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Face au RN : le front républicain au gouvernement ? Avec Aurélie Filippetti, ancienne ministre de la culture, et Jérôme Sainte-Marie, politologue, responsable de Campus Héméra, école de formation des cadres du RN, auteur de Bloc contre Bloc (Cerf).

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Transcription
00:00Alors que la France attend toujours la nomination d'un nouveau Premier ministre, débat ce
00:04matin sur les coalitions possibles, les coalitions à même de composer et de soutenir un futur
00:09gouvernement ou en tout cas de ne pas le censurer.
00:13Dans cette perspective, Emmanuel Macron réunit à 14h les partis, hors France Insoumise,
00:19hors Rassemblement National, dans le but de constituer un gouvernement d'intérêt général.
00:26Que penser de la méthode ? Sera-t-elle à même d'assurer une forme de stabilité politique
00:31dans les mois à venir ? On pose la question à Aurélie Filippetti, bonjour, ancienne
00:36ministre de la Culture, et à Jérôme Sainte-Marie, bonjour, responsable de la formation des cadres
00:43du Rassemblement National.
00:45Merci à tous les deux d'être au micro d'Inter.
00:49Pour commencer, votre point de vue sur cette réunion tout à l'heure à 14h, que tous
00:54les partis hors RN et LFI, je le redis, s'assoient autour de la table pour tenter de constituer
01:00un gouvernement d'intérêt général, c'est, selon vous Aurélie Filippetti, la seule manière
01:06de sortir de la crise ?
01:07Oui, d'abord quand il y a une crise et la crise politique elle est profonde dans notre
01:12pays.
01:13Elle est profonde parce qu'il y a surtout une crise de confiance des Français et des
01:16Françaises.
01:17Et puis parce que la situation est inédite, c'est la première fois, la deuxième en fait,
01:22et depuis le début de la Vème République, par exemple, on n'a pas voté un budget en
01:27bonne et due forme.
01:28Donc pour sortir de la crise, il faut des solutions innovantes.
01:32Et peut-être que aussi la crise, c'est ce qui permet justement, quand on est au pied
01:36du mur, de trouver des solutions que l'on n'aurait pas pu mettre en place sinon.
01:42Je crois que ce qui aujourd'hui est un gros problème dans la politique française, et
01:48je le dis puisque maintenant j'ai beaucoup de recul par rapport à ça, c'est le manque
01:52d'humilité et beaucoup trop de narcissisme.
01:55Manque d'humilité du personnel politique ?
01:57Oui, c'est-à-dire pas les gens individuellement, mais ils sont aveuglés par une chose qui
02:03est la certitude d'avoir raison et d'avoir raison seul.
02:06Moi je suis une femme de gauche, mais j'estime que vu la situation que nous avons aujourd'hui
02:11en face de nous, c'est de notre responsabilité collective de dire qu'on ne peut pas laisser
02:17ce pays sans gouvernement pendant deux ans ou en attendant une hypothétique élection
02:21présidentielle.
02:22Il faut avoir un gouvernement.
02:23Les sujets sont majeurs, sujets géopolitiques, sujets de finances publiques, sujets écologiques,
02:28c'est majeur.
02:29Il faut avoir un gouvernement.
02:30Comment le constituer ? Eh bien, tout simplement par une discussion, un débat, c'est presque
02:35une éthique philosophique, celle de finalement trouver le moyen, sans nier les divergences
02:42profondes qui existent, mais de les dépasser dans un esprit de responsabilité pour servir
02:49les Français.
02:50Je pense qu'aujourd'hui, ce dont les gens ont besoin, c'est que la politique arrête
02:54de leur créer des problèmes, mais qu'au contraire, elle cherche à les alléger de
02:58leurs problèmes.
02:59Vous avez publié une tribune dans Le Monde, on va y venir longuement parce que vous développez
03:05le point théorique que vous venez de formuler.
03:08Vous, Jérôme Sainte-Marie, votre vision, votre lecture de ce qui va se passer à 14
03:14heures à l'Elysée ? Je rappelle que le RN n'est pas invité autour de la table.
03:19Oui, alors moi, je n'ai pas du tout la lecture psychologisante de Mme Filippetti.
03:23Je rappelle d'ailleurs que dans son article paru, sa tribune, que vous avez fait paraître
03:27dans Le Monde il y a quatre jours, vous allez beaucoup plus loin, vous ne parlez pas d'éthique
03:31philosophique.
03:32Vous citez cette pièce de théâtre de Bartholomew Brecht, « La résistible ascension » d'Arthur
03:37Horwitz, pour justifier justement cette alliance de la gauche et de la droite autour d'Emmanuel
03:43Macron.
