Quand l'URSS déroba les plans de la bombe atomique américaine - Projet Manhattan

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Staline envoie dès 1941 Elisabeth Zaroubine, une espionne, voler les plans de la bombe atomique américaine et infiltrer les milieux scientifiques, qui comptent des personnalités comme Albert Einstein.
Transcript
00:00 29 août 1949, quatre ans à peine après la bombe américaine, l'URSS procède au tir de sa première bombe atomique.
00:10 Le monde a été surpris par la rapidité avec laquelle l'URSS a réalisé la bombe.
00:16 Ce résultat, obtenu avec une si étonnante rapidité,
00:20 Staline le doit un formidable plan d'espionnage au cœur même des États-Unis.
00:24 Avec une efficacité redoutable, il lui a permis de récupérer toutes les découvertes nucléaires du projet Manhattan.
00:32 Le succès de cette gigantesque opération repose sur les prouesses d'un personnage hors du commun,
00:37 une femme dont l'exploit est resté secret jusqu'à aujourd'hui.
00:42 [Générique]
01:11 [Musique]
01:16 Les secrets de la bombe américaine, c'est moi qui les ai livrés à mon pays.
01:20 Et le plus incroyable, c'est que je ne les ai pas volés, mais je me les suis fait donner.
01:24 C'est mon histoire et je peux la raconter en détail, au risque de mettre en cause des personnalités célèbres.
01:30 Mon histoire a rejoint la grande histoire en octobre 1941, en pleine guerre mondiale.
01:35 [Explosion]
01:38 Le 22 juin 1941, Hitler ouvre son front de l'Est et 3 millions de soldats allemands envahissent le territoire russe,
01:45 avec l'objectif d'anéantir l'armée rouge.
01:50 Trois mois plus tard, les Allemands sont aux portes de Moscou.
01:59 Dans la nuit du 12 octobre 1941, Staline demande à voir Vassily Zarubin, le mari d'Elisabeth, lui-même un important agent soviétique.
02:09 Staline lui signifie de partir immédiatement avec sa femme en mission aux Etats-Unis.
02:16 Mon père m'a raconté à plusieurs reprises qu'il avait rencontré Staline.
02:22 Staline lui a défini le domaine central de sa mission, le renseignement politique.
02:29 Sa mission principale, d'après ce qu'il m'a raconté, était d'empêcher les Etats-Unis de conclure un accord séparé avec l'Allemagne.
02:41 Ce qui y avait beaucoup d'intérêt, à part les questions politiques, c'était les questions militaires et techniques.
02:49 C'est à ce moment-là qu'en URSS a été mis en œuvre ce qu'on appelait le renseignement scientifique et technique.
02:56 Parce que les Etats-Unis étaient, et le sont toujours aujourd'hui, un pays d'avant-garde dans le domaine technologique et scientifique.
03:03 Et cela intéressait beaucoup notre pays, toutes ces technologies modernes que les Américains ne voulaient pas nous transmettre eux-mêmes.
03:15 Et pendant cette rencontre de mon père avec Staline, celui-ci a prononcé une phrase étonnante.
03:22 Il a dit « Prenez soin de votre épouse ». Cela veut dire qu'il connaissait Elisabetha Zarubina.
03:37 Tout a commencé dans les années 30. Les services secrets m'avaient ordonné de partager ma vie avec un type très étrange, Yakov Blumkin.
03:45 Je l'avais suivi en Turquie. Il s'était rangé du côté de Trotsky et comploté contre Staline.
03:51 Un jour, j'ai reçu un nouvel ordre de Moscou. Tu organises son arrestation et tu le fais transférer en URSS.
03:57 Je savais bien qu'un peloton d'exécution l'attendait là-bas.
04:02 Quand il a été arrêté, j'étais là, devant lui. Et il m'a dit « Je savais que c'est toi qui me trahirais ».
04:10 C'est une intrigue digne d'Alexandre Dumas. Alors ce coup d'éclat, qui n'est pas absolument brillant,
04:18 même s'il montre une capacité évidente pour le renseignement, la bombarde tout de suite dans les organes, comme on dit déjà, à un poste beaucoup plus élevé.
04:28 On se dit que voilà, une fille qui n'a pas froid aux yeux, ça l'intéressait au plus haut point pour les services soviétiques.
04:33 Par ailleurs, c'est une belle fille, avec un type très roumain, avec des yeux de braise, des cheveux noirs, d'une grande intelligence et d'une grande subtilité.
04:44 J'avais déjà tourné la page Blumkin et j'avais fait une demande pour revenir en Europe.
04:54 Moscou m'a envoyé au Danemark auprès d'un de nos agents déjà très réputé.
04:58 Copenhague reste l'un de mes plus beaux souvenirs grâce à cet homme, Vassily Zarubin.
05:03 Celui qu'il est devenu mon mari et l'homme de ma vie.
05:07 Notre mission nous a emmenés à travers toute l'Europe. Et puis nous nous sommes arrêtés à Paris pendant deux ans.
05:14 Je connaissais Paris, j'y avais été étudiante à la Sorbonne. C'est là qu'est né Piotr Vassilievitch, notre fils.
05:22 Ces deux personnes, mon père et ma mère, étaient très différentes. Complètement différentes.
05:28 Et en même temps, ils se complétaient à merveille.
05:32 Lui, il était dynamique, combatif, c'était un homme courageux.
05:37 Mais la culture générale de ma mère était beaucoup plus riche.
05:46 Elisabeth et son mari arrivent en Allemagne, alors submergées par l'irrésistible montée du nazisme et de l'antisémitisme.
05:52 Loin de fuir cette terrible tempête de la persécution anti-juive, la juive convaincue et militante qu'est Elisabeth
05:59 pose au péril de sa vie les premières bases de son œuvre de recrutement et de création de réseaux.
06:06 Le risque que courait cette femme, dont le nom de jeune fille était Rosenweg, était énorme.
06:11 Elle travaillait littéralement en étant sur une lame de rasoir.
06:15 Elle aurait pu être arrêtée à n'importe quel moment.
06:19 Et elle était en train de se faire enlever.
06:22 Elle était en train de se faire enlever.
06:25 Elle était en train de se faire enlever.
06:28 Elle était en train de se faire enlever.
06:31 Elle aurait pu être arrêtée à n'importe quel moment.
06:35 Et si les Allemands avaient trouvé quelque chose, un indice,
06:38 elle aurait été exécutée immédiatement, sans passer par un camp de concentration.
06:44 La peur était là, bien sûr, omniprésente.
06:53 Mais je devais rester pour tous ces gens, pour les aider à fuir cette barbarie.
06:57 Alors j'ai pris des contacts et j'ai créé des réseaux pour les faire sortir d'Allemagne.
