SMART SPACE - Emission du vendredi 6 octobre

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Vendredi 6 octobre 2023, SMART SPACE reçoit André Loesekrug-Pietri (président, JEDI) , Éric-André Martin (secrétaire général, CERFA) et François Alter (conseiller du président, CNES)

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00:00 Bonjour à tous et bienvenue dans Smart Space, au programme de votre émission aujourd'hui,
00:08 l'actualité avec les dernières nouvelles du lanceur européen, Vegas, toujours cloué
00:14 au sol.
00:15 Premier bilan aussi spatial, France 2030, en toute intimité, la première ministre
00:20 a rencontré Philippe Baptiste, président du CNES cette semaine.
00:24 Enfin, on parlera du second partenariat signé entre le CNES et la start-up française,
00:29 Star, qui n'en finit pas d'être à la une de l'actualité.
00:33 François Alter, conseiller du président du CNES, sera en ligne avec nous.
00:38 Et puis en deuxième partie d'émission, c'est votre talk.
00:40 Et on va débattre ensemble aujourd'hui avec nos invités de la position de l'Europe spatiale.
00:47 Doit-elle opérer une radicale transformation pour être à la hauteur des ambitions du
00:52 secteur réponse dans le Space Talk ? Voilà pour le programme.
00:56 On démarre tout de suite avec l'actualité.
00:58 Pas de vol avant fin 2024 pour Vegas C, et un retard encore coûteux pour un lanceur
01:09 européen.
01:10 Si le petit lanceur Vegas lui décolle en fin de semaine, il est le dernier lanceur
01:15 européen à quitter l'attraction terrestre avant de longs mois.
01:19 Car la prochaine génération, la fusée Vegas C, la version modernisée de Vegas, restera
01:25 elle clouée au sol jusqu'à fin 2024.
01:27 C'est ce que nous apprend en tout cas l'agence spatiale européenne qui a tenu une conférence
01:31 de presse ce lundi pour faire le point sur la situation du lanceur qui avait raté son
01:35 premier vol commercial.
01:37 Les a rendu public les conclusions d'une commission d'enquête indépendante cherchant
01:42 d'examiner les raisons de l'échec survenu le 28 juin dernier lors des tests d'étuière
01:47 du moteur Zephyro 40 du lanceur réalisé alors avec de nouveaux matériaux.
01:52 Ces essais avaient eux-mêmes été rendus nécessaires pour comprendre la raison de
01:57 l'échec subi lors du deuxième vol de la fusée italienne en décembre 2022.
02:02 C'est donc un nouveau retard préjudiciable à l'Europe spatiale qui se voit dépourvue
02:06 d'accès indépendant à l'espace pour lancer ses satellites.
02:09 Autre actualité, rendez-vous discret entre la première ministre Elisabeth Borne et le
02:16 président du CNES, Philippe Baptiste, en début de semaine.
02:19 Ça ne date pas d'informations officielles mais les deux protagonistes ont exprimé leur
02:22 engouement sur LinkedIn sur ce qui semble avoir été un premier bilan du volet spatial
02:27 de France 2030.
02:29 L'occasion aussi de préparer le prochain sommet du spatial qui aura lieu à Séville
02:34 le 7 novembre prochain.
02:36 La première ministre en a profité pour souligner l'importance du CNES dans l'écosystème
02:41 spatial français et pour renouveler sa promesse accompagner la transformation du secteur
02:47 et soutenir l'innovation.
02:49 Enfin, la start-up française Dark a signé un second accord avec le CNES dans le cadre
02:55 du développement de son moteur.
02:57 Dark, vous le savez, on en parlait la semaine dernière, est une jeune start-up française
03:02 qui ambitionne de lancer une fusée depuis un avion en plein vol.
03:06 L'objectif n'est pas seulement d'envoyer des satellites dans l'espace mais aussi d'en
03:09 ramener pour dévoncombrer l'orbite terrestre.
