"Aujourd'hui, le fléau du narcotrafic est plus important que le terrorisme", assure François Molins, ancien procureur de Paris et procureur général près la Cour de Cassation.
Regardez L'invité de RTL avec Thomas Sotto du 28 janvier 2025.
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00:00Et tout de suite, l'invité de RTL Matin, Thomas, vous recevez François Molins, l'ancien procureur de Paris alors que le Sénat examine aujourd'hui, à partir d'aujourd'hui, une proposition loi visant à lutter contre le narcotrafic.
00:14Bonjour et bienvenue sur RTL, François Molins.
00:16Bonjour.
00:17Sortir la France du piège du narcotrafic, c'est le titre du texte qui sera examiné à partir d'aujourd'hui au Sénat.
00:22Est-ce que nous sommes déjà en train de perdre la bataille contre les trafiquants de drogue ?
00:28C'est ce que pensent certains magistrats dans certains tribunaux, ce qui ne met pas en cause leur engagement.
00:34Mais je pense qu'il faut dépasser ces constats pessimistes et il faut essayer d'améliorer la situation.
00:40Je pense que ce texte, qui s'inspire de l'excellent rapport des sénateurs Durin et Blanc, il contient des propositions qui sont intéressantes.
00:49Rapport du printemps dernier, et vous avez été auditionné par le Sénat, vous aviez dit que la justice française est clairement sous-dimensionnée.
00:54Tout à fait. La justice et la police, parce qu'il n'y a pas que la justice qui est en cause.
01:01En matière de narcotrafic, il faut des enquêtes de force, des enquêtes qui sont longues, complexes, qui nécessitent un lourd et exigeant travail de police judiciaire.
01:11Donc il y a l'action de la justice, mais aussi il y a l'action de la police, parce qu'il faut des procédures de qualité.
01:16Et on est en ce moment confronté à une grave difficulté qui est une véritable crise de l'investigation.
01:22C'est un manque de moyens ?
01:23Manque d'enquêteurs.
01:24De bons hommes ?
01:25Manque d'officiers de police judiciaire. On a de la peine pour voir les postes, il y a certains postes vacants.
01:31La direction de la police nationale disait il y a quelques jours qu'il y a une moyenne de 125 dossiers par enquêteur en matière de PJ, c'est colossal.
01:39C'est ingérable, on est d'accord.
01:40C'est ingérable. Et enfin, il y a une crise encore plus forte sur l'investigation financière, alors qu'il faudrait faire vraiment des investigations lourdes sur le volet financier et patrimonial de ces narcotrafics.
01:50On manque cruellement depuis des années d'enquêteurs spécialisés en matière financière.
01:55On va venir sur les annonces faites hier soir par Gérald Darmanin, le garde des Sceaux.
01:58On entend souvent et de plus en plus parler de mexicanisation de la France.
02:02Les politiques, les ministres, Bruno Rotailleau utilisait cette formule.
02:05C'est la réalité ou c'est de la... ?
02:07Je n'irai pas jusque là. La situation au Mexique est gravissime et n'a rien à voir.
02:12Il y a des dizaines d'homicides par jour.
02:15C'est exagéré.
02:18La France n'en est pas là, je pense. C'est quand même un peu exagéré.
02:21Mais par contre, ce qui est sûr, c'est que le narcotrafic est en train de prendre une telle place et a de tels moyens
02:26qu'en réalité, effectivement, ça peut mettre en cause les fondements même de notre société.
02:31Et puis, ça peut aussi permettre le développement important de la corruption, notamment de certains agents publics.
02:36Vous avez incarné la lutte contre le terrorisme pendant des années, un critère des années très sombre.
02:40Aujourd'hui, la bataille à mener contre la drogue est-elle du même niveau que celle qu'on doit continuer à mener contre le terrorisme ?
02:46En termes d'importance, oui.
02:47C'est le même péril ?
02:49C'est un péril en termes de gravité qui est peut-être même plus important.
02:53Parce que la menace terroriste, je ne pensais quand même pas à celle qu'il y avait en 2015.
02:57Elle a muté, elle est un peu différente.
02:59Aujourd'hui, le narcotrafic, il y en a partout.
03:01Ce n'est pas à l'apanage de certains territoires.
03:04On en trouve aussi bien à Marseille que dans le Cantal ou en Vendée.
03:08On en trouve absolument partout.
03:10Et c'est quelque chose qu'on a beaucoup de mal à endiguer,
03:14qui se conjugue avec l'explosion de la consommation de drogue,
03:18qui se conjugue aussi avec l'explosion des règlements de comptes.
03:22Donc il n'y a pas, je pense aujourd'hui, un département qui ne soit pas touché, qui ne soit pas épargné par la narcotrafic.
03:26Vous parlez de la consommation. Est-ce qu'on doit mettre en cause les consommateurs ?
03:29Est-ce qu'ils sont responsables ?
