Avec Jérôme Fourquet, directeur du département opinion et stratégies d'entreprise à l'Ifop, auteur de "Métamorphoses françaises" (Le Seuil)
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00:00La vérité en face, je vous le disais avec Jérôme Fourquet, bonjour Jérôme Fourquet.
00:04Bonjour.
00:04Vous écrivez ce livre, Métamorphose française, alors vous avez déjà écrit et décrit la situation et l'évolution de la France depuis 50 ans,
00:13avec des livres qui sont devenus des références, l'archipel français bien sûr.
00:18Là, c'est une photo, une grande photo de la France en fait actuellement, la France complètement chamboulée en l'espace de 50 ans.
00:27Alors vous insistez un petit peu et vous décrivez tous les secteurs de la société, de l'économie, la politique, les questions de religion,
00:35mais vous insistez aussi sur deux points je trouve, notamment notre modèle économique, bien sûr, totalement déstabilisé,
00:42et puis une France sous tension, qui était décrite d'ailleurs tout à l'heure avec Jean-Jacques Bourdin et son invité Louis Alliot,
00:48notamment avec les violences urbaines et les trafics de stupéfiants.
00:52Vous parlez des quartiers chîtes et des autoroutes, du achat complètement changé, ça en l'espace de quelques années ?
01:00Oui, alors c'est un phénomène qui est maintenant assez ancien que celui du trafic de drogue,
01:04mais compte tenu du nombre tout à fait spectaculaire de consommateurs,
01:09et bien ce trafic a pris des proportions dantesques.
01:13Il y a quelques années, quand Gérald Darmanin était ministre de l'Intérieur, il avait réalisé une opération de transparence
01:20en indiquant qu'il y avait 4000 points de deal recensés en France, donc à raison de 100 départements, je vous laisse faire le compte.
01:27Alors certains sont plus touchés que d'autres, mais ce qui était fascinant et ce qu'on voit dans l'actualité quotidienne
01:33et que Sud Radio relate régulièrement, c'est qu'aujourd'hui, la moindre sous-préfecture, la moindre ville de 10 000 habitants
01:42compte son quartier sensible et son point de deal.
01:45Et on a vu ce qui s'était passé, alors Poitiers n'est pas une sous-préfecture, mais à Poitiers, à Valence, ces derniers jours,
01:54donc on voit comment les points de deal se sont densifiés partout sur le territoire, une espèce de métastasisation,
02:01et puis comme on produit un peu de hachis en France, mais pas beaucoup, il faut faire venir cette drogue,
02:07et donc c'est toute la problématique des gofasts, vous receviez Louis Alliot tout à l'heure, et Perpignan,
02:14et sur un des axes de remontée du cannabis qui est produit massivement dans la région du Rif au Maroc,
02:20et on a fait dans ce livre une cartographie du bout de route où on avait recensé toutes les interceptions
02:28réalisées par les forces de l'ordre, par centaines de kilos, donc ce qu'il faut bien avoir en tête,
02:34c'est que ce phénomène est ancien, mais qu'il a pris des proportions qui sont aujourd'hui dantesques.
02:39— Oui, parce qu'auparavant, il y a 30 ans en arrière, il y avait déjà du shit, des quartiers shit,
02:45mais c'était dans quelques grandes agglomérations, ce n'était pas répandu sur tout le territoire, dans les petites préfectures, sous-préfectures.
02:52— Tout à fait, donc ça veut dire un nombre croissant de consommateurs, un nombre croissant de personnes impliquées,
02:57de plus en plus jeunes, les fameux guetteurs, les chouffres, les convoyeurs, maintenant aussi ceux qui vont être
03:04enrôlés via les réseaux sociaux pour aller tuer à gage des concurrents. Et face aux sommes colossales qui sont brassées,
03:15c'est l'État républicain qui est aujourd'hui déstabilisé, qui est menacé. Ce que Bruno Rotaillot a indiqué ces derniers jours,
03:23il est resté très flou, on le comprend, pour des raisons d'enquête judiciaire, mais il a indiqué que face aux sommes d'argent gigantesques
03:32qui étaient brassées, nous avions déjà sur le territoire des processus de corruption qui se mettaient en place, corruption d'élus locaux,
03:41corruption de fonctionnaires, les gens des douanes. Si on prend le cas du port du Havre, là, c'est pas le cannabis, c'est la cocaïne
03:49qui rentre par tonne. Les sommes brassées sont gigantesques. Et donc on a des agents portuaires, des douaniers qui peuvent être corrompus.