03:12 Alors pour en parler, le CNES a répondu à notre call actuel.
03:15 Nous avons en ligne François Alter, conseiller du président du CNES, Philippe Baptiste.
03:20 Bonjour François Alter, bienvenue dans Smart Space.
03:22 Qu'est-ce qui, dans cette start-up, suscite autant l'intérêt du CNES ?
03:26 Bonjour Cecilia, écoutez, nous on est très très heureux effectivement de pouvoir accompagner
03:33 Dark dans son développement au travers de ce second contrat en trois mois à peu près.
03:37 Donc vous savez, Dark c'est une société assez discrète, très technologique, dans
03:46 laquelle finalement on retrouve des innovations assez majeures et des idées d'architecture
03:54 très très intéressantes, comme l'avait témoigné notre premier contrat en fait sur
03:59 son système d'interception, donc essayer de comprendre finalement quelles allaient
04:05 être les performances visées, atteignables avec ce type de solution.
04:09 Et là, on travaille plus finalement sur un aspect technologique du moteur, du moteur
04:17 donc qui fonctionne au méthane et à l'oxygène liquide.
04:20 Alors nous on a toute une filière qu'on a essayé de, qu'on développe actuellement,
04:26 notamment je pense au moteur Prometheus avec Ariane Group et d'autres start-up aussi
04:35 qui s'intéressent à ces sujets-là.
04:37 Et donc Dark est venu finalement nous proposer de travailler sur ces sujets-là, sur les
04:45 parties de chambres à combustion, et chambres à combustion qui a très forte pression,
04:50 qui nous permettront en fait après, par la suite, d'avoir des éléments pour développer
04:55 des moteurs de plus forte poussée par la suite.
04:58 Donc voilà, donc on est vraiment dans un cadre très technologique.
05:02 Pour qu'on comprenne les termes de ce contrat, il s'agit ici de récupérer les résultats
05:07 des tests sur ces moteurs-là précisément ?
05:10 Oui, exactement.
05:11 Nous on travaille avec les start-up, on les accompagne dans leur développement, donc
05:19 on les accompagne techniquement.
05:21 Et aussi on est intéressé, je dirais aussi en contrepartie de ces contrats, de pouvoir
05:27 avoir des informations pour mieux comprendre, mieux qualifier, typiquement mieux qualifier
05:32 des procédés, des matériaux.
05:36 Là il s'agit effectivement de matériaux, notamment des choses qui recourent à la pression
05:43 additive, la pression 3D, donc c'est des sujets où on est vraiment très intéressé
05:47 de comprendre ce qui va fonctionner et ce qui peut-être ne fonctionnera pas pour les
05:50 améliorer par la suite.
05:51 François Alter, c'est habituel pour le CNES de procéder à un transfert technologique
06:00 dans ce sens-là, c'est-à-dire d'aller chercher une start-up pour s'enquérir de
06:03 son savoir-faire ?
06:04 Oui, en fait on a toujours travaillé comme ça avec des projets, on appelle ça R&T,
06:10 où dans lequel des choses peuvent être développées par des acteurs tiers, des fois des choses
06:17 qui vont être à l'initiative des ingénieurs du CNES sur des idées technologiques et puis
06:25 aussi des choses qui vont être apportées en fait par l'écosystème et donc on a toujours
06:30 travaillé comme ça depuis très très longtemps.
06:32 Je dirais la particularité de ces dernières années, c'est qu'on a un écosystème qui
06:41 se développe particulièrement et donc plus d'opportunités finalement de développement
06:46 technologique, de développement d'innovation.
06:48 Merci beaucoup François Alter d'avoir accepté de répondre à notre col actu aujourd'hui.
06:52 On enchaîne quant à nous avec l'Otolk sur Bismarck.