07:02 En faisant cela, j'ai rencontré beaucoup de gens.
07:05 Et parmi eux, j'ai recruté des agents.
07:08 C'est dans ces années terribles que j'ai vraiment commencé à mettre au point mes méthodes de réseau.
07:13 Dans toute l'Europe de l'Est de cette époque, les persécutions anti-juives sont extrêmement nombreuses.
07:20 Le Parti communiste est assez spontanément et sans calcul préalable sensible à cette situation
07:27 et trouve à recruter des gens qui sont dans des situations précaires.
07:31 Certains ensuite trouveront leur place dans le renseignement, c'est tout à fait évident.
07:35 Donc oui, Elisabeth Arosenzweig a dû, à un moment donné, participer aussi à cette action.
07:45 Elle a effectivement envoyé aux Etats-Unis plusieurs personnes pour les infiltrer dans la vie américaine.
07:52 Si on utilise la terminologie du renseignement, on appelait ces personnes des agents dormants.
08:00 Ces agents ont été endormis pendant 8 ou 9 ans.
08:06 Et ils ont été réveillés quand les Zarubines, Vasily et Elisabeth, sont arrivés à New York en 1941.
08:15 C'est précisément Zarubina qui les a réveillés.
08:21 Je suis allée en Amérique pour la première fois en 1936.
08:34 A Moscou, on avait déjà fait des Etats-Unis notre première cible de renseignement.
08:38 Et j'y suis allée à ce moment-là pour établir des contacts et créer des réseaux d'influence.
08:43 J'ai alors traversé toute l'Amérique, d'est en ouest et du nord au sud,
08:56 et je me suis immergée dans la vraie vie américaine.
08:59 Les gens, les villes, les paysages.
09:01 C'était pour moi très important de bien connaître les mœurs
09:04 et la façon de vivre de ces Américains que j'allais espionner.
09:07 Mon voyage avait aussi un autre objectif.
09:14 Approcher des personnalités célèbres et très influentes,
09:17 et créer avec elles une relation de confiance.
09:20 Il y avait un nom auquel nos dirigeants étaient très sensibles,
09:24 celui du grand savant Einstein.
09:26 Et je savais tout ce qu'un tel personnage pourrait un jour m'apporter.
09:30 Sa contribution scientifique a quand même été essentielle
09:34 dans le fait d'avoir élaboré le principe même de la bombe.
09:37 Et en plus c'est un juif allemand,
09:39 donc il me paraît évident, du point de vue soviétique,
09:43 qu'il était intéressant d'essayer au moins de circonvenir Einstein
09:48 et d'obtenir de lui des infos.
09:50 On a toujours eu des gens qui rôdaient autour d'Einstein
09:54 dans l'espoir de voir l'histoire de l'homme.
09:57 On a toujours eu des gens qui rôdaient autour d'Einstein
09:59 dans l'espoir de voir ce qu'il faisait
10:01 et comment on pouvait utiliser son action au mieux des intérêts soviétiques.
10:05 Même sa dernière maîtresse, une belle tchèque,
10:08 Konenkova, qu'on lui a envoyée à Princeton,
10:10 était une agente des services soviétiques.
10:12 Zarubina connaissait de longue date Margarita Konenkova,
10:16 la femme du sculpteur Konenkov
10:18 qui a réalisé la célèbre statue d'Einstein à Princeton.
10:21 Elle l'avait recrutée dès 1936.
10:24 Einstein était amoureux de la statue.
10:26 Einstein était amoureux d'elle.
10:28 Et un jour, Einstein lui a dit qu'il était sur le point de faire une immense découverte.
10:33 Margarita l'a racontée à Lisa,
10:36 et Lisa lui a demandé
10:38 « Peut-être pourrait-il te raconter de quelle découverte il s'agit ? »
10:43 Margarita m'a répondu qu'elle n'y comprenait rien.
10:49 Alors je lui ai dit « Retourne quand même le voir et interroge-le de nouveau.
10:52 Je suis sûre que lui saura trouver un moyen de te faire comprendre. »
10:56 Elle est retournée voir Einstein,
11:01 et il lui a dessiné des esquisses avec des explications bien placées.
11:05 Mais quand il lui a tendu les feuilles avec les croquis,
11:08 elle les a tout bonnement refusées en disant
11:10 « Non, je n'en veux pas. À quoi cela pourrait-il me servir ? »
11:19 Elle avait une excellente mémoire.
11:22 Après avoir rendu les feuilles à Einstein,
11:25 elle avait retenu toutes les images.
11:27 Et lors d'une rencontre avec Elisaveta,
11:30 elle lui a tout reproduit de mémoire.
11:33 Elle a essayé de lui expliquer
11:37 ce que lui racontait notre bon vieil ami Einstein.
11:47 Le 6 janvier 1939, une information bouleverse le monde scientifique.
11:51 Deux savants allemands, Otto Hahn et Fritz Strassmann,
11:55 publient un article dans lequel ils démontrent
11:57 la possibilité de la fragmentation de l'uranium.
12:00 L'Allemagne nazie est en marge vers l'arme nucléaire.
12:04 Leo Szilard, un physicien hongrois d'origine juive émigré aux USA,
12:12 est le premier à réagir à cet article.
12:16 Il pensait depuis longtemps aux possibilités d'une arme nucléaire.
12:20 Il était donc le mieux placé pour comprendre toute la portée de cette découverte.
12:25 Il a aussitôt voulu avertir le président Roosevelt,
12:29 mais il savait qu'il n'avait pas la notoriété suffisante pour l'atteindre.
12:33 C'est pourquoi il est allé voir Einstein.
12:36 Einstein était déjà très connu à l'époque, autant qu'aujourd'hui,
12:40 et Szilard l'a convaincu d'écrire avec lui
12:43 le document ensuite envoyé au président des USA.
12:46 Cette lettre est datée du 2 août 1939.
12:54 Dans sa réponse, Roosevelt l'informe de sa décision
12:57 de créer un comité pour étudier l'exploitation de l'uranium.
13:01 C'est la première marche du futur grand programme atomique américain.
13:05 C'est comme cela que le plan Manhattan a commencé.
13:10 À ce moment-là, il n'était pas encore connu sous ce nom.
13:13 C'était le comité uranium, un simple programme de recherche.
13:17 Le véritable plan atomique prendra encore du temps avant sa mise en œuvre.
13:21 La commission d'études qu'il nomme est composée de militaires
13:28 qui ne croient évidemment pas aux armes nouvelles,
13:31 parce que ça les mettrait au chômage.
13:33 Il y a un général qui dit dans une réunion à Einstein,
13:36 vous savez, les guerres se gagnent par le moral supérieur des combattants.
