• l’année dernière
Les Vraies Voix avec Philippe Bilger, Elisabeth Lévy, René Chiche et Benjamin Morel, docteur en sciences politiques, maître de conférence à Paris II Panthéon-Assas.

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##LE_COUP_DE_PROJECTEUR_DES_VRAIES_VOIX-2023-09-22##

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Transcription
00:00 Les vraies voix Sud Radio, le code projecteur des vraies voix.
00:03 Et donc ça y est, il est arrivé face à la bonne mer, finalement le Pape François en
00:07 visite à Marseille pour plaider en faveur des migrants.
00:09 Visite symbolique, la Méditerranée est un cimetière, a déclaré le Pape François,
00:14 qui célébrait une messe géante, là ce soir au stade Vélodrome.
00:18 Une visite à Marseille et non pas une visite d'Etat en France, a insisté le Pape.
00:23 En tout cas, Benjamin Morel est avec nous, docteur en sciences politiques, maître de
00:27 conférences à Paris 2, Panthéon.
00:28 Ça c'est avec nous, bonsoir, merci d'être avec nous.
00:31 Quand on revient, cher Philippe, sur cette phrase, une visite à Marseille et non pas
00:35 une visite d'Etat en France.
00:37 Ça m'a frappé comme vous, Cécile, je trouve que c'est une incongruité et qui au fond
00:46 fait apparaître d'emblée une sorte de préjugé de la part du Pape.
00:50 Ceci étant dit, je n'ai pas une sympathie excessive pour les propos politiques du Pape.
01:00 En tant qu'imprégné par une culture catholique, chrétienne, j'essaye d'avoir une déférence
01:07 permanente à l'égard de ce qu'il représente.
01:10 Mais je pense qu'on n'a jamais vu un Pape, même si tous les papes ont eu des discours
01:17 politiques au sens large, je crois qu'on n'a jamais vu un Pape pousser aussi loin
01:23 une philosophie de l'Église dont on peut comprendre qu'elle doit compatir à ceux
01:33 qui apparaissent comme les plus sinistrés dans la vie.
01:37 Et je peux détester cette manière dont le Pape refuse les logiques des États, mais
01:43 en même temps je comprends qu'au nom d'une philosophie chrétienne, il lève discours.
01:48 - Elisabeth Lévy ?
01:49 - Moi je suis beaucoup plus sévère, je partage le début, je pense qu'Emmanuel Macron aurait
01:54 dû refuser d'aller à cette messe, non pas pour une interprétation absurde de la laïcité,
02:00 mais parce que en disant "je ne vais pas en France, je vais à Marseille", apparemment
02:04 il l'avait déjà dit à Strasbourg.
02:05 - Oui, il ne va pas à Strasbourg.
02:06 - Il a quand même un problème avec la France, après l'incendie de Notre-Dame, il n'a pas
02:11 réussi à trouver des mots pour parler aux catholiques français.
02:14 Moi j'ai été très choqué, son propos-là, entre le fait de dire "nous sommes tous des
02:19 frères humains", c'est très bien, et le fait de venir au moment d'une crise migratoire
02:24 majeure, dire "vous devez faire ça", moi j'appelle ça de l'ingérence.
02:28 Et je termine en disant que j'aimerais qu'il y ait aussi cette compassion pour les gens
02:33 qui vont demain, si vous voulez, vivre des difficultés, ou qui aujourd'hui vivent des
02:39 difficultés parce qu'il y a des migrants absolument pas intégrés, pas pris en charge,
02:43 qu'on ne peut pas encadrer, et venus de cultures, si vous voulez, où ils n'ont pas l'habitude
02:47 de voir des femmes court-vêtues ou tout ce que vous voulez.
02:49 Il y a des gens qui ont été, d'ailleurs, tués, la dame de Cherbourg, elle n'a pas
02:53 le droit aussi à la compassion du pape, donc je trouve cette compassion mélenchonienne,
02:59 je trouve que ce sont des effets de manche avec tout le respect que j'ai par ailleurs
03:03 pour les catholiques et le catholicisme.