06:55 Que vaut l'Europe spatiale ? Que l'on voit vers à moitié vide ou à moitié plein,
07:06 l'Europe soit l'acteur historique au cœur du secteur spatial international qui
07:10 brille et est abrié par ses coopérations et son expertise ariane ou bien cette grande
07:15 machine qui a peut-être trop tardé à prendre le virage du New Space et qui perd peu à
07:21 peu son accès souverain à l'espace battu par ses retards et l'agilité de ses concurrents
07:27 notamment outre-Atlantique.
07:28 Alors faut-il, oui ou non, opérer une radicale transformation de cette Europe spatiale ? Pour
07:34 en débattre en plateau, nous avons avec nous André Le Zecrouc-Pietri, président de
07:40 JEDI, l'initiative européenne pour l'innovation de rupture.
07:44 Bonjour, bienvenue sur le plateau de Smart Space.
07:46 En face de vous, Eric-André Martin, secrétaire général du CERFA, le comité d'études
07:52 des relations franco-allemandes à l'Institut des relations internationales.
07:56 Bonjour, bienvenue sur le plateau de Smart Space.
07:59 Alors je vais commencer par vous André Le Zecrouc-Pietri.
08:03 Vous, vous voyez le verre à moitié vide ou à moitié plein quand il s'agit de l'Europe
08:06 spatiale ? Il est totalement vide.
08:07 Je verrais une exception, c'est le patron de l'agence spatiale européenne, Joseph
08:14 Aschbacher, qui essaye vraiment de changer les choses depuis maintenant deux ans qu'il
08:17 est nommé.
08:18 Le problème c'est qu'il a à la fois des maîtres, donc ses actionnaires, les états-membres
08:22 qui n'arrivent pas à se mettre d'accord, qui ont d'ailleurs assez peu de vision sur
08:25 l'avenir du spatial et une organisation qui est empêtrée dans notamment une chose
08:30 qui est ce qu'on appelle le retour géographique, qui est que chaque projet doit à la fois
08:37 être lié à l'excellence scientifique et technologique, mais également faire de
08:41 la redistribution.
08:42 Ça, c'est le pire de l'Europe.
08:44 Je suis vraiment convaincu de l'idée européenne, mais on essaye chaque fois d'atteindre plusieurs
08:51 objectifs.
08:52 Il faut que l'excellence scientifique, le leadership, soit distinct de cette volonté
08:59 toujours de redistribuer.
09:00 Résultat, on fait tout assez mal.
09:02 On va revenir sur ça.
09:03 Le verre est assez… et il y a un chiffre qui dit tout, juste peut-être une chose,
09:07 c'est deux lancements européens en 2023, 67 lancements de SpaceX seuls depuis le début
09:14 de l'année.
09:15 On va revenir sur ces chiffres et le sujet des lanceurs est d'actualité, on l'a dit
09:19 un peu plus tôt dans cette émission.
09:20 De votre côté, Eric-André Martin, le verre est plutôt vide, à moitié plein ou complètement
09:25 vide en fonction de votre point de vue ?
09:26 Disons que je vais essayer d'avoir une note un peu plus optimiste si on regarde l'avenir.
09:33 Je dirais qu'aujourd'hui, il doit être bien clair que la question spatiale est au
09:40 cœur de la plupart des enjeux que rencontre l'Europe, que ce soit les enjeux de compétitivité,
09:46 les enjeux d'innovation, les enjeux aussi de sécurité et de résilience.
09:52 Donc, je pense qu'il est absolument nécessaire qu'à travers notamment ce qui se passe
09:56 aujourd'hui avec la guerre en Ukraine, que l'on comprenne bien que le spatial est un
10:01 élément absolument indispensable pour l'Europe si elle veut continuer à à la fois tenir
10:07 son rang, en tout cas avoir ses ambitions et en même temps garder sa place dans la
10:11 course pour l'innovation et assurer sa prospérité.
10:16 Plus positif mais lucide quand même sur les nécessités et donc déjà, un premier élément
10:21 de réponse, il va falloir opérer une certaine transformation.
10:25 André Le Zucrug piétrit.