03:31Est-ce que le fumeur de juin du samedi, comme disait Éric Dupond-Moretti il y a quelques mois,
03:35ou encore Gérald Darmanin quand il est ministre de l'Intérieur, ont une responsabilité ?
03:39Je pense que, bien évidemment, les consommateurs ont une responsabilité.
03:42S'il n'y avait pas de consommateurs, il n'y aurait pas de trafiquants.
03:44C'est certain. Maintenant, on ne peut pas le mettre sur le même plan.
03:46Donc je pense que les consommateurs, il faut essayer de les alerter sur les dangers des produits qu'ils vont consommer.
03:51Et puis pour ceux qu'on poursuit et qu'on punit, il faut s'attacher à avoir une réponse pénale qui soit efficace.
03:56Ce n'est pas le cas aujourd'hui.
03:57Il faut être plus sévère avec les fumeurs de juin ?
03:58Oui, mais vous avez les grands effets d'annonce.
04:01Il faut savoir que ces fameuses amendes forfaitaires délictuelles,
04:04vous en avez simplement 35% qui sont recouvrées.
04:07Donc vous avez simplement une personne sur trois condamnée à ces amendes qui les paie.
04:10Si on veut être efficace, il faudrait avoir une efficacité beaucoup plus forte.
04:14Hier soir, Gérald Darmanin, devenu garde des Sceaux, a fait trois annonces.
04:17Un, la création au 1er janvier d'un parquet national anticriminalité organisé sur le modèle du parquet national antiterroriste.
04:23Deux, le recrutement de 100 magistrats supplémentaires pour lutter contre le narcotrafic.
04:28Et trois, la création d'un fichier des narcos sur le modèle des fichiers S qui existent en matière de terrorisme.
04:35Est-ce que, vu du terrain, ces mesures-là sont de nature à changer les choses, à inverser le rapport de force ?
04:40Moi, je pense qu'il faut aller plus loin et faire du fond.
04:42C'est pas du fond, ça ?
04:43Faire du fond.
04:44Bon, le parquet spécialisé, effectivement, c'est une question...
04:47En fait, il existe déjà le parquet spécialisé.
04:49C'est le Junalco.
04:50Le parquet de Paris avec la Junalco.
04:51Donc la question, c'est de savoir si on fait un parquet autonome.
04:55Alors, ça peut effectivement améliorer les choses.
04:57C'est pas non plus la baguette magique qui va permettre de révolutionner le combat là-dessus.
05:04Mais est-ce qu'il faut, pardon, un François Molins du narcotrafic ?
05:07Une incarnation forte comme vous l'avez été pour le terrorisme.
05:10Est-ce que ça compte ?
05:11Il faut certainement un parquet qui arrive à incarner la lutte contre le narcotrafic
05:15avec des magistrats en nombre suffisant, des magistrats impliqués.
05:19Sans de plus, c'est bien ou pas les magistrats ?
05:21Oui, bien sûr que c'est bien.
05:22C'est bien, ça, quand même.
05:23C'est très bien.
05:24Mais il faut aussi, encore une fois, plus d'enquêteurs.
05:25Et je pense que ce qui manque aussi, c'est une sorte de révolution des outils numériques.
05:29Aujourd'hui, dans les dossiers judiciaires, la preuve, elle est numérique.
05:32Donc, si vous me permettez une image, vous avez des tas de dossiers
05:36au sein desquels on navigue au milieu d'un océan de données numériques.
05:41Donc, il faut des boussoles et des combats.
05:43Et il faut, en réalité, donner aux magistrats et donc à ces procureurs spécialisés
05:48les moyens d'accéder à toutes les données judiciaires et de police judiciaire.
05:52Il ne suffit pas de créer des fichiers, il faut aussi que les magistrats y aient accès.
05:55Mais c'est utile, l'équivalent du fichier S pour le narcotrafic ?
05:58Il faut voir comment c'est fait, ça peut apporter quelque chose.
06:00Mais encore une fois, il faut que les magistrats puissent accéder à tout ça.
06:03Ça ne peut pas être l'apanage que de la police judiciaire,
06:05parce que c'est les magistrats en charge des dossiers qui font des recoupements
06:08et qui pourront tracer, effectivement, les monnaies virtuelles, les avoirs numériques, etc.
06:13Regardez l'affaire de l'enlèvement qui a eu lieu la semaine dernière.
06:16On a utilisé les outils cyber et c'est en utilisant les outils cyber
06:19qu'on a pu tracer la rançon qui avait été versée et la saisir
06:23avant qu'elle soit utilisée par les ravisseurs.
06:25Donc, ça a du sens tout ça.
06:27François Mollins, les moyens alloués à la justice ont augmenté en permanence depuis 2017
06:31et l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir.
06:33Et pourtant, on a le sentiment que les problèmes de fond que s'aggravaient.
06:36C'est un sentiment ou c'est une réalité ?
