, mais il faut bien avoir en tête de la façon dont
03:58il fonctionnait. C'est un modèle qui était très inclusif et extrêmement rigoureux et exigeant.
04:04Par exemple, au début du XXe siècle, même si ça a duré tout le XXe siècle, on avait une loi,
04:09c'était la loi Napoléon sur les prénoms, qui normalement interdisait de donner des prénoms
04:13étrangers à ses enfants. Alors, cette loi était plus ou moins appliquée. On avait également l'École
04:18de la République, qui avait comme mission de fabriquer des petits Français, à la fois en
04:25partant des enfants qui venaient de familles étrangères, mais aussi dans les très nombreuses
04:32régions périphériques que la France comptait, la Bretagne, certaines parties du Sud-Ouest,
04:38où on apprenait le français, parfois de manière assez rugueuse. On se souvient de ce qui était
04:45marqué sur les prénoms préaux des écoles en Bretagne, en disant qu'il était interdit de
04:48cracher par terre et de parler breton. Et c'est aussi comme ça qu'on a fabriqué des petits
04:53français. Pour les garçons, ensuite, il y avait le service militaire. Donc, tout ça fonctionnait
04:58de manière assez coercitive. On ajoute à cela aussi le fait que ces immigrations passées étaient
05:06d'origine européenne. Donc, on a parlé des Polonais, on pourrait prendre le cas des Espagnols,
05:09des Portugais ou des Italiens. Mais hormis le fait que ces personnes venaient de moins loin
05:14culturellement que l'immigration contemporaine, il y avait aussi un autre phénomène, c'est que
05:18ces immigrations ont été contingentées dans le temps. Elles ont duré en général 25-30 ans. Et ça,
05:23ça a changé beaucoup de choses en termes de ce qu'on pourrait appeler les stratégies matrimoniales.
05:28C'est-à-dire qu'assez rapidement, la tendance un peu naturelle, c'est de se marier avec des gens
05:33de son groupe. Mais quand votre groupe n'est pas alimenté par de nouveaux arrivants, si on ne veut
05:40pas toujours se marier entre cousins, au bout d'un moment, comme les paysans d'antan, il faut
05:44aller chercher le conjoint dans le village d'à côté pour éviter tout cela. Et ce phénomène-là
05:51n'existe plus avec l'immigration contemporaine où on a des arrivées récurrentes qui peuvent
05:58permettre à celles et ceux qui souhaitent de se mettre en ménage avec quelqu'un qui vient du
06:04pays d'origine de la famille et qui, dans son parcours, même pas d'intégration mais d'assimilation,
06:09les rapports hommes-femmes, le rapport à la religion, le rapport au pays d'accueil,
06:13et bien ne sont pas au même stade dans ce parcours d'assimilation.
06:18Vous en parlez effectivement du monde paysan qui va mal aujourd'hui et pour la première fois la
06:23France qui pourrait importer plus de produits alimentaires et agricoles qu'elle n'en exporte.
06:28C'est aussi un trait important dans votre livre. On ressent peut-être pas mal de nostalgie,
06:35peut-être Véronique, Olivier. Les Français sont nostalgiques d'une certaine époque,
06:41je ne sais pas, les années 60, 70, où ça paraissait plus simple, en tout cas vu d'aujourd'hui.
06:48Est-ce qu'on a le blues en France ? C'est-à-dire que c'est une époque où la
06:52France, elle est bien. Là, tout un chacun peut quand même reconnaître que la France ne va pas
06:58bien et les Français ne se portent pas bien. Ils sentent bien qu'il y a quelque chose qui cloche.
07:02Pour parler du modèle assimilationniste, c'est pas facile à dire, mais on voit bien qu'il y a
07:08quand même une capitulation politique. On n'a plus à un moment voulu faire de français. On a dit
07:13venez comme vous êtes. À partir de ce moment-là, ça ne peut engendrer que des dissonances. On se
07:18rend compte sur le temps long que ça ne fonctionne pas. Moi, je crois que ce qui est intéressant à
07:22travers votre ouvrage, c'est de tout considérer à travers le temps long. Vous avez très justement
07:26parlé de la déchristianisation de la France, en disant finalement qu'on ne vivait plus de ce que
07:32nous avions reçu. Nous n'étions plus des héritiers, mais nous nous bricolions. Soit une pensée du
07:39bien-être, soit d'avoir une petite statue de Bouddha chez soi et d'être incinéré plutôt que de
07:46vouloir des funérailles traditionnellement chrétiennes. Donc, ces choses choisies plutôt
07:53que ces choses reçues, moi, évidemment, me rendent très nostalgique parce que je trouve ça très
08:00triste. On est pauvres de ce qu'on ne veut plus revoir. On est pauvres, non ?