10:28 Dans un article parlé l'année dernière, vous avez écrit "les Européens sont souvent
10:32 sourds et aveugles sur leur propre continent".
10:35 J'ai trouvé cette citation intéressante, ça faisait référence à ce moment-là où
10:39 satellite Maxar et Starlink d'observation qui ont joué un rôle et continuent de jouer
10:43 un rôle dans le conflit ukrainien.
10:45 Pourtant, l'Europe l'a développé et mis en service Copernicus qui est un programme
10:52 de surveillance et d'observation de la Terre qui est considéré aujourd'hui comme une
10:55 réussite, une grande réussite.
10:57 Alors, est-ce que vous pouvez aller un petit peu plus loin sur votre regard ? Pourquoi
11:02 pour vous l'Europe est sourde et aveugle aujourd'hui ?
11:05 Je vais le prendre de manière au sens propre et au sens figuré.
11:08 Au sens figuré, c'est que, et pour rebondir sur ce que disait Eric André, c'est le spatial,
11:16 c'est à la fois révélateur des enjeux, des problèmes éthiques de l'Europe à saisir
11:20 les nouvelles technologies, mais c'est aussi, ce n'est pas un silo.
11:25 C'est en fait un peu comme l'intelligence artificielle, une technologie qui est, ce
11:29 qu'on dirait en bon français, fondationnelle, c'est-à-dire qui transperce toutes les industries.
11:33 Aujourd'hui, vous faites de la mobilité de l'automobile, vous faites de la défense,
11:38 vous faites de l'agriculture, vous faites de l'observation ou de la décarbonation,
11:45 de l'observation du changement climatique.
11:46 On a aujourd'hui besoin du spatial.
11:48 Je pense qu'aujourd'hui, on n'a pas encore complètement pris conscience à quel point
11:52 c'est une brique essentielle de l'avenir de nos sociétés.
11:56 Et c'est pour ça que c'est vraiment un enjeu clé, c'est que si on n'a pas cette
12:01 brique, en fait, c'est tous les autres pans de l'économie, la quasi-totalité des pans
12:05 de l'économie et de nos sociétés qui risquent d'en souffrir.
12:09 Et sur le sens littéral, sourd et aveugle, c'est cette lucidité.
12:13 Là aussi, je pense que le mot est exact.
12:15 C'est "il faut arrêter".
12:16 Il ne s'agit pas d'être pessimiste.
12:18 Il ne s'agit pas d'annoncer les pires catastrophes.
12:21 Mais si on ne nomme pas un chat un chat et qu'on ne dit pas aujourd'hui que le programme
12:26 Ariane est un échec complet, qu'il faut vraiment une restructuration massive de nos
12:34 agences nationales et européennes, qu'il faut changer la manière dont on utilise l'argent
12:41 public, notamment en termes d'achat public et non pas juste de disperser des subventions
12:45 un peu partout, ce qu'on adore faire, on saupoudre partout, et d'arrêter de se féliciter
12:50 sur des faux succès, mais vraiment, et enfin dernière chose, d'être lucide sur la temporalité.
12:56 On en parlera sûrement.
12:58 Il y a eu dans les derniers jours un rapport assez sinistre sur le petit lanceur, Vega.
13:04 Et en fait, on va avoir deux ans entre l'échec de Vega et le potentiel.
13:12 Donc aujourd'hui, on n'a pas compris en Europe que le temps est tout aussi important
13:16 que l'argent.
13:17 On a l'impression qu'on a le temps.
13:18 Et ça, c'est plutôt aussi un message d'espoir parce que souvent on est un peu impressionné
13:23 par les milliards que semblent déverser notamment les Américains.
13:25 Non, ce n'est aujourd'hui pas le plus gros qui mange le plus petit, c'est le plus rapide
13:30 qui est en avance de face.
13:32 Et les Indiens nous l'ont bien montré.
13:33 Alors c'est quand même intéressant parce que ce que vous dites est vrai.
13:36 On est en retard.
13:37 Vous l'avez dit, Vegas est à un retard monstrueux.