06:38Je pense que c'est une réalité parce que la situation est telle
06:41et le résultat d'une insuffisance budgétaire qui a été tellement longue
06:47qu'en réalité, il faudra beaucoup de temps pour réparer le mal.
06:49Le mal ne va pas se réparer en deux ans, en trois ans ou en quatre ans.
06:53C'est vraiment un travail de fond qui se traduit par l'exigence de plus de magistrats,
06:58plus de greffiers, plus d'assistants spécialisés, plus de bâtiments.
07:01Donc, c'est bien mais ce n'est pas suffisant.
07:03Il faut continuer l'effort dans la durée.
07:05On ne va pas réparer ça en trois ou quatre ans.
07:07Vous avez été, il y a 20 ans maintenant, procureur de Bobigny dans votre carrière
07:10qui n'était pas le tribunal le plus simple.
07:12Qu'est-ce qui a changé fondamentalement depuis cette époque ?
07:14Il y a plus d'effectifs.
07:16Quand j'étais procureur de Bobigny, j'avais 34 procureurs avec moi.
07:20Aujourd'hui, ils sont 57 ou 58.
07:23Mais malgré les augmentations d'effectifs,
07:26on s'aperçoit en réalité que les problèmes sont toujours les mêmes
07:28et que l'institution a toujours les mêmes difficultés
07:31à traiter les infractions qu'on lui soumet
07:34et à apporter des réponses qui soient satisfaisantes.
07:36Et par rapport à ça, je pense que malgré l'augmentation des effectifs,
07:40je ne suis pas persuadé que la situation ait véritablement changé.
07:43C'est un peu décourageant de vous écouter ce matin, François Molin ?
07:45Non, parce que je crois qu'il faut être optimiste.
07:48Moi, je suis persuadé qu'à partir du moment où il y aura des moyens,
07:52où on trouvera les bonnes organisations, les bons outils,
07:55à partir du moment où on aura conscience qu'on mène un combat sur le long terme
08:00et où on fait du fond, c'est comme ça qu'on gagnera.
08:02Ce n'est pas avec des effets d'annonce.
08:04C'est effectivement avec des actions et des changements
08:06sur le fond de l'action de la police et de la justice.
08:08Je voudrais qu'on se dise aussi quelques mots de la justice des mineurs.
08:11Il y a une donnée dont nous parlait hier le préfet de police de Paris,
08:13Laurent Nouniez, qui était ici, après le meurtre du jeune Elias,
08:16tué à 14 ans par deux jeunes à peine plus âgés que lui,
08:18qui voulaient lui voler son portable.
08:20Cette donnée, c'est l'âge des délinquants,
08:22avec des mineurs de plus en plus violents et souvent de plus en plus jeunes.
08:25Faut-il arrêter de juger les mineurs comme des enfants ?
08:28Est-ce que notre justice est trop indulgente avec les mineurs aujourd'hui ?
08:31La justice, déjà, elle a changé il y a quelques années,
08:33puisque vous avez un code justice des mineurs qui, aujourd'hui,
08:36vous permet d'aller plus vite, puisqu'il y a dans la procédure de jugement
08:40ce qu'on appelle la césure, c'est-à-dire que c'est la possibilité
08:43de juger le mineur immédiatement sur sa culpabilité,
08:46et puis, éventuellement, de différer au maximum à six mois le prononcé de la peine,
08:52en fonction de l'évolution du mineur.
08:54C'est ce qui a permis à ces deux jeunes, dans le cas d'Elias,
08:56d'être en liberté et de commettre la peine.
08:58Voilà. Donc, les questions qui se posent, c'est de savoir
09:01est-ce qu'il faut aller plus loin ? Moi, je pense que, personnellement,
09:04ce qu'on pourrait peut-être faire, c'est élargir encore le domaine
09:07des présentations immédiates des mineurs, pour les juger plus tôt
09:10et plus rapidement, lorsqu'on a affaire à des réitérants ou des récidivistes,
09:14et surtout, lorsqu'on a tous les renseignements socio-éducatifs
09:16qui sont nécessaires à ces conditions-là, c'est possible.
09:19Après, sur le reste, je pense qu'on ne peut pas juger un mineur comme un majeur.
09:22Un mineur, c'est une personne dont la personnalité est en construction.
09:27Et ça, je pense qu'il faut en tenir compte. Moi, c'est la raison pour laquelle je pense
09:30qu'il faut qu'on garde l'excuse atténuante de minorité,
09:33et il faut faire confiance au juge là-dessus.
09:35Je pense que le juge connaît ses dossiers,
09:38et il faut lui faire confiance quant à l'application de cette excuse ou pas.
09:42– Vous ne voulez pas reprendre du service, non ?
09:44– Non, j'ai une vie qui me convient tout à fait.
09:46– Merci beaucoup François Bollens d'être venu ce matin sur RTL.