03:59Et quand on regarde l'histoire de notre pays, l'État central a toujours été très puissant. Et jamais, hormis des périodes troubles comme celle
04:08de l'occupation et de la résistance, jamais le monopole de la violence physique légitime qui est conféré à l'État n'avait été remis en question
04:17sur quelconque parcelle du territoire national. — Ce n'est pas une exagération, ça, non ? Certains disent « Non, bah, attendez, ça n'existe pas, ça, c'est des fantasmes ».
04:26— Alors on nous dit « Il n'y a pas de zone de non-droit », et on nous dit ensuite « La police peut aller partout ». Mais quand il faut être 150 ou 200 policiers
04:34pour ratisser les caves d'un grand ensemble, on ne peut pas dire qu'on est dans une zone où le droit républicain s'applique. Tout le monde sait,
04:45les élus locaux savent que dans certains quartiers, aujourd'hui, physiquement, le contrôle est exercé par les dealers avec des chicanes en béton,
04:53avec des checkpoints. Jour et nuit, on va demander la carte d'identité aux habitants pour rentrer chez eux. Et tout ça est une triste réalité.
05:01Si on regarde la culture populaire, pour essayer de prendre conscience du basculement qui s'est opéré, la situation dans les banlieues était décrite
05:09il y a 30 ou 35 ans par le film « La haine ». Et aujourd'hui, on est passé à Bac Nord, en fait. — Oui, c'est ça. Vous avez un chapitre de « La haine » à Bac Nord.
05:16C'est ça, qui montre ce cheminement, cette évolution. — Voilà. Alors il n'y a pas de date de bascule. C'est un long processus de pourrissement qui s'est opéré
05:27avec, encore une fois, une économie parallèle qui s'est structurée, une logistique qui est parfaitement au point, des réseaux de corruption, de l'achat d'armes, etc., etc.
05:39— Oui. Et ça, on a du mal aujourd'hui à y faire face. Pourquoi ? Parce qu'il y a eu en plus un trafic international. C'est-à-dire que ce n'est pas
05:48propre aux petits dealers locaux qui sont installés. C'est-à-dire que c'est les fameux narcotrafiquants. Ça circule de partout. Il y a du communautarisme
05:56qui s'est monté derrière ça, en plus. — Tout ça s'enchaîne. Regardez aussi les franchissements de seuil avec ce qui s'est passé il y a quelques semaines
06:05à Marseille, où une organisation désormais célèbre qui s'appelle la DZ Mafia a organisé une conférence de presse clandestine en reprenant les codes du FLNC
06:15avec des hommes cagoulés de noir, une table avec un drap blanc, avec le logo de cette organisation pour s'adresser au procureur de la République
06:23et lui indiquer que cette organisation n'était pas derrière les récents crimes qui avaient eu lieu. Donc là, on est passé vraiment à autre chose.
06:31Mais ayons aussi à l'esprit que si tout ça existe – et on en parle assez peu, je trouve –, c'est parce qu'aussi, nous avons des millions de consommateurs.
06:39— Oui. Alors ça, c'est... Oui. — Quotidiennement, partout en France, viennent sur les points de l'île où se font maintenant livrer
06:46ce que le ministre de l'Intérieur a parfaitement identifié quand il dit que le rail de coke ou le joint ont le goût du sang, parce qu'il faut s'attaquer au réseau.
06:56Mais il y a bien quand même une demande qui est absolument massive. — Oui, oui, c'est ça. Et puis alors après, il y a... Parce qu'il y a quelques années,
07:04on disait « Attention, les quartiers peuvent se déchaîner, peuvent brûler ». Vous y revenez aussi, bien sûr, là-dessus, avec la fameuse
07:12géographie des émeutes de 2023. Il y a un contrôle des quartiers par ce que vous avez décrit précédemment, quoi, tous ces trafiquants, toutes ces mafias.
07:23— Donc on a vu cette explosion de violence consécutive à la diffusion des images de la mort du jeune Naël Merzouk en région parisienne
07:31via les réseaux sociaux. En l'espace de quelques heures, l'ensemble des cités et des quartiers français se sont embrasés partout sur le territoire.