08:05Alors, attention aux effets d'optique sur le c'était mieux avant. Si vous prenez l'espérance
08:11de vie, l'accès aux études supérieures, la qualité de certaines
08:23certains aspects de nos vies, c'est quand même regarder la condition des femmes, etc. Donc,
08:29il y a beaucoup de choses qui ont changé positivement dans la société française.
08:33Dans les années 60, Véronique, on ne saurait pas où on est, là.
08:34Bien entendu. Mais moi, je dis juste que ce qui fait la différence entre aujourd'hui et avant,
08:41c'est qu'on pensait le temps long. Mais heureusement, il y a eu de sacrés avancées.
08:45Juste sur ce temps long, et je termine sur le blues, ayons aussi en tête que la France des années
08:5060-70, c'est aussi la France de la jeunesse, de la part majoritaire de la population française,
08:55qui est des générations issues du baby-boom. Et donc, il y a une nostalgie d'une France qui est
09:00un peu mythifiée, qui correspond à la France que quand, eux, étaient jeunes également. Et dernier
09:06point sur ce temps long, Jean-François Cyrinelli, un grand historien, a une formule magnifique sur
09:12la France du début des années 60, qu'on pourrait un peu qualifier de la France de Don Camillo et
09:15Pépone. Je parle sous le contrôle de Donnier d'Article. Cyrinelli nous dit, il y avait une
09:24France du bonheur différé, avec des horizons d'attente. Chez Don Camillo, on disait, c'est
09:28peut-être dur ici-bas, mais là où ce sera bien. Et puis, du côté de Pépone, on disait, camarades,
09:33ce soir le grand soir, demain la révolution, et ensuite la société sans classe. Aujourd'hui,
09:38ces horizons d'attente ont été dynamités, et le bonheur, c'est ici et maintenant. C'est ce que
09:43je peux m'offrir, ce que je peux payer à mes enfants. D'où la très forte prévalence du temps
09:48court, mais également du pouvoir d'achat dans nos vies et dans le débat public. Le livre que vous
09:55venez de publier, comme les enquêtes les plus récentes, ne me font pas dire, moi c'est foutu,
10:02c'est plié. Et c'était mieux avant. Sur beaucoup de sujets, ça n'était réellement pas mieux avant.
10:07Mais ça nous permet, sur certaines infographies, de zoomer, de s'intéresser à des sujets. J'ai été
10:14passionné de voir la cartographie des ronds-points des Gilets jaunes, passionné de voir un certain
10:21nombre de réalités territorialisées. Mais ça nous permet aussi de dézoomer, et de faire rentrer
10:28d'autres sujets, et d'essayer de les embriquer. Parce que souvent, dans notre actualité, on fait
10:35un peu du zapping, on prend des sujets les uns après les autres, sans avoir la possibilité de
10:39bien souvent les développer. Tandis que là, on peut s'arrêter sur des images, des infographies,
10:44et réfléchir à l'état existant des choses, qui ne sont pas pour moi le diagnostic d'un avenir
10:51empointillé. Il y a beaucoup de perspectives, quand on termine vos études et vos ouvrages.
10:55Ça c'est bien, c'est très positif. Est-ce que vous acceptez de rester un petit peu avec nous,
10:58je réflechis ? Ah génial, comme ça vous répondez dans un tout petit instant, parce que là le temps
11:02nous manque. C'est passionnant ! Non mais finalement, c'est plutôt rassurant votre portrait. Non c'est
11:07vrai, c'est plutôt, bon voilà, les choses changent, et il faut qu'elles changent dans le bon sens,
11:11Véronique Zachier. Je suis acquis, c'est rassurant, l'archivalisation du pays, je trouve pas ça rassurant.