13:39 C'est impatient. Il dit, je me demande ce que je fais ici
13:42 et surtout je me demande à quoi servent les impôts que je paye,
13:45 si vous avez des idées pareilles.
13:47 Je laisse cette préhistoire de l'arme nucléaire,
13:50 mais elle est intéressante par son côté artisanal et non délibéré,
13:53 même dans un pays qui, comme les États-Unis, dispose maintenant
13:56 de l'essentiel des forces intellectuelles pour bâtir cette arme.
13:59 Nous avons quitté Moscou en 1941.
14:03 Je me rappelle très bien de cette nuit-là.
14:06 C'était celle du 13 octobre.
14:08 Vasily est rentré de son entretien avec Staline et il m'a dit,
14:11 dans deux jours, nous partons pour les États-Unis.
14:14 Nous avons quitté notre patrie avec la pensée que peut-être nous ne la reverrions jamais.
14:18 Et pourtant, j'étais remplie d'énergie et d'enthousiasme.
14:21 Nous ne parlions pas encore de bombes atomiques,
14:24 mais je pressentais que cette mission allait me permettre d'agir sur l'histoire.
14:28 Pendant la guerre, ce n'était pas simple pour aller aux États-Unis.
14:35 Voici comment nous avons voyagé.
14:38 D'abord, nous avons pris le train pour le Kazakhstan, Almaty.
14:44 Et de là, nous avons pris un petit avion, d'ailleurs de fabrication allemande.
14:48 Nous avons traversé toute la Chine en nous posant par-ci, par-là, via Hong Kong.
14:52 Et puis nous sommes arrivés à Manille, aux Philippines.
14:55 Là-bas, nous avons attendu pendant un moment un bateau américain,
15:03 un paquebot sur lequel nous avons traversé le Pacifique.
15:06 Quand notre paquebot s'est retrouvé au milieu de l'océan Pacifique,
15:12 le Japon a attaqué les États-Unis à Pearl Harbor.
15:15 Et notre paquebot civil s'est retrouvé au milieu de la zone de combat.
15:21 Le 7 décembre 1941, l'attaque surprise des Japonais sur Pearl Harbor
15:31 fait brusquement basculer l'histoire.
15:34 Les États-Unis, restés jusque-là dans une neutralité ambiguë,
15:38 entrent directement en guerre.
15:41 Le comité uranium lancé par Roosevelt, jugé trop poussif,
15:45 prend alors une autre dimension.
15:48 L'acharnement mis par les deux belligérants japonais et allemands
15:52 convainc Roosevelt qu'une véritable course de vitesse est engagée.
15:55 Et les Américains vont commencer à mettre des ressources importantes,
15:59 très importantes même dans la réalisation d'une bombe atomique.
16:02 Le véritable projet Manhattan constituait un grand effort national.
16:08 Il emploie plus de 100 000 personnes.
16:11 Vous ne pouvez pas faire la bombe sans uranium enrichi et sans plutonium.
16:17 La plupart des gens employés par le plan Manhattan
16:20 travaillaient sur cette exploitation de l'uranium
16:23 dans d'immenses bâtiments construits pour l'occasion.
16:27 Plus particulièrement, la production d'uranium était située à Oak Ridge,
16:31 dans le Tennessee, et celle du plutonium dans l'autre grand laboratoire,
16:35 à Hanford, dans l'État de Washington.
16:38 Il n'y aurait pas eu de bombe atomique sans ces deux sites principaux.
16:45 À Moscou, on s'active aussi sur le front du nucléaire.
16:54 Staline, même s'il ne croit pas ou ne veut pas croire à la bombe,
16:58 est informé par ses services de renseignement
17:01 de l'engagement américain dans l'aventure atomique.
17:04 Staline apprend que les Américains sont en train
17:07 d'essayer de concevoir une bombe d'un modèle complètement nouveau,
17:11 la bombe atomique.
17:13 Et Staline sait qu'il doit lui aussi essayer
17:16 d'abord de surprendre ce secret militaire,
17:19 et ensuite de faire un effort pour l'attraper.
17:22 Il doit surprendre ce secret militaire
17:25 et de chercher à son tour, avec ses savants,
17:28 à construire une bombe atomique.
17:31 L'URSS a d'excellents scientifiques,
17:34 mais l'industrie de l'URSS avait été dévastée
17:37 lors de la Seconde Guerre mondiale.
17:40 En septembre 1942,
17:45 Staline confie la mise en œuvre du plan atomique à Laurent Tiberiat,
17:49 le grand chef de la sécurité intérieure et extérieure de l'URSS.
17:53 Le fait que Beria est directement en charge du problème
18:00 signifie que la force sur laquelle tout repose,
18:03 au départ au moins,
18:05 c'est les capacités d'espionnage aux Etats-Unis.
18:08 Le travail sur le projet nucléaire a reçu dans les services de renseignement
18:12 un nom codé, "Operation Enormous" ou "Le Projet Enormous",
18:16 ce qui est traduit comme "énorme", "immense",
18:19 bref, comme quelque chose de sérieux.
18:22 Nous avons d'abord vécu à New York,
18:34 et puis nous nous sommes installés à Washington.
18:37 C'était vers la fin 1942.
18:42 Vassily est devenu un haut représentant officiel,
18:45 le numéro 3 de l'ambassade.
18:47 En réalité, il dirigeait tous nos agents sur le territoire américain
18:50 depuis ce bâtiment.
18:52 Moi, je n'avais aucun statut officiel.
18:56 J'étais ce qu'on appelle un résident illégal.
18:59 Cela me convenait parfaitement.
19:01 J'étais moins surveillé, je pouvais me déplacer librement
19:04 pour retrouver mes contacts à travers tout le pays.
19:11 Quand nous avons tous emménagé à Washington,
19:14 au début de l'année 1943,
19:16 mon père est devenu l'agent de renseignement le plus important
19:19 sur tout le continent américain.
19:21 Je ne le savais pas à l'époque, bien sûr,
19:28 et je l'ai senti assez rapidement
19:30 parce que mon père a commencé à m'assigner des tâches.
19:33 Parfois, avant de sortir de la maison, il disait,
19:36 "Vas-y, fais le tour de la maison et regarde ce qui se passe autour."
19:40 Je rentrais et je lui racontais qu'au coin de la rue,
19:43 j'avais vu une voiture avec deux hommes dedans,
19:46 ou quelque chose comme ça.
19:48 C'est comme ça que ça se passait.
19:54 Vous savez, j'étais enfant, j'avais 10, 11 ans.
19:57 Je ne comprenais pas trop, mais de temps en temps,
20:00 mes parents, tantôt mon père, tantôt ma mère,
20:03 tantôt tous les deux ensemble,
20:05 disparaissaient pour un jour ou deux.