07:40Mais au bout de quelques jours... Alors il y a eu bien évidemment l'effet de la mobilisation massive des forces de l'ordre. Le ministère de l'Intérieur
07:49avait déployé 40 000 hommes pour faire face à ces émeutes. C'était 4 fois plus que lors des émeutes de 2005. Donc ça a bien évidemment eu un effet dissuasif.
07:58Mais les enquêtes de terrain ont montré aussi que l'ordre était revenu dans certains quartiers parce que les dealers avaient sifflé, si je puis dire,
08:07la fin de la réagrération parce que les émeutes et la présence policière nuisaient au business. — Oui, oui. Et dans ces business, alors, est-ce que certains
08:16décrivent des situations où des quartiers sont détenus par des mafias mais par des communautés ? Je vais pas forcément les décrire.
08:24Mais on a en souvenir ce qui s'était passé aussi à Dijon avec par exemple des tchétchènes et des maghrébins. Ça, ça s'étend aussi sur tout le territoire ?
08:33— Alors comme dans d'autres systèmes d'économie parallèle ou mafieux, il y a des recrutements sur des bases communautaires parce qu'on se fait confiance,
08:42on recrute, on travaille en famille, si je puis dire. Et donc on voit bien ce qui se passe historiquement aux États-Unis, par exemple.
08:48Et donc je reprends l'exemple de Marseille, cette fameuse DZ mafia. DZ, c'est l'indicatif de l'Algérie. Donc les choses sont clairement exprimées.
08:56Et pendant un moment, cette DZ mafia était contre le gang des blacks qui étaient des Comoriens qui tenaient le trafic dans d'autres quartiers de Marseille.
09:04Donc vous avez parlé du cas de Dijon. Mais ce qui s'est passé il y a quelques jours, hélas, à Poitiers, donc il y a eu une fusillade et ensuite une rixe
09:14entre des bandes. Et la presse locale a relaté des affrontements entre membres de la communauté guadeloupéenne versus des Maghrébins.
09:22Donc selon les endroits, on va avoir ce type d'organisation qui se met en place.
09:27— Oui. Jérôme Fourquet, vous êtes analyste, vous êtes expert en géographie, directeur du département Opinion Halifop.
09:34Et là, c'est à vous, directeur d'Opinion Halifop, que je m'adresse. Est-ce que vous avez le sentiment que les Français ont conscience de cette évolution de la France ?
09:43Ce pays fracturé et à ses multiples facettes, en fait, que vous décrivez aujourd'hui.
09:48Où est-ce qu'il y a d'une part de la population une forme de déni ou une exagération de la part d'autres ?
09:54— Alors on va pas raisonner en généralité. On va avoir une prise de conscience de l'ampleur de ces transformations qui va être variable selon les publics concernés.
10:05Tout ce qu'on a évoqué précédemment, aujourd'hui, je pense qu'il n'y a plus de déni en France, parce que les yeux se sont ouverts quand vous faites la triche.
10:12— Je ne suis pas sûr. Quand vous discutez avec certaines catégories de population, d'ailleurs, que vous décrivez, en fait, ils disent que non, tout ça, oui, oui, bon.
10:21Alors certes, il y a des problèmes, mais on exagère. Ils ne voient pas, en fait, les choses de la même manière.
10:26— Oui, mais par exemple, sur le trafic de drogue et les drames que cela génère, vous voyez, des villes comme Grenoble ou autres, le discours a quand même évolué,
10:36notamment de la part de certains élus locaux, parce que vous savez, c'était Lacan qui disait « Le réel, c'est quand on se cogne ».
10:41Et donc là, à Nantes, à Rennes, à Grenoble, la litanie des victimes, le rage, la géographie des quartiers qui sont concernés font qu'on ne peut plus détourner le regard.
10:54Si on raisonne plus globalement, ces Français sont aussi quelque part acteurs de ces métamorphoses françaises,
11:03puisqu'ils ont adopté des comportements, des habitudes, des modes de vie qui sont très éloignés de ce qui se passait historiquement.
11:15Je reviens notamment sur les changements anthropologiques – je les appelle comme cela – que le pays a connus.
11:22Prenons deux exemples très concrets. Nous étions, il y a quelques jours, en période de Toussaint, et quand on s'intéresse au rythme funéraire,
11:32on voit comment la transformation a été spectaculaire et excessivement rapide. En 1980, 1% seulement des obsèques donnait lieu à une crémation.