11:15Attendez, ça c'était le livre de 2019, on va demander à Jérôme Fourquet si c'est le cas aujourd'hui
11:19en France. Mais dans un instant, ne répondez pas, il est 19h43 sur Europe 1.
11:33Nous sommes toujours avec Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et Stratégie
11:37d'entreprise à l'IFOP, et auteur de ce livre qui a retenu notre attention, Métamorphose française,
11:42état de la France en infographie et en images. On a beaucoup parlé du passé, on a beaucoup parlé de
11:47ce qu'était la France aujourd'hui. Nous sommes toujours avec Véronique Zachier et Olivier
11:50d'Artigolles. Est-ce que vous avez des dons de voyance pour la suite, Jérôme Fourquet ?
11:55On a parlé des sorcières tout à l'heure. Voilà, voilà. C'est pour ça que je me permets de vous faire cette remarque.
12:00La sorcière qui sommeille peut-être en vous. Mais à quoi doit-on s'attendre avec cette société qui a
12:05tellement changé en 50 ans ? Alors sans doute à de nouvelles transformations, puisqu'on voit comment...
12:13Mais vous arrivez à esquisser peut-être un chemin ? Alors c'est pas évident, et c'est
12:19pour ça qu'on est assez attentif, on essaie de regarder ce qui se passe en termes de signaux
12:22faibles, de voir des phénomènes émergents, mais à partir du moment où les grandes
12:29structures d'appartenance se sont délitées, beaucoup de scénarii sont possibles,
12:34puisque la palette des possibles, si on peut parler comme ça, s'est élargie. Je suis assez
12:39attentif à ce qui se passe du côté de la prise de conscience écologique, en disant que ce sujet-là
12:49peut avoir deux grandes vertus. La première, c'est de réinstiller du temps long. On a parlé tout à
12:56l'heure de cette immédiateté, en se disant que si on veut mettre en place des politiques publiques
13:00pour parler de ce qui s'est passé en Espagne, il faut que l'on repense les choses à 10, 20,
13:0530 ans, et ce n'est pas pour le prochain mandat ou dans les deux prochains trimestres. Et puis
13:10l'autre vertu, c'est de recréer du collectif, puisqu'à plus de degrés, qu'on soit riches ou
13:15pauvres, encore une fois on le voit en Espagne, tout le monde a été durement frappé, donc ça
13:21peut être un des sujets. Donc il faudra regarder si des choses se passent sur ce front-là, par
13:27exemple, et puis on aura aussi d'autres terrains d'observation. Alors Olivier d'Artigolles, est-ce
13:33que c'était mieux avant ? C'était la question un peu que l'on se posait, vous disiez tout à l'heure.
13:37Sur un très grand nombre de sujets, ça n'était pas mieux avant. La question de la santé publique,
13:42sur l'espérance de vie, sur un certain nombre de critères, ce n'était pas mieux avant. Ce qui
13:48était très intéressant de voir, c'est la manière sur un temps très long, des choses peuvent
13:53rebondir, se réaffirmer, se réincarner, concernant ce qui fait un peu notre ADN national. Par exemple,
14:02notre peuple conserve une passion française intacte, hostile à de trop grandes injustices,
14:09à de trop grandes inégalités. Christophe Barbier avait écrit récemment un beau livre là-dessus,
14:16par exemple sur la question fiscale, sur la taxe de trop, ça peut exploser dans notre pays.
14:21Comme les gilets jaunes, c'était l'origine des gilets jaunes.
14:24Déjà sous la fronde, c'était ça, les bonnets rouges. Et donc, il faut voir qu'il peut y avoir
14:30justement des lignes de fond, des lignes comme ça qui sont très fortes dans notre inconscient,
14:39dans notre imaginaire, qui peuvent ressurgir, faire irruption de nouveau sous différentes
14:44formes. Est-ce que vous aviez vu venir les gilets jaunes ou pas ?
14:49Non, non, bien sûr.
14:50Sous cette forme-là ?
14:52Non, non, bien sûr. Et on était très circonspects quant à cette mobilisation.
14:58Sur les premiers ronds-points.