13:40 Ça ne décollera plus avant fin 2024.
13:43 Pour Ariane 6, on suppose que c'est la même chose aujourd'hui.
13:46 Encore plus le retard d'Ariane 6.
13:49 Mais en l'occurrence, pour Copernicus, c'était un succès européen.
13:52 C'est aujourd'hui un succès européen.
13:54 Donc est-ce qu'il n'y a pas aussi une tendance à ne pas reconnaître à l'agence spatiale
13:58 européenne ses succès technologiques ?
13:59 Je n'ai effectivement pas répondu à votre question sur Copernicus.
14:04 Copernicus a beaucoup appris du programme Galiléo qui lui est également un succès,
14:09 en matière technique, mais qui a également subi des retards.
14:13 Je crois que le programme initial c'est 5 milliards.
14:14 Finalement, on a dépensé 15 milliards.
14:16 La constellation de géolocalisation Galiléo n'est toujours pas complétée.
14:20 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, il y a un satellite qui casse.
14:22 On n'a pas de satellite de rechange.
14:25 Copernicus a appris de ça.
14:26 Et effectivement, aujourd'hui, Copernicus, sur tout ce qui est observation agricole,
14:31 catastrophe naturelle, changement climatique, notamment dans les océans, etc.
14:35 est un outil fabuleux.
14:36 La question, c'est qui aujourd'hui utilise Copernicus ?
14:39 On n'est pas allé au bout de l'exercice.
14:42 Aujourd'hui, ceux qui utilisent les données de Copernicus, c'est les grands géants de
14:46 la tech et notamment Apple et Amazon et Facebook qui l'utilisent pour leurs applications.
14:55 Donc, en fait, on a créé une formidable infrastructure, mais avec beaucoup de naïveté.
15:01 On l'a rendue tellement ouverte et publique.
15:03 On n'a pas réfléchi à comment est-ce qu'on en crée.
15:05 Aujourd'hui, est-ce qu'il y a des géants européens ?
15:07 Il y a quelques sociétés que je pourrais citer qui se débrouillent plutôt pas mal,
15:12 mais qui restent des nains par rapport aujourd'hui à ce que l'observation spatiale recèle
15:16 de promesses sur la décarbonation, sur l'anticipation des grands mouvements climatiques.
15:21 Eric-André Martin, je vous vois réagir à cette question de la naïveté aussi, peut-être,
15:25 et globalement des compétences techniques de l'Europe.
15:28 Oui, alors, je ne mets pas en cause les compétences techniques de l'Europe parce qu'on a réussi
15:32 effectivement à bâtir des grands programmes.
15:35 On a des entreprises qui savent très bien fabriquer des satellites ou travailler sur
15:41 un certain nombre de niches technologiques.
15:43 Donc, on ne met pas du tout la question de ne pas mettre en cause leurs compétences.
15:46 Mais ce qu'il faut voir, c'est le fait que le monde ne nous attend pas.
15:50 C'est ce que disait un peu André aussi.
15:52 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, il faut bien voir qu'on est dans un domaine de compétition
15:58 économique.
15:59 Quand vous regardez le prix de mise en orbite d'un kilo de fret, SpaceX a complètement
16:08 cassé les règles.
16:09 Et aujourd'hui, avec Ariane 6 qui est encore en phase de test, etc., on sait déjà que
16:22 quand elle arrivera, on ne sera pas remis au niveau du marché et de nos concurrents.
16:27 Donc, on a un sérieux problème là-dessus.
16:30 Donc, ça veut dire qu'aussi, la question, c'est ce sur quoi je réagissais en écoutant
16:41 André, c'est le fait que l'avenir se prépare à partir de l'économie de la donnée.
16:50 Donc, aujourd'hui, on doit être capable de collecter des données, non seulement avec
16:57 des senseurs dans l'espace, etc., mais on doit être capable de la traiter, on doit
17:00 être capable de l'analyser, on doit être capable de la valoriser pour développer ce
17:03 qu'on appelle l'aval du spatial.