11:40Donc c'était impensable, sur le sens premier du terme, on n'y pensait même pas. Aujourd'hui, c'est 43%, et au rythme où vont les choses,
11:48cette pratique sera majoritaire dans quelques années.
11:51– On n'ira plus dans les cimetières, ou alors en fait avec des urnes qui seront dans des tombes.
11:56– Et donc vous voyez, là, c'est des choses qui se sont passées très rapidement, parce que c'était resté immuable pendant des années,
12:01et on n'a forcé personne. C'est-à-dire qu'il y a des changements qui sont... Autre élément anthropologique, toujours sur le rapport au corps,
12:07et on revient dessus dans le livre, une autre pratique qui était totalement sous-radar il y a 40 ans, la pratique du tatouage.
12:16Aujourd'hui, c'est 20% de la population adulte qui est tatouée, 1% des 65 ans et plus, qui sont nés à une époque où ça ne se faisait pas.
12:24Leurs enfants, leurs petits-enfants sont tatoués à hauteur de 40%.
12:26– Oui, c'est ça. Vous ne jugez pas, mais vous décrivez la situation.
12:30C'est ce que l'on va continuer de faire avec vous, Jérôme Fourquet, métamorphose française,
12:35sur aussi le changement de population dans beaucoup d'endroits, et puis le changement de notre économie aussi,
12:41la fameuse désindustrialisation, et une économie low-cost, et une économie de la débrouille qui s'est mise en place.
12:47C'est ce qu'on va voir avec vous dans un instant sur Sud Radio. Il est 9h17, La Vérité en face.
12:52– Sud Radio, La Vérité en face, Patrick Rocher.
12:56– La Vérité en face avec donc Jérôme Fourquet jusqu'à 9h30, et tout à l'heure Nicolas Baverez qui sera avec nous.
13:03Le sursaut, finalement ça tombe très bien, ça s'enchaîne très bien, c'est un petit peu voulu.
13:07Où va la France avec l'état des lieux, la photographie, et ensuite Nicolas Baverez,
13:12considéré comme un déclinologue bien sûr, et qui dit quand même, la France tombe mais il peut y avoir un sursaut.
13:17On verra avec lui tout à l'heure quel sursaut possible.
13:20Jérôme Fourquet, pour poursuivre la discussion, ce que vous disiez en fait tout à l'heure,
13:24c'est vrai que la France évolue et change en fait à vitesse grand V, sur le changement de population,
13:30est-ce que nous sommes devant un grand changement ou non ?
13:33Parce qu'on ne va pas parler de grands remplacements,
13:35parce que certains évidemment le contestent, d'autres disent que c'est une théorie, probablement.
13:39Mais qu'est-ce que vous le dites, vous le décrivez en fait, cette évolution aussi de la population ?
13:45– Plusieurs choses de ce point de vue-là, d'abord ce qu'on évoquait précédemment,
13:50c'est-à-dire que la population française dans ses habitudes profondes, dans ses modes de fonctionnement,
13:56est aujourd'hui sur des référentiels qui sont très différents de ceux d'hier,
14:01et ça sans même parler d'immigration, le tatouage, les rites funéraires, tout ça a beaucoup changé.
14:07– C'est une évolution sociétale.
14:09– Sociétale, mais même anthropologique,
14:10là c'est l'effondrement terminal de la vieille matrice judéo-chrétienne, on passe à autre chose.
14:15– Et la structure familiale qui évolue aussi avec ça.
14:18– Aujourd'hui 60% des enfants qui naissent sont des naissances hors mariage.
14:23– 60% ?
14:24– Hors mariage, ça ne veut pas dire que les parents sont séparés.
14:26– Bien sûr, bien sûr.
14:27– C'est plus de 60%, c'était 10% au début des années 80.
14:30Donc ça c'est le premier point, donc il y a un changement sur le référentiel très profond.
14:34Deuxièmement, la population française elle-même a beaucoup bougé géographiquement,
14:40ce que nous on appelle en clin d'œil le grand déménagement,
14:43avec des gens qui se sont arrachés de leurs terroirs familiaux,
14:47d'où aussi le fait qu'on privilégie maintenant la crémation au moment des obsèques,
14:51parce que vous voyez, on est à 500 km du caveau familial,
14:54nos propres enfants ne viendront pas nous visiter là où on se ferait enterrer
14:58parce qu'eux-mêmes n'habitent plus là.