03:44Alors oui, c'est une métaphore qui décrit à travers, ça se passe à Chicago je crois,
03:49mais ça a été écrit en 1941 par le dramaturge allemand, et ça décrit en fait l'ascension
03:54du nazisme.
03:55Donc vous assimilez la principale opposition du parti à travers cet article, du parti
03:59du pays pardon, c'est-à-dire le Rassemblement National, vous l'assimilez de fait au nazisme.
04:04Je pensais que ce genre de procédé avait disparu depuis les années 80, j'ai presque
04:08cru à un pastiche en lisant votre article, j'étais assez consterné, je n'ai pas vu
04:12beaucoup d'éthique, ni beaucoup de philosophie, pour reprendre vos termes dans cet article-là.
04:17A vrai dire, moi politiquement évidemment je suis catastrophé d'un point de vue républicain
04:22par le fait que la principale opposition de ce pays, puisque le Rassemblement National
04:27par sa candidate a été présent au second tour lors des deux dernières élections,
04:32nous sommes arrivés en tête aux élections européennes, les classes populaires notamment
04:35nous font d'abord confiance, tout cela, et bien d'être ainsi exclu des consultations.
04:41Je pense que c'est une manière très peu républicaine de procéder de la part du
04:45président de la République.
04:46La France insoumise n'y est pas non plus.
04:48Oui, mais d'ailleurs c'est anormal également, mais c'est également anormal, vous avez Jean-Luc
04:54Mélenchon est arrivé en troisième position, Marine Le Pen en deuxième position à la
04:57présidentielle, ces deux forces politiques, à elles deux, à la présidentielle, représentaient
05:01près de la moitié du corps électoral, quasiment la totalité, j'insiste beaucoup là-dessus,
05:05des classes populaires, et bien madame Philippe Ety, vous qui avez écrit en 2003 les derniers
05:11jours de la classe ouvrière, je vois que vous avez peut-être fait vos adieux depuis
05:16longtemps aux ouvriers et aux employés, mais ils n'ont pas disparu, ils sont citoyens,
05:20ils ont le droit d'être entendus comme d'ailleurs tous les opposants au pouvoir actuel.
05:24Aurélie Philippe Ety, vous voulez répondre j'imagine ?
05:25Oui, si j'ai cité Brecht, c'est parce que je pense que ceux qui nous ont précédés
05:33avaient un seul message à nous faire passer, tous les livres qui ont été écrits, non
05:37seulement sur la deuxième guerre mondiale, cette tragédie immense, mais en général
05:42sur les grandes tragédies politiques, on pourrait aussi parler de Shakespeare et de
05:46la manière dont il considère que le pouvoir est toujours un danger, à la fois pour ceux
05:51qu'il exerce et pour le peuple qui en est victime lorsqu'il n'est pas encadré justement.
05:58Tout ça, la littérature ça sert à quelque chose, la philosophie ça sert à quelque
06:03chose, dans la vie quotidienne et dans la politique en particulier.
06:06On est dans un moment de cette nature selon vous ?
06:08Mais ce n'est pas une comparaison terme à terme, c'est sûr qu'il y a un danger
06:14en ce moment pour la démocratie, mais pas seulement en France, on le voit partout, regardons
06:17ce qui se passe aux Etats-Unis avec l'élection de Trump, regardons la guerre de Poutine
06:26contre l'Ukraine et à travers l'Ukraine au fond contre l'Occident, regardons la
06:31montée des populismes partout.
06:33Oui, il y a un danger pour la démocratie et face à ça, que doit-on faire ? Face à
06:38ça, il faut peut-être justement être animé d'un esprit qui est celui d'une certaine
06:44humilité.
06:45Une certaine humilité en se disant que finalement, qu'est-ce que c'est la démocratie ? C'est
06:50de pouvoir travailler avec des gens qui ne sont pas forcément d'accord avec vous.
06:54Face à l'extrême droite, la gauche doit assumer de se salir les mains dans un exercice
06:59de coalition.
07:00Je vous cite.
07:01Oui, mais parce qu'en fait, je pense que profondément, et c'est l'expérience…
07:02Jean-Paul Sartre, en l'occurrence.
07:03Oui, mais Jean-Paul Sartre a fait aussi un certain nombre d'erreurs et en l'occurrence,
07:08je préférerais parler de Camus, par exemple, parce que je pense que la réalité, c'est
07:13qu'aujourd'hui, on est dans une période camusienne, ou en tout cas, il est plus intéressant
07:18d'être camusien que sartrien.
07:19Et Camus parlait de la pensée de Midi.
07:22La pensée de Midi, c'est évidemment ce que l'on pourrait caricaturer comme étant,
07:28au fond, une sorte de pensée très mesurée.
07:31C'est la juste mesure aussi.