17:05 Et on ne sait pas la valoriser aujourd'hui pour vous ?
17:07 C'est insuffisamment fait.
17:08 Effectivement, l'exemple qui a été donné de la mise à disposition gratuite de données
17:15 qui sont collectées à partir de programmes qui sont financés par le contribuable européen
17:19 et que finalement des concurrents étrangers arrivent eux à partir de zéro à utiliser
17:25 ces données, à la valoriser.
17:26 Ça pose quand même un problème.
17:28 Donc, il y a énormément de ressources à tirer.
17:31 Je ne vais pas revenir sur tous les exemples qu'a cité André, mais c'est un vrai défi.
17:38 Et ensuite, alors pour être positif, c'est qu'il y a quand même des acteurs du spatial,
17:43 on les appelle les gens du New Space européen, qui piavent d'impatience pour pouvoir aussi
17:49 avoir leur place sur le marché, ont développé des solutions techniques, mais qui pour pouvoir
17:56 devenir économiquement rentable ont besoin d'avoir un marché débouché.
17:59 Et là, la question qui se pose, c'est de savoir comment les crédits dont disposent
18:05 les grands acteurs européens ou les acteurs nationaux peuvent être distribués de façon
18:12 compétitive à tous ces acteurs pour irriguer un tissu d'entreprise.
18:19 Faute de quoi, effectivement, on va continuer et on sera de plus en plus malheureusement
18:25 enclin à devoir recourir à des prestataires de services étrangers qui eux auront su développer,
18:32 quand je dis étrangers, c'est-à-dire non-européens, auront su développer ces applications.
18:37 Et c'est quand même un problème.
18:38 Mais aujourd'hui, sur la question du financement, on a une espèce de bataille intestine, on
18:43 peut peut-être l'appeler comme ça, entre est-ce qu'on va chercher du côté national
18:47 ce coup de pouce financier, technologique aussi parfois, ou est-ce qu'on va le chercher
18:50 du côté européen ? Et vient s'ajouter par-dessus cette question
18:54 de compétitivité européenne que vous connaissez bien puisque vous travaillez précisément
18:58 sur les relations franco-allemandes aujourd'hui.
19:00 Est-ce que ça, c'est le frein principal au développement du spatial ?
19:03 Je vous laisse commencer puisque c'est votre domaine d'expertise et vous enchaînerez André.
19:08 La question de la compétitivité, ça vient en grande partie du fait qu'on ne permet
19:15 pas, compte tenu de la façon dont on répartit les crédits, donc André a mentionné la
19:20 question du principe du retour géographique, mais c'est aussi la question de la façon
19:24 dont on attribue, on est dans une logique de subvention à des acteurs historiques du
19:29 spatial qui sont issus de la branche aéronautique-défense.
19:36 Les grands industriels, mais ça, ça a tendance à changer.
19:38 On a par exemple le Prend France 2030 qui a fait un focus sur ces nouveaux acteurs aujourd'hui.
19:43 Mais ça, c'est encore une fois l'échelle nationale, c'est là que ça se joue.
19:45 Oui, alors je ne voudrais pas rentrer sur le sujet France 2030, c'est un sujet en
19:50 lui-même, mais plusieurs choses.
19:52 Un, l'aspect prospectif, c'est-à-dire qu'on a quand même le sentiment, et ce n'est
19:58 pas lié au spatial, qu'on avait une Europe qui était très dans l'anticipation.
20:02 Ce n'est pas Galileo qui a inventé le GPS, c'est le GPS il y a 60 ans d'ailleurs,
20:09 monté par notre grand modèle pour Jedi qui est la DARPA.
20:13 Mais Copernicus, c'était vraiment une avancée en termes de prospectif.
20:16 En fait, aujourd'hui, on se rend compte que sur toutes ces technologies, la capacité
20:20 de rebattre les cartes est extraordinaire.