14:59Donc tout ça fait bouger les choses,
15:01et regardez dans les régions où vous êtes très présents,
15:04dans le sud de la France, comment il y a eu un apport de population du nord, etc.
15:09C'est là où on vous dit, l'accent se perd, et c'est aussi parce que beaucoup de gens...
15:12– Non mais c'est vrai, avec un grand mixte finalement des populations du nord,
15:15des gens qui disent, moi je vais aller chercher le soleil, grosso modo.
15:18– Tout ça a bougé.
15:19– Et puis d'autres qui viennent en fait du sud aussi, plus au sud, il y a eu l'apport des...
15:23– Et vous avez, dernier ingrédient dans ce grand mouvement,
15:28bien évidemment aussi l'effet d'une immigration au long cours,
15:33qui aujourd'hui est très visible dans les chiffres.
15:38Donc si on regarde par exemple l'indicateur du pourcentage de nouveau-nés
15:43qui reçoivent un prénom qu'on qualifie d'arabo-musulman,
15:46alors c'est un prénom qui se raccroche au Maghreb, à la Turquie,
15:49ou à l'Afrique subsaharienne, ou à la tradition musulmane,
15:53c'était 1% des nouveau-nés en 1960, c'est 21% aujourd'hui.
15:58Donc on voit bien là aussi les transformations qui sont en cours.
16:02Alors attention, ce 21% ce n'est pas 21% de la population totale,
16:06c'est des nouveau-nés, donc c'est la France de demain.
16:08Et puis quand on fait le détail, on voit qu'on a beaucoup de prénoms maghrébins,
16:12bien sûr, compte tenu de notre histoire,
16:14mais au sein de cette grande famille de prénoms maghrébins,
16:16il y a kabyle et non kabyle, ensuite vous avez le prénom turc,
16:20kurde et non kurde, ensuite vous avez le prénom d'Afrique subsaharienne.
16:23Et en fait, c'est un petit archipel en soi qui s'arrive à l'archipel principal.
16:28– Oui, c'est le mosaïque des prénoms, c'est cette carte évidemment,
16:31avec tous ces prénoms en fonction un peu… encore des régions tout de même.
16:36– Oui, alors bien sûr, il y a des…
16:39Et alors, autre élément qu'on décrivait, si on reste sur les prénoms,
16:42et nonobstant cette question de l'impact de l'immigration,
16:46en 1945, donc c'est une des premières années du baby-boom,
16:49où il y a énormément de naissances en France,
16:52on recense à peine 2000 prénoms différents dans l'année, garçons et filles confondus.
16:56Et ce stock de prénoms, ce panel, avait quasiment pas bougé depuis la Révolution française.
17:02Ça suffisait au bonheur des familles françaises pour appeler leur garçon ou leur fille.
17:06Aujourd'hui, on a plus de 13 000 prénoms différents enregistrés chaque année,
17:10alors même qu'il y a moins de naissances qu'à l'époque du baby-boom,
17:13parce qu'aujourd'hui le principe qui prévaut dans les familles,
17:16c'est la distinction et la singularisation de l'enfant,
17:20alors qu'historiquement, on inscrivait l'enfant dans un héritage, une continuité,
17:23en lui donnant le prénom du grand-père ou de la grand-mère.
17:26Et donc, vous voyez que là...
17:27— Et ce grand chambardement, Jérôme Fourquet,
17:31structure familiale, qu'on évoquait en fait tout à l'heure, structure de population aussi,
17:34est-ce que ça conduit à une perte peut-être de repères
17:38par rapport à ce qu'on avait construit effectivement en France,
17:41et qu'il faut s'adapter ? Et c'est l'un des défis du moment, quoi.
17:45— Oui, oui, bien sûr. Alors c'est un des éléments qui expliquent
17:49peut-être sans doute aussi le spleen, la nostalgie ou le sentiment
17:53de ne plus reconnaître son pays, mais encore une fois,
17:57qui n'est pas lié uniquement à la question de l'immigration,
17:59c'est-à-dire que c'est l'ampleur de ces transformations.
18:03Je prends juste un autre exemple. Vous voyez,
18:07on a évoqué tout à l'heure les naissances hors mariage.
18:09Une institutrice qui aurait commencé sa carrière en 1980,
18:13elle avait dans sa classe un enfant sur 10 dont les parents n'étaient pas mariés.
18:17Quand elle est partie à la retraite en 2015 ou 2020,
18:20elle avait 65% de sa classe dont les parents n'étaient pas mariés.