07:33Et la juste mesure, c'est peut-être simplement de se dire, on peut faire un gouvernement
07:37aujourd'hui, en ayant une méthode, c'est-à-dire travailler sur un texte, des grands axes,
07:44se donner finalement une sorte de cahier des charges, de contrat pour les deux ans à venir
07:49avec les grands sujets fondamentaux qui intéressent la vie des Français.
07:52Avoir un budget, pouvoir d'achat, l'écologie, l'enseignement, la santé, lister ça, faire
07:58un socle et travailler là-dessus.
08:00On peut lister, Madame Philippe Hittick, tous les domaines de l'action gouvernementale.
08:03On peut avoir des accès de grande éloquence, mais tout ça, au la fin des fins, c'est pour
08:07permettre à un gouvernement où un certain nombre de places seront attribuées à la
08:11gauche comme à la droite comme au centre.
08:13Comme c'est pas tous les jours que l'on débat avec une ancienne ministre de la Culture,
08:17je me suis replongé un tout petit peu dans Bertolt Brecht, que j'ai le bonheur de bien
08:20connaître.
08:21Vous m'avez fait beaucoup penser, vous savez, à ce très célèbre poème écrit par Bertolt
08:26Brecht en 1953.
08:27Après, il y avait eu des émeutes ouvrières à Berlin qui avaient été réprimées par
08:31le pouvoir pro-soviétique de l'époque.
08:33Le 17 juin 1953.
08:34Voilà, tout à fait.
08:35Le poème est écrit en juillet apparemment.
08:37Et donc, dans ce poème-là, qui s'appelle « La solution », comme vous le savez sans
08:40doute, Bertolt Brecht, qui était pourtant communiste, critique l'attitude du parti
08:46communiste et sa répression du peuple, et dit, il a ses verts, « ne sert-il pas plus
08:51simple, alors, pour le gouvernement, de dissoudre le peuple et d'en élire un autre ? »
08:57C'est exactement ce qui est en fait en train de se produire, c'est-à-dire que les gens
09:01ont voté, ont voté pour des partis comme le parti macroniste, comme le parti socialiste,
09:07mais aussi comme la France Insoumise ou comme le Rassemblement National, alors je sais bien
09:11qu'il n'y a pas de mandat d'un système représentatif, mais ces gens ont exprimé
09:15nos citoyens ont exprimé des choses, ont exprimé des demandes sociales très fortes,
09:20et il ne s'agit pas de mettre autour d'une table des hommes de bonne volonté pour faire
09:24ceci ou cela.
09:25Non, les gens ont des demandes sociales, ils veulent être entendus, c'est pour ça qu'ils
09:28votent les uns pour la France Insoumise, les autres pour Macron, les autres pour le Rassemblement
09:32National.
09:33Je n'ai pas de jugement de valeur, moi, contrairement à vous, à proférer sur le
09:36vote des uns et des autres, nous sommes en république.
09:38Eh bien, ces gens-là sont aujourd'hui cruellement trahis.
09:42De nouveau, de nouveau, la gauche du gouvernement, nous en faisons partie, va de nouveau trahir
09:47le peuple français.
09:48Le peuple français commence à en avoir l'habitude.
09:50Pourquoi vous dites ça ? Le peuple français commence à en avoir l'habitude.
09:52En 2005, nous avons voté majoritairement à 55% contre le traité constitutionnel européen.
09:58Vos amis socialistes et d'autres ont ensuite participé à l'opération Sarkozy en 2008
10:04au Congrès pour annuler le vote des Français, qui s'exprimait par référendum, il n'y
10:07a rien de plus sacré en principe que cette expression populaire.
10:10Eh bien, vos partis du gouvernement se sont, une nouvelle fois, mis d'accord dans l'ombre
10:15pour pouvoir ensuite, au Congrès, annuler ce vote.
10:18De nouveau, la même logique est en place, on dissout sinon le peuple, du moins la volonté
10:23du peuple, par des arrangements d'appareil.
10:26Je pense très sincèrement que…
10:27Le front républicain, ça ne vous va pas ?
10:29Je pense qu'électoralement, non, c'est un front antipopulaire en l'occurrence.
10:32Et donc, je pense que vous allez payer politiquement très cher dans les urnes.
10:38M. Saint-Marie, votre parti, le Rassemblement National, n'a pas gagné les élections
10:42législatives.
10:43Vous ne m'avez pas entendu dire ça, Mme Philippettine, je ne vous l'ai pas dit.
10:47Vous vous arrogez le droit de parler au nom du peuple français, vous devriez être un
10:51peu plus humble, vous n'avez pas gagné les élections législatives.
10:55Je n'ai jamais dit ça.
