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Aujourd’hui dans « Les 4 V », Julien Arnaud revient sur les questions qui font l’actualité avec Yannick Haenel, écrivain et chroniqueur de Charlie Hebdo.

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Transcription
00:00Et c'est vrai que ce sont des cas de vie un petit peu particulières ce matin.
00:05Bonjour Yannick Henel.
00:06Bonjour.
00:07Et merci d'être avec nous.
00:08Alors, ça fait dix ans, vous, que vous écrivez une chronique pour Charlie Hebdo.
00:11Vous allez nous dire comment ça s'est passé.
00:13Mais d'abord, peut-être, vous qui connaissez Charlie de l'intérieur depuis,
00:17expliquez-nous comment ça se passe concrètement,
00:19comment on travaille aujourd'hui à Charlie.
00:21Est-ce que quand on y est, c'est une rédaction presque comme les autres
00:24ou bien c'est très différent ?
00:25Je crois que rien n'a changé.
00:28Je pense qu'ils sont suffisamment intelligents et têtus,
00:32au plus beau sens du terme, pour continuer.
00:35La une de ce matin, c'est increvable.
00:38Ils se réunissent tous les mercredis.
00:40Depuis toujours, c'est historique.
00:42Et en même temps…
00:43Dans un lieu ultra secret ?
00:45Un lieu ultra secret, ultra sécurisé.
00:47Ça, c'est quand même pas commun non plus.
00:49Il y a cette ambiance-là particulière qui est présente quand on arrive.
00:52Vous savez, ce qui se passe à la rédaction de Charlie Hebdo
00:57ressort de… est tout à fait extraordinaire.
01:00C'est-à-dire que c'est faire un journal en riant.
01:03Faire un journal irrespectueux, ça a toujours été le cas.
01:06Moi, c'est ça qui m'a plu dès le début.
01:08Je suis un prof de français, devenu écrivain.
01:12Et après les attentats, quand on m'a proposé d'écrire à Charlie,
01:17je sentais qu'il y avait l'esprit des Lumières, l'esprit critique.
01:22C'est ça qui m'a plu.
01:23Et donc, ce journal se fait comme ça, dans une espèce de fourrure intelligent.
01:26On rigole derrière la porte blindée.
01:29C'est le témoignage qu'on lit ce matin dans Le Parisien.
01:31C'est ça, l'état d'esprit.
01:33Quand on arrive, il y a ce truc ultra sécurisé.
01:35Et à l'intérieur, c'est une bulle de rire.
01:37J'ai l'impression parfois, je me dis, que c'est comme la France elle-même,
01:42qui est divisée, qui parfois, dans les moments tragiques, devient une forteresse.
01:48Et c'est là qu'on voit qu'il y a du caractère.
01:51Qui sont les nouveaux ? Parce que ça, c'est beaucoup renouvelé.
01:53Il y a beaucoup de jeunes visages, de jeunes talents.
01:55Absolument. Je crois qu'on connaît assez peu Charlie.
01:58Enfin, je ne sais pas si on lit vraiment les textes.
02:01Il y a beaucoup de textes.
02:02Il y a beaucoup de jeunes gens.
02:03Il y a des gens qui ont une vingtaine d'années.
02:05Il y a des gens comme moi qui sont arrivés après les attentats en 2015, des écrivains.
02:10Et puis maintenant, des jeunes journalistes qui s'occupent aussi du web.
02:14Donc, c'est très effervescent, au point que je pourrais dire que je ne connais pas tout le monde.
02:20Les figures historiques sont là, merveilleusement drôles et généreuses.
02:25Mais on pourrait presque penser que ça n'a pas eu lieu, en fait.
02:33C'est-à-dire que la liberté n'a pas été entamée.
02:37Mais on n'en parle pas ?
02:39Rarement.
02:41Ce sont des travailleurs, vous voyez.
02:44Alors, racontez-nous comment vous êtes arrivés là.
02:46L'attentat a commencé deux semaines après l'attentat.
02:48À ce moment-là, il y a une de vos amies qui vous appelle.
02:51Évidemment, c'est une amie un peu particulière.
02:53Oui, j'ai reçu un coup de fil de Marie Dariussec.
02:56Quelques jours après les attentats.
02:58Et qui m'a dit que Gérard Billard, le rédacteur en chef de Charlie,
03:03à l'époque, ils étaient retranchés à Libération.