18:24Vous voyez ? Les choses ont bougé.
18:26— Avec une institutrice qui était dans la classe moyenne,
18:29le haut de la classe moyenne il y a quelques années,
18:31en termes de rémunération, et qui aujourd'hui, vous le décrivez très bien,
18:35qui se sent déclassée, en fait, aussi.
18:38Quels sont les éléments les plus marquants sur le plan économique
18:41pour vous aussi ? On a parlé de la désindustrialisation.
18:44Vous parliez de l'économie de la débrouille et de le coste.
18:49En fait, il y a eu une grande bascule aussi dans les années 80.
18:53C'est comme on est passé d'une économie qui était encore structurée
18:56autour de la production, l'industrie et l'agriculture, pour aller vite,
18:59à une économie qui tourne dans tous les sens du terme,
19:02d'abord et avant tout maintenant autour de la consommation,
19:04d'où la question centrale du pouvoir d'achat,
19:06puisque c'est par la consommation qu'on fait la croissance.
19:10Donc ça, c'est la bascule majeure, si vous voulez.
19:13Donc on est passé du site de production de l'usine
19:16à l'entrepôt ou à la zone commerciale,
19:18avec l'explosion dans nos paysages du nombre de zones commerciales
19:22qui sont aujourd'hui le cœur battant de la société française contemporaine.
19:27Là où les choses se compliquent, c'est que pour qu'on fasse cette croissance
19:30par la consommation, il y a sans cesse de nouveaux désirs,
19:32de nouveaux services, de nouveaux produits qui sont mis sur le marché.
19:36Et on a toute une partie de la population qui, au bout d'un moment,
19:39ne s'appauvrit pas forcément en absolu,
19:42puisqu'elle n'est pas plus pauvre que dans les années 80,
19:43mais elle n'arrive plus à suivre la cadence.
19:45Elle ne peut plus s'acheter le dernier smartphone,
19:48le dernier écran plat, etc.
19:50Et elle se sent en situation de décrochage.
19:53C'est le terreau tout à fait identifié de la crise des gilets jaunes.
19:58Par exemple, les gens qui disaient « on travaille,
19:59mais on n'arrive plus à joindre les deux bouts »,
20:01avec aussi le logement qui a augmenté.
20:03Et donc pour répondre à ça,
20:05ça a été l'essor d'abord, en termes d'offres du low cost,
20:09le discount, dans le secteur automobile, la marque Dacia.
20:14Vous ne pouvez plus acheter du Peugeot ou du Renault,
20:16vous achetez du Dacia, vous n'êtes pas obligé d'acheter de l'occasion.
20:18– 30% moins cher, globalement.
20:20– 30% moins cher.
20:21Et puis, ces propres consommateurs,
20:23non seulement ils ont fait leur ce qu'on peut appeler ce marché secondaire,
20:28on ne peut plus acheter de la marque, donc on se rabat un peu,
20:31et puis on développe aussi ce que nous on appelle l'économie de débrouille.
20:34Donc c'est la France du bon coin, les reventes d'objets entre particuliers,
20:38c'est l'essor spectaculaire ou le retour en vogue des braderies,
20:42les vides greniers, les foires à tout, les briques à bras,
20:44qui en a 50 000 chaque année en France,
20:47pour essayer de se maintenir à flot
20:49et pour continuer d'acheter de la marque, comme on dit, sur certains produits.
20:53Et bien sûr, tout le reste, on va aller chercher du prix,
20:56on va les faire au plus juste,
20:57et donc c'est cette économie de la débrouille
20:58qui marque aussi nos paysages et nos territoires.
21:01– Merci Jérôme Fourquet.
21:02Je ne sais pas si l'économie de la débrouille,
21:04ça peut être l'avenir de la France,
21:06c'est ce qu'on verra dans un instant avec Nicolas Baverez,
21:11qui écrit le sursaut et qui revient sur ce qu'il avait dit aussi,
21:15et ce qu'il avait décrit,
21:15considéré comme le père ou le pape des déclinologues,
21:19par un certain Dominique de Villepin.
21:22On va voir ça avec lui jusqu'à 10h.
21:24Merci Jérôme Fourquet, c'est passionnant.
21:26Évidemment, votre livre « Métamorphose française » vous reviendrait.
21:29On fera une petite série autour de l'évolution de la France.
21:32Dans un instant, la vérité en face jusqu'à 10h.