Regardez L'invité de RTL du 05 janvier 2024 avec Yves Calvi.
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00:02 RTL Matin
00:06 Bonjour Julie Grand. Bonjour. Vous publiez un témoignage extrêmement impressionnant
00:11 intitulé "Sa vie pour la mienne" aux éditions Artej. Ce titre est à prendre en fait au pied de la lettre puisque vous êtes l'otage
00:18 sauvé par le colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame. Arnaud Beltrame ayant accepté de prendre votre place lors de l'attentat terroriste
00:24 de Trèbes. Je le rappelle à nos auditeurs, nous étions en mars 2018.
00:29 Quel souvenir très simplement gardez-vous de cet homme ? D'un homme très
00:32 très professionnel et
00:36 un excellent négociateur qui avait le sens du devoir. Votre histoire est celle d'une vie qui bascule à cause du terrorisme.
00:43 Vous alliez à votre travail d'hôtesse d'accueil dans une grande surface et vous allez être en fait témoin d'un attentat et d'une prise d'otage.
00:49 Vous êtes une victime du terrorisme, vous vous considérez comme une victime du terrorisme vous aussi ? Oui, oui, oui.
00:55 C'est très étrange d'être prise dans ce type d'histoire, dans cette violence là,
01:01 dans cette espèce de règlement de compte.
01:04 C'est très puissant, très dérangeant. Dès les premières lignes de votre livre vous expliquez être une victime certes, mais aujourd'hui vivante.
01:12 Je vous cite le geste héroïque d'Arnaud Beltrame "m'a sauvé". Vous avez rencontré la famille d'Arnaud Beltrame ?
01:18 J'ai pu rencontrer son épouse, oui. C'était un moment très important
01:22 qui a beaucoup participé à ma compréhension des faits, ma compréhension de l'acte d'Arnaud Beltrame.
01:29 Ça a participé à ma reconstruction, le fait de la rencontrer.
01:33 Que vous êtes-vous dit lors de cette rencontre ? Elle doit être tellement particulière, tellement...
01:37 je sais pas comment... tellement employée. Ce n'était pas une rencontre facile.
01:40 A priori, je me disais que son épouse devait certainement être la femme qui me déteste le plus au monde.
01:49 Et au lieu de ça, j'ai rencontré une femme exceptionnelle,
01:52 d'une profonde douceur, qui faisait tout pour m'expliquer que je ne devais pas culpabiliser,
01:58 que son mari avait simplement fait son métier, qu'il avait fait son devoir.
02:02 Vous êtes en train de nous dire que la veuve, excusez-moi de vous interrompre,
02:04 mais d'Arnaud Beltrame, qui vous a sauvé la vie et qui a donné la sienne,
02:08 a tenu en fait d'une certaine façon à vous rassurer ?
02:11 Oui, avec des mots d'une extrême douceur, d'une extrême précision.
02:17 Elle tenait à me parler de son mari, et moi je tenais à lui faire part de ce que j'avais vu ce jour-là,
02:24 de l'attitude professionnelle de son mari.
02:27 Et de son engagement ?
02:28 Oui.
02:28 Je sais que ça peut vous paraître étrange comme question,
02:30 mais pouvez-vous nous décrire votre premier échange de regard avec lui,
02:34 puisqu'il vient pour prendre votre place ?
02:37 Eh bien, c'est très étrange.
02:39 C'était très étrange, parce que même si parfois son regard semblait...
02:45 Il semblait me regarder dans les yeux, mais en fait il ne me regardait pas,
02:49 il ne s'adressait pas à moi, il ne m'a jamais fait de signes,
02:52 il ne m'a jamais dit de mots, quoi que ce soit, à moi directement.
02:56 Et je comprenais que c'était un dessin, que c'était tout à fait volontaire, stratégique,
03:02 pour ne pas me donner d'importance, il ne s'adressait pas à moi,
03:05 il ne me faisait pas de signes particuliers.
03:08 Il parlait de moi en disant "la petite dame, elle n'y est pour rien, elle n'a rien fait,
03:14 laissez-la partir, prenez-moi à sa place, moi qui représente l'État,
03:20 qui représente l'autorité de l'État".
03:22 Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.
03:25 Vous êtes en train de répondre à ma question, parce qu'en fait vous nous expliquez
03:27 que le colonel Beltrame, à chaque instant,
03:29 essaye d'une certaine façon de vous protéger en diminuant votre présence
03:34 vis-à-vis du terroriste qui vous ont capturé.