03:05Ils étaient accueillis par le journal Libération.
03:07Elle m'a dit qu'ils cherchaient des nouvelles plumes.
03:11Pour moi, ce n'était pas ma tradition d'écriture.
03:14Vous n'étiez même pas fan, d'ailleurs, de Charlie Hebdo.
03:16J'aimais bien le côté anti-raciste.
03:19J'aimais bien le côté très à gauche de Charlie.
03:21Le côté anard, en fait.
03:23Mais moi, je suis plutôt dans la philosophie, dans la littérature.
03:28Et on s'est rejoints là-dessus.
03:30Moi, j'ai dit oui tout de suite.
03:31Un peu follement, vous voyez.
03:33Mais on est encore aussi, il faut se souvenir,
03:35on est encore dans ce moment d'émotion pure.
03:38On a besoin de marquer son soutien.
03:40Mais j'ai pensé que c'était la chose à faire.
03:42Et tous les jours, depuis dix ans, je pense que c'est la chose à faire.
03:45De soutenir quelque chose qui est plus grand que nous,
03:48qui relève d'une liberté que peut-être on n'a même pas soi-même,
03:51mais qu'il faut souhaiter.
03:52Ça se passe comment quand vous rencontrez l'équipe,
03:54quand vous rencontrez les survivants qui ont vécu cette horreur ?
04:00Alors, bizarrement, moi, j'étais arrivé comme si je passais l'agrégation.
04:03Ah oui ?
04:04Oui, j'avais peur qu'ils ne me prennent pas.
04:06J'avais peur qu'ils me trouvent trop ceci ou pas, c'est cela.
04:10Et puis, on a fait des blagues, voilà, c'est tout.
04:12Ça se termine toujours par une blague, là-bas.
04:14Voilà, et puis j'ai fait des textes, vous savez.
04:16On écrit, on écrit beaucoup.
04:18Et puis, ça a été pris.
04:20Et puis, je me suis aperçu que je pouvais parler de tout ce que je voulais.
04:22Je n'ai jamais été aussi libre.
04:24Alors, je m'occupe de livres, enfin, de spectacles, d'opéras, de concerts punk.
04:29Voilà, et tout peut s'écrire à Charlie.
04:31C'est vrai qu'il faut lire vos chroniques.
04:33On peut les trouver d'ailleurs assez facilement sur le web.
04:36Vous parlez de plein de sujets.
04:37Voilà ce qui vous passe par la tête.
04:38Il y a un moment où vous vous dites, là, je vais remplir,
04:40je vais mettre ce que j'ai dans le cerveau jusqu'à la fin de cette chronique.
04:43On lit ça, on le traverse avec vous.
04:45Il y a une étape très importante aussi dont il faut parler, c'est le procès.
04:48C'est en 2020 et vous l'avez suivi tous les jours.
04:50Vous en avez tiré un livre.
04:52Racontez-nous l'un des moments les plus forts de ce procès.
04:54C'est le témoignage de Coco, la dessinatrice.
04:56On rappelle que c'est elle qui va ouvrir la porte au Kouachi
04:58parce qu'elle est sous la menace, évidemment, des armes, des fusils d'assaut.
05:02Et ce moment, elle va le revivre pour le procès.
05:06Racontez-nous ça.
05:07Absolument, ce procès qui a duré quand même trois mois et demi, sous Covid,
05:10avec trois attentats, dont l'attentat contre Samuel Paty.
05:13On était vraiment sous pression.
05:15Moi, je faisais la chronique et Coco, c'est un des moments les plus forts de ma vie.
05:20C'est là que j'ai vu qu'il fallait vraiment être à la hauteur de ça,
05:23que jamais je le serais.
05:25Coco a revécu dans un état quasiment de trans, quasi chamanique.
05:30Elle a revécu avec les gestes,
05:33ce qui s'est passé au moment où les Kouachi l'ont visée.
05:39Et là, moi qui ne suis qu'un témoin,
05:43et en tant qu'écrivain aussi, je me dis témoigner pour les témoins,
05:46c'est la grande chose.
05:47On fait tous ça, au fond.
05:49Je me suis dit, je veux continuer à écrire pour Charlie
05:53le plus longtemps possible, toujours,
05:55pour dire exactement ce qu'il y a dans les gestes de Coco.
06:00Et dans ses gestes, elle se met à genoux.
