• il y a 6 mois
Le 13/14 reçoit aujourd'hui, mercredi 26 juin 2024, Nicolas Dohrmann, Conservateur général du Patrimoine du Département de l'Aube et commissaire général de l'exposition “Notre-Dame de Paris : la querelle des vitraux”, à la Cité du Vitrail de Troyes et Anne Dopffer, Directrice des Musées Nationaux des Alpes-Maritimes.

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Transcription
00:00C'est une question qui peut paraître anodine quand on la compare au débat de politique
00:04nationale ou internationale qui nous occupe en ce moment.
00:06Et pourtant, elle passionne à la mesure du monument qu'elle concerne.
00:10Quel vitraux pour la future cathédrale Notre-Dame de Paris restaurée et qui ouvrira en fin
00:15d'année les 7 et 8 décembre ? On parle de 6 des 7 chapelles du bas côté sud.
00:20Faut-il conserver les vitraux de Violet le Duc 19ème siècle ou bien les remplacer par
00:26les œuvres d'artistes contemporains ? La polémique fait toujours rage.
00:29Les états à trancher pour des artistes contemporains seront désignés en novembre.
00:35Et ce qui est d'autant plus troublant, c'est que cette querelle des anciens et des modernes
00:38en quelque sorte autour des vitraux de Notre-Dame a déjà eu lieu.
00:42C'était à la fin des années 30 et cette histoire est la copie conforme de celle que
00:46nous vivons aujourd'hui.
00:47Bonjour Nicolas Dormand.
00:48Bonjour.
00:49Vous allez nous raconter cette histoire, vous êtes conservateur général du patrimoine
00:52du département de l'Aube et vous êtes le commissaire général de l'exposition Notre-Dame
00:57de Paris, la querelle des vitraux 1935-1965, expo visible à Troyes, à la cité du Vitraille,
01:05visible donc cette expo depuis samedi et jusqu'au 5 janvier.
01:08J'attends pour vous les questions des auditeurs de France Inter, 0145 24 7000, vous pouvez
01:13passer également via l'application France Inter.
01:16Alors Nicolas Dormand, racontez-nous cette première guerre des vitraux si je puis dire.
01:21Nous sommes au milieu des années 30, c'est ça ?
01:22Nous sommes exactement au milieu des années 30, tout à fait.
01:26C'est en mars 1935 que douze maîtres verriers, onze hommes, une femme, Valentin Reers, c'est
01:33important de le noter, approchent la commission des Beaux-Arts et proposent à cette commission
01:39de réaliser des vitraux pour les béots de la nef de Notre-Dame de Paris.
01:43Ces vitraux, ils leur avaient été commandés auparavant, ils leur avaient été commandés
01:47pour le pavillon pontifical de l'exposition internationale qui allait ouvrir ses portes
01:51en 1937.
01:52Mais une commande pour un pavillon d'exposition internationale, c'est une commande qui n'est
01:56pas pérenne.
01:57Les vitraux ensuite sont dispersés, détruits éventuellement.
02:00Et ces maîtres verriers ont envie que leur commande dure.
02:02Donc ils se proposent de créer les vitraux pour le pavillon et ensuite de les installer
02:07à Notre-Dame.
02:08Et si on les pérennisait dans Notre-Dame ?
02:09Exactement.
02:10Et donc la commission ne va pas donner un oui immédiat, mais elle va dire qu'elle
02:14soutient le projet, mais qu'elle attend de voir la réalisation pour se prononcer sur
02:20le fait que les vitraux puissent rester dans Notre-Dame.
02:22Donc les maîtres verriers vont travailler avec le clergé, travailler avec l'administration
02:26des Beaux-Arts et proposer un cycle de 36 vitraux, donc 24 lancettes, 12 roses, qui
02:35font entrer dans Notre-Dame du vitrail figuratif cubiste qui représente les grands saints
02:42et les grandes saintes de France.
02:43A la place de quels vitraux seraient-ils installés ?
02:47A la place de vitraux qui ont été pensés par Viollet-le-Duc entre 1855 et 1860 et
02:54créés par le maître verrier Nicolas Coftier et qui sont inspirés des verrières 13e de
03:01la cathédrale de Bourges puisqu'il n'y avait plus d'exemples du même type dans
03:04la cathédrale Notre-Dame à l'époque et que Viollet-le-Duc envisageait comme créant
03:09un ensemble, une unité dans Notre-Dame.