03:05 - Avant de donner la parole à René Chiche, on proposait cette question, la présence
03:08 du pape est-elle politique selon vous ? À nos auditeurs, ils disent oui, à 92%.
03:12 - Oui, en plus le problème c'est qu'il arrive dans un contexte, comme l'a dit Elisabeth,
03:18 dans un contexte de crise migratoire important.
03:21 François, c'est celui qui a quand même dit que migrer est un choix libre.
03:25 Donc arriver aujourd'hui, alors que tous les gouvernements européens essaient de trouver
03:28 des solutions avec l'histoire de Lampedusa, etc.
03:31 D'ailleurs, il y a même la droite française avec Marion Maréchal, etc., qui a dit que
03:36 de toute façon elle condamnait un peu l'engagement politique de François.
03:40 Moi je crois que c'est un voyage très politique, c'est assez évident.
03:43 Il vient pour exprimer son opinion, vous savez que même son bras droit, qui est un prêtre
03:48 canadien, dit que le sort des migrants aujourd'hui correspond un petit peu à une crucifixion
03:52 moderne, vous voyez, pour venir jusqu'où on va.
03:55 Donc il vient, et en plus dernière chose, c'est que François souvent donne la leçon
04:01 aux européens, mais j'aimerais bien qu'il aille aussi parfois en Afrique, ou dans les
04:05 pays du Maghreb, et dire à ses gouvernements, à ses états, essayez de retenir vos gens
04:11 en leur donnant une bonne éducation, des métiers, un développement, vous voyez.
04:15 Il donne beaucoup de leçons aux européens, mais il ne le fait pas vis-à-vis des pays
04:18 africains.
04:19 D'où viennent ces migrants ? Donc oui, il fait un voyage très politique pour moi, c'est
04:23 sûr.
04:24 - Benjamin Morel, est-ce que c'est une réponse finalement à Gérald Darmanin qui a dit qu'il
04:27 n'y aurait pas de répartition de manière générale, puisque ce ne sont pas selon lui
04:31 des réfugiés.
04:32 Donc il y a une espèce de trouble en disant que d'une part on n'accueillerait pas de
04:35 réfugiés.
04:36 Est-ce que finalement c'est une réponse à l'état français ?
04:39 - Alors il y a sans doute ça, mais la France n'est pas le seul pays qui compte aujourd'hui
04:44 en Europe sur une miniature concernant l'immigration.
04:46 Ce n'est pas non plus le seul pays catholique.
04:47 Donc je ne crois pas qu'il faille non plus envisager ça de manière trop franco-française
04:52 et trop personnelle.
04:53 Vous avez un message du pape, qui est un message, je dirais structurel, de ce pape François,
04:58 sur la question de l'immigration.
04:59 Surtout, il avait recueilli des réfugiés au Vatican.
05:01 Alors il y avait un coup de com' etc.
05:03 Mais c'est quelque chose qui est assez substantiel.
05:05 Et tout à l'heure, quand vous m'interrogez s'il était de gauche et que je vous ai répondu
05:07 gauche à l'Argentine, au-delà de la Gallégiade, je crois que c'est un point essentiel.
05:11 C'est-à-dire que la structure du catholicisme européen est quelque chose, sur ce sujet
05:17 notamment, qu'il saisit assez mal.
05:19 L'Argentine est un pays d'immigration.
05:22 L'Argentine est un pays qui s'est construit par l'immigration.
05:25 C'était quasiment un no man's land avant.
05:28 Et donc, ce faisant, ce n'est pas quelque chose qui, dans la culture du pape, qui dans
05:34 la manière dont il conçoit la parole de l'évangile et une forme de solidarité, devrait heurter
05:41 les catholiques et les opinions publiques.
05:44 Évidemment, le catholicisme européen est différent.