03:36 Et en quelque sorte, il est déjà en train de prendre votre place.
03:40 Pourquoi avez-vous décidé de parler, d'écrire ce livre ?
03:44 On est presque six ans après les faits.
03:47 Ma vie s'est cassée la figure dans les années qui ont suivi l'attentat.
03:51 J'ai eu des épreuves très très dures à passer,
03:55 une reconstruction qui est encore en cours,
03:59 qui a été extrêmement difficile.
04:01 Et là, à presque six ans après les faits, je suis prête à parler,
04:06 j'arrive à mettre des mots dessus, à prendre un petit peu de distance.
04:10 Et c'est le moment pour moi de témoigner, de dire ce que j'ai vu,
04:15 de mettre mes mots, ma mémoire sur papier,
04:20 ou à destination de mes concitoyens.
04:24 Alors tel que vous le décrivez dans le livre paru aux éditions Arte,
04:26 je reviens sur les événements.
04:28 Vous entendez en fait des clients crier dans votre magasin.
04:30 Quelqu'un tire en l'air, une voix crie à la Wack bar,
04:33 et vous dites tout de suite à une consoeur "Appel les flics,
04:37 expliquez-nous cet instant qui fait basculer votre vie."
04:40 Le premier bruit que nous avons tous entendu,
04:43 nous l'avons tous... personne n'a réagi.
04:46 On a entendu un claquement, on a tous cru que c'était une palette qui tombait au sol.
04:50 Et en fait c'était le premier meurtre dans le magasin,
04:54 mais le corps n'était pas visible, il était caché,
04:56 le corps de Christian, le boucher de Super U,
05:00 le corps de Christian était allongé derrière la dernière caisse.
05:05 Ma collègue la caissière n'a pas crié.
05:07 C'est au deuxième claquement de palette que j'ai levé le nez,
05:11 et à ce moment-là j'ai vu un bras tendu en l'air,
05:15 un coup de feu tiré en l'air.
05:17 Et là il y a eu suffisamment de brouhaha pour que la situation
05:20 prenne tout son sens, que les choses deviennent claires.
05:23 Je me suis baissée.
05:24 - Oui, quelques secondes après, vous entendez le terroriste qui vous a suivi,
05:27 et dire "Ah bah la voilà mon otage !"
05:29 Sans hostilité particulière, écrivez-vous.
05:32 - Alors il est très vite revenu vers l'accueil,
05:35 j'ai juste eu le temps d'entendre ses pas,
05:38 d'aller me cacher derrière la porte dans le bureau.
05:41 Et il est arrivé très vite, en entrant il a dit "Bon c'est bon j'ai mon otage,
05:46 allez sors de là, t'inquiète pas je te ferai pas de mal,
05:50 viens on appelle les flics."
05:52 - Il vous a expliqué pourquoi vous ?
05:53 - Non, il ne m'a pas expliqué pourquoi moi.
05:56 J'ai appelé les secours,
05:58 ensuite j'ai gardé le téléphone actif dans ma poche
06:01 parce que je savais que les secours comme ça entendaient tout,
06:03 enregistraient tout.
06:05 Et il s'est mis lui en attente de l'arrivée des forces de l'ordre.
06:10 Dans cette attente, il s'est mis à me parler,
06:15 à justifier de son acte.
06:17 C'est lui qui m'a appris ce qu'il venait de faire dans les heures précédentes.
06:24 C'est lui qui m'a dit, j'utilise ces mots,
06:26 il a abattu deux PD sur un parking,
06:28 il a tiré sur des militaires en ville,
06:30 et deux clients là dans le magasin.
06:33 Et il a ajouté que pour lui son action était terminée,
06:37 c'est une petite action,
06:39 il lui reste à mourir en martyr,
06:41 en essayant de péter du flic avant de mourir.
06:43 Et que cette petite action pour lui,
06:45 avait pour but de motiver ses frères à mener de plus grosses actions.
06:49 - Alors justement, Arnaud Beltrame va venir pour prendre votre place.
06:52 Je vous cite, "Je me rappelle avoir été très surprise par la démarche d'Arnaud Beltrame."
06:58 Expliquez-nous ça.