15:00La veille du fameux 17 ou 18 novembre 2018, on a cartographié via les réseaux sociaux tous les
15:09lieux de rassemblement, mais il n'y avait aucune force politique, aucune force syndicale. On donnait
15:14ce que la mayonnaise va prendre ou pas. Et puis, une fois que ça s'est enclenché, au bout de quelques
15:19jours, comme vous l'indiquiez, on a reconnu un certain nombre d'éléments du pulse en disant,
15:25on voit bien quels sont les territoires qui se mobilisent, quel est le type de public.
15:29Presque des jacqueries.
15:33Voilà. Et donc, on a vu apparaître sur les ronds-points toute une iconographie révolutionnaire.
15:41Donc, il y avait des bonnets phrygiens. On a parlé des cahiers de doléances. On avait le drapeau
15:45bleu-blanc-rouge. Dans certains endroits, peut-être un peu virulents, on avait aussi des piques ou des
15:53reproductions en carton des guillotines. On a parlé aussi d'Emmanuel Macron et de son épouse,
16:02comme un peu les figures de Louis XVI.
16:04On a des relongs révolutionnaires au fond de nous. C'est ça, Jérôme Fourrier.
16:09C'est très français ?
16:11Ce sont des révolutionnaires qui ne tiennent pas encore sur le temps long.
16:18Il n'y a pas eu de matrice révolutionnaire. Les gilets jaunes, ça a duré ce que ça a duré.
16:22Et il n'y a pas eu d'incarnation.
16:24J'ai une question à vous poser par rapport à votre constat, et je m'inscris évidemment en faux par rapport à ce que Dieu l'y veut d'Artigol.
16:31Je suis peut-être fait d'accord avec lui, évidemment.
16:34Ce qui m'inquiète, c'est qu'à partir du moment où on n'est plus capable d'oeuvrer sur le temps long,
16:39d'oeuvrer pour le bien commun avec des hommes charpentés pour le temps long,
16:43et donc qui, au sortir de la guerre, venaient tous d'une matrice judéo-chrétienne,
16:49on se retrouve avec des gens qui sont disloqués, archipélisés, mais même à l'intérieur d'eux-mêmes.
16:55Quand vous n'êtes plus souverain de vous-même, si ce n'est dans un mode compulsif en termes de pouvoir d'achat,
17:01vous ne pouvez pas être souverain comme citoyen pour construire une nation,
17:06pour construire de nouveau une civilisation et pour construire un avenir.
17:09Voilà mon constat.
17:11Jérôme Fourquet.
17:13Pour revenir au gilet jaune, on a parlé aussi du mouvement des bonnets rouges,
17:18on a parlé des émeutes de banlieues,
17:21on pourrait prendre aussi un phénomène qui avait occupé certains médias il y a quelques années,
17:27sous François Hollande, ce qu'on appelait le mouvement Nuit Debout.
17:30Et donc on voit que de tout ça, aucun journal, aucun média, aucun leader, aucun courant de pensée, aucun syndicat n'est sorti de ces crises.
17:40On aurait pu voir arriver des gens qui prennent la lumière, qui s'organisent, qui s'est structurés...
17:44Mais c'est bien le problème !
17:46Mais tout ça a retombé.
17:47C'est bien le problème aujourd'hui, on ne voit pas de leaders émergés.
17:49Alors ça c'est une partie de la réalité, qui est tout à fait vérifiable.
17:55En même temps, comme dirait l'autre, on voit également que dans notre pays du fameux millefeuille administratif,
18:01nos 35 000 communes, nos départements, nos régions, nos communautés de communes, nos agglomérations,
18:06on a 500 000 français qui sont élus locaux.
18:09500 000 !
18:10Et on a 50 millions d'électeurs, donc c'est 1 électeur sur 100 qui est élu,
18:15et l'essentiel d'entre eux, les gros bataillons, ce sont des conseillers municipaux, majorité ou opposition,
18:20parfois il n'y a pas de différence, parce que dans de nombreuses communes, il n'y a qu'une liste,
18:23et donc on voit comment, même si on n'est plus dans la France de Don Camillo et de Pépone avec deux grands blocs,
18:29on a encore tout un tissu partout dans le territoire, de gens, on pourrait prendre aussi le milieu associatif,
18:35qui sans forcément être mû par une philosophie politique ou religieuse ou un grand dessin,
18:41ont encore en eux chevillé le bien commun ou l'intérêt collectif.