20:08 À l'époque, je ne comprenais pas où ils partaient.
20:11 Donc, comme ils disparaissaient de la maison,
20:14 ça voulait dire qu'ils travaillaient sur quelque chose.
20:17 Le 17 septembre 1942, les autorités américaines
20:22 nomment Leslie Groves à la tête du plan atomique.
20:25 Un colonel que l'on promeut pour l'occasion au titre de général.
20:29 C'est lui qui trouve le nom de Manhattan Project.
20:32 Groves n'était pas un scientifique,
20:36 c'était un ingénieur.
20:38 Il venait de construire le building du Patagone
20:41 juste avant la Seconde Guerre mondiale.
20:43 Après cette réalisation, il avait pensé être envoyé
20:46 au combat en Europe ou dans le Pacifique.
20:49 Aussi était-il déçu quand il a appris sa nomination
20:52 à la tête de ce plan secret.
20:54 Moins d'un mois après sa nomination, le 8 octobre,
20:59 Groves rencontre Oppenheimer à Berkeley.
21:03 Le 25 février 1943, bien qu'il ne fasse pas l'unanimité,
21:07 Oppenheimer, imposé par Groves, devient le directeur
21:10 scientifique du plan Manhattan.
21:12 Ainsi entrait en scène celui qui allait rester dans l'histoire
21:16 comme le père de la première bombe atomique.
21:19 Robert Oppenheimer était un homme vraiment complexe.
21:24 Ses parents étaient des émigrés allemands,
21:26 mais lui-même est né à New York.
21:28 Il s'est révélé très tôt un brillant étudiant,
21:32 très en avance.
21:33 Un jour, son professeur l'a renvoyé à la bibliothèque
21:36 parce qu'il en savait plus que lui.
21:38 Il est entré ensuite à l'université d'Harvard
21:45 et il a été diplômé au bout de trois ans.
21:47 Plusieurs universités à travers le pays lui ont offert un poste,
21:51 mais il a choisi Berkeley, où il a travaillé sur le cyclotron.
21:55 Et il a amené la physique nucléaire à l'ouest du pays,
21:59 qui était alors un désert dans ce domaine.
22:01 Il a été déçu parce qu'il a dit que pour la physique,
22:03 c'était un désert, qu'il n'y avait rien qui se passait.
22:05 Groves et Oppenheimer, le militaire et le scientifique,
22:11 le couple mythique de l'aventure atomique américaine.
22:14 Deux personnages que tout opposait
22:17 et qui allaient pourtant former l'attelage parfait
22:19 pour conduire la locomotive nucléaire.
22:21 Je pense que Groves a choisi Oppenheimer pour deux raisons.
22:28 La première est qu'il a été capable de lui expliquer
22:30 avec des mots simples tout ce que devait être ce plan atomique.
22:33 Et la deuxième raison est qu'Oppenheimer était jeune et avide de célébrité.
22:41 Il y avait d'autres scientifiques ou physiciens plus réputés
22:45 qui auraient pu être choisis.
22:47 Mais Groves voulait quelqu'un d'ambitieux,
22:50 quelqu'un qui ne compterait pas son temps et qui travaillerait dur.
22:53 Pas quelqu'un qui dirait « j'ai déjà le prix Nobel ».
22:57 Et Oppenheimer était définitivement l'homme qui convenait.
23:00 La première mission que Groves assigne à Oppenheimer
23:06 consiste dans le choix et le recrutement des savants.
23:08 C'est un fabuleux challenge à relever.
23:11 Oppenheimer devient une sorte de coach scientifique
23:14 chargé de composer la plus extraordinaire équipe de savants que l'on ait vue.
23:17 Oppenheimer était capable de recruter les meilleurs talents scientifiques
23:23 à travers tout le pays.
23:25 Il allait les voir et il leur disait
23:27 « Nous travaillons sur un plan top secret et je ne peux pas vous dire de quoi il s'agit.
23:31 Mais si vous acceptez, vous viendrez nous rejoindre dans un très bel endroit des Etats-Unis
23:36 et vous participerez à un projet très important pour l'effort de guerre. »
23:40 A cette époque, Oppenheimer a recruté lui-même les grands patrons des laboratoires.
23:47 Des gens comme Robert Parker, Hans Betz, Enrico Fermi
23:54 et ceux-ci travaillaient avec les meilleurs étudiants en qui ils avaient une grande confiance.
24:01 Ce fut vraiment une incroyable collection de génie scientifique.
24:09 J'avais très vite compris que la cible à viser, c'était les savants.
24:15 Le plan Manhattan était une gigantesque machine et il évoluait comme un animal monstrueux.
24:20 Moi, j'agis comme les grands prédateurs.
24:23 Ils attaquent toujours à la tête.
24:25 Et la tête de Manhattan, c'était cette réunion de savants.
24:28 J'avais eu les contacts en 1936. Je savais comment les atteindre.
24:32 J'avais toutes les clés. C'était ma mission. Je ne devais pas échouer.
24:36 Dans son premier voyage en 1936, visitant la côte ouest,
24:41 elle est devenue l'amie de la femme d'Oppenheimer
24:45 puisque la femme d'Oppenheimer était une militante communiste ouverte.
24:48 Elle distribuait des tracts et prenait position, participait à des élections.
24:52 Et elles ont sympathisé tout naturellement.
24:55 Elle soutenait énormément Lisa, avec qui elle était très amie.
25:03 Elle l'aidait à entrer dans l'intimité de Robert Oppenheimer, son mari.
25:09 Oppenheimer avait été imposé par Groves malgré de fortes réticences quant à son passé politique.
25:18 Mais la question de sa véritable relation au communisme restait comme une ombre portée sur son choix à la tête du programme atomique.
25:25 Durant la Grande Dépression, Robert Oppenheimer a commencé à être publiquement connu pour ses positions de gauche.
25:34 Durant les années 30, dans les universités et à travers le pays, on supportait le Parti communiste.
25:40 C'était au moment où le fascisme et le nazisme explosaient en Europe.
25:44 Et les seuls qui s'y opposaient vraiment, c'était les personnes proches du Parti communiste.
25:48 Il s'est alors radicalisé, politisé.
25:55 Et avant la Seconde Guerre mondiale, le FBI a mis Robert Oppenheimer sur sa liste de personnes à surveiller.
26:01 Et éclate la bombe du pacte germano-soviétique.
26:07 Et là, tous les témoignages le montrent, Oppenheimer a rompu avec eux.
26:12 Lorsqu'il est désigné par Leslie Groves, il n'était plus intéressé par les soviétiques et par le communisme.
26:20 Il était intéressé par la puissance américaine.
26:22 Mais il restait un homme de gauche.