06:02Elle met les mains au-dessus de la tête.
06:05Et elle revit au présent la scène.
06:08Et là, j'ai commencé à comprendre, même si c'est incompréhensible,
06:12un massacre en plein Paris,
06:14venir tuer des dessinateurs et des penseurs, des écrivains,
06:18des gens qui ont des crayons, des stylos.
06:20Mais là, j'ai commencé à voir quelque chose
06:23que je n'avais compris qu'en lisant Dostoïevski.
06:26Quelque chose qui a à voir avec le mal, avec la malfaisance.
06:30Ce sont des choses qu'on croit théoriques, qu'on les repousse.
06:33Et d'un seul coup, ça prend forme sous vos yeux.
06:35J'ai vu que c'est là. C'était dans Paris.
06:37C'est des gens que je connais, avec qui je blague.
06:39Vous dites, à ce moment-là, c'est comme s'il y avait un dialogue
06:42entre les morts et les vivants.
06:43C'est un des moments très, très forts de votre récit.
06:45Il y a aussi eu les images, les vidéos de surveillance
06:48qui ont été diffusées à ce moment-là,
06:49qui n'ont pas été diffusées, évidemment, ailleurs.
06:50Et ça, vous dites, ça, je ne le raconte pas, c'est trop.
06:53Il y a des choses que je me suis interdit de raconter
06:55parce que moi, qui suis comme eux, j'aime l'irrespect.
07:00J'aime rire des choses les plus sérieuses
07:02parce que les choses sérieuses, on doit en rire aussi.
07:05Il y a des choses qui exigent un peu de pudeur.
07:08Et je me suis tué parce que le secret sur...
07:16Vous voyez, je ne sais pas, je n'ai même pas envie d'en parler, mais...
07:20Alors, parlons d'autre chose, si vous le voulez.
07:24Sur la liberté d'expression, peut-être.
07:26Parce qu'on voit que dix ans après, hélas, elle recule.
07:29C'est le constat que vous faites.
07:30C'est le constat que fait Philippe Valle aussi,
07:31on a lu hier dans le Figaro.
07:34Ça va de mal en pire.
07:35Comment on explique ça ?
07:36Moi, je pense que là, on le sait tous,
07:39la société française est vraiment fracturée.
07:41Et j'ai pensé, après 2015, après les attentats contre Charlie,
07:47l'hypercachère et puis novembre,
07:49j'ai pensé que quelque chose allait avoir lieu,
07:52appelé par Salman Rushdie, vous voyez.
07:55Salman Rushdie, j'ai eu l'impression,
07:56quand on lui a tiré dessus quelques années après,
07:59que tout le monde s'en fichait, en fait.
08:00Quand il s'est pris des coups de couteau.
08:02Absolument.
08:03Mais je ne sais pas, je pense qu'il y a une démission politique, au fond.
08:10Il y a une peur.
08:11Il y a l'idée qu'à force de vouloir se laisser imposer,
08:16le fait de devoir respecter tout le monde,
08:18on s'auto-censure.
08:19Et vous-même, vous n'avez pas peur ?
08:21Vous venez ici, vous parlez de Charlie,
08:22vous vous exposez en faisant ça.
08:24Vous n'avez pas peur ?
08:27C'est la vie même.
08:28La vérité, ça fait mal.
08:30Quand on croit à quelque chose,
08:32je pense qu'on n'a pas peur de diviser.
08:35Moi, j'ai été professeur pendant 20 ans.
08:38J'ai été prof dans les banlieues, vous voyez,
08:40à Mante-la-Jolie, au Val-Fouré, partout.
08:42C'était mon travail.
08:43J'adore ça, j'ai adoré ça.
08:45Affronter quelque chose qui relève d'une forme
08:48de vérité passionnante, au fond.
08:51Il ne s'agit pas d'avoir raison.
08:53Il ne s'agit pas de vouloir avoir raison.
08:55Ce serait la connerie même.
08:57Mais ce très vieux combat qui est celui des Lumières,
09:00il n'y a pas que Charlie dans la vie,
09:02mais il y a Charlie.
09:03Et non, peur, non, pourquoi ?
09:06Et ce combat, évidemment, vous continuez à le mener.
09:08Merci infiniment.
09:09Merci.
09:10Yannick Henel, invité ce matin exceptionnel des 4V.
09:12Merci à tous les deux.