03:11Et là, la polémique éclate entre ceux qui disent « il faut garder les vitraux de Viollet-le-Duc
03:16» et ceux qui disent « il faut faire rentrer par exemple le cubisme dans la cathédrale
03:20».
03:21Exactement.
03:22La querelle monte progressivement en intensité.
03:26Elle débute dès 1935 avec les premières craintes et puis elle éclate vraiment à
03:33la fin de l'année 1938, début de l'année 1939 quand les vitraux sont posés véritablement
03:37dans Notre-Dame et que la commission des Beaux-Arts les valide, moyennant quelques évolutions
03:41mais elle les valide.
03:42Donc l'État a pris sa décision, les vitraux doivent rester.
03:45Alors là, c'est un déchaînement dans le Figaro, le jour, sur la radio, on a énormément
03:50de personnes, appelons-les les « anciens » qui vont critiquer ces vitraux en indiquant
03:56qu'il y a des avis qui sont très justifiés au niveau de l'histoire de l'art en disant
04:03« voilà, on rompt une unité qui existait, ces vitraux de Viollet-le-Duc sont en bon
04:07état, pourquoi les démonter ? Ça peut vraiment créer un précédent qui ne serait pas de
04:12bonne augure et puis il y a des arguments beaucoup plus subjectifs et beaucoup plus
04:16violents.
04:17On va parler d'un barbouillage de Kermesse, on va nous dire qu'on a l'impression d'être
04:23au milieu d'un orchestre de jazz conduit par un chef d'orchestre complètement ivre.
04:26C'est assez violent, mais au final, c'est comme souvent d'ailleurs, on entend beaucoup
04:33les contres mais les pours sont très largement majoritaires.
04:36Ils sont majoritaires dans le clergé, il ne faut pas l'oublier, c'est le cardinal
04:39Jean Verdier qui a accepté ce projet et qui a souhaité qu'il se fasse.
04:43Ils sont majoritaires dans l'administration des Beaux-Arts et dans le milieu artistique.
04:48Un Maurice Denis va prendre la plume pour, dans le Figaro là encore, défendre très
04:53fortement le projet et au final, normalement, les pours auraient dû gagner.
04:57Sauf qu'arrive là-dessus la seconde guerre mondiale.
05:00On est en 1939, donc la France va être envahie quelques mois plus tard, que se passe-t-il
05:07à ce moment-là pour ces vitraux ?
05:08Les vitraux font partie du grand plan de dépose et de protection des vitraux et des
05:12objets d'art qui est lancé dès septembre 1939 et donc Louis Barrier, un des maîtres
05:17verriers qui avait participé au projet, remet tous les vitraux provisoirement, pense-t-on.
05:22Il va demander à un certain nombre de ses collègues de venir récupérer les vitraux,
05:25ce que certains feront, d'autres non, et ensuite, pendant toute la guerre et au moment
05:30de la libération, il va relancer l'administration des Beaux-Arts pour reprendre le projet.
05:35Ça ne va pas se faire, en tout cas, ça ne va pas se faire sous cet aspect-là, puisque
05:40l'administration des Beaux-Arts va considérer que les arguments des contres risquent de
05:44revenir, que malgré tout, on va relancer la querelle, on n'a pas envie de ça, donc
05:50ils vont décider, après avoir, pendant un temps, imaginé une restauration des vitraux
05:55de Viollet-le-Duc, ils vont imaginer quand même faire rentrer du vitrail contemporain
05:58mais le confier à un seul et même artiste pour recréer une unité.
06:01Et cet artiste, ce sera Jacques Lechevalier, qui, à partir de décembre 1952 et jusqu'en
06:06juin 1965, va travailler sur le projet et va proposer plusieurs moutures, du figuratif
06:12en 1965, puis du géométrique à partir de 1962 et c'est finalement ce géométrique
06:16qui est complètement accepté à partir de 1962-1964 et qui est fini de poser en 1965.
06:22Mais vous, vous avez retrouvé les vitraux qui avaient été conçus dans les années
06:2530 et qui n'avaient pas été installés ou en tout cas enlevés de Notre-Dame et c'est
06:29ceux que vous présentez en ce moment à Troyes, c'est bien ça ?
06:32Exactement.
06:33On présente ces vitraux, en fait, ils ont été préservés de deux manières.