26:24 Le général Groves se confrontait maintenant au deuxième grand challenge de l'organisation du plan.
26:31 Réunir en un même lieu tous les savants recrutés, qui étaient alors disséminés dans les universités aux quatre coins des Etats-Unis.
26:41 Les savants étaient disséminés à travers toutes les universités du pays.
26:45 Et pour communiquer entre eux, il ne suffisait pas de téléphoner.
26:48 Il fallait écrire, donner les documents à des courriers, qui les mettaient dans des attachés-case menottés aux poignets.
26:55 Ensuite, il fallait parcourir en train tout le pays.
26:58 La nécessité de trouver un laboratoire central s'est vite imposée.
27:02 Le lieu à trouver devait répondre à des critères.
27:07 Il devait être isolé, facile à acquérir, capable d'être protégé,
27:15 être loin dans les terres, car on craignait les sous-marins, les attaques de commandos venues de la mer.
27:22 Oppenheimer avait aussi exposé la nécessité de vastes espaces pour les essais de la bombe.
27:33 Groves avait envoyé plusieurs officiers à la recherche d'un lieu approprié.
27:38 Mais aucun n'avait ramené une proposition satisfaisante.
27:42 Alors, Oppenheimer invita le général Groves à l'accompagner dans une exploration des somptueux paysages du Nouveau-Mexique.
27:50 Et le persuada très vite que le lieu idéal se trouvait ici.
27:55 Oppenheimer est venu au Nouveau-Mexique lorsqu'il était jeune.
27:59 Il avait été malade pendant un an et on l'avait envoyé reprendre des forces dans le nord du Nouveau-Mexique
28:04 lors du dernier mois de sa convalescence.
28:06 Et il est tombé amoureux de cette région.
28:10 Los Alamos a ainsi été choisi par Oppenheimer.
28:15 C'était à ses yeux le lieu idéal et Groves a approuvé son choix.
28:20 La formidable logistique du plan Manhattan allait aussitôt investir cet impressionnant décor de western.
28:29 [Musique]
28:35 Maintenant, les meilleurs savants du pays qui affluaient de tous les états pouvaient s'installer.
28:41 Tout était à construire et à faire sortir de terre.
28:46 Mais l'aventure atomique de Los Alamos pouvait désormais commencer.
28:54 Vous vous souvenez peut-être de la fameuse ruée vers l'or au 19e siècle.
28:59 Quelque soit l'endroit où on trouvait de l'or, en une nuit poussait une ville champignon.
29:04 Je pense que Los Alamos a été réellement une ville champignon, atomique.
29:09 On a construit en quelques mois un laboratoire, des bâtiments d'habitation,
29:13 tous les bâtiments administratifs et les bâtiments techniques pour l'uranium et le plutonium.
29:18 Tout cela a été très, très vite.
29:22 C'est un jour, en roulant vers Santa Fe et Albuquerque,
29:25 que j'imaginais mon plan pour atteindre les secrets de la bombe américaine.
29:29 Tout Los Alamos était en proie à une frénésie de sécurité et de contrôle,
29:33 mais je n'aurais même pas y entré moi-même.
29:36 Il s'agissait d'y introduire d'autres savants, nos complices, qui seraient nos contacts à l'intérieur.
29:42 A l'origine, Los Alamos était un lieu de travail pour les américains.
29:48 A l'origine, Los Alamos était un site militaire,
29:52 et tous les gens qui s'y trouvaient devaient être des militaires, Oppenheimer inclus.
29:56 Il devait être fait lieutenant-colonel. Il avait même déjà commandé son uniforme.
30:01 Le problème, c'est que les savants qu'il essayait de recruter
30:04 faisaient déjà des recherches en tant que civils sur des projets militaires importants.
30:09 Moi, je suis un universitaire, et nous sommes d'un esprit très indépendant.
30:14 J'enseigne comme je veux, et personne ne nous dit comment il faut enseigner.
30:19 C'est assez différent des militaires.
30:24 Cela a donné lieu à des conflits avec ces savants très intelligents.
30:28 Ils avaient le sentiment que l'armée les brimait.
30:32 Mais il y a eu des tentatives pour que les savants se plient aux règles militaires.
30:43 Il y avait parmi eux un homme merveilleux, Richard Freidman.
30:47 Il était le clown de la bande.
30:50 Il trouvait des ouvertures dans la clôture, et il sortait du camp.
30:53 Puis il repassait par le poste de contrôle, puis il recommençait.
30:56 Et on lui demandait "mais quand êtes-vous sorti ?"
31:00 Ce rapport tendu entre les militaires et les savants
31:10 se introduit au cœur de la dimension humaine de Los Alamos.
31:14 La suspicion de déloyauté conçue dès le départ,
31:19 à l'encontre de savants aux origines les plus diverses,
31:22 ne s'est jamais démentie.
31:25 On sait que ces gens viennent de gauche, et même de l'ultra-gauche.
31:31 Donc on les surveille, on se méfie.
31:35 Ils sont l'objet d'une suspicion extraordinaire des militaires américains.
31:40 Qui eux ne sont pas forcément progressistes,
31:43 ils sont même loin d'être progressistes.
31:46 Les savants ont été recrutés pour leurs talents scientifiques.
31:51 Ce n'est qu'après qu'on a évalué et vérifié leur passé personnel.
31:55 Et cela ne s'est pas réellement posé comme un gros problème.
31:59 Ils sont maîtres du jeu, forcément.
32:04 On a besoin d'eux. On ne pouvait pas agir sans eux.
32:08 Donc d'une certaine façon, c'est eux qui détenaient la puissance.
32:12 Ça devait être un climat, une atmosphère tout à fait étonnante, Los Alamos.
32:18 Le pouvoir scientifique et le pouvoir militaire
32:24 étaient condamnés à s'entendre pour le succès de la recherche atomique.
32:28 Les deux hommes qui incarnaient ces pouvoirs,
32:31 réciproques, allaient se rejoindre pour accorder des modes de fonctionnement,
32:35 souvent opposés.
32:37 Groves ne voulait pas que ce savoir soit partagé.
32:42 Il voulait compartimenter.
32:44 C'était l'un des motifs de conflit entre savants et militaires.
32:48 Les savants disaient, on a besoin de savoir sur quoi chacun travaille.
32:53 Donc Oppenheimer a poussé pour plus de communication
32:57 entre les savants et les différentes disciplines.
33:00 Finalement, Groves l'a autorisé à contre-coeur, car il ne le voulait vraiment pas.
33:04 Il a dû prendre conscience qu'il y avait une différence entre sécurité et secret.
33:09 Les scientifiques s'imposaient eux-mêmes le secret.
33:12 Ils comprenaient le besoin de garder la plupart de ces informations secrètes
33:16 à cause des conséquences potentielles.