20:22 Et ça, c'est un grand message d'espoir pour les Européens, c'est-à-dire que la
20:25 bataille n'est jamais perdue, mais à condition de viser le coup d'après.
20:29 La vraie question, c'est qui c'est qui est capable de mettre en œuvre le coup d'après.
20:34 C'est quand même de moins en moins les grandes institutions, publiques ou privées,
20:41 qui ont forcément, et c'est bien légitime, leur propre business actuel.
20:46 Ce ne sont malheureusement pas les grands groupes automobiles qui ont inventé le véhicule
20:50 électrique.
20:51 On a des nouveaux entrants.
20:52 Tesla et BYD sont des très bons exemples.
20:54 Et exactement la même chose sur le spatial arrière.
20:56 Ensuite, deuxième chose, lucidité.
20:58 Sur Copernicus, je crois qu'il y avait une clause, je ne sais plus si c'était 20 ou
21:01 30 % de PME.
21:03 Sauf qu'il y a eu quelques pourcents.
21:05 Parce que ce n'est pas en disant on va confier 20 % au PME.
21:09 Non, il faut vraiment aller jusqu'au bout de l'exercice et vraiment mettre tout le
21:12 monde sur un pied d'égalité.
21:14 J'entends parfois que SpaceX, le succès, c'est des subventions du département de
21:17 la Défense.
21:18 Mais rien n'est plus faux.
21:19 C'est une capacité à accorder à un acteur qui n'avait pas encore un track record,
21:26 une antériorité sur le lancement, la chance.
21:29 C'est le prix de la commande publique.
21:31 C'est la commande publique, mais la commande publique intelligence au sens où la commande
21:35 publique qui sait juger.
21:37 Aujourd'hui, moi je plaide, alors que je ne suis pas forcément un étatiste complet.
21:43 Je plaide pour qu'il y ait beaucoup plus de compétences.
21:47 Aujourd'hui, la plupart des acheteurs publics, et j'espère qu'ils ne m'en voudront pas
21:50 ceux qui écoutent, ont perdu la compétence technique.
21:54 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, comme on ne sait pas très bien juger, notamment les
21:57 sujets les plus disruptifs, eh bien on va plutôt s'appuyer sur les acteurs existants.
22:03 Parce que, comme dit la fameuse citation anglo-saxonne, on n'a jamais tort en choisissant
22:09 IBM.
22:10 Sauf que ce n'est pas IBM qui a révolutionné l'informatique.
22:12 Mais pourquoi on a de plus en plus de contre-exemples quand même ? Aujourd'hui, on annonçait en
22:15 actualité, alors juste après Vegas et Clouet-Auxol, on parlait du contrat de la start-up Dark
22:21 avec le CNES.
22:22 Par exemple, est-ce que ça, ça fait partie des sujets qui devaient continuer à être
22:26 poussés ? Est-ce que c'est trop soupoudré ?
22:28 Mais on se fait plaisir.
22:29 Je ne sais pas, je ne connais pas ce contrat en particulier, mais je pense que ça doit
22:33 être un contrat de quelques millions, quelques dizaines de millions d'euros.
22:35 Moi, ce que je souhaiterais, c'est que Thierry Breton, qui est très fier de sa nouvelle
22:40 constellation satellite Iris Square, Iris 2, comme on dit, ou Iris Carré, eh bien
22:46 on mette réellement sur un pied d'égalité Thales Alenia Space, Airbus Defense, OHB
22:53 et également les autres.
22:54 Sauf que, tenez-vous bien, il y a deux ans, dans le premier appel d'offres, alors ça
22:58 a créé beaucoup d'émoi.
23:00 Il y avait une toute petite clause qui disait "seuls les sociétés qui ont 100 millions
23:05 d'euros de chiffre d'affaires et plus peuvent participer".
23:07 Caricatural.
23:08 Alors, ça a été retiré entre temps.
23:10 Donc en fait, aujourd'hui, on ne va pas jusqu'au bout de l'exercice.
