Etienne Dignat est l'invité du 13h

  • l’année dernière
Etienne Dignat, chercheur et enseignant à Sciences Po Paris, auteur de "La Rançon de la terreur" paru le 8 février 2023 aux PUF et le journaliste Franco-Israélien, ancien correspondant de l'AFP à Jérusalem, Marius Schattner sont les invités du 13/14 le 9 octobre 2023.
Transcript
00:00 Bonjour à tous, on se rejoigne pour ce 13-14 spécial consacré à l'attaque du Hamas contre Israël et à ses conséquences avec deux invités.
00:05 Je vous les présente, Etienne Dignas, bonjour.
00:07 Bonjour.
00:08 Vous êtes chercheur associé à Sciences Po, vous avez publié au printemps un livre qui s'intitule « La rançon de la terreur, gouvernez le marché des otages ».
00:16 C'est aux presses universitaires de France.
00:18 Vous avez passé plusieurs mois en Israël pour mener des entretiens et rédiger ce livre.
00:23 On va parler avec vous de la situation des otages israéliens, mais pas uniquement, qui sont retenus à Gaza depuis samedi.
00:30 Avec nous également, en direct de Jérusalem, Marius Chattner, bonjour.
00:34 Bonjour.
00:36 Vous êtes journaliste et essayiste, vous avez été pendant 30 ans, de 1981 à 2011, le correspondant de l'AFP à Jérusalem.
00:44 Un correspondant, un correspondant.
00:46 L'un des correspondants, bien sûr, l'AFP possède de nombreux correspondants sur place.
00:49 L'un des correspondants de l'AFP à Jérusalem.
00:52 Vous avez publié avec l'historienne Frédérique Chilot « La guerre du Kippour n'aura pas lieu, comment Israël s'est fait surprendre ».
00:59 Cette édition archi poche.
01:01 Les auditeurs de France Inter nous appellent pour vous poser leurs questions, 0145 24 7000 ou via FranceInter.fr.
01:08 Marius Chattner, je l'ai dit, vous êtes à Jérusalem, vous avez suivi tous les développements ces dernières années de ce long conflit.
01:15 Comment est-ce que vous avez réagi samedi matin lorsque vous avez appris que des combattants du Hamas avaient réussi à franchir la barrière
01:22 et à s'en prendre à des civils de l'autre côté de la frontière ?
01:26 J'ai réagi très mal.
01:28 D'abord, j'ai été réveillé par le son des sirènes, qui est un son assez de gubbre.
01:32 Donc, le premier sentiment, si on n'y croit pas.
01:36 Et ensuite, au fur et à mesure que venaient les informations, j'étais moi-même stupéfait.
01:42 Comme les autres Israéliens, je ne m'attendais pas du tout à une attaque d'une telle envergure.
01:49 Un si grand nombre de victimes israéliennes, je vais vous le bilan, est extrêmement lourd.
01:55 Il y a plus de 700 morts, autant qu'il y en a eu pendant toute la guerre des 6 jours.
02:00 Pourquoi une telle surprise, Marius Chattner ?
02:03 Parce que le pouvoir israélien présentait le Hamas comme un ennemi qui avait perdu de son potentiel de nuisance, si je puis dire ?
02:13 Pas uniquement.
02:15 Parce que le pouvoir entretenait l'illusion que le Hamas, contre des brides,
02:22 contre l'ouverture très relative de la bande de Gaza, de l'entrée en Israël aux travailleurs palestiniens,
02:31 et contre le transfert d'argent qui venait des pays du Golfe,
02:36 le Hamas se contenterait de cette situation et permettrait à Israël d'avoir les mains libres en Cisjordanie,
02:45 où il y a une situation où la colonisation s'intensifie et où la population palestinienne vit sous un régime d'apartheid.
02:53 Vous faites dans votre livre, vous parlez de la guerre du Kippour.
02:57 Vous avez publié ces dernières heures une tribune dans le journal Le Monde,
03:02 dans laquelle vous faites la comparaison avec ce qui s'est passé en 1973,
03:06 et l'attaque notamment de la Syrie et de l'Egypte contre Israël.
03:10 Et vous dites que c'est quand même assez différent, il y avait des objectifs politiques à l'époque.
03:14 Aujourd'hui, le Hamas vise l'anéantissement d'Israël.