33:18 Ma longue expérience m'a appris que pour obtenir leurs secrets,
33:21 il faut entrer dans l'histoire de ceux qui les détiennent.
33:24 Car c'est notre histoire personnelle qui détermine nos comportements.
33:28 [Musique]
33:35 La plus grande partie des savants qui vivaient dans ces maisons en bois,
33:38 ici à Los Alamos, étaient des immigrés juifs venus d'Europe,
33:42 chassés par l'antisémitisme.
33:44 Leur histoire, je la connaissais bien.
33:47 Je l'avais vécue moi-même en Allemagne
33:49 et j'en avais même rencontré certains que j'avais aidé à fuir.
33:52 Je pense qu'il n'y aurait certainement pas de bombe atomique
33:56 si une bonne partie de ces gens qui étaient là
33:59 n'étaient pas des réfugiés de l'Europe occupée
34:02 et qu'ils n'avaient pas fait l'expérience directe
34:05 du mal absolu que représentait Hitler.
34:09 Pour la plupart des physiciens nucléaires,
34:13 le spectre de la possession de la bombe par les nazis
34:16 les motivait à travailler dur.
34:19 Une partie de la famille d'Oppenheimer a été tuée en Allemagne.
34:24 Enrico Fermi a dû fuir l'Italie parce que sa femme était juive.
34:28 C'était des situations très personnelles pour la plupart d'entre eux.
34:32 La recherche scientifique menée à Los Alamos est unique
34:42 et souvent terrible pour les savants.
34:45 Car pour la première fois dans l'histoire,
34:47 des scientifiques travaillent à la mise au point d'une arme
34:50 qui peut détruire toute l'humanité.
34:54 Quel savant ne s'interrogerait-il pas au fond de lui-même
34:58 sur son rôle dans cette aventure apocalyptique ?
35:01 Les savants sont à la fois emportés par leur travail
35:06 parce qu'ils sont à la veille de découvrir des choses formidables,
35:09 inquiétantes mais formidables.
35:11 En même temps, ils prennent conscience de s'aventurer
35:14 dans un domaine extrêmement dangereux.
35:17 Ce sont des cas de conscience extraordinaires
35:20 qu'ont dû vivre ces savants de Los Alamos.
35:23 À un moment donné, ils ont dû avoir l'impression
35:26 d'avoir eu droit de vie et de mort sur l'humanité.
35:31 Ça, c'est terrible.
35:36 Ils savaient ce qu'ils faisaient.
35:43 Personne ne souhaitait lâcher une bombe nucléaire sur une ville.
35:46 Mais ils avaient conscience que s'ils créaient la bombe,
35:49 ils pourraient éviter plus vite le conflit,
35:51 le plus terrible que l'humanité ait connu.
35:53 Aussi, ils pesaient le pour et le contre.
35:56 Oppenheimer en est le parfait exemple.
36:03 Je pense qu'il aurait été plus heureux
36:05 si la bombe avait été une impossibilité physique.
36:08 Mais elle était possible.
36:10 Il savait bien ce que les armes nucléaires allaient provoquer.
36:13 Et je pense que cela a vraiment pesé sur sa conscience,
36:16 le fait de se dire qu'il a donné au monde cette technologie.
36:20 Parfois, son visage paraissait torturé, inquiet ou ailleurs.
36:29 En regardant les photos, on se demande ce qui se passe sur ce visage.
36:34 Parce que ça se voit à son expression
36:37 que quelque chose le trouble et même le torture.
36:43 Dès la première fois où je l'ai vu, je l'ai lu dans ses yeux.
36:47 Tous ses combats intérieurs s'y reflétaient comme dans un miroir.
36:51 Et je me disais, un tel homme, même avec son génie, est vulnérable.
36:57 Dans le camp retranché de Los Alamos,
37:01 nous savions qu'une vie quotidienne s'installait.
37:04 Une vraie société autonome avec ses rites communautaires.
37:07 Mais à l'extérieur, le monde continuait son existence,
37:10 l'histoire poursuivait sa route tumultueuse.
37:13 La faille était là, derrière cet isolement.
37:16 Leurs interrogations sur la bombe atomique
37:21 devaient ramener les savants à une actualité de plus en plus pressante.
37:25 Dans la confiance que j'avais su créer,
37:28 il me suffisait d'être au bon endroit, au bon moment.
37:32 On pense que dans la popote de Los Alamos,
37:36 dans les heures d'attente, on parlait beaucoup.
37:39 Et je vois tout à fait une partie de ces gens discutant,
37:43 je dirais presque intellectuellement,
37:45 de ce que va être l'avenir de la bombe,
37:47 et ayant l'idée qu'il ne faudrait pas que l'Union soviétique meure ignorante.
37:51 Ces savants ont compris, et parmi les premiers,
37:57 que si un seul pays possédait cette arme terrifiante,
38:01 il ne pourrait en résulter qu'un drame futur.
38:05 Parce que ce serait tellement tentant pour asseoir sa suprématie internationale,
38:10 de l'utiliser.
38:12 Les scientifiques américains voulaient associer l'Union soviétique,
38:21 parce que c'était clair que c'était un adversaire des États-Unis.
38:24 C'est la première chose.
38:26 Ensuite, c'était aussi clair que c'était un État
38:28 qui avait des possibilités de créer son contrepoids.
38:33 Il y avait peu de chances pour que d'autres pays
38:35 puissent contrebalancer la puissance des États-Unis.
38:38 Mais l'URSS pouvait le faire.
38:40 Elle en avait les ressources, tant matérielles, intellectuelles, qu'idéologiques.
38:45 C'est pourquoi il n'y avait pas d'autre choix.
38:49 Et à un moment donné, certains ont dû,
38:57 ça c'est mon hypothèse personnelle,
39:00 décider de transmettre un certain nombre de choses qu'ils savaient
39:03 à des gens qui eux-mêmes seraient en mesure de les faire sortir.
39:08 Parce que je ne vois pas, sans des complicités importantes,
39:12 une telle avalanche de papiers et d'informations
39:16 qui vont inonder littéralement les laboratoires soviétiques.
39:19 Vous pouvez avoir des opinions extrêmes dans une direction ou dans une autre.
39:29 Cela ne signifie pas que vous allez trahir votre pays.
39:32 J'ai le sentiment qu'Oppenheimer a été un citoyen américain loyal.
39:38 Il a été approché indirectement pour livrer les secrets de Los Alamos aux Soviétiques.
39:43 Mais il a dit qu'il pensait que ce n'était pas le bon chemin à prendre.
39:48 Si cela devait être fait,
39:50 ce serait par des gens bien plus haut placés dans le gouvernement.