10:56Ce qui a été exprimé par les élections législatives, c'est au contraire, finalement,
11:00que dans la plupart des circonscriptions françaises, les gens ont choisi de voter pour que votre
11:06parti, le Rassemblement National, n'arrive pas au pouvoir, ne soit pas en responsabilité
11:12et au contraire, soit cantonné à une minorité.
11:15Alors, c'est sûr que l'audience du Rassemblement National et des idées que vous défendez
11:21augmentent.
11:22Mais néanmoins, le message majoritaire qui s'est exprimé lors des élections législatives,
11:28c'est que les Français ne veulent pas du Rassemblement National.
11:30Et d'ailleurs, ça se voit aussi dans les études d'opinion, puisque vous en êtes
11:34un spécialiste.
11:35Vous savez très bien, par exemple, dans les dernières fractures françaises, que
11:38ce qui ressort, c'est que le Rassemblement National demeure un danger pour une majorité
11:42des Français, 52%, même si ça baisse, 52%.
11:45Et surtout, que les Français considèrent que le Rassemblement National n'aurait pas
11:50les compétences pour exercer les responsabilités.
11:53Et ça, c'est extrêmement clair.
11:55Ça, c'est un premier point.
11:56Deuxièmement, vous citez encore Brecht et ses remarques sur la répression scandaleuse
12:04qui a eu lieu le 17 juin 1953 à Berlin.
12:07Brecht, justement, a montré à cette occasion que, bien qu'étant communiste, il était
12:11capable aussi de formuler une critique très vive et très juste contre la répression
12:17qui s'était exercée par le régime de la RDA.
12:20Ah ben, juste pour critiquer le gouvernement, c'était pas pour y rentrer par la porte
12:22de service, madame.
12:23Oui, la dernière chose que je voudrais dire sur un aspect politicien, c'est que finalement,
12:30l'erreur du gouvernement de Michel Barnier et d'Emmanuel Macron après ces élections,
12:36ça a été finalement de vous faire confiance.
12:38Michel Barnier a mis son gouvernement dans les pattes, ou plutôt sous les fils, comme
12:44une marionnette du Rassemblement National.
12:46On a eu des appels à Marine Le Pen, on a eu des courriers à Marine Le Pen, on a eu des
12:51actes de contrition quand un ministre a osé dire, critiquer le Rassemblement National,
12:57et finalement, on voit ce que ça fait.
12:59Quand on s'en remet à vous, vous n'êtes pas fiable, vous apportez le chaos dans ce
13:03pays.
13:04Le Rassemblement National apporte le désordre.
13:06C'est le désordre qui est aujourd'hui dans notre pays, c'est un désordre politique
13:10comme il n'y en a jamais eu depuis extrêmement longtemps, et ça, c'est la responsabilité
13:15du Rassemblement National.
13:16Jérôme Sainte-Marie répond.
13:17Pas du tout.
13:18Le désordre qui sévit dans ce pays est d'abord le fait de ceux qui l'ont gouverné depuis
13:24des décennies.
13:25Vous n'avez pas échappé qu'effectivement, le Rassemblement National n'est pas au pouvoir.
13:29Je ne suis pas venu vous dire, pour le fait que nous aurions gagné, j'ai été candidat
13:35moi-même, donc j'ai perdu au second tour, justement, donc ça ne m'a pas échappé si
13:39vous voulez cette logique-là, mais je suis simplement venu vous dire qu'il y a 11 millions
13:44d'électeurs français qui ont voté pour le Rassemblement National.
13:46Si vous prenez les européennes, par exemple, et bien, si vous regardez ceux qui ont voté,
13:51puisque dans les législatives et la présidentielle, on peut considérer que les choses étaient
13:56moins claires, que la France Insoumise ne se présentait pas sous ses propres bannières,
14:00mais si vous prenez ceux qui ont voté pour le Rassemblement National et pour la France
14:04Insoumise, alors vous avez peut-être fait vos adieux au prolétariat, mais celui-ci
14:07existe encore, 61% des ouvriers, 56% des employés ont voté soit pour la France Insoumise, soit
14:13pour le RN.
14:14Ils sont aujourd'hui exclus du pouvoir, humiliés par un bloc éditaire à auquel vous appartenez
14:19de fait pleinement.
14:20Un mot, Aurélie Filippetti, un mot, un mot.
14:23On voit bien que c'est votre lecture du monde, mais ce dont ont besoin les ouvriers et les
14:27salariés aujourd'hui, c'est d'un gouvernement qui règle leurs problèmes.
14:31Ce n'est pas de désordre, ce n'est pas de chaos, c'est d'un gouvernement qui soit humble,
14:37qui soit au service des gens.
14:40Mon père était mineur de fonds, donc je pense que je n'ai pas de leçons à recevoir
14:47sur le monde ouvrier de votre part.

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