03:19 Oui, c'est différent aussi d'un point de vue beaucoup plus simple.
03:25 Lorsque l'Egypte et la Syrie ont attaqué, ils avaient un objectif politique,
03:30 en tout cas pour l'Egypte qui était très claire, c'était de relancer un processus de négociation
03:36 et d'obtenir le retrait du Sinaï, ce qu'ils ont obtenu en dépit des revers de l'armée égyptienne.
03:41 Mais là, ce qui s'est passé, d'abord on a énormément de victimes de civils.
03:46 Vous avez dans une réelle partie 260 jeunes qui ont été tués.
03:50 C'est un massacre. Donc le choc est beaucoup plus grand.
03:54 Et puis par-delà de ça, le Hamas, son programme, son objectif à long terme, c'est la destruction d'Israël.
04:04 Ce qui ne l'empêche pas de pouvoir, à certains moments, faire des compromis tactiques, comme on le fait avec un ennemi.
04:11 Sur la question des signes avant-coureurs, toujours dans cette tribune,
04:15 Marius Chattner, vous décrivez notamment cette scène, je crois que c'était cet été,
04:19 où un ancien commandant de l'armée de l'air israélienne vient à la télévision et livre son témoignage
04:25 en disant "on va revivre ce qui s'est passé en 1973".
04:29 Oui, parce que ce qu'il mentionnait, c'est, il faut voir le fond, ce qui s'est passé dans la société israélienne depuis un an.
04:37 On a, enfin plusieurs mois, on a une crise morale et politique sans précédent,
04:42 à cause de la volonté de la droite et de l'extrême droite au pouvoir,
04:46 presque de modifier le système constitutionnel en réduisant le pouvoir de la justice.
04:52 Ça a divisé l'armée ?
04:54 Ça a divisé la population et ça a en effet, c'est ce qu'il voulait dire, ça a eu un effet sur l'armée.
05:02 C'est-à-dire qu'il disait "attention, l'armée s'affaiblit, le gouvernement n'y a pas cru, mais le Hamas y a cru, et même a prouvé que c'était vrai".
05:11 D'où aujourd'hui, alors à la fois cette surprise, mais à la fois aussi les critiques dont fait l'objet le gouvernement Netanyahou.
05:19 Oui, parce que d'abord, comment une pareille surprise était possible ?
05:26 On en sait un peu plus maintenant, depuis quelques heures, on sait qu'il y a eu des avertissements tactiques sur le terrain.
05:33 Il y a eu des informations, mais il y en a eu d'autres.
05:36 Et ces informations ont été mal interprétées, parce qu'il y avait cette conception fondamentale,
05:41 comme d'ailleurs il y avait une erreur de conception dans la guerre d'octobre 1973, la guerre du Kipour,
05:47 là il y avait une erreur de conception fondamentale qui disait "le Hamas est intéressé à continuer à gérer la bande de Gaza,
05:57 et il n'osera pas défier la puissance militaire d'Israël". De sorte que quand vous êtes aveuglé,
06:04 oui aveuglé, il n'y a pas d'autre terme, par votre propre conception, vous ne voyez pas les signes.
06:13 Et ça s'est vu d'ailleurs dans d'autres moments de l'histoire, c'est vu pendant la seconde guerre mondiale,
06:19 ça s'est vu dans la guerre de 1973 aussi.
06:21 Oui, et puis on peut repenser au 11 septembre aussi, où certains signes avant-coureurs ont pu être négligés par les autorités.
06:27 Sur le caractère inédit que vous décrivez, Marius Chattener, Étienne Dignas, je voudrais vous donner la parole.
06:33 Plus de cent otages qui ont été capturés par les combattants du Hamas samedi matin, ramenés dans la bande de Gaza.
06:41 Est-ce que vous avez déjà vu cela dans un conflit ? Vous avez consacré un ouvrage à cette question des otages et au marché des otages.
06:48 Dans le cas israélien, c'est absolument sans précédent, à la fois par le nombre, une centaine, et par la nature des personnes enlevées.
06:56 Vous avez aussi beaucoup de civils, des femmes, des enfants. On était habitué dans l'histoire israélienne à surtout des enlèvements de soldats.