39:53 Cela serait une affaire entre le gouvernement américain
39:56 et le gouvernement soviétique, qui était alors notre allié.
39:59 J'ai le sentiment qu'une fois que les États-Unis sont entrés en guerre
40:03 et qu'Oppenheimer a rejoint le projet Manhattan,
40:06 il est devenu un citoyen américain loyal et n'a pas livré de secrets.
40:09 Désigner tous ceux qui ont ouvertement travaillé pour nous,
40:13 parmi les scientifiques américains, nous ne pouvons pas le faire,
40:16 en raison de considérations éthiques.
40:18 Le cas de Léo Zillard m'avait fait réfléchir.
40:22 Il avait manifesté trop ouvertement sa sympathie pour l'URSS
40:26 et il avait été interdit à Los Alamos.
40:29 Il ne fallait pas que cela arrive aux autres savants,
40:32 et surtout pas à Oppenheimer.
40:34 J'ai souvent abordé la question chez lui.
40:36 Le drame d'Oppenheimer, c'était sa fidélité.
40:39 Fidélité à son pays, mais aussi fidélité à ses idées progressistes.
40:43 On devait le protéger contre lui-même.
40:46 Aussi, je ne l'ai jamais poussé à mettre en avant ses opinions.
40:50 Elle avait d'autres objectifs.
40:52 Elle voulait, en particulier, le contraire.
40:55 Demander à Oppenheimer d'exprimer moins de sympathie pour l'URSS,
41:00 pour le mouvement progressiste autrement dit,
41:03 et d'être plus discret sur ce plan.
41:06 Ne nous oublions pas de ce qui, quand, et quand.
41:15 Nous ne devons pas oublier ce qui, quand, et quand.
41:19 N'oublions pas que quand Zarubina s'est adressé à Oppenheimer
41:22 pour lui demander d'accorder un poste à plusieurs Allemands antifascistes,
41:26 il a accepté.
41:28 Et ces gens ont été embauchés.
41:31 Ces hommes avaient fui l'Allemagne pour les États-Unis,
41:38 pour la Grande-Bretagne et dans d'autres pays.
41:43 Et parmi ces quelques personnes qui ont été embauchées
41:45 pour travailler sur la bombe atomique,
41:48 se trouvait cet homme, Klaus Fuchs.
41:51 Klaus Fuchs était un vrai militant,
41:59 et son activisme pro-communiste était de notoriété publique.
42:03 Arrêté en 1950 aux États-Unis,
42:06 il a passé 9 ans dans les prisons américaines.
42:09 Libéré, il est revenu en Allemagne de l'Est,
42:12 où il a été reçu en héros national et a été décoré.
42:15 À l'exemple de Fuchs, j'ai fait entrer d'autres savants complices.
42:23 Ils joueront plus tard un rôle de fusible
42:25 pour préserver Oppenheimer et son équipe.
42:28 Mais ici, ce sont eux,
42:31 comme Ponte Corvo ou Hall,
42:33 qui sans scrupule vont assurer la transmission des informations.
42:37 Ted Hall était juste un adolescent,
42:41 diplômé d'Harvard à 18 ans.
42:43 À Los Alamos, il travaillait sur les masses critiques,
42:46 sur la quantité de matière nécessaire pour faire la bombe atomique.
42:49 Il travaillait sur les deux projets de bombe,
42:51 Little Boy et Fat Man,
42:53 et il se trouvait ainsi dans une position
42:55 où il pouvait transmettre beaucoup d'informations sensibles.
42:59 Théodore Hall était connu sous le pseudonyme "Mlad",
43:08 et il transmettait les documents par paquets.
43:10 Je souligne par paquets.
43:13 Directement de Los Alamos, via des agents soviétiques.
43:17 Nous avions établi nos bases tout autour de Los Alamos,
43:25 particulièrement à Santa Fe et Albuquerque.
43:28 Beaucoup de nos agences y étaient installées.
43:32 D'ailleurs, ces villes étaient devenues de véritables nids d'espions
43:36 de toute origine et de toute nationalité.
43:40 À Santa Fe, nous avions même racheté un fast-food
43:43 qui est devenu notre relais principal.
43:46 Nos savants complices, comme Fuchs ou Hall,
43:50 sortaient les documents de Los Alamos
43:52 et les remettaient à des agents que j'avais appelés des "messagers".
43:56 Ceux-ci prenaient le train à la gare d'Albuquerque
44:00 pour amener les documents jusqu'à Washington,
44:02 d'où ils étaient expédiés jusqu'à Moscou,
44:04 par valise diplomatique.
44:08 Le système était parfaitement verrouillé.
44:11 Et en plus, on doublait les filières de transmission,
44:14 chacun ignorant le rôle des autres acteurs de la chaîne.
44:18 Ma mère était en contact avec 18 agents.
44:25 Je pense que personne parmi eux ne devait connaître son vrai nom.
44:30 C'était un système déjà bien huilé.
44:34 La liaison était bien établie.
44:36 Et il y avait ces gens formidables,
44:38 Maurice et Leontina Cohen-Kroeger.
44:41 Ils assuraient la liaison et réceptionnaient les documents.
44:45 Maurice Cohen était le chef du réseau que j'avais mis en place
44:50 autour de Los Alamos.
44:52 Quant à Lona Cohen, elle était la plus brillante de nos messagers.
44:56 Un jour, Lona est allée à la gare d'Albuquerque.
44:59 On était en 45 et elle avait sur elle les ultimes documents.
45:03 Partout, des inspecteurs du FBI.
45:06 Elle entre dans les toilettes et là,
45:08 elle fourre les documents dans une boîte de Kleenex.
45:11 Au moment du contrôle, elle la donne à un inspecteur
45:14 et fin de l'oubli entre ses mains.
45:17 Et elle monte dans le train.
45:19 Lona m'a confié qu'elle n'avait pas réfléchi à ce qu'elle faisait,
45:23 mais qu'une voix intérieure lui avait affirmé
45:25 qu'il lui ramènerait la boîte de Kleenex.
45:28 C'est ce qu'il a fait.
45:31 Quelques mois auparavant, à la fin de l'été 44,
45:34 Elisabeth Zaroubina et son mari
45:36 avaient été brusquement rappelés à Moscou par le KGB.
45:39 L'organisation mise en place par Elisabeth
45:42 fonctionnait rondement par elle-même
45:44 et l'opération d'espionnage
45:46 touchait à son terme avec un plein succès.
45:49 Les informations dérobées à Los Alamos
45:53 ne cessaient d'enrichir les laboratoires
45:55 et les espionnages.
45:57 Mais ce départ inopiné du couple d'espions
45:59 était très étonnant.
46:01 Et surtout, il était accompagné de Roland de Scandale
46:04 et de Trahison.