05:47 Il s'est construit en lien profond avec des nations déjà bien établies, et elle
05:53 participait à les construire.
05:55 Et donc, ce faisant, là, il y a un vrai choc culturel depuis le début de ce pontifica
05:59 qu'on ressent dans certaines opinions.
06:00 Regardez par exemple ce qui peut se passer, évidemment, en Italie, où vous avez une
06:05 droite et une extrême droite aujourd'hui beaucoup plus dures sur les sujets migratoires,
06:08 alors que Maria Meloni se fait fort malgré tout de mettre en avant la culture catholique.
06:13 C'est également le cas en Autriche, où vous avez eu de vraies ruptures au sein du
06:17 catholicisme autrichien.
06:18 Donc, c'est une crise culturelle aujourd'hui entre le pape et les catholiques européens
06:22 qui dépasse très très largement le catholicisme.
06:25 - Oui, Elizabeth Lévy.
06:26 - Oui, je vais vous faire part d'une observation d'Olivier d'Artigolles, qui n'est pas là,
06:30 donc je la transmets, qui a remarqué en s'amusant, parce qu'on était à front renversé, lui
06:35 défendant le pape, qu'à Marseille, toute la droite catho se terre et tu n'es pas très
06:40 contente alors que toute la gauche agite des petits drapeaux.
06:43 Il y a quand même...
06:44 - Ce qui me frappe, Cécile, c'est tout même de la part de ce pape, c'est que la fameuse
06:51 distinction entre Dieu et César, il semble la négliger ou faire semblant de son nid
07:01 d'inexistence comme si, d'une manière absolue, tout devait être donné à Dieu, même dans
07:09 des domaines profondément prosaïques.
07:12 Je veux dire, il aurait pu dire à un moment donné "c'est ce que vous avez laissé entendre".
07:18 Au fond, je peux comprendre aussi la logique d'un état qui a préservé son identité,
07:25 mais il semble complètement faire l'impasse sur ce qu'il doit à César, comme si, et
07:32 c'est très beau d'une certaine manière, il n'y a que Dieu qui doit gouverner la pensée
07:37 du pape, même quand il vient à Marseille.
07:39 - Vous voulez dire qu'Emmanuel Macron va à Canossa ?
07:41 - Benjamin Morel, je reviens sur cette phrase qui choque visiblement tout le monde, de dire
07:48 "je ne viens pas en France, je viens à Marseille, je ne viens pas en France, je viens à Strasbourg".
07:53 Pourquoi cette phrase en fait ? Qu'est-ce qu'il entend par ça ?
07:55 - On a une vision, qui est une vision, on l'évoquait très tête à l'heure, et qui
07:59 je vais l'évoquer également, on a une vision très, je dirais même pas internationaliste,
08:04 mais très universaliste de ce pape, qui d'une certaine façon, l'échelon national, le temporel,
08:11 semble ne pas réellement l'intéresser.
08:14 Ce n'est pas un pape géopolitique en la matière, d'où le fait que la frontière,
08:19 le migrant, tout ça n'est pas vraiment quelque chose de pertinent.
08:24 Il y a une forme d'universalité du genre humain dont il faudrait s'assurer du salut.
08:28 Et donc ce faisant, on va à la rencontre des chrétiens, on ne va pas à la rencontre
08:32 d'un pays.
08:33 Et donc, cette logique, je crois encore une fois, est une logique très propre à ce pape
08:40 en lien avec le premier pape sud-américain, le premier pape non-européen, le premier
08:45 pape jésite également.
08:46 Donc là, on a une formation, je dirais, poético-théologique du pape qui est très différente, par exemple,
08:53 de celle qui pouvait être celle de Benoît XVI.
08:55 - Mais par exemple, est-ce que, Benjamin, on voit bien qu'il y a une sorte de fracture
09:01 entre ce pape et un certain nombre des milieux catholiques européens, en tous les cas français,
09:06 puisque je...
09:07 - Bien sûr.
09:08 C'est ce que je disais, il y a de vraies fractures.