07:02 Concernant le nombre, on a pu voir des nombres similaires, par exemple au Nigeria, avec les lycéennes de Chibok, on s'en souvient,
07:09 300 lycéennes qui avaient été enlevées par Boko Haram, mais c'est très très très très rare.
07:14 Dans quel objectif ? Avec un objectif politique de rançon, de négociation ?
07:18 Alors il y a effectivement un objectif d'échange, traditionnellement. C'est-à-dire que les Israéliens sont notamment connus pour privilégier la solution de la négociation.
07:26 On se souvient qu'en 2011, par exemple, ils avaient libéré le soldat Chalit contre 1027 prisonniers palestiniens.
07:34 L'autre option pour le Hamas, c'est également de se servir de ces otages comme de boucliers humains,
07:39 ce qui permettrait de ralentir la progression et les attaques israéliennes contre Gaza.
07:44 Le Hamas a d'ailleurs annoncé il y a quelques minutes la mort de 4 otages à la suite des bombardements israéliens.
07:50 C'est à vérifier, mais ça fait partie évidemment d'une donnée essentielle pour l'armée israélienne.
07:55 Et à prendre en compte par l'armée israélienne si elle veut pénétrer dans la bande de Gaza dans les heures et dans les jours qui viennent.
08:02 Vos appels, vos questions, 0145 24 7000.
08:05 Sylvain nous appelle du département de Vendée. Bonjour Sylvain !
08:08 Oui bonjour !
08:10 Quelle est votre question ?
08:11 Merci beaucoup de m'accueillir sur vos antennes et merci pour toutes vos émissions.
08:15 Voilà, j'ai une question à poser. Je voulais savoir si la politique d'apartheid pratiquée par Israël depuis des dizaines d'années,
08:24 politique qui a été dénoncée par un rapporteur de l'ONU à Genève en mars 2022,
08:31 a pu contribuer à l'essor de ce groupe terroriste qu'est le Hamas.
08:37 Et je m'interrogeais sur le fait que ce terme d'apartheid ne soit jamais entendu dans la bouche de nos politiciens.
08:47 Et je pense que le fait de nommer cette politique d'apartheid aurait pu être bénéfique.
08:58 Le fait de la nommer comme on a pu la nommer dans les années 80 vis-à-vis de l'Afrique du Sud,
09:03 qui était la limite des partitions sportives et ainsi de suite.
09:07 L'apartheid c'était la séparation des Africains du Sud blanc et noir dans l'Afrique du Sud d'il y a quelques années.
09:14 Peut-être Marius Chattener sur ce point, sur cette question de Sylvain ?
09:17 Sur la nomination je ne veux pas trop rentrer dedans.
09:22 Mais d'abord ce qui est certain c'est qu'il y a une situation d'apartheid en ces jours d'année.
09:28 Il y a deux populations, il y a des colons et des habitants palestiniens qui vivent sur le même territoire et qui n'ont pas les mêmes droits.
09:36 À Gaza c'est un peu différent parce qu'ils seraient à quitter la Grande Gaza, mais la Grande Gaza est comme une vaste prison.
09:43 Est-ce que tout ça a eu un effet ? Certainement.
09:46 Mais il faut distinguer entre les causes et l'instrument de stabilisation qui en est fait par un groupe comme le Hamas.
09:53 Je ne crois pas que le Hamas, c'est un groupe dont l'objectif principal, le seul en tout cas, est de donner des droits civils et politiques et humains aux Palestiniens.
10:06 Il a quand même une vision globale et dans cette vision globale il y a la destruction d'Israël.
10:11 La réaction Marius Chattener de la foule, de la population israélienne depuis deux jours,
10:18 est-ce qu'on est plutôt sur une tendance d'union nationale pour soutenir l'armée dans la réponse militaire qui va être apportée après ces attaques ?
10:26 Ou bien est-ce qu'on est, et je reprends un peu le fil de notre discussion il y a quelques minutes, dans demander des comptes au gouvernement ?
10:33 Comment vous sentez les choses ?
10:35 Les deux choses en même temps. D'abord, demander des comptes c'est quand même pour plus tard.
10:40 Les gens sont sous le choc et ce choc continue. Il y a une heure environ il y a eu sur Jérusalem des tirs de roquettes.
10:49 Bon, elles ont été interceptées par le dôme de fer mais le choc, les gens sont éberlués.