46:06 A l'époque, je ne savais pas pourquoi.
46:10 On m'a simplement dit "demain, on prend l'avion".
46:13 Et c'est tout.
46:15 Aujourd'hui, j'en connais très bien la raison.
46:19 C'est que je suis allé à Moscou,
46:21 et j'ai vu que les espions
46:23 n'étaient pas là pour moi.
46:25 Aujourd'hui, j'en connais très bien la raison.
46:28 C'est un adjoint de mon père, un certain Mironov.
46:31 Il a écrit une lettre à Staline,
46:33 il l'a écrit à Hoover.
46:35 Et il a affirmé que ma mère était une espionne allemande
46:39 et que mon père était un espion japonais.
46:42 Il a donné la liste de tous les agents
46:44 de renseignement de l'ambassade.
46:46 Tous.
46:48 Ils n'ont pas été arrêtés.
46:52 Mais les interrogatoires étaient durs,
46:54 surtout en ce qui concerne Vassily.
46:56 Lisa, elle, était hors de soupçon en particulier.
46:59 L'enquête a duré six mois, et s'est arrêtée.
47:02 Toutes les accusations contre nous sont tombées.
47:05 On m'a même décerné l'étoile rouge,
47:07 la plus haute distinction militaire.
47:10 Quand la bombe américaine a été lâchée sur le Japon,
47:15 j'étais à Moscou.
47:17 J'ai vu les images d'Hiroshima et de Nagasaki.
47:21 Et je n'ai pas pu m'empêcher de penser
47:24 à tous ces savants pacifistes, Robert Oppenheimer en tête,
47:28 qui étaient à l'origine de cette horreur absolue.
47:31 Il y avait alors des hommes politiques américains
47:36 qui pensaient qu'avec l'arme atomique,
47:38 le XXe siècle serait le siècle américain.
47:41 Et des documents montrent que certains hommes politiques
47:44 et certains dirigeants, même avant la fin de la guerre,
47:47 voulaient vraiment cela.
47:50 Même un pays qui démarre démocratique,
47:53 mais qui dispose d'un tel moyen sans aucun contrepoids,
47:56 finit comme une dictature.
47:58 Et d'ailleurs, ce n'est pas une hypothèse, nous l'avons eue.
48:01 En 1945, Hiroshima permettrait directement aux Américains
48:05 d'occuper le Japon sans combat,
48:07 et d'accréer un vice-empereur américain
48:10 en la personne du général MacArthur.
48:12 Or MacArthur est soumis à aucun contrôle démocratique.
48:16 L'explosion de la bombe soviétique dans le Kazakhstan
48:19 crée une nouvelle situation historique.
48:22 Les États-Unis ne sont plus les seuls à détenir l'arme absolue.
48:27 Face à eux, l'URSS accède au rang de superpuissance
48:32 et peut désormais traiter d'égal à égal.
48:35 Les Américains ont été choqués quand ils ont découvert
48:40 que l'armée américaine avait été détruite.
48:43 Les décideurs de Washington pensaient que les Soviétiques
48:46 étaient en retard de deux, voire dix ans.
48:49 Mais en août 1949, personne ne s'y attendait.
48:56 L'armée américaine a été détruite.
48:59 Le pays est en retard de deux ans.
49:02 Les États-Unis ont été choqués quand ils ont découvert
49:05 que l'armée américaine avait été détruite.
49:08 Les décideurs de Washington pensaient que les Soviétiques
49:11 étaient en retard de deux, voire dix ans.
49:14 Les États-Unis ont été choqués quand ils ont découvert
49:17 que l'armée américaine a été détruite.
49:20 Les États-Unis ont été choqués quand ils ont découvert
49:23 que l'armée américaine avait été détruite.
49:26 Ce que sans doute n'avaient pas prévus les savants,
49:29 c'est que grâce à l'espionnage, on allait vivre
49:32 quand même quelques décennies de coexistence pacifique
49:35 entre les deux blocs.
49:38 Au final, on a assisté à la création de ce monde
49:41 que l'on appelle bipolaire, qui a tenu le coup,
49:44 Dieu merci, jusqu'en 1991.
49:47 Ça a permis de maintenir beaucoup plus de stabilité
49:50 que ce qu'on a aujourd'hui.
49:53 Pour cela, on peut remercier les services de renseignement
49:56 et les scientifiques américains, et les nôtres,
49:59 qui ont créé la bombe.
50:02 Le directeur des services qui m'a recrutée m'a dit un jour
50:05 « L'anonymat est la meilleure récompense pour un agent secret. »
50:08 Mais pour moi, la vraie récompense, c'est que je sais bien moins
50:11 ce que j'ai fait pour que l'URSS ait la bombe atomique.
50:14 ce que j'ai fait pour que l'URSS ait la bombe atomique.
50:17 Ma mère a été jetée des services de renseignement après la guerre.
50:20 Ma mère a été jetée des services de renseignement après la guerre.
50:23 Elle ne s'est jamais plainte, mais elle n'a jamais pardonné.
50:26 Elle ne s'est jamais plainte, mais elle n'a jamais pardonné.
50:29 La mort de Zarubina était inattendue.
50:32 La mort de Zarubina était inattendue.
50:35 Je pense qu'elle aurait pu continuer à vivre.
50:38 Mais en sortant d'un bus, elle est tombée,
50:41 elle s'est cassée une jambe et a subi une opération.
50:44 elle s'est cassée une jambe et a subi une opération.
50:47 C'est ce qu'on m'a dit.
50:50 Je ne suis pas sûr que ce soit vrai.
50:53 Je pense qu'elle a emporté beaucoup de secrets dans sa tombe.
51:07 Je pense qu'elle a emporté beaucoup de secrets dans sa tombe.
51:10 À mon avis, les gens qui choisissent le métier d'agent de renseignement
51:13 À mon avis, les gens qui choisissent le métier d'agent de renseignement
51:16 surtout quand on est agent illégal, doivent s'attendre à ce qu'on ne parle pas d'eux
51:19 surtout quand on est agent illégal, doivent s'attendre à ce qu'on ne parle pas d'eux
51:22 et à rester dans l'oubli pendant de nombreuses années.
51:25 Cela concerne surtout les agents de renseignement qui n'ont jamais été attrapés.
51:28 Cela concerne surtout les agents de renseignement qui n'ont jamais été attrapés.
51:31 Et ma mère n'y fait pas exception.
51:34 Et ma mère n'y fait pas exception.
51:38 Le métier d'agent de renseignement est un métier de reconnaissance.
51:41 Le métier d'agent de reconnaissance est un métier de reconnaissance.
51:44 Le métier d'agent de renseignement est un métier de reconnaissance.
51:47 Le métier d'agent de renseignement est un métier de reconnaissance.
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