23:15 On a beaucoup de mal, mais quelque part c'est légitime.
23:18 C'est qu'aujourd'hui, je pense qu'on est rentré dans un monde de grand pari et que
23:22 la puissance publique a plutôt tendance à dire "bon, c'est de l'argent public, donc
23:26 il ne faut surtout pas prendre trop de risques".
23:28 Mais je pense que c'est tout l'inverse.
23:30 Ce n'est pas au privé de prendre tous les risques sur des sujets où il y a vraiment...
23:35 C'est justement là que doit se concentrer le secteur.
23:39 Donc il y a une vraie révolution copernicienne, pardonnez-moi, à faire là-dessus.
23:43 Mais pour ça, il faut une stratégie de financement.
23:45 Et alors c'est là peut-être que l'Allemagne aurait battu la France à certains moments.
23:49 Disons qu'il faut faire...
23:51 Et je pense qu'il y a un élément auquel il faut quand même prêter attention.
23:55 C'est le fait qu'aujourd'hui, il y a des forces du marché qui piafent en disant "nous,
24:01 on veut aussi avoir notre place.
24:03 On a des savoir-faire, on a des capacités, on veut pouvoir trouver notre place".
24:08 Et si on prend l'exemple des lanceurs, puisque vous l'avez amené, et si on prend la question
24:13 de l'Allemagne liée aux lanceurs, on se rend compte d'une chose.
24:17 C'est que les Allemands ont développé des petits lanceurs qui sont aujourd'hui pratiquement
24:24 en mesure de commencer une activité de tir régulier pour mettre en orbite des petits
24:30 satellites en orbite basse.
24:31 Et ils ont eu le soutien de la Fédération Allemande de l'Industrie.
24:36 Et là, j'ai lu il y a quelques jours qu'un député libéral avait obtenu un financement
24:43 de l'État fédéral pour développer une barge de lancement qui sera mise en mer du
24:47 nord pour être en mesure de commencer des tirs avec ces petits lanceurs à partir de
24:52 2025.
24:53 C'est l'objectif.
24:54 Donc, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que d'une part, le marché compte tenu de l'importance
24:59 des possibilités anticipées de gagner de l'argent et donc de se rentabiliser va pousser
25:07 en dehors des programmes.
25:09 Et ça veut dire aussi qu'il y a un risque très important pour l'avenir des grands projets
25:14 européens si on n'y prend pas garde.
25:15 C'est-à-dire que, pour le dire autrement, c'est un risque de renationnisation de certains
25:19 projets et notamment la question de l'avenir d'Ariane 6 une fois qu'elle arrivera en service.
25:26 Donc, c'est pour ça qu'il faut faire très attention.
25:28 C'est-à-dire qu'il y a à la fois des enjeux politiques, mais il y a aussi des enjeux économiques
25:34 et il y a des enjeux entre le public et le privé.
25:37 Et donc, c'est un élément, je dirais, à vraiment avoir à l'esprit lorsqu'on parle
25:42 de ces sujets.
25:43 Faut-il renationaliser le secteur spatial ? Ce sera peut-être la prochaine question
25:47 qu'on se posera sur le plateau de cette émission Smart Space.
25:51 Merci à tous les deux d'avoir pris le temps de venir échanger avec nous.
25:55 André Le Zecrouc-Pietri, je rappelle que vous êtes président de JEDA, l'Initiative
25:58 Européenne pour l'Innovation de Rupture, qui est pour objectif de reproduire le modèle
26:03 de la DARPA, si je reprends vos propres mots.
26:06 Et vous André.
26:07 Eric-André Martin, secrétaire général du CERFA, le Comité d'études des relations
26:11 franco-allemandes à l'Institut des Relations Internationales.
26:14 Merci à tous de nous avoir suivis pour cette émission.
26:18 A la production, Lily Zalkine.
26:19 On se retrouve dès la semaine prochaine sur Bismarck.
26:22 [Musique]

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