18:46Alors c'est parfois pas tellement théorisé, c'est souvent une échelle locale,
18:51mais c'est des gens qui mouillent le maillot, et quand on vit dans cette France-là,
18:55on voit le rôle éminent que ces individus peuvent jouer.
18:59Rappelez-vous que le pouvoir qui se dépeint comme le nouveau monde,
19:07avait un peu snobé cette France des corps intermédiaires,
19:10et que quand la crise des gilets jaunes a éclaté, c'est d'abord vers les maires des communes, les maires ruraux,
19:15Emmanuel Macron s'est tourné le premier grand débat, les fameux étaient en direction de ces maires.
19:21De la même manière, quand le Covid a frappé la France,
19:24on a vu qui, au niveau local, a organisé la riposte en allant chercher des masques,
19:30en livrant des repas dans les EHPAD, c'était encore ce maillage d'élus locaux.
19:35On a le sentiment d'avoir une France extrêmement divisée aujourd'hui, je crois qu'elle l'est,
19:39une France qui ne se comprend plus, on a l'impression qu'il y a plusieurs clans qui se parlent,
19:44qui s'invectivent, mais qui ne se comprennent plus.
19:47Est-ce que cette situation peut évoluer dans le bon sens ?
19:54On verra, là encore si on regarde dans le rétroviseur, attention de ne pas tout repeindre en rose,
19:59les affrontements politiques en France, Olivier Dardigolle parlait de lignes de fond
20:03sur notre vieille passion égalitaire, notre tempérament révolutionnaire,
20:08il y a aussi le tempérament à la dispute et à la confrontation politique parfois très violente,
20:15à une différence près par rapport à aujourd'hui, c'est que souvent c'était en mode bipolaire,
20:20en mode binaire, c'est-à-dire les blancs et les rouges, ou les blancs et les bleus selon les régions,
20:24et que tout ça était assez structuré.
20:26Nos institutions, notre culture politique, ont été aussi façonnées par cet affrontement bipolaire.
20:33La complexité du moment dans lequel nous vivons, dans lequel nous sommes,
20:36c'est qu'il y a toujours un affrontement politique qui a repris en température, si je puis dire,
20:40mais d'une manière beaucoup plus fragmentée.
20:42Et voyez comment se comporte un système électoral à deux tours,
20:46quand vous avez trois blocs politiques ou trois forces politiques de poids à peu près équivalents,
20:51on a le paysage qu'on observe à l'Assemblée Nationale,
20:55où on s'invective, on s'envoie des noms d'oiseaux,
20:58mais si on reprend les récits des débats parlementaires sur la Troisième République, c'est assez violent,
21:03mais il n'y avait que deux camps.
21:05Aujourd'hui il y a trois camps, et aucun de ces trois camps ne peut faire alliance avec l'autre,
21:09ce qui donne le sentiment de l'impasse et de l'instabilité politique,
21:13mais je ne suis pas sûr que la conflictualité politique soit aujourd'hui plus forte
21:17qu'elle n'a jamais été dans le pays, parce qu'on a connu des périodes où c'était très tendu et très violent.
21:21Merci beaucoup Jérôme Fourquet.
21:22Merci à vous.
21:23Olivier Dardigolles, on n'a pas fini d'en commenter de l'actualité ensemble,
21:28ce que nous dit Jérôme Fourquet, et le portrait de notre société.
21:33Remarquable livre, je vous le conseille vraiment.
21:35Merci beaucoup.
21:37Vous voyez, vous avez fait beaucoup d'émules.
21:40Il faut arriver avec des biscuits un peu en débat, il faut lire.
21:43Il est formidable, Olivier Dardigolles.
21:45Il est le bienvenu dans ce studio quand il veut, je rappelle le nom de votre ouvrage,
21:48Métamorphose française, état de la France en infographie et en images aux éditions du Seuil.
21:53Merci beaucoup, c'était passionnant.