06:35Certains d'entre eux sont restés dans Notre-Dame et ont échappé à l'incendie.
06:39Donc, ils ont été analysés et déposés par la Dracuille de France à la cité du
06:44vitrail en 2021, charge à nous de les restaurer et de les présenter.
06:47Et puis d'autres ont été repris par les ateliers en 39 et deux d'entre eux ont été
06:52sauvés.
06:53Les ateliers n'ont pas disparu, les agriculteurs en ont pris soin et ont décidé de nous les
06:58confier aussi dans le cadre de l'exposition.
07:00Ce qui est incroyable, c'est le parallèle qu'on peut faire entre le débat dans les
07:05années 30, faut-il faire entrer du contemporain dans Notre-Dame et le débat qui nous occupe
07:09aussi aujourd'hui.
07:10Comment est-ce que vous l'expliquez ? Est-ce que vous l'expliquez tout simplement par
07:13la place qu'a ce monument dans l'histoire nationale, dans la vie des Français ?
07:17Dès 1935, Ruprich Robert, qui est le vice-président de la commission des Beaux-Arts, dit que ça
07:24va être un très mauvais signe que de s'attaquer, c'est de son terme, à un monument aussi
07:28emblématique.
07:29Il ne remet pas en cause le vitrail contemporain en lui-même, il dit que du vitrail contemporain
07:32dans Notre-Dame, c'est mauvais signe.
07:33Ailleurs, oui, mais pas à Notre-Dame.
07:35C'est un monument emblématique.
07:37Violet-le-Duc n'a pas encore l'aspect patrimonial dans ces années-là qu'il a acquis aujourd'hui,
07:43mais finalement les arguments des pour et des contre sont très largement similaires
07:47aujourd'hui.
07:48La violence, néanmoins, en moins.
07:50Les années 2020 sont beaucoup plus polissées dans ce domaine-là que les années 30.
07:55Mais pour qu'on ait une idée, la pétition qui a été lancée contre l'installation
07:59de vitraux contemporains dans Notre-Dame, on est à 150 000 signatures, ce qui est beaucoup.
08:03Évidemment, sur une question comme celle-ci, Sébastien nous appelle du département du
08:07Jura.
08:08Bonjour Sébastien.
08:09Oui, bonjour France Inter.
08:10Vous aviez une question pour Nicolas Dormann ?
08:12Ce n'était pas forcément une question, mais plutôt un ressenti.
08:16Personnellement, je suis athée, mais j'ai la chance d'être en couple avec une personne
08:23chrétienne.
08:24Et c'est vrai que je me faisais la réflexion autour du côté contemporain de l'expression
08:32de ces vitraux.
08:33Il y a aussi un besoin biblique, un besoin d'identification de moments qui se sont passés
08:39dans l'histoire.
08:40Après, chacun pourra développer si c'est vrai, si ce n'est pas vrai, mais une représentation
08:45biblique de moments importants de la chrétienté qui ont besoin de cette expression et d'expliquer
08:54et de provoquer en fonction du tableau qu'on voit, alors que ce soit les cathédrales ou
09:01quoi que ce soit.
09:02Je me souviens de l'exemple, l'année dernière, on est passé à la basilique d'Histoire,
09:06et bien ma compagne a pu m'expliquer ce qui s'était passé, ce que représentait
09:11le tableau.
09:12Après, on en fait ce qu'on veut, mais c'était aussi simple que la genèse, le moment important
09:21de la création.
09:22Je vais donner la parole à Sébastien, parce qu'il nous reste peu de temps, à Nicolas
09:26Dorman.
09:27L'équilibre est difficile à trouver.
09:28L'équilibre est difficile à trouver, mais effectivement, par rapport à ce qu'indiquait
09:32votre auditeur, les églises, les édifices religieux ont toujours pris une partie de
09:42l'art contemporain dans leur construction.
09:44Chaque époque a laissé sa trace sur les églises, et Notre-Dame, de fait, ne fait
09:49pas exception à la règle.
09:50Nicolas nous dit sur l'application France Inter, en avérant, il y a eu la même polémique
09:54autour des vitraux contemporains à Conques, lorsqu'ils ont été remplacés en 1994
09:58par l'œuvre de l'artiste Pierre Soulages.