10:55 En plus, les combats ne sont pas finis même. Il y a encore des infiltrations ponctuelles dans les villages israéliens proches de la bande de Gaza.
11:08 Mais en même temps, dans vos télévisions, etc. vous avez des questions qui sont déjà posées.
11:14 Mais en fait, il faudra un temps pour que ça prenne une tournure plus politique. C'est normal d'ailleurs.
11:20 Étienne Dignas, vous travaillez sur cette question des otages.
11:24 Est-ce qu'on peut envisager que les combattants, les terroristes du Hamas, aient franchi la frontière en ayant déjà en tête de capturer des civils israéliens ?
11:35 Ça a pu être une opération planifiée. Sachant que vous nous disiez que jusqu'ici, seuls des militaires avaient été capturés mais pas des civils.
11:41 Vous avez eu des civils mais pas dans ces proportions.
11:43 Pas dans ces proportions, d'accord.
11:44 Mais il est vrai que le Hamas, comme le Hezbollah d'ailleurs, s'était fait une spécialité d'enlever des militaires en passant notamment par des tunnels.
11:50 Ils ont des équipes spécialisées là-dedans qui sont capables de capturer, de ramener l'otage et ensuite de le garder en prison, en quelque sorte, dans des tunnels.
11:59 Donc des opérations spécialement planifiées pour cela, pour faire des prisonniers et pour avoir des otages ?
12:05 Absolument. Donc il est très probable que cette volonté de prendre des otages a aussi été une volonté du Hamas dans les événements de ce week-end.
12:15 Maintenant, l'amplitude du nombre d'otages pris peut aussi laisser penser qu'il y a eu parfois une sorte d'opportunité saisie par les ravisseurs.
12:24 C'est-à-dire que quand on voit les vidéos, la façon dont ils sont ramenés, il est aussi possible que le Hamas ait pris plus d'otages qu'initialement prévu.
12:31 Quelle est la réaction des Palestiniens qui vivent à Gaza vis-à-vis de cette stratégie ?
12:37 C'est peut-être difficile de répondre, Etienne Dignam, on a vu certaines images extrêmement choquantes de ces enfants, de ces hommes, de ces femmes emmenés en otage.
12:46 Est-ce qu'il y a un silence autour de ça ? Est-ce qu'on cautionne à mi-voix ? Est-ce qu'au contraire ça fait débat ?
12:53 Ce qui est très compliqué, c'est que le Hamas tient quand même une partie de la bande de Gaza d'une main de fer.
12:59 Et que les civils palestiniens sont pris en otage eux-mêmes d'une certaine façon également par les agissements du Hamas.
13:05 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, quand vous avez des frappes israéliennes sur Gaza, ces frappes touchent en priorité malheureusement des civils.
13:13 Et c'est toute la stratégie perverse du Hamas qui se serve de ces otages israéliens, mais aussi de la population civile de Gaza, comme des boucliers humains.
13:21 Et de l'autre côté, est-ce qu'on sait jusqu'à quel point la réaction de la population israélienne vis-à-vis du sort des otages peut peser sur les décisions que prend le gouvernement ?
13:32 Il y a une sensibilité très particulière au sort des otages israéliens pour plusieurs raisons.
13:37 Vous avez une raison religieuse, qui est que dans le Talmud, il y a ce qu'on appelle le "pidi-om shvrim", c'est-à-dire la rédemption des captifs, le secours des captifs, qui est le premier devoir du croyant.
13:46 Donc le devoir d'Israël, c'est de secourir, au-delà même de l'impératif humanitaire, j'allais dire.
13:55 En tout cas, il y a cet héritage historique et religieux qui est fondamental.
13:59 Et ensuite, vous avez aussi un phénomène qui concerne par exemple les soldats, qui est qu'en Israël, vous avez un service militaire obligatoire.
14:04 Et pour maintenir le lien de confiance entre l'armée et les familles qui envoient leurs enfants faire le service militaire, vous avez un devoir de secourir les otages.
14:11 Merci à tous les deux. Etienne Dignas, je renvoie votre ouvrage "La rançon de la terreur gouvernée, le marché des otages".
14:17 Merci également à Marius Chattener. Votre livre s'intitule "La guerre du Kippour n'aura pas lieu, comment Israël s'est fait surprendre".
14:25 13h45 sur Inter.

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