07:00 - Je savais bien, je me disais, ça se fait pas normalement,
07:04 les forces de l'ordre ne prennent pas la place des otages.
07:08 Et en même temps, j'étais très très soulagée,
07:11 parce qu'il est intervenu à un moment où visiblement,
07:14 les balles allaient fuser.
07:16 C'était le moment que le terroriste attendait pour mourir,
07:19 et j'étais entre le terroriste et les forces de l'ordre.
07:22 Donc j'étais très soulagée d'entendre sa voix,
07:24 et de voir ce gendarme s'avancer,
07:27 et avec des mots très très précis, des mots très très choisis,
07:30 une attitude très professionnelle.
07:34 Il s'est avancé, il a commencé à dialoguer avec le terroriste,
07:39 en s'avançant lentement.
07:41 Il me semble que c'est le terroriste qui, au départ,
07:44 un peu par provoque, lui a dit "Viens toi !"
07:47 Et Arnaud Beltrame a saisi la balle au bon,
07:50 et il n'a pas cessé ensuite de négocier cet échange.
07:55 - Vous nous parlez de votre sauveur,
07:57 c'est en ces termes qu'on peut parler de lui.
07:59 - Il est intervenu au moment où j'allais probablement mourir.
08:03 Et il a fait la seule chose qui était possible à ce moment-là,
08:13 pour me sauver la vie.
08:15 Et ça en outrepassant les procédures.
08:19 - Pardonnez-moi, c'est très important ce que vous venez de nous dire,
08:22 vous avez envisagé dans ces moments votre mort.
08:24 - Complètement, oui.
08:26 - Comment on affronte ça ?
08:28 - Je ne crois pas m'en être remise encore,
08:30 je n'arrive pas à traiter psychologiquement vraiment ce moment-là.
08:34 Je le revis tous les jours.
08:36 Il y avait simplement 5 gendarmes équipés, en ligne,
08:42 qui nous tenaient en joues.
08:45 Le terroriste qui avait son arme contre mon crâne,
08:49 et je sentais le canon de l'arme qui tremblait sur mon crâne.
08:53 Je suis de nature à ne pas paniquer,
08:58 à ne pas laisser la peur m'envahir.
09:01 Mais j'étais quand même, comment on dit, tétanisée.
09:06 Je ne pouvais plus bouger.
09:08 J'imaginais par où les balles pouvaient me traverser,
09:11 si j'avais une chance d'être récupérée ensuite par les médecins.
09:15 - Le procès de l'attentat de Treppes se tiendra dans quelques jours,
09:18 du 22 janvier jusqu'au 23 février.
09:20 Une femme, une personne et 6 hommes sont renvoyés devant la Cour d'Assise spéciale de Paris.
09:24 Vous attendez quelque chose de ce procès ?
09:27 - Pour moi, c'est l'occasion de reparler de cette histoire.
09:32 C'est l'occasion, avec mon livre, qui arrive en même temps finalement,
09:37 et c'est l'occasion pour moi de parler, de témoigner,
09:42 de l'action d'Arnaud Beltrame, qui est tout à fait exceptionnelle.
09:46 Après, le procès pour moi-même, je ne sais pas ce que j'en attends.
09:49 Une attente de procès pour des victimes, c'est un peu comme être en prison préventive.
09:55 On redoute ce moment, mais on a besoin qu'il advienne,
09:59 on a besoin que les choses soient dites publiquement,
10:02 que les responsables soient jugés, et on a besoin que ce soit derrière nous.
10:06 - Une toute dernière question.
10:07 On dénombrait en 2023 près de 200 rues, des squares,
10:11 ou encore des lieux portant le nom d'Arnaud Beltrame en France.
10:13 Qu'est-ce que ça vous inspire comme commentaire ?
10:15 Et je dois dire à nos auditeurs que je vous vois sourire.
10:18 C'est un mouvement très beau, et pour moi, ça veut dire que
10:22 les gens reconnaissent que le sens du devoir et le courage
10:27 sont des choses dont on a besoin de se souvenir à notre époque,
10:30 parce qu'on les oublie un peu.
10:32 - Merci beaucoup Julie Grand d'avoir pris la parole ce matin sur RTL.
10:35 "Sa vie pour la mienne", le témoignage de l'otage sauvé par Arnaud Beltrame.
10:39 Votre livre vient de paraître aux éditions Artej.
10:41 Bonne journée.
10:42 [SILENCE]