10:01Ce sont aussi des polémiques qui ont marqué le travail de Marc Chagall, et nous sommes
10:05en ligne avec Anne Doppfer, vous êtes directrice des musées nationaux des Alpes-Maritimes,
10:10dont le musée Chagall de Nice, et vous pouvez nous rappeler, Anne Doppfer, que les vitraux
10:15de Chagall qu'on peut admirer à Metz ou à Reims, dans les cathédrales, ont aussi
10:20donné lieu à des polémiques ?
10:21Absolument, l'histoire est un éternel recommencement, et en fait c'est une sorte de querelle des
10:27anciens et des modernes qui reprend régulièrement.
10:30En effet, Chagall, après la guerre, a été sollicité pour faire des vitraux pour Metz,
10:36qui était l'un des grands chantiers de la reconstruction, il y avait près de 4000
10:39m2 de baies à refaire, et il a été invité par l'architecte en chef, visionnaire Robert
10:47Renard, à proposer des vitraux pour Metz, ce qui est assez polémique, mais ça s'inscrivait
10:54déjà dans une polémique lancée par son ami écrivain Marcel Arland, qui dans le Figaro,
10:59en janvier 1957, appelait à ce que les cathédrales, précisément, accueillent des œuvres d'artistes
11:05contemporains, ce qui a valu une polémique par voie de presse interposée sur la question
11:11de savoir s'il était pertinent d'inviter des artistes contemporains.
11:14Je crois que l'aspect symbolique de certains monuments, comme la cathédrale de Metz ou
11:20celle de Reims, où il y a à nouveau eu des polémiques dans les années 1970, révèle
11:25en effet une sensibilité particulière, exacerbée, même si en réalité, comme
11:31me dit mon collègue de Troyes, l'église a toujours accueilli de l'art contemporain
11:37qui aujourd'hui est devenu classique, mais en fait c'est un phénomène assez connu,
11:41et il y a régulièrement des phénomènes de rejet d'expressions plus contemporaines
11:47qui sont mal connues, mais au fil du temps, le public s'y habitue, elles deviennent
11:51très populaires, ne serait-ce que les colonnes de Buren par exemple.
11:54Et on vient dans les cathédrales de Reims et de Metz notamment pour voir les vitraux
11:58de Marc Chagall, Anne Le Pferd ?
12:00Absolument.
12:01Aujourd'hui, ces cathédrales sont connues aussi pour cette singularité, d'avoir accueilli
12:09à l'époque les oeuvres de Marc Chagall, et d'avoir continué à passer des commandes
12:13à des artistes contemporains, comme ça a été le cas pour Reims qui a invité un artiste
12:18allemand, Heinrich Nobel, à créer des vitraux dans les années 2000.
12:21Question de Damien sur l'application France Inter, je vous la soumets Nicolas Dorman,
12:25le gouvernement a validé la restauration de la flèche de Notre-Dame à l'identique,
12:30mais pour les vitraux, nous dit-il, la décision est totalement à l'inverse, je ne comprends
12:34pas la réflexion, est-ce qu'il y a une différence entre les deux ?
12:38On est sur deux sujets différents, en fait les vitraux n'ont pas été détruits par
12:42l'incendie, ils ont été souillés par les poussières, les fumées, ils ont donc été
12:50nettoyés, mais là on est vraiment sur la volonté, c'est vrai qu'on reconstruit à
12:55l'identique la flèche, mais on est sur la volonté de laisser une trace du XXIe siècle
12:59dans Notre-Dame de Paris.
13:01Alors ça peut passer à travers le mobilier liturgique, je sais qu'il y a également
13:03une polémique sur le sujet, ça peut passer aussi à travers les vitraux, donc c'est ce
13:07qui a été décidé, donc c'est toute la différence entre des vitraux préservés
13:10et une flèche détruite et reconstruite à l'identique.
13:13Merci à tous les deux en tous les cas de nous avoir permis de faire vivre ce débat
13:16passionnant et qui continue de passionner.
13:19Le Musée Chagall à Nice pour découvrir le travail de cet artiste, sinon les cathédrales
13:25de Metz et de Reims évidemment, là on s'approche de chez vous Nicolas Dorman, la cité du vitrail
13:30à Troyes pour cette exposition jusqu'au 5 janvier 2025 et les 7 et 8 décembre pour
13:37la réouverture, la fin de la restauration de la cathédrale Notre-Dame.

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