09:11 Aujourd'hui, regardez le catholisme autrichien, notamment, il est très intéressant à analyser.
09:14 Vous avez des catholiques autrichiens qui se convertissent au protestantisme à droite,
09:18 justement, parce que, par rejet de la parole du pape François.
09:22 Donc il y a de vraies, vraies ruptures.
09:23 Il ne faut jamais oublier que l'Église catholique, ce n'est pas que l'Europe.
09:27 Aujourd'hui, c'est même très marginalement l'Europe.
09:29 L'avenir de l'Église catholique, si je me place du point de vue du pape et du Vatican,
09:33 cet avenir est beaucoup plus en Amérique du Sud et en Afrique.
09:36 Et donc, ce faisant, ce message que les catholiques européens, peut-être, perçoivent mal, entendent
09:41 mal, en tout cas, très majoritairement, eh bien, dans le reste du monde, dans le reste
09:45 de l'Église catholique, il est probablement bien mieux perçu.
09:47 Et l'Église a une vocation mondiale.
09:49 - Vous restez avec nous, Benjamin Morel, 0826-300-300, Jean-Pierre voulait réagir.
09:53 Jean-Pierre, vous qui êtes à Marseille, quand vous entendez ça, qu'est-ce que ça
09:58 vous... enfin, en procure, en tout cas ?
09:59 - Malgré tout le respect que je dois à Benjamin Morel, je trouve qu'il se trompe considérablement
10:04 sur l'erreur d'analyse, totale, mais totale.
10:06 Quand il dit, à l'instant, que le pape vient voir les chrétiens et pas les États, alors
10:11 pourquoi fait-il un dialogue politique ? Pourquoi inscrit-il dans une messe un message politique
10:15 ? Carole Voltilla, Jean-Paul II, a fait de la politique sans cesse.
10:19 On dit qu'il a contribué largement à faire tomber le mur de Berlin.
10:24 Il n'en a jamais fait, État, si j'ose dire.
10:28 Il n'a jamais communiqué dans la presse.
10:30 Il n'a jamais osé dire "je vais dans telle ville, mais pas dans tel État".
10:34 C'est n'importe quoi votre raisonnement, excusez-moi de vous le dire.
10:37 - Oui, enfin...
10:38 - C'est vous Jean-Pierre !
10:39 - Exagérez pas non plus.
10:40 - Je suis outré de ce que je viens d'entendre et je suis outré que le pape dise "je viens
10:48 à Marseille et pas au fond".
10:49 - Allez, réponse de Benjamin Morel, puisqu'on a 50 secondes et je ne peux pas le laisser
10:53 sans réponse.
10:54 Benjamin Morel.
10:55 - Je ne peux pas outrer quelqu'un avec de tels propos, mais pour qu'importe.
10:57 Non, si vous voulez, en effet, il fait de la politique, mais en revanche, il ne s'adresse
11:00 pas aux États.
11:01 L'État, pour lui, est un problème.
11:03 Et donc il s'agit justement de demander à l'État de baisser les armes.
11:06 Et là, on est en effet dans quelque chose qui sort d'une approche géopolitique.
11:11 Les gouvernements du Vatican ont traité l'État à l'État, ils vont entrer dans un jeu.
11:16 Le Vatican, c'est un État.
11:17 Et c'est une Église.
11:19 Et donc, laquelle vous faites passer le premier, c'est d'abord l'Église.
11:25 - Merci beaucoup.
11:26 - Je voulais juste rappeler que le pape finalement rejoint Coluche, qui disait que Marseille
11:30 c'est la première ville africaine du Paris-Dakar.
11:32 - Oui, c'est ça.
11:33 Merci beaucoup Benjamin Morel d'avoir été avec nous, docteur en sciences politiques,
11:37 maître de conférences à Paris 2, Panthéon, Assas.
11:40 Merci beaucoup Jean-Pierre de Marseille.
11:42 Merci Philippe Bidjerre.

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